Plaignant
Anca Olariu
Mis en cause
Christine Desjardins, journaliste,
et La Presse ( Claude Masson, vice-président et éditeur adjoint )
Résumé de la plainte
Le 9 novembre 1998, La Presse
publie un article intitulé » Avocate coupable d’avoir coulé son ex-client
« . La journaliste Christine Desjardins y relate une décision du Barreau du
Québec, qui a reconnu la plaignante comme étant coupable de manquements à la
profession d’avocat. Selon l’article, cette dernière aurait réussi à faire
expulser du Canada un de ses anciens clients, M. Toader, pour lequel elle avait
tenté d’obtenir un statut de réfugié.
Griefs du plaignant
Selon la plaignante, l’article en
question contiendrait des erreurs, qu’elle énumère :
– Elle tient tout d’abord à
préciser que les fausses informations qu’elle aurait inscrites dans la Fiche de
renseignements personnels (FRP) de son ancien client lui auraient été fournies
par ce dernier.
– Dans la FRP initiale, M. Toader
n’aurait jamais mentionné qu’il était homosexuel, mention qui n’aurait été
rajoutée qu’après.
– Le plaignant aurait apposé sa
signature sur la FRP pour certifier de la véracité des informations.
– L’homosexualité ne constitue plus
un crime en Roumanie.
– M. Toader aurait changé d’avocate
pour pouvoir modifier le cours du procès en sa faveur et accuser son avocate.
La plaignante joint la transcription de la révision de détention du 12 avril
1994.
– Il n’aurait pas été incarcéré au
Canada pour des petits vols, comme l’affirme la journaliste, mais pour des
crimes plus graves. La plaignante joint la liste des dossiers criminels de ce
dernier.
– La plaignante n’aurait jamais
obtenu les transcriptions des audiences de la Commission de l’immigration et du
statut de réfugié. Aucune preuve n’aurait été apportée pour prouver qu’elle
aurait eu ces transcriptions en sa possession.
– La plaignante nie que son mari
connaissait M. Toader en Roumanie.
La plaignante donne alors sa
version des faits de l’affaire. Elle précise qu’elle a commencé ses démarches
contre son ancien client lorsque celui-ci a déclaré qu’une fausse signature
avait été apposée sur les documents officiels et que l’avocate lui avait
demandé des honoraires injustifiés. Le témoin à charge de ces accusations aurait
été accusé de parjure, et le Barreau n’aurait pas retenu le chef d’accusation
concernant les honoraires. La plaignante et son mari auraient alors été
victimes d’actes de vandalisme sur leur voiture et de menaces de mort formulées
par M. Toader.
La plaignante reproche à la
journaliste de ne pas l’avoir contactée, malgré sa présence dans la salle
d’audience le 5 novembre. Le 10 novembre, la plaignante aurait tenté en vain de
faire publier une réplique à l’article de la mise-en-cause.
Elle joint à sa lettre la dernière
condamnation de M. Toader en Roumanie.
Le 1er février 1999, la plaignante
a désiré amender sa plainte, en ajoutant au dossier un nouvel article de la
mise-en-cause, datant du 23 janvier 1999. Cet article affirme que la plaignante
a été radiée du Barreau pour un période de six mois. De l’avis de cette
dernière, la mise-en-cause aurait dû la contacter pour savoir si elle avait
l’intention de faire appel. En ne le faisant pas, la journaliste a pu laisser
croire que la plaignante n’était plus avocate. Ceci lui aurait causé un grave
préjudice professionnel.
La plaignante joint à son dossier
des informations additionnelles.
Commentaires du mis en cause
L’article du 9 novembre 1998 se
serait inspiré essentiellement du jugement rendu le 24 août par le Comité de
discipline du Barreau contre la plaignante. Celle-ci aurait été reconnue
coupable de huit des neuf chefs d’accusation. L’article aurait fidèlement
repris les grandes lignes du jugement, dont le mis-en-cause joint une copie.
Le mis-en-cause maintient donc, en s’appuyant
sur le jugement rendu, que :
– Le mari de la plaignante
connaissait M. Toader depuis la Roumanie.
– Le mari de la plaignante était au
courant des antécédents criminels, en Roumanie, de M. Toader.
Le plaignant rappelle que le comité
de discipline du Barreau n’a pas cru la plaignante et ses témoins sur plusieurs
points. Ce n’était pas au journal de refaire le procès de la plaignante.
