Plaignant
M. Michel
Turgeon et M. Jocelyn Lefebvre (médecins, Centre hospitalier Rouyn-Noranda)
Mis en cause
La Frontière
[Rouyn-Noranda] et Mme Karen Villeneuve (journaliste)
Représentant du mis en cause
M. Gilles Gauvin
(directeur de l’information, La Frontière [Rouyn-Noranda]
Résumé de la plainte
Dans son article
«L’Hôpital et un médecin poursuivis pour erreur médicale», paru le 16 août
1995, la journaliste Karen Villeneuve de La Frontière accorde un traitement
partial et sensationnaliste à cette affaire en exploitant des témoignages
d’enfants, en négligeant de consulter les plaignants et en rapportant, sans
vérification, un diagnostic qui diffère de celui posé par le médecin concerné.
Faits
La plainte
concerne l’article de Mme Karen Villeneuve, paru le 16 août 1995 dans le
journal La Frontière, et intitulé: «L’Hôpital et un médecin poursuivis pour
erreur médicale». Les plaignants lui reprochent un manque d’objectivité et un
traitement sensationnaliste.
Griefs du plaignant
Le 18 décembre
1995, Dr Michel Turgeon et Dr Jocelyn Lefebvre présentent les motifs de leur
plainte.
La journaliste
n’a pas consulté les médecins mis en cause dans son article ni leur procureur.
Les plaignants ajoutent que l’information entourant cette affaire a pris la
tournure d’une croisade publicitaire en utilisant des enfants à qui l’on prête
des propos curieux et cette façon de faire leur apparaît «être un manque de
conscience face à la responsabilité d’un journaliste.»
Selon les
plaignants, le reportage en question n’a pas pour but d’informer le public mais
d’attaquer la qualité des services médicaux d’un centre hospitalier et le travail
professionnel de médecins.
Enfin, les
plaignants mentionnent que le diagnostic cité n’est d’ailleurs pas conforme à
celui que le Dr Turgeon a posé et aucune vérification n’a été faite auprès du
médecin.
Commentaires du mis en cause
Le 12 février 1996,
M. Gilles Gauvin, directeur de l’information, répond que la journaliste a
choisi de traiter de ce fait divers selon un angle humain, mais elle n’a
déformé aucune information.
M. Gauvin ajoute
que la journaliste a contacté le Dr Turgeon mais celui-ci n’a pas retourné son
appel. Enfin, le témoignage des enfants ne dépasse pas les convenances.
Mme Karen
Villeneuve mentionne ses différentes sources d’information. Son article
s’appuie sur le document présenté à la Cour supérieure du Québec exposant les motifs
de l’action intentée contre le Dr Turgeon et le Dr Lefebvre et le Centre
hospitalier Rouyn-Noranda.
La journaliste a
également eu un entretien avec Mme Gaudreau, qui a cité les propos de ses
enfants. Mme Villeneuve a contacté le Centre hospitalier, dont la réaction est
citée dans l’article. Par contre, le Dr Turgeon n’a pas donné suite à son
appel.
Réplique du plaignant
Le 25 mars 1996,
les plaignants estiment que la journaliste a été victime d’une manipulation de
la part d’une mère qui voulait tenter de justifier un recours et augmenter la
valeur des dommages.
Les plaignants
concluent que «la recherche du sensationnalisme pour faire un « scoop »
en première page, par des photos ainsi que des propos carrément déplacés pour
des enfants si jeunes, est loin de constituer un reportage objectif de faits
vérifiés et constatés». Ils terminent en disant avoir consulté des personnes
qui ont trouvé «qu’il s’agissait de journalisme de bas étage, de propos
insensés prêtés à des enfants si jeunes, d’un manque d’éthique professionnelle
évident et d’un mauvais goût certain.»
Analyse
La liberté de la presse et le droit du public à l’information seraient compromis si les médias devaient s’interdire d’informer la population sur des drames humains.
Mais dans le cas de sujets si délicats, les médias et les professionnels de l’information doivent traiter de ces questions avec prudence et discernement. Les décisions rédactionnelles qu’ils prennent en la matière, que ce soit les informations qu’ils publient, les photos ou les illustrations qui les accompagnent, les témoignages qu’ils rapportent, doivent être fonction de l’intérêt public et non d’un désir de faire du sensationnalisme.
Dans son article, la journaliste fait état de poursuites judiciaires intentées contre deux médecins et le Centre hospitalier de Rouyn-Noranda à la suite de la mort d’une petite fille. Cette information est d’intérêt public puisqu’elle touche à la qualité des actes médicaux.
Par contre, le Conseil de presse blâme la journaliste et le journal La Frontière pour avoir utilisé un traitement journalistique sensationnaliste et partial en publiant les propos de jeunes enfants, accompagnés de leur photo. Avoir connaissance de l’ampleur de la tristesse des frères et soeurs de la victime relève plus du voyeurisme que de l’information. Même si la journaliste a eu l’autorisation des parents, il était de sa responsabilité d’éviter d’exploiter un tel drame.
De plus, la journaliste n’a pas interviewé les enfants eux-mêmes mais le texte de l’encart publié le 16 août 1995 donne l’impression que c’est le cas. Il s’agit de complaisance de la part du journaliste.
L’article se fonde uniquement sur l’action en responsabilité médicale déposée en Cour supérieure. La journaliste aurait dû mentionner que le libellé de cette poursuite était sa principale source d’information: elle s’en inspire sans jamais la citer.
Par ailleurs, le Conseil se trouve face à deux versions quant à savoir si le Dr Turgeon a été contacté pour donner sa version des faits. Le Conseil de presse rappelle l’importance pour les professionnels de l’information de rendre compte de la version des faits des personnes mises en cause, ou encore d’indiquer qu’ils ont effectué une démarche pour l’obtenir même si elle a été infructueuse.
Analyse de la décision
- C02A Choix et importance de la couverture
- C12B Information incomplète
- C12C Absence d’une version des faits
- C14A Sensationnalisme/exagération/insistance indue