Plaignant
Université Laval
Représentant du plaignant
M. Michel Héroux
(directeur des communications, Université Laval)
Mis en cause
Le Soleil
[Québec] et Mme Monique Giguère (journaliste)
Résumé de la plainte
La journaliste
Monique Giguère du Soleil traite du congédiement controversé d’un professeur de
l’Université Laval en adoptant une thèse partiale, au détriment de cette
institution. La journaliste cite abondamment les propos du professeur concerné,
mais se contente d’attribuer des paroles et des actions au vice-recteur aux
ressources humaines de l’Université, sans chercher à obtenir ni la version des
faits de ce dernier, ni celle de l’Université. Le reportage incriminé est
publié en trois volets, le 19 avril 1995, sous les titres «Université Laval :
Trop bon comme prof. : Congédié pour faire place à un chercheur étoile», «18
mois plus tard, l’université n’a toujours pas comblé le poste : Les efforts
pour évincer le candidat non souhaité ont conduit à un cul-de-sac» et «April
est la victime « d’un complot » : Le docteur Arsenault se porte à la
défense de son collègue».
Faits
La plainte
concerne un reportage en trois volets de la journaliste Monique Giguère, publié
dans le quotidien Le Soleil le 19 avril 1995, sous les titres «Université
Laval. Trop bon comme prof. Congédié pour faire place à un chercheur étoile»,
«18 mois plus tard, l’université n’a toujours pas comblé le poste. Les efforts
pour évincer le candidat non souhaité ont conduit à un cul-de-sac» et «April
est la victime « d’un complot ». Le docteur Arsenault se porte à la
défense de son collègue».
Griefs du plaignant
M. Michel
Héroux, directeur des communications de l’Université Laval, reproche aux mis en
cause d’avoir publié un reportage partial et incomplet. Citant un passage du
premier article — «D’autorité, l’université Laval a envoyé au chômage ce
professeur qui s’est « impudemment » classé premier au concours
international ouvert dans l’espoir d’attirer à sa place une « star »
qui ferait remonter la cote de Laval dans le classement Maclean’s des
universités canadiennes» –M. Héroux indique que la journaliste, pour justifier
cette thèse, cite abondamment le professeur dont il est question, M. Gilbert
April, une lettre que ce dernier a écrit au ministère de l’Education et un
professeur du département de physique, M. Henri Arsenault. De plus, ajoute M.
Héroux, la journaliste attribue à au moins cinq reprises des paroles et des
comportements au vice-recteur aux ressources humaines, M. Alain Vinet.
M. Héroux
reproche à la journaliste de ne pas avoir fait état de la réaction de
l’Université Laval aux affirmations rapportées qui mettent en cause
publiquement ses choix et sa gestion d’embauche des professeurs, ni de la
réaction du vice-recteur Alain Vinet face aux propos et aux comportements qui
lui sont attribués dans ces articles.
Se fier au
ouï-dire pour faire état de la position de la direction de l’Université Laval,
ne pas effectuer de vérification auprès des personnes à qui des propos sont
attribués, constituent des fautes journalistiques graves ayant pour conséquence
de livrer une information partiale et incomplète et de causer «un dommage
injuste et immérité à la réputation de l’Université Laval à l’égard de la
qualité des professeurs qu’elle embauche».
Commentaires du mis en cause
En réponse au
reproche d’avoir publié un reportage partial et incomplet, M. Gilbert Lavoie,
rédacteur en chef du Soleil, fait remarquer que M. Michel Héroux ne nie pas la
véracité des faits dévoilés par la journaliste Monique Giguère et que
l’Université Laval n’a pas communiqué avec le journal après la publication de
ce reportage pour nier les faits avancés ou demander un rectificatif. Il
indique que les faits dévoilés par la journaliste Monique Giguère sont
rigoureusement vrais et qu’ils sont le résultat d’un long travail de recherche,
de plusieurs entrevues et d’une étude rigoureuse des documents relatifs au
congédiement du professeur April.
