Plaignant
Mme Sylvie
Désilets
Mis en cause
Photo Police
[Montréal] et Mme Christiane Desjardins (journaliste)
Représentant du mis en cause
M. Jean-Marc
Provost (rédacteur en chef, Photo Police [Montréal])
Résumé de la plainte
La journaliste Christiane
Desjardins de Photo Police abuse de la confiance de la plaignante en rapportant
de manière sensationnelle le récit du drame personnel dont elle a été victime.
La journaliste déforme les propos de la plaignante, lui attribue des paroles
vulgaires et pimente son texte de détails inventés. Enfin, Photo Police publie
la photo de la plaignante en première page, sans avoir obtenu d’autorisation.
Faits
La plainte
concerne un article de la journaliste Christiane Desjardins publié dans Photo
Police le 30 janvier 1998. L’article est intitulé «Il fallait qu’elle raconte
tout: Pourquoi je dénonce mon oncle qui m’a violée pendant six ans». Il relate
les circonstances du drame personnel qu’a vécu Sylvie Désilets et fait suite à
un entretien que cette dernière a accordé à la journaliste le 20 janvier 1998.
La plaignante dit se sentir victime d’un abus de confiance et «utilisée» par la
journaliste.
La plaignante
reproche notamment à la mise-en-cause des pratiques journalistiques
malhonnêtes, un traitement de l’information inexact, et le non-respect de ses
engagements en matière de discrétion professionnelle.
Griefs du plaignant
Selon Mme
Désilets, la journaliste a instauré avec la plaignante une relation de
confiance pour mieux abuser de sa naïveté. La plaignante accuse donc la
mise-en-cause de l’avoir trompée sur ses intentions lors de l’entretien, et ce
sur quatre points:
Premièrement, la
plaignante accuse la mise-en-cause d’avoir utilisé sa photo en première page du
journal sans avoir obtenu au préalable une quelconque autorisation.
Deuxièmement,
elle reproche à la journaliste d’avoir employé à des fins sensationnalistes des
termes inappropriés pour décrire son drame. Ainsi aurait-il été plus honnête,
selon la plaignante, de préférer le mot «abusée» à celui de «violée».
Troisièmement,
la plaignante accuse la journaliste de lui avoir prêté des propos vulgaires
qui, selon elle, «ne contribuent qu’à alimenter l’excitation des délinquants
sexuels». Ainsi en est-il du titre de l’article: «Je veux faire débander tous les
pédos».
Enfin, la
plaignante dénonce le manquement professionnel de la journaliste qui a
agrémenté son article de détails inventés sur les abus dont elle a été victime.
Commentaires du mis en cause
Selon Jean-Marc
Provost, rédacteur en chef de Photo Police, la journaliste Christiane
Desjardins «a rapporté exactement et très fidèlement les propos de Mme
Désilets».
Il précise que
la plaignante s’est livrée à la journaliste de son plein gré, et que par
ailleurs elle a multiplié les interviews avec d’autres médias, notamment Le
Journal de Montréal et une chaîne de télévision locale.
M. Provost voit
dans cette démarche auprès du Conseil de presse une volonté de «s’évader de ses
responsabilités en s’en prenant aux médias». Il soutient que la plaignante
suivait, au moment de la publication de l’article, une thérapie.
M. Provost
conclut en rappelant l’expérience professionnelle de la journaliste, Mme
Desjardins, son honnêteté et sa rigueur.
Mme Desjardins
n’a pas répondu à la plainte.
Réplique du plaignant
Dans sa
réplique, Mme Désilets dément l’affirmation de M. Provost selon laquelle
l’article de la journaliste est la fidèle retranscription de l’entretien
accordé. Elle réaffirme n’avoir en aucun moment confié de sombres détails sur
les abus dont elle a été victime.
