Plaignant
M. André
Pronovost (auteur)
Mis en cause
Le Devoir
[Montréal] et Mme Blandine Campion (journaliste)
Représentant du mis en cause
M. Bernard
Descôteaux (rédacteur en chef, Le Devoir [Montréal])
Résumé de la plainte
La journaliste
Blandine Campion du Devoir exagère les ressemblances entre le premier et le
dernier roman du plaignant, en se référant à une critique du premier roman
parue en 1975. Un tel procédé, qui équivaut à une accusation d’auto-plagiat,
porte injustement atteinte à la réputation du plaignant. Enfin, la journaliste
néglige de répondre aux questions que lui pose le plaignant dans son droit de
réplique, publié par Le Devoir.
Faits
La plainte
concerne une critique littéraire publiée le 10 janvier 1998 dans Le Devoir,
intitulée Balle-molle et Bord-de-l’eau, et rédigée sous la plume de Blandine
Campion. Dans cet article, la journaliste analyse le dernier roman de M.
Pronovost et le compare à sa première oeuvre, en s’appuyant sur une critique
d’un de ses confrères, publiée en 1975.
Cette analyse
comparative l’amène à déceler des similitudes troublantes entre les deux
livres. Le plaignant trouve ce reproche exagéré et accuse la journaliste de ne
pas avoir répondu aux questions qu’il lui avait posées dans son droit de
réponse.
Griefs du plaignant
D’une part, le
plaignant considère que les propos de la mise-en-cause équivalent à une
accusation d’auto-plagiat. Or selon lui, cette critique est exagérée et ne
concerne que deux passages de son premier roman, qui par ailleurs ont été
réécrits et complétés. La mise-en-cause dérogerait d’autant plus aux règles de
l’éthique journalistique qu’elle fonde son argumentation sur la lecture d’une
autre critique littéraire, et non sur celle du premier roman du plaignant.
D’autre part, le
plaignant regrette que les questions qu’il avait posées dans son droit de
réplique, publié le 30 janvier 1998, soient restées sans réponse.
Enfin, le plaignant
a tenu à faire parvenir au Conseil de presse une lettre de soutien d’un
lecteur, rédigée en réaction à l’article incriminé. Il précise cependant que
l’accusation dont il fait l’objet, parce qu’elle est non fondée, nuit à sa
réputation, notamment à l’égard de sa maison d’édition.
Commentaires du mis en cause
Commentaires de
Bernard Descôteaux, rédacteur en chef:
M. Descôteaux
estime que la plainte devrait être considérée comme irrecevable par le Conseil.
Il juge le travail
de la journaliste conforme aux règles de l’art de la critique et endosse ses
explications. Il rappelle que la critique est un genre particulier qui
autorisait la mise-en-cause à émettre un avis, fut-il contraire à celui du
plaignant.
Le rédacteur en
chef estime que le plaignant cherche à faire appel d’un «jugement» sur son
oeuvre, en demandant au Conseil de presse de se prononcer sur la méthodologie
de la journaliste et de partager la lecture qu’il fait de sa critique.
En outre, le
journal a accordé à M. Pronovost un droit de réplique, lui permettant ainsi de
faire valoir son point de vue.
Commentaires de
Blandine Campion, journaliste:
La mise-en-cause
récapitule d’abord les étapes de recherche et de rédaction qu’elle a suivies
pour tenter de répondre à l’accusation selon laquelle sa critique repose sur la
lecture de l’article de M. Basile plutôt que sur celle des Marins d’eau douce.
Mme Campion
défend ensuite certains termes utilisés dans son article, notamment ceux
portant sur la ressemblance des textes. La journaliste expose et tente de
démontrer ses affirmations, notamment en présentant une étude comparative de
certains des passages en question.
La journaliste
précise que ses propos n’ont rien d’une accusation, d’autant plus qu’elle
avait, dans la première partie de son article, reconnu «le talent d’André
Pronovost».
Quant au
reproche qui lui est fait de ne pas avoir répondu aux questions posées dans le
droit de réponse, elle estime que «ces pages ne sont pas le lieu approprié pour
entamer une polémique».
Réplique du plaignant
Le plaignant ne
voit dans les commentaires de la mise-en-cause qu’une volonté d’éluder la
question.
Il maintient que
les propos exagérés de la mise-en-cause ne pouvaient que convaincre le lecteur que
son dernier roman était calqué sur son premier.
Il maintient
donc sa plainte.
Analyse
Le genre journalistique que constitue la critique, tout comme la chronique et l’éditorial, tient davantage du commentaire que de l’information stricte, et partant, laisse à son auteur une grande discrétion dans l’expression de ses prises de position et de ses points de vue. Toutefois, les critiques, tout comme les chroniqueurs et les éditorialistes, se doivent, dans l’expression de leurs points de vue, de respecter les exigences de rigueur et d’exactitude que leur impartit leur responsabilité d’informateurs publics.
L’examen de la plainte soumise au Conseil n’avait évidemment pas pour but de déterminer si Mme Campion avait raison ou non dans sa critique du livre de M. Pronovost, mais si, dans l’exercice de sa fonction de critique littéraire, elle avait outrepassé les limites reconnues au genre journalistique de la chronique.
Le plaignant interprète comme équivalent à une accusation «d’auto-plagiat» la critique de Mme Campion, et considère qu’elle nuit à sa réputation et à celle de sa maison d’édition. Toutefois, le plaignant reconnaît avoir repris dans son troisième volume des éléments de sa première oeuvre. La divergence d’opinion repose donc sur une appréciation différente de ces «emprunts». Auteur et critique ne s’entendent pas sur le nombre et sur la gravité du geste.
Selon les principes professionnels reconnus, la mise-en-cause était tout à fait justifiée de formuler, selon son jugement, l’appréciation qu’elle faisait de l’oeuvre soumise à sa critique. Dans l’exercice de son travail, elle a constaté la répétition de certains éléments et elle les a relevés.
Un second grief portait sur la cueillette des informations: Mme Campion aurait fait une comparaison entre deux oeuvres de M. Pronovost, mais en utilisant sa lecture récente du troisième livre et un compte rendu critique de Jean Basile, rédigé plusieurs années auparavant.
Le Conseil rappelle ici que la liberté rédactionnelle permettait à la journaliste de structurer sa critique comme elle le voulait.
En ce qui a trait aux questions posées par le plaignant dans son droit de réplique et restées sans réponse, le Conseil a déjà précisé que la décision d’accorder un droit de réplique appartient aux médias et que ces derniers sont seuls juges en la matière. Le Conseil note au surplus que le plaignant n’en a pas moins bénéficié d’un droit de réplique dans les pages du Devoir.
Enfin le plaignant formulait le grief d’avoir nui à sa réputation et à celle de sa maison d’édition. Le Conseil fait observer qu’en décidant de publier un livre, un éditeur expose en même temps à la critique l’oeuvre, l’auteur et la maison d’édition. En publiant, le plaignant prenait sciemment le risque que son ouvrage ne reçoive pas un accueil unanime. S’il était libre de publier, la critique était libre d’aimer ou non son oeuvre et de l’exprimer.
Pour ces raisons, le Conseil de presse rejette la plainte contre le quotidien Le Devoir et contre sa journaliste Blandine Campion.
Analyse de la décision
- C01A Expression d’opinion
- C09B Droit de réponse insatisfaisant
- C15A Manque de rigueur