Plaignant
Antoine Latte
Mis en cause
Claude Laflamme, journaliste, et le
réseau TVA (Télé-Métropole, émission J.E., Alain Gazaille,
rédacteur en chef délégué).
Résumé de la plainte
L’objet de ces reportages était de
mettre en évidence une forme d’escroquerie dont a été victime Mme Liliane
Taquet. En réalité, le même reportage est diffusé deux fois mais la seconde
diffusion est complétée par la conclusion de cette affaire: l’Association
des Courtiers et Agents Immobiliers du Québec (ACAIQ) devant laquelle Liliane
Taquet avait porté plainte, a retenu douze chefs d’accusation contre Antoine
Latte.
Le plaignant a également fourni une
cassette vidéo: lors de sa deuxième entrevue avec la journaliste, il
avait embauché deux cameramen pour filmer la scène.
Griefs du plaignant
Le plaignant affirme avoir été jugé
coupable « uniquement sur les déclarations d’une personne et sans
aucune autre forme de procès « .
Le montage du deuxième reportage
est particulièrement mis en cause. Le fait qu’une partie de sa réponse ait été
coupée change, selon le plaignant, le sens de sa phrase. Le quiproquo tient à
ce que M. Latte exigeait que l’entrevue qu’il aurait avec la journaliste Claude
Laflamme soit diffusée intégralement. Cette exigence n’étant pas mentionnée
comme la raison de son refus de répondre aux questions, M. Latte se sent
trompé.
L’autre aspect de ses reproches
porte sur la façon dont la journaliste l’a abordé. La première fois, elle
l’aurait confondu avec un de ses collègues de travail, interpellé par surprise
dans la rue. La seconde fois, la journaliste aurait pris un rendez-vous sous
une fausse identité afin de le filmer par surprise. Par conséquent, Antoine
Latte accuse Claude Laflamme de manquer à l’éthique journalistique. «
Personne de J.E. [dit-il] ne m’a jamais appelé, ni même essayé de me rejoindre
en laissant un message à mon bureau ou chez moi « .
Commentaires du mis en cause
Alain Gazaille, rédacteur en chef
délégué, revient sur le fait qu’Antoine Latte a plaidé coupable aux douze chefs
d’accusation portés contre lui et que le reportage de l’émission le
mentionnait.
Il considère que l’erreur commise
par la journaliste en s’adressant à une autre personne ne constitue pas une
faute déontologique. Concernant la première entrevue avec Antoine Latte, Alain
Gazaille insiste sur sa nécessité. Il fait remarquer que les images ne laissent
» voir aucune confusion chez M. Latte « . En outre, cette rencontre
aurait permis la fixation d’un autre rendez-vous. Quant à la deuxième entrevue,
Alain Gazaille rappelle les conditions particulières dans lesquelles elle s’est
déroulée et pourquoi elle a tourné court.
Antoine Latte reprochait au
reportage son » montage fallacieux « . Le rédacteur en chef de
l’émission invoque pour sa défense des principes déontologiques en rappelant
que » le choix des informations et la manière de les traiter relèvent de
la liberté rédactionnelle des médias et des journalistes « . Par ailleurs,
alors qu’Antoine Latte prétend que l’entrevue a été retransmise sans son accord,
Alain Gazaille attire l’attention sur le caractère d’intérêt public de cette
diffusion.
Enfin, il répond de l’accusation
d’avoir jugé le plaignant uniquement sur les dires de Mme Taquet. Il affirme
que l’équipe de » J.E. » a effectué » une recherche fouillée et
[…] une préparation minutieuse ».
Il cite les témoignages
suivants:
Mme
Liliane Taquet;
un
représentant de l’ex-employeur de M. Latte, La Capitale;
d’anciens
propriétaires;
un
représentant de l’ACAIQ.
Et une serie de documents:
contrat
de courtage;
série
de chèques de Mme Taquet à M. Latte;
relevé
d’opérations à la Caisse Populaire Desjardins;
fichier
central des entreprises;
trois
actes notariés;
documents
signés par M. Latte en parallèle aux actes notariés;
factures
de M. Latte;
rôle
d’évaluation foncière;
plumitif
informatisé;
procuration
de Mme Taquet à M. Latte faite devant le notaire;
plumitif
quand aux procédures de La Capitale contre M. Latte;
reconnaissance
de dette de M. Latte;
plainte
de Mme Taquet auprès de l’ACAIQ;
accusé
de réception de la plainte par l’ACAIQ;
jugement
de l’ACAIQ du 19 janvier 1999.
Réplique du plaignant
Le plaignant maintient sa plainte
contre l’équipe de J.E. Malgré tout, il reconnaît avoir commis une erreur en
exigeant que ses » réponses soient diffusées intégralement « . Il
rappelle également qu’il a dit au cours de l’entrevue: » vous allez
réaliser un montage sur lequel vous n’aurez pas mon accord ». Le
plaignant accuse l’équipe de l’émission » J.E. » d’avoir pratiqué
» un journalisme d’embuscade « , » omnibulé [e] par l’idée de
réaliser un reportage spectaculaire « .
Analyse
La présente plainte amène le Conseil de presse à se prononcer une nouvelle fois sur l’éthique à respecter en matière de journalisme d’enquête. La publication d’un avis sur la question et une importante jurisprudence représentent un précieux éclairage en la matière.
Les exigences et les difficultés du journalisme d’enquête justifient parfois l’usage de procédés clandestins, lors de la collecte d’informations: micros et caméras cachés, dissimulation d’identité, infiltrations, filatures, etc… L’utilisation de pareils procédés doit toujours demeurer exceptionnelle, trouvant alors sa légitimité dans le haut degré d’intérêt public de la nouvelle, et dans le fait qu’il n’existe aucun autre moyen d’obtenir les informations recherchées.
Dans le cas présent, le Conseil de presse considère que l’émission » J.E. » a réalisé un travail d’enquête intéressant. De plus, après avoir réalisé un premier reportage sur un présumé coupable d’escroquerie, la journaliste Claude Laflamme a suivi le dossier en rapportant la décision rendue par l’Association des Courtiers et Agents immobiliers du Québec (ACAIQ) contre M. Latte.
Néanmoins, la plainte permet d’attirer l’attention sur un aspect encore négligé par les émissions de consommation. La recherche de l’intérêt public ne saurait justifier en tout temps les moyens employés. Le rédacteur en chef de l’émission J.E. n’a pas été en mesure de prouver que la manière de procéder de Claude Laflamme pour recueillir les propos de M. Latte était justifiée. Le Conseil de presse ne possède pas assez d’éléments pour affirmer que la journaliste ne s’est pas identifiée, en tout temps, comme journaliste auprès de M. Latte. Cependant, il accueille le grief relatif à la méthode cavalière utilisée lors de la prise de contact.
Par ailleurs, le Conseil de presse tient à rappeler que la façon de présenter l’information relève du jugement et des prérogatives des médias et des professionnels de l’information, qui sont tenus de respecter les faits en tout temps.L’analyse des reproches portés contre l’émission » J.E. » par M. Latte fait apparaître que le montage des deux reportages ne nuit pas à la compréhension des faits et n’induit pas le public en erreur. Par conséquent, le grief ayant trait au manque de contexte est rejeté.
Pour toutes ces raisons, le Conseil de presse rejette les principaux griefs touchant à la pertinence du dossier et à l’exactitude des faits et ne retient contre la journaliste que le grief portant sur l’approche journalistique lors de la prise de contact avec le plaignant.
Analyse de la décision
- C12D Manque de contexte
- C23C Recours à une fausse identité
- C23L Altercation/manque de courtoisie