Plaignant
Thérèse Cloutier
Mis en cause
Dennis Trudeau,
journaliste-présentateur, et David Knapp, directeur régional, CBC
Résumé de la plainte
La plainte concerne l’émission
Newswatch du réseau anglais de Radio-Canada. La plaignante reproche à
l’émission un manque d’impartialité qui se manifeste » particulièrement
lorsqu’elle rapporte les événements reliés à la politique
provinciale ».
Griefs du plaignant
La plaignante considère que
l’émission Newswatch de la CBC fait preuve de partialité dans sa façon
de traiter l’actualité politique québécoise. Bien que selon elle ce préjugé
soit constant, Thérèse Cloutier donne en exemple trois émissions précises,
diffusées en novembre 1998, qui illustrent le parti pris caractéristique du
travail de Newswatch.
Dans l’émission du 16 novembre,
Dennis Trudeau demande à ses invités, Hubert Bauch et Michel C. Auger » à
votre avis, comment M. Charest doit-il s’y prendre pour battre Lucien
Bouchard? ». Jamais il n’évoquera l’hypothèse inverse ! Selon la
plaignante, la partisannerie ambiante est telle que Michel C. Auger du Journal
de Montréal en arrivera à dire « naturellement, nous aimerions
tous que M. Bouchard soit battu le 30 novembre… ». Pour ce qui est
des reportages, la plaignante ajoute que » il est regrettable de constater
que les séquences choisies favorisent invariablement M. Charest
[ …]
. Ainsi, un effort [ …
] est fait pour tromper le public en donnant
des images inexactes, partielles et donc incorrectes des deux
opposants ».
Dans l’émission du 18 novembre,
Dennis Trudeau attribue faussement à Lucien Bouchard le commentaire
suivant: » I won because Charest didn’t deliver me any knock out
punches ». Plus tard dans la même émission, Ionna Roumeliotis «
fait largement mention des milliers de professeurs en grève sans mentionner
qu’il s’agit d’une grève illégale et en cachant que les commissions du Saguenay
et de la Gaspésie ont été dissidentes de ce mouvement ». Enfin,
toujours dans l’émission du 18, » une publicité pour le site Internet quebec98.cbc.ca
n’affiche que la tête de Jean Charest (souriant bien sûr) en refusant une
publicité similaire à M. Bouchard ».
Finalement, lors de l’émission du
19 novembre, Dennis Trudeau » commence invariablement par parler des hauts
faits du chef libéral. Quand le public a enfin droit aux extraits du jour
venant des trois chefs, M. Dumont passe son message. On laisse M. Charest
marteler longuement le sien. Mais les extraits tirés des propos de M. Bouchard
sont étranges. Le public ne sait trop de quoi il s’agit
[ …] Les phrases
sélectionnées sont incomplètes. Clairement, ce dernier bout du montage avait
été mal conçu. Plus tard, lors du segment FOCUS, Dennis Trudeau
voyageant à bord de l’autobus du chef libéral lui demande: « How do
you explain Lucien Bouchard teflon’s covering (of facts)? »
[ …]
En fin d’émission, MM. Auger et Bauch doivent répondre aux demi-affirmations
suivantes: » Que doit faire M. Charest pour gagner ? Qu’est-ce que
ça va prendre pour arrêter Bouchard? » Commentant le débat télédiffusé, M.
Bauch admettra sans ambages qu’il a des vues politiques biaisées « like
every other supporters ». «
Commentaires du mis en cause
David Knapp, directeur régional du
réseau de télévision de la CBC, rejette les accusations formulées par la
plaignante au sujet du professionnalisme et de l’éthique journalistique de
l’équipe de Newswatch.
En ce qui concerne la première
accusation de Thérèse Cloutier au sujet d’une entrevue de Dennis Trudeau avec
messieurs Auger et Bauch, David Knapp souligne qu’aucun des deux n’était l’invité
de l’émission le 16 novembre.
Dans le reportage présenté ce
jour-là sur le style des deux chefs, le mis-en-cause ne voit rien qui
avantagerait Jean Charest au détriment d’un Lucien Bouchard » soucieux,
esseulé, ou de dos », tel que le décrit la plaignante.
» I fail to see how that report
shows one leader in a more favourable light than the other. If anything it
portrays Mr Bouchard as running a more effective publicity
campaign ».
Dans l’émission du 18 novembre, Mme
Cloutier reproche à Dennis Trudeau d’avoir imputé faussement à Lucien Bouchard
la phrase » I won because Charest didn’t deliver me any knockout
punches ». David Knapp reconnaît que l’animateur Trudeau a introduit
un segment ce jour-là, en disant que » Bouchard says he won because Jean
Charest didn’t deliver a knockout blow ». Le mis-en-cause admet qu’il
n’a pas de preuve que le Premier ministre ait prononcé cette phrase, et que
cela est en fait peu probable. «
I believe it is fair comment on the debate but it was a mistake to attribute
that statement to him ».
