Plaignant
La famille de l’abbé Jean-Paul
Snyder, (Albert Snyder, requérant)
Mis en cause
Serge Chapleau, caricaturiste, et
La Presse (Claude Masson, vice-président et éditeur adjoint)
Résumé de la plainte
Dans son édition du 11 février
1998, La Presse publie une caricature portant sur les circonstances de
la mort de l’abbé Jean-Paul Snyder, survenue quelques jours auparavant.
Ce dessin représente le
confessionnal du défunt dont chacune des entrées est surmontée d’une
inscription sur laquelle on peut lire respectivement » à 5$ » et
» à 10$ « . Cette caricature fait allusion aux circonstances du décès
du prêtre, qui a succombé à une crise cardiaque dans un bar de danseuses de la
région de Mont-Laurier.
Au nom de la famille du défunt,
Albert Snyder formule le reproche que le caricaturiste Serge Chapleau n’a pas
respecté les principes éthiques reconnus par le Conseil dans le traitement de
ce sujet.
Griefs du plaignant
Le plaignant considère que le
caricaturiste a attaqué la crédibilité du défunt en le présentant comme «
un prêtre à dix piastres « .
Il reproche au mis-en-cause son
manque de délicatesse, en expliquant que cette mort fortuite dans un bar aurait
dû être traitée de manière plus subtile. Selon sa famille, cette caricature ne
tenait pas compte des circonstances pénibles de sa mort. Il s’agissait d’un
prêtre respecté, retraité et aux prises avec des problèmes de santé depuis
plusieurs années. Un tel événement aurait donc dû être traité avec plus de
subtilité.
En s’appuyant sur des principes
énoncés dans la déontologie du Conseil, le plaignant rappelle que la liberté du
caricaturiste n’est pas absolue et que ces professionnels doivent, dans
l’évaluation des situations qu’ils commentent, être fidèles aux faits et faire
preuve de rigueur et d’intégrité intellectuelle.
Commentaires du mis en cause
Claude Masson, rédacteur en chef de
La Presse répond au nom de son journal et du caricaturiste Serge
Chapleau. Il réagit aux reproches du plaignant sur la base de principes
déontologiques reconnus par le Conseil de presse voulant que la caricature soit
un mode d’expression particulier conférant au caricaturiste une grande
latitude.
Selon le rédacteur en chef, le
caricaturiste de La Presse n’a pas manqué de rigueur ou d’intégrité
intellectuelle. Il s’est inspiré de faits non contestés : la mort de l’abbé J.P
Snyder, suite à une crise cardiaque survenue dans un bar de danseuses. La
caricature décrirait un événement documenté et non contesté. De plus, selon le
mis-en-cause, le choix du confessionnal plutôt que d’un bar de danseuses pour
illustrer l’événement faisait preuve de plus de pudeur et de retenue que si le
caricaturiste avait rapporté les événements de façon plus littérale.
M. Masson considère que ce n’est
pas la caricature qui porte atteinte à la crédibilité du défunt, mais les faits
dont elle est inspirée et qui étaient déjà du domaine public. Il considère
également que la lecture au premier niveau que le plaignant fait de la
caricature ne tient pas compte de la nature de ce mode d’expression : l’esprit
du dessin n’était pas de présenter le défunt comme « un prêtre à dix
piastres « . La caricature associait plutôt la pratique religieuse et ces
« activités plus séculières « .
Le rédacteur comprend que la
caricature ait pu choquer la famille du défunt, mais il rappelle que le Conseil
de presse reconnaît qu’une caricature » risque, bien sûr, de choquer les
personnes ou les groupes visés « . Dans ce cas, les personnes ou les
groupes visés étaient » les hommes d’Église trop nombreux à s’être
retrouvés dans des contextes sexuels incompatibles avec leur fonction « .
Tout en disant regretter que la famille ait été blessée dans le processus, M.
