Plaignant
Re/Max Québec inc.
Mis en cause
Le réseau TVA (Télé-Métropole /
Émission J.E) et Alain Gazaille, rédacteur en chef délégué)
Résumé de la plainte
Le 27 mars 1998, Le réseau TVA
diffuse sur ses ondes, à l’émission J.E., un reportage intitulé
« La maison maquillée « . Il y est alors question des pratiques
douteuses d’un agent immobilier dans la vente d’une maison.
Après avoir adressé deux mises en
demeure à la chaîne de télévision, la firme Re/Max Québec inc., pour laquelle
travaillait l’agent immobilier, porte plainte au Conseil de presse par la voix
de son avocat. Elle affirme que des déclarations fausses et trompeuses ont été
faites au cours de cette émission, portant ainsi atteinte à l’honneur, à la
réputation et à l’intégrité de la firme.
Griefs du plaignant
La plaignante accuse J.E.
d’avoir usé de moyens condamnables pour obtenir une interview de l’agent
immobilier Michel Paradis. Elle explique en effet qu’un employé du Réseau
TVA a appelé l’agent immobilier pour fixer un rendez-vous, prétextant qu’il
avait une maison à vendre. Dès son arrivée au terrain de stationnement, on a
immédiatement braqué une caméra sur lui et commencé l’interview. Ce qui
explique que l’agent ait pu se sentir piégé et paraître confus, d’autant que le
sujet de l’entretien remontait aux années 1993-1994.
La plaignante reproche également
aux mis-en-cause d’avoir porté atteinte à son honneur, à sa réputation et à son
intégrité par des déclarations fausses et trompeuses. Plus précisément, les
mis-en-cause auraient laissé croire, au cours de l’émission, que les
propriétaires d’un immeuble, sis au 110 de la rue Prud’homme à l’Épiphanie,
avaient été victimes de la mauvaise foi et de fausses représentations d’un
agent Re/Max, M. Michel Paradis. Les accusations dénoncées sont :
que l’agent a sciemment caché l’année de construction
de l’immeuble aux futurs acquéreurs lorsqu’il a rempli l’inscription
résidentielle; et que l’agent savait de l’ancienne propriétaire que la maison,
construite en 1965, avait été détruite par le feu puis entièrement reconstruite.
Un expert interviewé dans le reportage mentionnait d’ailleurs que rien ne
pouvait indiquer que la maison avait été construite en 1965, si ce n’est la
fondation, que l’on ne pouvait voir qu’une fois les murs du sous-sol dégarnis.
La plaignante précise en outre que l’agent, qui ne pouvait vérifier la date de
construction, n’était pas pour autant tenu de faire expertiser la maison, les
acquéreurs ayant leur propre agent d’immeubles;
que l’agent a dissimulé l’existence de vices cachés.
Selon la plaignante, les acquéreurs tout autant que l’agent se devaient d’être
vigilants lors de la visite des lieux. Si les acquéreurs n’ont rien remarqué
d’anormal, les vices cachés pouvaient tout aussi bien échapper à l’agent.
D’ailleurs, un des acquéreurs, M. Alain Turcotte, est entrepreneur en
construction et fait lui-même de la rénovation résidentielle et ne s’est pas
aperçu des prétendus problèmes. En outre, il n’existe aucune preuve démontrant
que l’agent immobilier connaissait ces vices cachés ou l’année de construction
de la maison;
que l’agent Michel Paradis aurait acheté l’ancienne
maison appartenant aux acquéreurs de la « maison maquillée » et
qu’il l’aurait revendue à profit environ au même moment. La plaignante joint à
sa lettre l’acte de vente, qui montre que l’agent n’est pas intervenu dans la
transaction à titre de propriétaire, et fait remarquer que les acquéreurs de la
maison ont reçu plus de 100000 $;
que la faillite de l’époux de Mme Lise Duchesne,
ancienne propriétaire de la maison, serait survenue en raison du litige intenté
par les acquéreurs de la » maison maquillée « . Selon la plaignante,
la faillite de ce dernier n’était d’aucune pertinence dans le sujet de
l’émission parce qu’il n’a jamais été propriétaire de cette maison;
que l’action en annulation de vente d’une maison serait
une première au Québec. La plaignante invite le mis-en-cause à aller se
renseigner auprès de ses procureurs;
que l’agent ferait payer les honoraires de son avocat
par Re/Max. La plaignante affirme que l’agent immobilier a des assureurs qui
lui paient le coût des honoraires légaux.