Le mis-en-cause informe le Conseil
que la plaignante a intenté une action de 99 999 $ contre le syndic du Barreau,
Me Daniel Chénard. Ce dernier a recommandé au moins trois ans de radiation pour
la plaignante. Le Comité de discipline du Barreau a pris la sanction en
délibéré et la décision n’a pas encore été rendue.
En outre, la plaignante aurait
déposé des plaintes à l’Ordre des psychologues du Québec contre la psychologue
de M. Toader. Cette dernière aurait été radiée provisoirement pour avoir menti
sur ses diplômes.
Réplique du plaignant
La plaignante affirme que l’article
aurait été publié à la demande du Barreau du Québec, comme le montrerait la
lettre qui confirme sa conversation téléphonique avec un dirigeant de La
Presse, M. Bellefleur. Lors de cette conversation, la plaignante aurait
appris que la journaliste n’était pas présente dans la salle du tribunal le
jour de l’audience. Elle en déduit que la journaliste s’est contentée de la
version du Barreau. Elle lui reproche de ne pas l’avoir contactée pour obtenir
sa version des faits.
Le mari de la plaignante aurait
déposé une plainte pour irrégularités lors de l’audience, et la mise-en-cause
aurait dû alors vérifier les informations transmises par le Barreau.
Le fait que la mise-en-cause se
soit contentée d’une seule version des faits, celle du Barreau, démontrerait
son parti pris.
La plaignante revient alors sur les
inexactitudes que l’article comporterait.
Concernant les poursuites
entreprises par la plaignante contre le syndic du Barreau et la psychologue de
M. Toader, cette dernière affirme qu’il s’agit là d’une question personnelle.
Elle reproche au journal le titrage
de l’article et le refus de publier sa réplique.
Elle joint à sa réplique plusieurs
lettres d’appui et des documents additionnels.
Analyse
Le Conseil de presse rappelle que la rigueur intellectuelle et professionnelle dont doivent faire preuve les médias et les journalistes constitue la garantie d’une information de qualité. Elle est synonyme d’exactitude, de précision, d’intégrité et de respect des personnes, des événements et du public. Dans le cas de décisions juridiques rendues publiques, les médias ont le devoir de les rapporter le plus fidèlement possible, pour ne pas attenter à l’honneur des accusés. Les journalistes doivent éviter les procès faits aux personnes par les médias et, dans le cadre d’une nouvelle, s’en tenir aux décisions officielles des tribunaux et des cours.
Dans le présent cas, la comparaison de l’article incriminé avec la décision officielle du Barreau du Québec permet de mettre en évidence la rigueur du traitement journalistique de La Presse. La journaliste a très fidèlement rapporté les faits saillants de la décision. Dans le cadre de sa nouvelle, elle ne s’est laissée aller ni à des commentaires personnels, ni à une sur-interprétation des textes juridiques.
Autrement dit, toutes les informations supposément erronées que la plaignante dénonce dans l’article se retrouvent aussi dans la décision du Barreau. Le Conseil en conclut donc que ce n’est pas l’article mais bien la décision juridique en elle-même que la plaignante conteste. Aussi ne peut-il que regretter que la plaignante se soit trompée de cible dans ses démarches.
La journaliste n’est donc pas erré par inexactitude, et son texte ne comporte aucun écrit diffamatoire. Elle ne pouvait en cela porter atteinte à la réputation de la plaignante.
En ce qui a trait à la lettre de réplique de la plaignante, le Conseil reconnaît au journal le droit de ne pas la publier, droit d’autant plus légitime que l’article ne comportait aucune erreur manifeste. Le Conseil rappelle en outre le principe que nul n’a accès de plein droit aux pages d’un journal.
Pour toutes ces raisons, le Conseil rejette la plainte de Mme Anca Olariu à l’endroit de La Presse et de sa journaliste Christine Desjardins.
Analyse de la décision
- C09 Droit de réponse du public
- C11 Exactitude de l’information
- C12 Équilibre de l’information
- C15 Rigueur de l’information
- C17 Respect des personnes
Date de l’appel
29 October 1999
Décision en appel
Les membres de la Commission ont
conclu à l’unanimité de maintenir intégralement la décision de première
instance.
Griefs pour l’appel
Mme Anca Olariu interjette appel à
la décision du Conseil de presse.