Plaignant
Le Collectif
régional d’éducation sur les médias d’information (CRÉMI)
Mis en cause
La Tribune
[Sherbrooke], M. Daniel Forgues et M. Mario Goupil (journalistes)
Représentant du mis en cause
M. Stéphane
Lavallée (directeur de l’information, La Tribune [Sherbrooke])
Résumé de la plainte
Le journaliste
Daniel Forgue renforce les préjugés à l’égard des assistés sociaux dans un
texte publié par La Tribune 8 septembre 1997. Le plaignant organise une
conférence de presse avec d’autres organismes pour dénoncer ce texte, mais
c’est M. Forgue lui-même qui en assure la couverture en ne rapportant pas la
plupart des revendications formulées à cette occasion. Enfin, le journaliste
Mario Goupil fait preuve d’acharnement à l’égard des assistés sociaux et des
organismes communautaires en rédigeant trois chroniques entre le 13 septembre
et le 22 octobre 1998 afin de dénoncer la série d’actions entreprises à la
suite du premier article de M. Forgue.
Faits
La plainte
déposée par le Collectif régional d’éducation sur les médias d’information
(CRÉMI) concerne différents textes, publiés dans La Tribune, entre le 8
septembre et le 22 octobre 97.
Suite à un
premier article, signé Daniel Forgues et daté du 8 septembre, le CRÉMI a tenu
une conférence de presse, avec quatre autres organismes communautaires, pour
dénoncer le traitement journalistique accordé à cette nouvelle. L’article en
question, titré «Un locataire fait 3000$ de dégâts, puis file en douce»,
évoquait les déboires d’un couple de propriétaires qui ont vu leur appartement
dévasté par leur locataire, un jeune prestataire de l’aide sociale.
La couverture de
cette conférence de presse a également donné lieu à un article, signé par le même
Daniel Forgues, et à une chronique de Mario Goupil. Ces deux textes, parus le
13 septembre, sont respectivement intitulés «Cinq organismes communautaires se
portent à la défense des assistés sociaux» et «Un B.S. est un B.S.»
S’estimant lésé
par ces articles, un des organismes associés avec le CRÉMI a informé La Tribune
de la désapprobation générale engendrée par ces deux nouveaux textes et a exigé
un droit de réplique. Les 18, 20 et 23 septembre, le journal publiait donc deux
lettres de lecteurs critiquant la chronique de M. Goupil ainsi qu’une mise au
point au sujet de la conférence conjointe évoquée dans le deuxième article de
M. Forgues.
Enfin, les 20
septembre et 22 octobre, Mario Goupil signait deux autres chroniques ironiques
au sujet des actions menées par le CRÉMI et ses organismes associés. La
première était titrée «En 60 copies, dans le télécopieur», la seconde «Parlant
de manque de jugeote» et «Offre d’emploi».
Griefs du plaignant
En premier lieu,
le CRÉMI estime que l’article de M. Forgues, intitulé «un locataire fait 3000$
de dégâts, puis file en douce», colporte de graves préjugés envers les assistés
sociaux: en établissant un lien direct entre le saccage d’un appartement et le
fait que le responsable soit un jeune prestataire de l’aide sociale, le
journaliste fait des généralisations non pertinentes. De plus, il néglige de
nuancer les propos des propriétaires de l’appartement et omet d’apporter un
point de vue opposé, donnant de ce fait une information incomplète et biaisée.
Cet article a provoqué
une vive réaction: cinq organismes communautaires ont organisé une conférence
de presse pour le dénoncer. Or c’est Daniel Forgues, l’auteur même des lignes
controversées, qui a couvert cet événement, ce qui constitue un cas de conflit
d’intérêts.
En outre, le
journaliste a rédigé un article très décevant, selon les plaignants, puisque
quasiment aucune des revendications exprimées à l’occasion de cette conférence
de presse n’a été mentionnée. Quelques jours plus tard, La Tribune publiait
d’ailleurs une lettre visant à rétablir certains des faits omis par M. Forgues.
Quant aux trois
chroniques de M. Goupil, les plaignants estiment qu’elles renforcent les
préjugés défavorables aux assistés sociaux, en plus de ternir gratuitement la
réputation et l’image des travailleurs communautaires. Le ton qu’il utilise est
dénigrant, le vocabulaire méprisant et ses propos ne reflètent pas la réalité.
Les plaignants
estiment que M. Goupil fait preuve d’acharnement à l’égard des assistés
sociaux.
Commentaires du mis en cause
En ce qui
concerne les deux textes de M. Forgues, M. Jacques Pronovost, rédacteur en
chef, souligne que le choix même du sujet abordé dans le premier article était
susceptible de soulever de vives réactions. Il estime cependant que le
journaliste ne devait pas pour autant cacher certains faits. M. Pronovost
indique également que M. Forgues n’a pas été en mesure de recueillir d’autres
points de vue que celui des propriétaires de l’appartement, l’événement s’étant
déroulé en fin de semaine.