Masson fait remarquer que ce sont les gestes de l’abbé Snyder qui sont en cause
et non la caricature.
Le rédacteur en chef conclut en
expliquant la pertinence d’une telle caricature par le désir de traiter d’un
problème plus global, celui des » contradictions entre la morale de
l’Église catholique et les pratiques de ses représentants « .
Réplique du plaignant
De sa lecture des «
commentaires » du mis-en-cause, le plaignant tire la conclusion que le
caricaturiste jouit d’une licence complète, et » qu’à l’abri du Conseil de
presse, tout lui est permis. » Il rappelle que dans la plainte il
soulignait le peu de cas fait aux circonstances atténuantes entourant
l’événement comme aux antécédents du défunt, et déplore que le mis-en-cause
juge, tire des conclusions et éclabousse l’institution, et qu’on se serve d’un
fait divers pour démolir et salir. Pourtant, journaux et journalistes voudront
se faire ensuite moralisateurs en dénonçant le sensationnalisme.
Le plaignant reprend une citation
de M. Masson disant que » le caricaturiste… doit éviter de discréditer les
personnes ou les groupes impliqués et éviter de cultiver ou d’entretenir des
préjugés à leur égard « . Pour lui, cette caricature s’attaque directement
au clergé; et que le geste est d’autant plus cruel qu’il est posé quelques
jours seulement après les funérailles. Enfin, que si le caricaturiste voulait
faire abstraction de l’individu pour » passer jugement sur l’institution
« , il est étonnant qu’il n’ait pas eu la délicatesse d’attendre que le
deuil se fasse.
Analyse
Les médias doivent favoriser la libre expression et la libre circulation des idées. Ils sont responsables des choix qu’ils font en ces matières comme ils le sont en matière d’information. Ils ont également la responsabilité de dissiper les préjugés dans une société qui se veut libre et ouverte.
La caricature est un mode particulier d’expression dont la fonction est d’illustrer ou de présenter de façon satirique, et même polémique, un trait, un personnage, un fait, un événement. Le genre journalistique particulier auquel elle appartient confère à ses auteurs une grande latitude, latitude qui n’est toutefois pas absolue.
Dans le cas soumis à l’attention du Conseil, le plaignant déplorait que la publication de la caricature attaque la crédibilité et la réputation du défunt et ait manqué de délicatesse à l’égard des membres de sa famille. Il considérait également que cette caricature contribuait à entretenir des préjugés.
Après examen des éléments soumis à son attention, et à la lumière de la jurisprudence accumulée au cours des 25 dernières années en la matière, le Conseil en arrive à conclure, premièrement, qu’il était tout à fait légitime pour le quotidien La Presse de publier une caricature sur le sujet comme il l’a fait et au moment où il l’a fait. Il s’agissait d’un événement remettant une fois encore sur la place publique la difficile question du comportement des prêtres, apparemment en contradiction avec les enseignements de son Église.
Tout en comprenant la douleur de la famille qui non seulement a perdu un de ses membres qui lui avait fait honneur jusque-là et qui perdait la vie dans une situation plus que délicate, le Conseil ne peut y voir aucun manque de respect à l’égard de la personne de l’abbé Jean-Paul Snyder. Le Conseil reconnaît que la caricature peut égratigner au passage les gens d’Église dont on attend les plus hauts sommets de vertu, mais ne peut y voir cependant une contribution à nourrir des préjugés.
Après examen, donc, le Conseil de presse rejette la plainte contre le quotidien La Presse et son caricaturiste Serge Chapleau.
Analyse de la décision
- C02B Moment de publication/diffusion
- C03A Angle de traitement
- C03C Sélection des faits rapportés
- C03D Emplacement/visibilité de l’information
- C11F Titre/présentation de l’information
- C16G Manque d’égards envers les victimes/proches
- C17G Atteinte à l’image
- C18B Généralisation/insistance indue
- C18C Préjugés/stéréotypes