Au reproche de
ne pas avoir demandé la version des faits du vice-recteur aux ressources humaines,
M. Alain Vinet, M. Lavoie remarque qu’il aurait peut-être été plus courtois de
publier aussi les propos de M. Vinet. Il pose cependant la question: «Mais la
recherche de la vérité dans la démarche journalistique implique-t-elle qu’il
faille obligatoirement publier la version des faits de toutes les personnes
visées, même si on nous ment?». A cette question, il répond qu’il ne le croit
pas, mais qu’il y aurait là, à tout le moins, matière à débat.
Enfin, M. Lavoie
indique, copie de plusieurs articles à l’appui, que la journaliste Monique
Giguère a mené une longue et sérieuse enquête sur l’Université Laval. Il estime
que si le journal a erré, ceci devrait être démontré sur les faits et non sur
une technicité.
Réplique du plaignant
M. Héroux
réplique qu’il est faux d’affirmer que l’Université Laval n’a pas contacté le
journal pour nier les faits après la publication puisqu’un communiqué a été
acheminé au journal l’après-midi même de la parution des articles mis en cause.
Malgré que Le Soleil ait publié le lendemain un texte faisant état du
communiqué de l’Université, il n’en demeure pas moins que cette courte nouvelle
n’a été en aucune façon suffisante pour réparer le dommage causé à l’image de
l’Université Laval.
Quant au fait
que la journaliste n’ait pas cherché à obtenir la version des faits de
l’Université avant publication, M. Héroux considère qu’il s’agit là d’une
erreur sérieuse qui va à l’encontre de la déontologie journalistique. Il ne
s’agit pas d’une question de courtoisie, non plus que d’une technicité, comme
le soutient M. Lavoie. Citant plusieurs passages des articles, M. Héroux
souligne que la journaliste a rapporté des ouï-dire sans chercher à confirmer
auprès du vice-recteur aux ressources humaines si les propos qui lui étaient
attribués étaient véridiques. Plusieurs questions sont ainsi restées sans
réponse. A la question de M. Lavoie, à savoir s’il faut obligatoirement publier
la version des faits de toutes les personnes visées, M. Héroux répond par
l’affirmative, surtout lorsqu’il s’agit, comme c’est le cas ici, d’un des
principaux acteurs de l’affaire.
M. Héroux
considère par ailleurs désolante la vision du rédacteur en chef du Soleil qui,
«à en juger par sa lettre, semble présumer que tout commentaire de l’Université
ou de ses porte-parole constituerait un mensonge». Il ajoute qu’il est de bon
ton dans certains milieux de traiter allégrement de «menteurs» ceux qui ont
charge de la communication dans les grandes organisations. Or, la première
qualité de ces derniers étant leur crédibilité face au public et aux médias,
ils s’abstiendront de commenter plutôt que de mentir. Si le fait de n’avoir pas
cherché avant publication à vérifier les propos attribués à M. Vinet s’appuie
sur cette crainte du «mensonge», M. Héroux remarque que c’est là une excuse
bien faible et qui ne résiste pas à l’examen.
Analyse
Les médias et les journalistes doivent livrer au public une information complète et conforme aux faits et aux événements. L’information fait nécessairement l’objet de choix, mais ces choix doivent être faits dans un esprit d’équité et de justice. La rigueur est donc de mise pour assurer une information de qualité, juste et équilibrée, ceci étant d’autant plus important lorsque l’information pourrait porter atteinte à la réputation de ceux visés par cette information.
Le Conseil ne peut se prononcer sur la véracité des faits allégués contre l’Université Laval dans les articles mis en cause. Cependant, le Conseil considère ici que la journaliste Monique Giguère, dans la mesure où elle a choisi de rapporter des propos et des comportements attribués au vice-recteur aux ressources humaines de l’Université Laval, M. Alain Vinet, par certaines de ses sources d’information, elle était tenue de vérifier l’authenticité de ces propos ou d’obtenir sa version des faits sur ceux-ci auprès de M. Vinet.
En omettant de ce faire, Le Soleil et la journaliste Mme Giguère ont publié une information incomplète et partiale refusant la possibilité à M. Vinet de répondre clairement de certaines accusations.
Analyse de la décision
- C11C Déformation des faits
- C12C Absence d’une version des faits