Plaignant
Rhéa Joanisse-Thibault
Mis en cause
Françoise Boivin, journaliste, et CJRC-AM
(Marc Delorme, directeur de l’information)
Résumé de la plainte
Mme Thibault dépose une plainte
contre Mme Françoise Boivin, membre associé du cabinet d’avocats Letellier et
Associés qui représentait la Ville de Gatineau dans un différend l’opposant à
la plaignante. Mme Boivin est responsable du dossier à ce cabinet. Et Mme
Boivin agit également comme chroniqueuse à la station CJRC de Gatineau.
Griefs du plaignant
Mme Francine Thibault porte
plainte, au nom de Mme Rhéa Joanisse-Thibault, contre la station et sa
collaboratrice pour avoir commenté publiquement, lors de son émission le 10
août 1999, un dossier dans lequel elle et son bureau représentaient la Ville de
Gatineau. Le commentaire concernait un jugement de la cour supérieure relatif à
une offre d’expropriation d’un terrain appartenant à la plaignante et la
décision de la Ville de Gatineau de porter la cause en appel.
La plaignante estime que Mme
Boivin, comme journaliste, a manqué à son rôle d’indépendance et d’impartialité
et a agi en conflit d’intérêts, étant l’avocate de la Ville de Gatineau et
ayant représenté le maire de la Ville, Guy Lacroix.
À la plainte sont annexés un
enregistrement de la tranche d’émission, le jugement rendu le 15 juillet 1999,
une requête pour permission d’en appeler de son bureau et un article du
quotidien LeDroit sur la décision de la Ville de porter le jugement en
appel.
Commentaires du mis en cause
Commentaires du vice-président à
la planification à Radiomutuel, Michel Arpin
M. Arpin reconnaît que l’animateur
Daniel Séguin mentionne d’entrée de jeu que le sujet est délicat compte tenu
que le cabinet d’avocats où travaille Mme Boivin représente la Ville de
Gatineau pour cette instance. M. Arpin explique que Mme Boivin se refuse alors
à faire un commentaire sur le litige mais relate plutôt des faits qui ont
également été traités dans les médias de la région.
Le vice-président reconnaît que Mme
Boivin disposait d’informations plus détaillées que les autres médias et c’est
pourquoi elle a apporté un complément d’information à l’article du quotidien LeDroit.
Selon M. Arpin, cette situation ne la plaçait pas en conflit d’intérêts puisque
les informations étaient disponibles à quiconque.
Le porte-parole des mis-en-cause
affirme ensuite que ce n’est pas parce que Mme Boivin exprime une opinion à
titre de citoyenne qu’elle contrevenait à quelque code de déontologie que ce
soit.
Selon lui, tout au long de son
commentaire elle a averti les auditeurs de sa situation privilégiée et elle a
refusé d’exprimer une opinion de nature politique, limitant ses commentaires à
des observations à titre de contribuable recherchant des solutions durables.
M. Arpin conclut que Radiomutuel et
sa station CJRC sont d’avis que Mme Boivin n’a pas enfreint son devoir
de réserve, n’a pas créé de préjudice à la cause de la plaignante et ne s’est
pas placée en conflit d’intérêts.
Réplique du plaignant
La plaignante revient à la charge
pour préciser que non seulement Mme Boivin faisait partie du cabinet d’avocats
qui représentait la Ville dans l’instance mais elle était également l’un des
avocats responsables du dossier pour Gatineau.
Elle et son collègue, Yvon
Duplessis, ont conseillé à la Ville de porter en appel la décision de la Cour
Supérieure et dans la décision de signifier un nouvel avis d’expropriation.
Elle a également agi comme témoin au deuxième avis d’expropriation émis par la
Ville.
Mme Thibault annexe copie d’un
procès-verbal de l’assemblée du comité exécutif de la Ville où étaient présents
les deux avocats.
Elle termine en réaffirmant que Me
Françoise Boivin était clairement en conflit d’intérêts entre son rôle de
journaliste et d’avocate au dossier et qu’elle aurait dû s’abstenir de tout
commentaire dans cette émission d’affaires publiques.
Analyse
La chronique est un genre journalistique qui laisse à son auteur une grande latitude dans l’expression de ses points de vue et jugements. Mais cette liberté journalistique est également assortie de responsabilités.
Un chroniqueur est tenu aux mêmes exigences d’exactitude et de rigueur que tous les professionnels de l’information. Et la crédibilité de l’information repose sur l’indépendance de ces professionnels de l’information. Par conséquent, ceux-ci doivent non seulement éviter de se placer dans une situation de conflit d’intérêts, mais éviter toute apparence à cet égard afin de ne pas compromettre leur crédibilité et l’intégrité de l’information qu’ils traitent.
Les entreprises de presse doivent pour leur part veiller à ce que les professionnels de l’information ne se retrouvent pas dans de telles situations. Or, l’examen du présent cas révèle que l’avocate et commentatrice à la radio de CJRC, Mme Françoise Boivin, était, à tout le moins, dans une situation d’apparence de conflit d’intérêt.
Une journaliste peut-elle traiter en ondes un dossier dans lequel elle est d’abord intervenue à titre d’avocate, et puis commenter ce même dossier sous le chapeau d’une contribuable? Le Conseil estime que non, considérant que l’éthique professionnelle commandait à la journaliste de s’abstenir de toute intervention en ondes dans ce dossier où elle ne pouvait qu’apparaître à la fois comme juge et partie.
Par conséquent, le Conseil se doit de retenir un blâme contre Mme Françoise Boivin et la station CJRC de Gatineau.
Analyse de la décision
- C07B Devoir de réserve
- C13C Manque de distance critique
- C22B Engagement politique
- C22E Travail extérieur incompatible