Selon David Knapp, la plaignante
est dans l’erreur lorsqu’elle prétend que dans l’émission du 18 novembre, le
reporter n’a pas mentionné le caractère illégal de la grève des enseignants.
» She did, twice ».
Par ailleurs, il reconnaît que le
reportage ne mentionnait pas que les commissions scolaires de Gaspé et du
Saguenay ne faisaient pas la grève.
» The story was about the Premier’s reaction to the strike which
was widespread. Going into detail about individual school boards that were or
were not participating wasn’t the issue ».
David Knapp relève ensuite la
critique faite par la plaignante au sujet de la promotion du site Internet
consacré à la campagne électorale. Mme Cloutier allègue qu’on y voit un Jean
Charest « souriant bien sûr », alors qu’on refuse «
une publicité similaire à M. Bouchard ». Le mis-en-cause souligne que
Jean Charest ne sourit pas dans le montage.
» He is looking rather sombre » dira-t-il. Mais,
sur le fond, David Knapp admet qu’il n’y a pas d’image de Lucien Bouchard dans
cette promotion, bien qu’on y retrouve celle du ministre de la Santé Jean
Rochon. « However in
hindsight we should have had a shot of Mr Bouchard to go along with the one of
Mr. Charest. I don’t think this shows bias but it does open us up to the perception
that we were being less [then] completely evenhanded ».
Finalement, le mis-en-cause
reconnaît que la plaignante a raison de critiquer certains aspects de
l’émission du 19 novembre. «
Mme Cloutier criticizes Newswatch for the way it portrayed Mr Bouchard that
evening. She says he was filmed from the back and his phrases were incomplete. In
this instance she has a point ». Mais David Knapp précise qu’il
s’agit d’une erreur technique, «
[…]
This was corrected for the Late
Newswatch ».
Le mis-en-cause rejette cependant
les autres critiques de la plaignante.
La question de Dennis Trudeau à
Jean Charest concernant le revêtement » teflon » de Lucien Bouchard
n’est pas » injustifiée, inéquitable et partiale » comme le veut
Thérèse Cloutier. La véritable
question était plutôt: » There seems to be a kind of teflon effect
when it comes to Lucien Bouchard, when it comes to health policy or economic
policy, you tried to pin him down during the debate how do you explain Lucien
Bouchard’s teflon covering ? ». Selon David Knapp, cette
question est au contraire raisonnable et souligne le peu d’impact de la
campagne de Jean Charest jusque-là.
Ensuite, la plaignante prétend que
Dennis Trudeau a demandé à MM. Auger
et Bauch » What will it take for Mr Charest to win ? What will it take to
stop Bouchard? » En fait, souligne David Knapp, la question était
plutôt la suivante: » Given where Dumont and Charest are can
anything stop Bouchard ? » Pour David Knapp, cette question
est équitable compte tenu du fait que le débat des chefs a eu lieu deux jours
plus tôt et que le Premier ministre est largement en avance dans les sondages.
En dernier lieu, Mme Cloutier
prétend que dans l’émission du 19 novembre de Newswatch, le chroniqueur Hubert
Bauch affirmera sans ambages » qu’il a des vues politiques
biaisées » comme tout autre partisan. D’abord, David Knapp rappelle
que c’est précisément parce qu’ils ont des opinions que Hubert Bauch et Michel
C. Auger sont invités dans ce segment de l’émission.
Mais en ce qui concerne la phrase
incriminée, le mis-en-cause croit qu’il faut la remettre dans son contexte.
«
[
…]
Mr Bauch is commenting on television viewers
and how they viewed the debate. He uses the English idiomatic expression, it’s
all in the eye of the beholder and with reference to the debate says, people
will overlook other things if you’re not looking at it objectively ».
Dans ce contexte et pour toutes ces
raisons, David Knapp maintient que la couverture de la campagne électorale par
Newswatch a été juste et équitable, et qu’elle a obéi aux critères rigoureux du
réseau.
Réplique du plaignant
Dans sa réplique, Thérèse Cloutier
reprend point par point les explications de David Knapp:
– La plaignante trouve » étrange »
l’affirmation de M. Knapp à l’effet que MM. Auger et Bauch n’aient pas été
invités à l’émission du 16 novembre. » Que l’on visionne alors la cassette
du jour ouvrable précédent et celle du suivant. L’entrevue et les propos cités
dans ma lettre du 24 novembre ont bel et bien eu lieu ».
