Plaignant
M. Charles-Aimé
Bolduc
Mis en cause
Le Soleil
[Québec] et Mme Annie Morin (journaliste)
Représentant du mis en cause
M. Gilbert
Lavoie (rédacteur en chef, Le Soleil [Québec])
Résumé de la plainte
La journaliste
Annie Morin rapporte une affaire de violence conjugale en portant préjudice à
la personne incriminée, sur laquelle pèse neuf chefs d’accusation. Le texte, paru
dans l’édition du 17 mars 1996 du Soleil, comporte de nombreuses informations
erronées, déformées ou mensongères. La journaliste et son chef de pupitre
refusent de reconnaître leurs erreurs et de divulguer leurs sources
d’information.
Faits
La plainte de M.
Charles-Aimé Bolduc a pour objet un article paru dans l’édition du 17 mars 1996
du journal Le Soleil.
Ce texte, signé
de Mme Annie Morin, a pour titre «Violence conjugale – Séquestration,
harcèlement, voies de fait graves : il l’aurait terrorisée pendant trois ans».
La journaliste y
décrit les sévices physiques et moraux qu’aurait fait subir un homme à sa
compagne: cette personne, au moment de la rédaction de l’article, faisait
l’objet de neuf chefs d’accusation.
Griefs du plaignant
M. Bolduc estime
que Mme Morin a sérieusement manqué d’éthique professionnelle dans sa manière
de traiter le sujet.
Le plaignant
considère que l’article de la journaliste est rempli d’informations déformées,
erronées, mensongères et diffamatoires envers la personne nommée dans le texte.
M. Bolduc
conteste plusieurs des éléments rapportés dans l’article incriminé: il les juge
non conformes à la réalité et donne sa propre version des faits.
Il accuse
également Mme Morin de n’avoir pas cherché à vérifier ses informations auprès
de la personne concernée et d’avoir ainsi manqué de professionnalisme.
De plus, la
journaliste et son chef de pupitre auraient eu une attitude «malhonnête»: ils
auraient refusé de reconnaître leurs erreurs et de divulguer leurs sources
d’information.
M. Bolduc estime
également que la journaliste a rapporté des faits qui tiennent de la «pure
fabulation» et dépassent largement les chefs d’accusation qui pesaient contre
la personne nommée dans l’article.
En outre,
l’article de Mme Morin ferait montre de graves préjugés sociaux envers le
milieu rural.
Enfin, la
journaliste, en cédant au sensationnalisme, aurait dénié la présomption
d’innocence et causé des torts irréparables aux personnes évoquées dans son
article.
Commentaires du mis en cause
M. Gilbert Lavoie,
rédacteur en chef du Soleil, affirme que l’article de Mme Morin ne fait que
rapporter les faits soumis devant le tribunal.
Dans un
commentaire additionnel, il précise que les journalistes peuvent consulter les
rapports de police et le procureur de la Couronne pour complément d’information
lors d’une mise en accusation.
Réplique du plaignant
M. Bolduc
soutient, quant à lui, que la majorité des éléments d’information contenus dans
l’article de Mme Morin n’ont jamais été évoqués lors de la comparution sommaire
que la journaliste prétend citer: seuls les neuf chefs d’accusation y avaient
été rapidement lus.
A titre
d’exemple, il relève dix-huit points, dans le texte incriminé, qui n’ont jamais
été mentionnés devant le tribunal et relèvent donc de la fiction.
En conséquence,
le plaignant maintient que la journaliste a dénié toute présomption d’innocence
en condamnant quelqu’un avant son procès.
M. Bolduc
réitère ses griefs contre l’article de Mme Morin qu’il juge tendancieux, biaisé
et partial.
Ce texte aurait
sali arbitrairement la réputation d’une personne, violant ainsi les «droits
fondamentaux de tout citoyen».
Le plaignant
conclut sa réplique en soulignant l’importance d’un travail journalistique
«consciencieux, mené avec rigueur et indépendance».
Analyse
La nouvelle est un genre journalistique destiné à informer le public, c’est-à-dire à lui expliquer les faits pour lui permettre de se faire, en toute connaissance de cause, une opinion sur les événements et l’actualité. Les médias et les professionnels de l’information doivent s’en tenir à rapporter les faits et à les situer dans leur contexte sans les commenter. Ils doivent respecter l’authenticité et la provenance de l’information afin de ne pas induire le public en erreur sur la vraie nature des situations, ou encore sur l’exacte signification des événements. Et cette rigueur est encore plus nécessaire lorsque le sujet traité est de nature judiciaire.
Dans le cas présent, il n’apparaît pas au Conseil de presse que les mis-en-cause aient outrepassé ces limites déontologiques en rapportant les éléments d’information contenus dans l’article incriminé. Le contexte des faits évoqués est situé sans ambiguïté: il s’agit d’une mise en accusation pour violence conjugale. Le titre de l’article indique clairement que c’est la version des faits de la présumée victime qui est présentée: ce choix d’angle de traitement est légitime et implique nécessairement une plus grande attention accordée aux accusations. Le temps employé majoritairement par la journaliste est le conditionnel. Le lecteur est donc en mesure de savoir qu’il s’agit d’hypothèses et de faits reprochés et non d’une situation avérée.
D’autre part, la journaliste avait la liberté rédactionnelle de ne pas se limiter à la seule évocation des chefs d’accusation. Il était légitime de faire état d’éléments d’information obtenus de sources extérieures pour étoffer l’article. Ceci n’indique en rien une tendance à la «fabulation» de la part de la mise-en-cause.
Cependant, le Conseil ne peut que déplorer le fait que Mme Morin n’ait pas cité ses sources extérieures, ce qu’aurait commandé la rigueur et l’exactitude, et ce qui aurait eu pour effet de mieux appuyer son récit des événements. L’allusion, dans l’article, au milieu familial de l’accusé est apparue non appropriée dans ce contexte. De la même manière, le fait de donner l’adresse exacte de l’accusé est une pratique inacceptable que le Conseil a maintes fois déploré auprès des médias d’information.
En raison de ces considérations, le Conseil de presse se doit d’accueillir sur ce seul aspect, et donc partiellement, la plainte de M. Charles-Aimé Bolduc contre Le Soleil et la journaliste Annie Morin.
Analyse de la décision
- C03B Sources d’information
- C11B Information inexacte
- C16C Publication de l’adresse/téléphone
Date de l’appel
29 October 1998
Appelant
M. Charles-Aimé
Bolduc
Décision en appel
Après analyse,
l’appel est rejeté.
Griefs pour l’appel
M. Charles-Aimé
Bolduc interjette appel de la décision du Conseil de presse.