Plaignant
Les intervenants
du Bureau de Consultation Jeunesse Longueuil
Représentant du plaignant
M. Alerte Avril
(porte-parole, intervenants du Bureau de Consultation Jeunesse Longueuil)
Mis en cause
La Presse
[Montréal] et M. Eric Trottier (journaliste)
Représentant du mis en cause
M. Claude Masson
(vice-président et éditeur adjoint, La Presse [Montréal])
Résumé de la plainte
Dans son article
«De jeunes voyous sèment la pagaille aux funérailles de la famille El Tomi»,
publié le 28 janvier 1996 par La Presse, le journaliste Eric Trottier verse
dans le sensationnalisme et encourage les préjugés en associant les jeunes
concernés à des voyous et à des motards. Le journaliste déforme les faits et
rapporte des informations inexactes, en affirmant par exemple que des jeunes
portaient des cagoules et que leurs actions étaient préméditées. Enfin, il
rétorque à des jeunes qui ne voulaient pas se laisser photographier «de ne pas
faire leurs Hells Angels».
Faits
La plainte
concerne l’article du journaliste Eric Trottier, paru le 28 janvier 1996 dans
La Presse, et intitulé: «De jeunes voyous sèment la pagaille aux funérailles de
la famille El Tomi».
Griefs du plaignant
Le 12 février 1996,
les intervenant-e-s du Bureau de Consultation Jeunesse Longueuil reprochent à
Eric Trottier ses agissements lors des funérailles de la famille El Tomi et le
contenu de son article.
Le journaliste a
manqué de jugement professionnel en n’évaluant pas à sa juste mesure «la charge
émotive de la situation et l’impact de son approche vis-à-vis des jeunes
bouleversé-e-s et déjà soumis-e-s à une pression intense». Aux jeunes qui
refusaient que des photos soient prises, il leur a rétorqué «de ne pas faire leurs
Hells Angels».
Le journaliste a
manqué d’intégrité professionnelle en ayant recours à un vocabulaire
sensationnaliste («bande de jeunes voyous en mal de sensations fortes», «Hells
Angels», «motards»), porteur de préjugés et de stéréotypes.
Le journaliste a
publié des informations fausses: il n’y avait aucun jeune «masqué de cagoule».
Il ne s’agissait aucunement d’une action préméditée de la part des jeunes. M.
Trottier n’a pas hésité à transformer les faits lorsqu’il attribue à un jeune:
«Ces gars-là (en parlant des jeunes voyous) ne connaissent même pas les El
Tomi: ils n’avaient pas d’affaire ici.» Ce commentaire était dirigé contre M.
Trottier et son photographe devant leur insistance à trop s’approcher.
Le journaliste a
fait preuve d’irresponsabilité: il «a abusé d’une situation dramatique», avec
laquelle les jeunes, à raison, ont de la difficulté à composer; il a «manipulé
et exacerbé leur émotion pour ensuite les donner en spectacle». Son article a
eu un impact dévastateur sur leur moral.
Commentaires du mis en cause
Le 19 avril
1996, M. Claude Masson, vice-président et éditeur adjoint de La Presse, appuie
sans restriction la réplique soumise au Conseil de presse par M. Eric Trottier.
M. Trottier
souligne le caractère public de ces funérailles et la nécessité pour les médias
de les couvrir. Une vingtaine de journalistes assistaient donc à la cérémonie.
Il était convenu que les photographes et les cameramen attendraient la sortie
de l’église pour prendre des images. A ce moment des jeunes se sont interposés pour
empêcher les journalistes de voir la scène. Eric Trottier est demeuré simple
spectateur de cette bousculade. Il affirme n’avoir jamais rétorqué aux jeunes
«de ne pas faire leurs Hells Angels»: au contraire il a tenté d’expliquer
calmement à l’un d’entre eux pourquoi les journalistes avaient le droit de
faire leur travail.
La citation
rapportée dans l’article a été prononcée par une jeune fille que le journaliste
avait déjà interrogée et qui a préféré conserver l’anonymat.
Le journaliste
maintient que certains jeunes portaient des cagoules et joint une photo qui
atteste ce fait.
En ce qui
concerne le contenu de son article, le journaliste estime avoir uniquement
rapporté les faits. Le recours à une comparaison entre l’attitude de ces jeunes
et celle coutumière aux Hells Angels était «conforme à l’image qu’ils ont
donnée d’eux-mêmes ce jour-là», d’autant plus que les jeunes utilisaient
certains de leurs rites: cagoules, haie formée pour empêcher les journalistes
de voir la scène, etc. Images similaires à celles déjà vues à Sorel, lors
d’enterrements de motards.
M. Eric Trottier
joint en annexe des témoignages de confrères également présents lors de ces
funérailles, pour appuyer sa version des faits.
Analyse
Le Conseil de presse rejette le motif de plainte concernant les agissements du journaliste sur les lieux de la bousculade.
La bousculade qui a suivi les funérailles de la famille El Tomi constituait une situation paradoxale dans laquelle un drame humain engendrait une nouvelle situation de violence. Il était donc pertinent que le journaliste en fasse état.
Le Conseil de presse rejette le motif de plainte concernant la publication d’informations erronées. Le Conseil a pu lui-même constater que certains jeunes tentaient de cacher leur visage comme l’a indiqué le journaliste.
Le Conseil ne peut se prononcer sur deux autres éléments d’information (la citation de la jeune fille et le nombre de jeunes impliqués) puisqu’il se trouve face à des versions contradictoires.
Par ailleurs, le Conseil de presse reconnaît qu’un reportage n’est pas seulement une liste de faits. Les journalistes peuvent donc recourir aux moyens les plus efficaces pour rendre compte d’un événement dans le respect des faits et des personnes en cause.
Le Conseil blâme le journaliste pour ne pas avoir expliqué le comportement des jeunes et avoir utilisé l’expression «de jeunes voyous».
De même, la comparaison avec la façon d’agir des Hells Angels manque de respect à l’égard de ce groupe de jeunes. Enfin, notons que le Conseil de presse n’a pu constater que les jeunes portaient une cagoule mais ils affichaient un foulard sur la bouche.
Le Conseil de presse blâme donc le journaliste pour cette comparaison qui n’avait pas lieu d’être et qui se voulait sensationnaliste.
Analyse de la décision
- C03C Sélection des faits rapportés
- C11B Information inexacte
- C12B Information incomplète
- C23L Altercation/manque de courtoisie