Elle reconnaît
avoir accordé plusieurs interviews à des médias écrits et électroniques, dont
elle complète d’ailleurs la liste – Le Journal de Montréal, La Presse, Dernière
Heure, Global TV, TQS, TVA – énumération qu’elle termine par ce qu’elle appelle
«la gaffe»: Photo Police. Elle considère en effet que l’article de Mme
Desjardins fait exception à la pratique de l’éthique journalistique, par son
contenu et par sa mise en forme: faits inventés, exagérations, vulgarité,
fautes d’orthographe, inexactitude dans les dates et les personnages, et photo
publiée à la une sans autorisation.
La plaignante ne
considère pas que sa démarche auprès du Conseil de presse est un moyen de
déroger à ses responsabilités, comme avait pu l’affirmer M. Provost, et pense
au contraire les avoir pleinement assumées en dénonçant son oncle sur la place
publique.
Mme Désilets
tient également à préciser qu’elle ne suivait pas de thérapie au moment de
l’entretien avec Mme Desjardins, mais que le fait d’en suivre une actuellement
ne peut en rien servir à M. Provost d’argument pour sa défense. La plaignante
déplore le manque de respect dont elle a été victime suite à l’envoi de sa
plainte à la journaliste.
Elle rappelle
également l’impact immédiat de l’article sur sa vie professionnelle, impact d’autant
plus dommageable qu’elle dirige actuellement une maison de jeunes.
Pour la
plaignante, il ne fait donc aucun doute que les mis-en-cause ont manqué de
rigueur professionnelle et d’honnêteté intellectuelle.
Analyse
En vertu de la liberté éditoriale qui leur est reconnue, l’attention que décide de porter un journaliste ou un média à un sujet et la façon de le traiter à travers des choix de textes, de photographies et de titres leur appartiennent en propre.
Ces choix sont exercés en fonction du degré d’intérêt public de la nouvelle, et du devoir des médias de présenter une information authentique et équilibrée pour permettre au public de forger son propre jugement. Ils doivent cependant se faire dans le plus grand respect des personnes impliquées dans l’événement.
Après examen des documents et des faits portés à son attention, le Conseil de presse accueille la plainte sur un certain nombre d’aspects.
D’abord, le Conseil est d’avis que le titre utilisé en première page du journal n’est pas conforme à la lettre de l’article de la journaliste Christiane Desjardins. Les termes de viol et celui d’abus sexuel ne sont pas synonymes, ne font pas référence aux mêmes réalités et ne décrivent pas les mêmes fautes. En français, l’usage le plus courant du mot «viol», selon le premier sens donné par le dictionnaire Robert est: «Acte de violence par lequel un homme impose des relations sexuelles avec pénétration à une autre personne contre sa volonté». Or la journaliste racontait que, dans cette triste histoire, il y a eu «abus sexuels» mais non-pénétration. Le titre n’était donc pas conforme au récit.
Le Conseil estime également que la juxtaposition du titre erroné à côté de la photographie de Mme Désilets tient davantage de la recherche de sensationnalisme et d’un manque d’égard envers la victime d’un drame humain, que de la préoccupation de présenter une information authentique et équilibrée.
De plus, le Conseil de presse relève que Photo Police est le seul média à qui la plaignante reproche des manquements à l’éthique professionnelle alors qu’elle a collaboré avec plusieurs médias – en donnant au moins sept entrevues, en plus des collaborations avec la télévision – où elle a accepté de se confier pour tenter de prévenir d’autres abus semblables.
Le Conseil s’étonne que le rédacteur en chef du journal affirme que les propos de l’article de la journaliste Christiane Desjardins sont conformes au récit de Mme Désilets. La réaction d’indignation adressée à la journaliste, comme les préoccupations de discrétion et de prévention de la plaignante, qu’on trouve aussi bien dans la plainte que dans la réplique et dans ses témoignages aux autres médias, contrastent mal avec l’étalage de détails scabreux que recèle le reportage de Photo Police.
Analyse de la décision
- C11F Titre/présentation de l’information