La plaignante déplore que l’équipe
de l’émission n’ait pas procédé à une vérification des informations qui ont été
rendues publiques parce que les propos qui ont été tenus n’étaient appuyés
d’aucune preuve. Elle déplore également que les mis-en-cause aient refusé de
répondre à la demande de rectification exprimée dans la seconde mise en demeure
de ses procureurs.
La plaignante conclut en rappelant
le contexte des relations entre Re/Max et Télé-Métropole: elle
s’explique mal l’acharnement de TVA à la prendre en défaut et à ternir
sa réputation. L’émission incriminée serait la troisième du genre à tenter de
porter atteinte à l’image de la firme.
Commentaires du mis en cause
M. Gazaille rappelle que son
émission s’inscrit dans la tradition du journalisme d’enquête, sur la base des
principes d’exactitude, d’honnêteté et d’intégrité, et que pour plusieurs, ce
genre d’émission représente une solution de dernier recours.
Le rédacteur en chef délégué
reprend un à un les griefs formulés par la plaignante :
– Concernant la façon de son équipe
de recueillir l’information, le mis-en-cause dément que l’agent immobilier ait
été » piégé » par le journaliste et que les moyens utilisés par les
journalistes de J.E. » sont tout à fait condamnables « . Le
mis-en-cause explique :
– la diffusion du reportage ne
laisse pas voir de confusion chez M. Paradis; et même si l’affaire en question
le ramenait 4 ou 5 ans en arrière, elle était encore fraîche dans sa mémoire
puisque l’agent était à ce moment poursuivi au civil pour le même sujet;
– l’agent ne pouvait se méprendre
quant à la présence d’un journaliste, la caméra était bien visible;
– l’obtention de cette interview
était importante car elle permettait de présenter au public, de manière
objective, les deux versions des faits. Et cette manière de faire était la
seule solution pour éviter » des réponses préfabriquées « ; il
s’agissait d’une mesure de dernier recours;
– le représentant de Re/Max aurait
d’ailleurs refusé par la suite la rencontre d’une journaliste de Télé-Métropole
avec l’agent immobilier.
Concernant les propos prétendument
mensongers tenus lors de l’émission, le mis-en-cause considère que le motif
n’est pas conforme à la diffusion et précise :
– en ce qui a trait à l’âge de la
maison, l’émission ne laisse pas entendre que l’agent connaissait la date de
construction de la maison et qu’il l’a sciemment cachée. La question de la date
réelle de construction de la maison est de première importance dans le
reportage, et plusieurs éléments – documents et témoignages – viennent
corroborer l’hypothèse d’une disparité entre la date réelle – 1965 – et la date
apparaissant sur la fiche MLS – 1984. Mais rien, selon le mis-en-cause, ne
laisse supposer que l’agent aurait sciemment dissimulé la date réelle. Le
mis-en-cause considère que le reportage s’est contenté de livrer au public, en
toute objectivité, les témoignages recueillis auprès de l’ancien propriétaire
et de l’agent;
l’émission ne laisse pas croire non plus que l’agent
connaissait l’existence de vices cachés dont il n’a pas fait part aux futurs
acquéreurs. Selon le mis-en-cause, le reportage fait plutôt état des éléments
suivants :
– ni l’ancien propriétaire, ni
l’agent, n’aurait mentionné aux acquéreurs l’absence possible d’un champ
d’épuration;
le témoignage du vendeur quant à sa connaissance du
fait que la piscine intégrait des planches de » plywood « ;
la description de la propriété sur la fiche MLS et le
témoignage d’un expert sur les vices cachés;
le témoignage d’un représentant de l’association des
courtiers sur certaines obligations des agents immobiliers;
le témoignage des acheteurs et la présentation
d’éléments visuels sur des problèmes électriques;
le témoignage de M. Paradis lui-même quant à sa
connaissance de vices cachés;
l’absence d’inspection par les acheteurs avant l’achat
de la maison.