– Thérèse Cloutier maintient que
les images sélectionnées pour avantager l’un au détriment de l’autre ne se
limitent pas aux émissions du 16, 18 et 19 novembre, mais sont aussi
caractéristiques du parti pris de l’émission avant les élections.
– La plaignante est » heureuse
d’accepter le mea-culpa » de David Knapp concernant les
« knockout punches ». » Une émission d’informations ne
doit effectivement point mettre dans la bouche des gens des propos qu’ils n’ont
pas tenus ».
– Pour Thérèse Cloutier, le fait de
ne pas mentionner que des commissions scolaires refusaient de suivre le mot
d’ordre de grève illégale est important.
– Mme Cloutier est d’accord avec
David Knapp que » pour être équitable, la publicité électorale du site web
de Newswatch [ …
] aurait effectivement dû faire une place aux deux principaux
concurrents ».
– » L’erreur technique du 19
novembre survenue en pleine heure de pointe, au cœur de la campagne électorale,
est vraiment on ne peut plus regrettable en effet! »
– Pour la plaignante, les
expressions » teflon’s covering » et » pin down »
ont en elles-mêmes une connotation péjorative qui dénigre l’individu qu’elles
visent.
– Thérèse Cloutier maintient ses accusations de parti
pris à l’égard de l’émission du 19 novembre
de Newswatch. » Le Conseil de
presse notera en outre la formulation des questions que M. Trudeau posent à MM.
Auger et Bauch où il est sous-entendu que M. Charest est « le bon
candidat » et M. Bouchard « le mauvais » »
Analyse
Après examen des faits soumis à son attention et un visionnement attentif des émissions incriminées, le Conseil rejette l’accusation de partialité formulée à l’encontre de Newswatch, mais reconnaît la justesse de certaines critiques exprimées dans la plainte.
Concernant tout d’abord l’émission du 16 novembre, le Conseil de presse ne souscrit pas au jugement de la plaignante selon lequel » il est regrettable de constater que les séquences choisies favorisent invariablement M. Charest … ». Le visionnement de l’émission du 16 novembre n’a pas confirmé cette affirmation.
David Knapp admet que l’animateur Dennis Trudeau a erré lorsqu’il a prêté à Lucien Bouchard les propos selon lesquels il sortait vainqueur du débat des chefs parce que « Charest didn’t deliver me any knock out punches ». Cette erreur n’a cependant pas contribué au dénigrement de M. Bouchard et n’étaye nullement la thèse de la partialité de Newswatch.
Le mis-en-cause reconnaît aussi que la promotion du site Internet consacré aux élections montre effectivement Jean Charest, mais non Lucien Bouchard: » I don’t think this shows bias but it does open us up to the perception that we were being less (than) completely evenhanded ».
Quant au reportage sur la grève des enseignants, le visionnement montre que son caractère illégal est mentionné et par la reporter, et par Dennis Trudeau en présentation. Cependant, la dissidence de certaines commissions scolaires n’est pas soulignée. Là-dessus, le Conseil considère valable l’explication du mis-en-cause à l’effet que l’objet du reportage était la réaction du Premier ministre à la grève.
En ce qui a trait aux reproches formulés par la plaignante au sujet de l’émission du 19 novembre, M. Knapp admet que le reportage qui a semblé » étrange » à madame Cloutier, l’était bel et bien. Une erreur technique à la diffusion, dit-il, une erreur qui a d’ailleurs été corrigée dès l’édition suivante de Newswatch.
Le mis-en-cause rejette toutefois l’accusation de la plaignante selon laquelle l’utilisation par Dennis Trudeau des mots » Lucien Bouchard’s teflon covering » dans une question, serait « injustifiée, inéquitable et partiale… ». Il rejette aussi les reproches de Thérèse Cloutier concernant les questions » biaisées » de Dennis Trudeau aux chroniqueurs Bauch et Auger, ou la « partisannerie » d’Hubert Bauch.
Dans tous ces cas, le visionnement des éléments incriminés dans le contexte de l’émission amène le Conseil à accepter les explications du mis-en-cause. Dans ce contexte, le Conseil de presse du Québec ne peut conclure, comme le voudrait la plaignante, à la partialité des émissions de Newswatch soumises à son attention. En effet, rien ne permet d’affirmer que les trois erreurs soulignées par la plaignante, et reconnues par le mis-en-cause, sont le résultat d’une intention malicieuse. Aussi le Conseil rejette-t-il sur le fond la présente plainte.
Analyse de la décision
- C12A Manque d’équilibre
- C12C Absence d’une version des faits
- C12D Manque de contexte
- C13A Partialité
- C13B Manipulation de l’information
- C13C Manque de distance critique
- C15A Manque de rigueur
- C15C Information non établie