Plaignant
La Ville de
Montréal et M. Pierre Bourque (maire)
Mis en cause
Le Devoir
[Montréal] et Mme Kathleen Lévesque (journaliste)
Représentant du mis en cause
M. Bernard
Descôteaux (rédacteur en chef, Le Devoir [Montréal])
Résumé de la plainte
Dans l’article
«Bourque sous surveillance», publié par Le Devoir le 6 mai 1995, la journaliste
Kathleen Lévesque rapporte une information erronée en se fiant à une source
anonyme. Le 8 mai, dans l’article «Chevrette contredit Bourque», la journaliste
déforme les propos du ministre Guy Chevrette en faisant état de sa mise point.
Le 9 mai, Le Devoir rapporte les démentis du plaignant, sans toutefois lui
accorder un espace suffisant pour lui permettre de rétablir les faits. Le
Devoir refuse par la suite de se rétracter.
Faits
M. Pierre
Bourque, maire de la Ville de Montréal, porte plainte contre le journal Le
Devoir et sa journaliste, Mme Kathleen Lévesque, pour avoir publié, sur la foi
d’une source anonyme, une information erronée, et avoir refusé de la rectifier.
Griefs du plaignant
Le 22 juin 1995,
le maire de Montréal, M. Pierre Bourque, écrit au Conseil de presse pour se
plaindre de l’attitude du journal Le Devoir et de sa journaliste, Mme Lévesque:
«ils auraient abusé de la liberté de la presse par différents procédés
manipulatoires», tels que le recours à une source anonyme, l’utilisation
fallacieuse d’une information, la présentation d’une extrapolation comme fait
accompli, l’usage de titres sensationnels, le refus de vérifier les
informations publiées le 6 mai auprès des responsables municipaux, la
distorsion de la déclaration d’un ministre, et le refus de donner un espace
rédactionnel équitable au maire pour rétablir les faits.
Monsieur Pierre
Bourque présente l’historique des faits:
– le 6 mai, Le
Devoir publie un article intitulé: «Bourque sous surveillance», faisant état de
l’existence d’un déficit pour les années 95 et 96, selon des «sources sûres au
sein du gouvernement»;
– le 7 mai, le
ministre des Affaires municipales, M. Guy Chevrette, publie une mise au point
démentant l’existence d’un déficit de 300 millions de $ pour 1995. Il confirme
qu’un scénario préliminaire prévoit «un manque à gagner de 284 millions pour
1996»;
– le 8 mai, Le
Devoir publie: «Chevrette contredit Bourque», faisant état de la mise au point
du ministre et confirmant les informations contenues dans l’article du 6 mai;
– le même jour,
le maire Pierre Bourque publie un communiqué sur l’état des finances publiques
de la Ville de Montréal. Il annonce un surplus de 12 millions de $ pour 1995,
et confirme l’existence d’un scénario déficitaire pour l’année 1996. Par
contre, il nie le coût de la réforme administrative présenté par Le Devoir et
la baisse des revenus financiers dont la Ville serait victime;
– le 9 mai, Le
Devoir fait état de ces rectifications, mais le maire considère que le journal
ne lui a pas donné un espace rédactionnel assez important pour lui permettre de
rétablir la vérité;
– le 10 mai, M.
Bourque écrit au Devoir pour réclamer une rétractation de la journaliste
Kathleen Lévesque. Le 25 mai, M. Bernard Descôteaux, rédacteur en chef, refuse
toute rétractation. Il considère que l’information publiée était d’intérêt
public et qu’elle a été vérifiée avant publication. Toutes les personnes mises
en cause ont pu s’exprimer. M. Descôteaux émet certaines réserves sur les
intitulés et la place accordée à la réplique du maire.
M. Bourque a
recours au Conseil de presse pour faire valoir que dans cette affaire le
journal Le Devoir et Mme Lévesque ont «contrevenu à l’éthique journalistique»
en publiant de fausses informations sur l’état des finances publiques de la
Ville de Montréal.
Commentaires du mis en cause
Le 5 octobre,
Mme Lévesque répond que cette plainte doit être rejetée, puisqu’elle n’a pas
contrevenu à l’éthique journalistique.