Quant à la
couverture de la conférence de presse, M. Pronovost affirme que le contenu de
celle-ci n’était pas connu à l’avance. Si cela avait été le cas, M. Forgues
n’aurait pas été délégué pour faire le compte rendu de cet événement.
En ce qui a
trait aux textes de M. Goupil, le rédacteur en chef de La Tribune indique qu’il
s’agit de chroniques, permettant à leur auteur une grande liberté d’opinion et
d’expression.
M. Pronovost
conclut ses commentaires en soulignant la volonté d’ouverture de son journal.
Analyse
La plainte soumise au Conseil de presse visait deux reportages du journaliste Daniel Forgues et trois chroniques de M. Mario Goupil du quotidien La Tribune, et comportait plusieurs griefs.
Après examen, le Conseil ne peut relever, dans le premier texte de Daniel Forgues, aucune exagération ou généralisation, ni de ton ironique ou d’intention malveillante. La mention dans l’article du statut de prestataire de l’aide sociale du locataire est faite sur un ton neutre et on ne peut constater ici aucune exploitation abusive dans cette mention. Aux yeux du Conseil, cette mention est apparue pertinente dans le contexte. Le journaliste n’avait pas non plus à nuancer les propos du propriétaire mais à les rapporter fidèlement et à les mettre en contexte; ce qu’il a fait.
Quant à l’exposition d’un point de vue opposé, celui du locataire était évidemment impossible à recueillir et ceux du ministère et de la Régie du logement sont résumés. La latitude reconnue au genre journalistique du reportage permettait à M. Forgues de sélectionner les informations essentielles et l’absence du point de vue des représentants des organismes de défense des bénéficiaires de la sécurité du revenu n’engendre pas pour autant une information incomplète et biaisée.
En ce qui a trait au second article, même s’il n’a pas rapporté tous les contenus de tous les communiqués distribués durant la conférence de presse, le journaliste Daniel Forgues avait le droit de choisir les informations qu’il désirait privilégier dans son reportage.
Cependant, en regard du grief de conflit d’intérêts, l’explication des mis-en-cause sur l’affectation de M. Forgues est apparue au Conseil discutable. L’usage, dans les médias, est de tenter d’apprécier à l’avance l’importance des sujets couverts, et partant, leur contenu.
Le Conseil de Presse reproche donc à La Tribune et à son journaliste Daniel Forgues de n’avoir pas pris tous les moyens pour éviter le conflit d’intérêts ou l’apparence de conflit d’intérêts.
Le Conseil s’est également penché sur les trois chroniques signées par le journaliste Mario Goupil.
La liberté rédactionnelle reconnue aux chroniqueurs par la déontologie leur permet de donner leur opinion sur un ton humoristique, parfois même cinglant. Rappelons cependant que la déontologie précise également que la liberté rédactionnelle serait gravement compromise si la presse, se soustrayant aux règles de l’éthique journalistique ou faisant fi des exigences de rigueur, d’exactitude et d’honnêteté que lui impartissent sa fonction et sa responsabilité d’informer, donnait une image déformée des faits, travestissait les événements ou adoptait, à l’égard des personnes ou des groupes, des attitudes propres à entretenir les préjugés populaires ou à les discréditer auprès de l’opinion publique.
Dans ses chroniques, Mario Goupil réagit à une protestation qu’il réprouve. C’est son droit; il revendique le droit de son journal et son propre droit à appeler un chat un chat. Le Conseil lui donne raison sur cet aspect.
Toutefois, en persistant à défendre sa définition de «B.S.» dans une chronique intitulée «Un B.S. est un B.S.», M. Goupil contribue à renforcer une image négative à l’égard des assistés sociaux. Un journaliste d’expérience comme Mario Goupil ne peut ignorer le fait que l’expression «B.S.» n’a jamais un sens totalement neutre, mais est toujours porteuse d’une signification péjorative. Comment ne pas savoir que le terme «B.S.» est synonyme, dans la perception populaire, de parasite social?
Ce faisant, le chroniqueur montre qu’il connaît peu ou mal la situation économique, et ses répercussions sur le phénomène de l’assistance sociale, au cours des dernières années.
Pour ces raisons, le Conseil de Presse accueille la plainte à l’encontre du chroniqueur Mario Goupil.
Le Conseil tient enfin à souligner que le quotidien La Tribune a fait preuve d’ouverture d’esprit à l’égard des plaignants, en n’hésitant pas à publier trois lettres de protestation des organismes communautaires en cause. Ce geste est celui, de l’avis du Conseil, d’un média d’information responsable.
Analyse de la décision
- C18C Préjugés/stéréotypes
- C22F Liens personnels