l’agent aurait bel et bien initié la transaction de
l’ancienne maison des acquéreurs. Pour preuve, la promesse d’achat en date du
14 janvier 1994, qui équivaut juridiquement à un contrat. La somme que ces
derniers ont obtenue de cette vente aurait certes pu être précisée dans le
reportage, mais le mis-en-cause considère que cette omission n’a pas été
préjudiciable à la plaignante;
la journaliste n’aurait jamais laissé croire que la
faillite de M. Didone serait due au litige soulevé par le reportage;
l’annulation de vente demandée par les acquéreurs
serait bel et bien une première au Québec, dans la mesure où l’ancienne
propriétaire ne pourrait, faute d’être suffisamment solvable, rembourser aux
acquéreurs de la maison la totalité du prix de vente. Mais le mis-en-cause
considère que ces explications, qui lui ont été fournies par ses procureurs en
termes juridiques, auraient été inintelligibles pour le public profane;
en ce qui concerne la question de savoir qui paie les
honoraires de l’agent d’immeubles impliqué dans le litige, le mis-en-cause
précise que cette information n’a pas été détaillée, mais que l’impression
générale qui se dégageait du témoignage de l’acquéreur était celle » d’un
combat juridique à la » David contre Goliath » « .
Le mis-en-cause récuse, parce que
non fondée, l’accusation qui lui est faite de s’acharner dans sa tentative de
nuire à la réputation de Re/Max. Il considère également que les soupçons
soulevés à l’égard de l’ancienne employée de Re/Max aujourd’hui journaliste à TVA
n’ont aucun fondement.
Le mis-en-cause conclut en
affirmant que tout a été fait pour vérifier la véracité des informations qui
ont été rendues publiques de la façon la plus objective possible.
Réplique du plaignant
Les avocats de la plaignante
précisent d’abord qu’ils ne représentent ni ne défendent les intérêts de
l’agent immobilier Michel Paradis, mais la firme Re/Max Québec inc.
Tout en reconnaissant que la
vocation de J.E. est de faire du journalisme d’enquête, la plaignante
considère que cela ne l’en dispense pas pour autant de recherches solides, en
accord avec les règles éthiques du métier. Pour sa réplique, la plaignante
reprend un à un les commentaires du mis-en-cause.
Elle maintient que les méthodes
utilisées par TVA pour obtenir une interview avec l’agent étaient
condamnables : le reportage laisse très bien voir la confusion chez ce dernier.
Elle reconnaît que l’agent ne pouvait se méprendre quant à la présence d’un
journaliste, et que cet entretien était important pour présenter les deux
versions des faits. Mais il n’en reste pas moins que TVA, en ne le
sollicitant pas directement pour un entretien, a tendu un piège à l’agent.
