Plaignant
M. Ghislain
Lebel (député fédéral, comté de Chambly)
Mis en cause
Le Journal de
Montréal et M. Martin Leclerc (journaliste)
Représentant du mis en cause
M. J.-Denis
Lamoureux (directeur de l’information, Le Journal de Montréal)
Résumé de la plainte
Le 30 octobre
1997, Le Journal de Montréal publie un article dans lequel le journaliste
Martin Leclerc laisse injustement entendre que le plaignant avait des liens
«d’affaires» avec les motards criminalisés avant d’entrer en politique. Le
journaliste affirme à tort que le plaignant «semble avoir été l’un des
officiers publics favoris des Evil One’s».
Faits
Le député
Ghislain Lebel porte plainte contre le journaliste Martin Leclerc, suite à un
article publié le 30 octobre 1997 dans Le Journal de Montréal. Le plaignant
reproche au journaliste d’avoir laissé entendre injustement qu’il entretenait
des relations «d’affaires» avec des criminels.
Griefs du plaignant
Le plaignant
reproche au journaliste d’avoir écrit à son sujet qu’il «faisait des affaires
avec des motards criminalisés avant de se lancer en politique», et de parler
«Des anciens liens d’affaires de Monsieur Lebel avec des motards criminalisés».
Le plaignant souligne
que cet article fait suite à une intervention en Chambre où le Bloc informait
le Solliciteur Général du Canada des liens entretenus par un directeur de
pénitencier avec des membres de groupes criminalisés susceptibles d’être soumis
à son autorité. Le plaignant reproche au journaliste de comparer des situations
différentes, et de laisser entendre qu’il pouvait retirer un bénéfice personnel
«d’une aventure économique quelconque avec des criminels» en qualifiant ces
relations de «relations d’affaires».
Finalement, le
plaignant conteste le commentaire de Martin Leclerc à l’effet que «Le notaire
Ghislain Lebel […] semble avoir été l’un des officiers publics favoris des
Evil One’s». Le plaignant estime qu’il s’agit là d’une «affirmation gratuite,
injustifiée et que je ne peux même pas réfuter à cause du secret professionnel
qui m’incombe».
Commentaires du mis en cause
Le journaliste
rappelle que l’article incriminé fait partie d’une série de cinq, dont trois
publiés le 30 octobre par Le Journal de Montréal, en marge des accusations
portées par le Bloc Québécois à l’encontre du directeur du pénitencier Leclerc
de Laval. Celui-ci, Michel Deslauriers, est aussi copropriétaire d’une auberge
à Trois-Rivières qui a accueilli des motards criminalisés, ce qui risquerait de
le placer en conflit d’intérêts selon les députés bloquistes. C’est dans ce
contexte que les anciens liens professionnels du député Lebel ont été évoqués.
Le mis-en-cause
précise que son article donne amplement la parole au député de Chambly, et que
l’ensemble de l’information publiée sur le sujet ce jour-là par Le Journal de
Montréal fait ressortir «qu’il ne faut pas se fier à la clientèle des gens pour
porter un jugement sur leur intégrité et leur crédibilité».
Le mis-en-cause
soumet de plus que le journal pour lequel il écrit «n’est pas une revue
juridique, mais plutôt un journal populaire qui s’adresse à un large éventail
de la population». Dans ce contexte, il considère que les mots «liens
d’affaires» ou «liens professionnels» étaient interchangeables. Selon lui, la
chicane du plaignant sur ce point relèverait davantage du jeu de mot ou du
débat byzantin que d’une question de libelle diffamatoire ou de mauvaise foi.
Finalement,
Martin Leclerc considère que le fait que M. Lebel ait effectué trois ou quatre
actes notariés pour autant de motards différents justifie qu’il en parle comme
«l’un des officiers publics favoris des Evil One’s», ce groupe ne comptant que
15 ou 20 membres.
Pour ces
raisons, le mis-en-cause demande au Conseil de rejeter la plainte de Ghislain
Lebel.
Analyse
Rappelons que l’article incriminé ne se situe pas dans le genre journalistique de la chronique comme le prétend le plaignant, mais dans celui de la nouvelle, ce qui requiert de l’auteur qu’il relate les faits pertinents sans les commenter.
Dans l’article faisant l’objet de la plainte, le journaliste Martin Leclerc souligne les liens passés du député de Chambly avec des motards criminalisés, ce que le plaignant confirme lui-même dans l’entrevue qu’il a accordée au mis-en-cause.
Bien que le journaliste utilise l’expression «liens d’affaires» plutôt que liens ou relations professionnels pour caractériser ces rapports, le mis-en-cause permet au député de situer clairement ses liens dans le contexte de sa pratique en tant que notaire et d’en évaluer l’importance. Pour ces raisons, le Conseil ne considère pas que le choix des mots «liens d’affaires», bien que moins précis que ceux suggérés par le plaignant, ait donné une fausse représentation de la nature et de l’importance réelle de ses liens avec des motards criminalisés.
Pour ce qui est du grief concernant la comparaison qui serait faite par le journaliste entre la situation du directeur du pénitencier Leclerc et celle du plaignant, le Conseil ne peut non plus l’accueillir.
L’article de Martin Leclerc se situe dans une série de cinq reportages publiés sur trois jours, chacun reprenant des facettes différentes de l’histoire lancée en Chambre par le Bloc Québécois. Le texte ne fait que brièvement référence au cas du directeur de l’Institut Leclerc, pour situer la nouvelle concernant le député Lebel dans ce contexte, et souligner les risques d’accuser faussement quelqu’un de conflit d’intérêts et de ternir la réputation d’un innocent.
Le plaignant ne nie pas les propos que lui prête à ce sujet le mis-en-cause quand il écrit en conclusion de son article: «Ghislain Lebel estime que le fait d’avoir déjà eu une clientèle criminalisée ne fait pas de lui un criminel ou ne le place pas en conflit d’intérêts, au sein d’un parti qui multiplie les démarches politiques contre les bandes de motards. Le député de Chambly estime que le même raisonnement s’applique au directeur de l’Institut Leclerc, Michel Deslauriers. M. Lebel dit aussi regretter que le Bloc ait «inutilement» terni la réputation de cet homme en tentant de l’associer aux Hells Angels».
D’un autre côté, le Conseil juge excessive l’affirmation selon laquelle «le notaire Lebel semble avoir été l’un des officiers publics favoris des Evil One’s, une filiale des Hells Angels, au cours des dernières années».
L’admission de Me Lebel à deux testaments «peut-être trois» et un acte hypothécaire, ne permet pas, selon le Conseil de soutenir qu’il serait un «favori» du groupe, même limité à 15 ou 20 membres.
En dépit de cette affirmation discutable, le Conseil de presse juge non fondée, sur le fond, la plainte du député Lebel et la rejette conséquemment.
Analyse de la décision
- C11C Déformation des faits