Tout d’abord,
elle note que M. Bourque a, au cours de la présentation du budget 1995, fait état
publiquement de ses craintes quant à de futures difficultés budgétaires.
Mme Lévesque
tient à préciser qu’elle n’a pas publié ces informations sans avoir,
auparavant, fait un travail d’enquête. Un premier article est publié le 3 mai,
concernant le déficit prévu pour 1996, information confirmée par M. Forcillo,
vice-président du Comité exécutif. Le 4 mai, Mme Lévesque obtient une
information «d’une source gouvernementale tout à fait fiable», faisant état
d’un déficit de 300 millions de $ pour l’année 1995. Le 5 mai, au cours d’un
point de presse, monsieur le ministre Guy Chevrette confirme l’existence de
déficits pour 1995 et 1996.
Mme Lévesque en
vient ensuite aux griefs retenus par M. Bourque. Elle précise que Le Devoir
sait qu’il faut recourir le moins souvent possible à des sources anonymes. Mais
l’information a été vérifiée avant publication.
Les intitulés
choisis par la Direction reflètent fidèlement le contenu des articles.
La journaliste
réfute le fait qu’elle soit obligée de vérifier l’information publiée auprès de
la personne mise en cause.
Elle estime
n’avoir pas déformé les propos du ministre Guy Chevrette, celui-ci n’ayant
d’ailleurs jamais demandé de rectification.
Enfin, Le Devoir
a publié les propos de M. Bourque dans un espace rédactionnel relatif à
l’importance de l’information et selon son choix rédactionnel propre.
M. Bernard
Descôteaux, rédacteur en chef du Devoir, propose au Conseil de presse, dans une
lettre du 6 octobre, le rejet de cette plainte. Le journal a, selon lui, agi dans
l’intérêt du public et a observé les règles usuelles du métier de journaliste.
Reprenant les
accusations de M. Bourque, il affirme que remettre en cause le recours à des
sources anonymes serait nier le droit aux journalistes de mener des enquêtes.
Ici, le problème n’est pas de savoir si Le Devoir a erré en prétendant
l’existence d’un déficit de 300 millions de $, mais plutôt si le travail
d’information a été bien fait, c’est-à-dire si chacun a pu s’exprimer, «à
défaut de partager les mêmes opinions et les mêmes conclusions».
Analyse
Concernant l’espace rédactionnel que Le Devoir a choisi d’allouer à la réplique de M. Bourque, le Conseil s’en tient à sa position traditionnelle, estimant que ce choix relève exclusivement du jugement rédactionnel de l’organe de presse. Le Conseil ne peut porter de jugement sur ce choix sous peine d’entraver la liberté de presse.
Le choix des intitulés relève de la discrétion de l’éditeur, guidé par la volonté de publier une information juste et complète. Le Conseil croit que les titres doivent refléter le contenu des articles et ne pas verser inutilement dans le sensationnalisme. Il estime que dans le cas présent, Le Devoir n’a pas abusé de ce droit.
L’utilisation d’une source anonyme doit toujours demeurer l’exception dans l’esprit des professionnels de l’information. Lorsqu’ils y ont recours, ils doivent redoubler de vigilance, c’est-à-dire vérifier l’information et donner un minimum de renseignements sur cette source. Ils permettront ainsi au public d’avoir une certaine assurance quant à l’authenticité de cette information. Le Conseil estime que Mme Lévesque a fait preuve de vigilance. Elle a précisé la nature de cette source. Elle a permis au lecteur de se forger une opinion en décrivant l’évolution de l’information, et en permettant aux différentes parties de s’exprimer. Si les journalistes n’avaient recours qu’à des sources officielles, le droit du public à une information pluraliste serait sans aucun doute remis en question.
En conclusion, le Conseil de presse décide de rejeter la plainte de M. Bourque visant le journal Le Devoir et sa journaliste, Kathleen Lévesque, estimant que ceux-ci n’ont contrevenu à aucune règle d’éthique journalistique.
Analyse de la décision
- C03B Sources d’information
- C09B Droit de réponse insatisfaisant
- C14A Sensationnalisme/exagération/insistance indue