Concernant la véracité des
informations diffusées :
la plaignante reconnaît que la question de la date
réelle de construction de la maison était importante; et qu’il ait pu y avoir
une disparité entre la date réelle et la date inscrite sur la fiche
« MLS « . Mais elle accuse les mis-en-cause d’en avoir fait
reproche à l’agent, sans démontrer que ce dernier connaissait la date réelle ou
pouvait tout au moins la déceler en menant une enquête;
– de la même manière, et par
définition, les « vices cachés » de la maison ne pouvaient être décelés
par l’agent immobilier, à moins d’expertiser la maison, ce à quoi il n’était
aucunement obligé;
– concernant les profits qu’aurait
générés la vente de l’ancienne maison des acquéreurs de la « maison
maquillée « , la plaignante rappelle que l’acte de vente ne faisait pas
intervenir l’agent à titre de propriétaire. La plaignante dément également que
le contrat que constitue une promesse de vente est de même nature juridique
qu’un contrat de vente, comme l’aurait sous-entendu le mis-en-cause;
– la plaignante fait remarquer que
si, comme le dit le mis-en-cause, le reportage n’a jamais établi de lien de
cause à effet entre la faillite de l’époux de l’ancienne propriétaire et le
litige en question, il était alors inutile d’en faire part dans le présent
reportage;
– la plaignante maintient qu’en
matière d’annulation de vente d’une maison, il existe de nombreux précédents au
Québec et qu’elle peut le démontrer;
– elle maintient enfin que le
reportage a laissé croire que les honoraires de l’agent étaient payés par
Re/Max, quel qu’ait pu être le témoignage de l’acheteur.
En outre, la plaignante reste
persuadée que TVA cherche volontairement à nuire à Re/Max.
Elle conclut en faisant remarquer
que TVA ne reconnaît aucunement ses erreurs : non seulement la chaîne
n’a pas cherché à corriger ses dires, mais en plus elle a rediffusé le
reportage incriminé une seconde fois, et ce en dépit des mises en demeure de la
plaignante.
Analyse
Dans le cas soumis à son attention, le Conseil de presse est d’avis que la grande majorité des informations diffusées dans le reportage en cause sont fondées. Elles reposent sur la constatation d’une situation désastreuse dans laquelle se retrouvait un couple, à la suite de l’achat d’une « maison maquillée ».
Aux yeux du Conseil, l’intérêt public d’un tel dossier est évident et justifiait pleinement que l’émission J.E. en rende publiquement compte, tel qu’elle l’a fait. Les questions posées par J.E. étaient légitimes et pertinentes, et ont favorisé un éclairage global des tenants et des aboutissants de l’événement.
Si le Conseil a décelé par ailleurs des informations imprécises contenues dans le reportage de J.E., notamment en regard de l’action en annulation de vente d’une maison et des frais d’avocats assumés non pas par Re/Max mais par les assureurs de M. Paradis, l’incidence de ces informations reste mineure, voire accessoire dans le dossier.
En ce qui a trait aux méthodes de J.E. pour l’obtention de l’entrevue avec l’agent immobilier, il appert que le fait que la journaliste ait pris M. Paradis par surprise n’a pas eu l’effet de lui faire perdre pour autant ses moyens. Il s’exprime normalement, sans panique, et répond sans trop se faire prier aux questions de J.E.
Pour justifier cette approche, la direction de TVA invoquait » une mesure de dernier recours « visant à éviter » des réponses préfabriquées » de la part de l’agent d’immeubles. Cette tentative de légitimation apparaît discutable aux yeux du Conseil, car J.E. aurait au moins dû essayer d’obtenir préalablement, sans subterfuge, une entrevue avec M. Paradis. Mais il n’en demeure pas moins, note le Conseil, que Michel Paradis a eu l’occasion de s’exprimer dans le dossier et qu’il ne semble pas évident qu’une entrevue convenue d’avance lui aurait permis de s’exprimer mieux et plus – c’est-à-dire avec plus de succès et de vraisemblance qu’il ne l’a fait.
Quant aux accusations d’acharnement de J.E. contre Re/Max, le Conseil de presse ne peut mettre en doute la bonne foi du Réseau TVA sans tomber ici dans le procès d’intention. Le Conseil rappelle à ce propos que les médias jouissent de la prérogative de sélectionner et de traiter des sujets de leur choix : nul ne peut dicter à la presse le contenu de l’information sans s’exposer à faire de la censure ou à orienter l’information.
Aussi, pour l’ensemble de ces considérations, le Conseil de presse rejette-t-il la présente plainte.
Analyse de la décision
- C11 Exactitude de l’information
- C15 Rigueur de l’information
- C17 Respect des personnes
- C19 Rectification de l’information
- C23 Cueillette de l’information