Plaignant
Manon Berthelet
et un groupe de plaignants
Mis en cause
Jean-François Lépine, journaliste; la
Société Radio-Canada (Martin Desjardins, directeur exécutif
RDI)
Résumé de la plainte
Mme Berthelet et huit
personnes à sa suite portent plainte contre une émission spéciale de la
télévision de Radio-Canada
et du Réseau
de l’information (RDI).
Celle-ci a été diffusée sur les ondes des deux
réseaux à 13h 30, et en reprise à 19h 30, le 9 avril 2000. Intitulée
« Comment s’en sortir? », l’émission
portait sur la situation politique québécoise et sur les difficultés à
concilier les options souverainiste et fédéraliste qui s’opposent depuis une
quarantaine d’années sur la question de l’avenir du Québec.
Griefs du plaignant
Mme Berthelet trouve incroyable
que lors de la première partie de l’émission, personne ne représentait le
mouvement souverainiste du Québec. La plaignante rappelle que depuis 1995, tous
les sondages de la firme Léger et Léger démontrent que les appuis à la
souveraineté ne sont jamais descendus sous la barre des 40 % et que le
gouvernement en place est souverainiste. La SRC
et RDI auraient pourtant « décidé
d’évacuer tout un courant de pensée d’une seule chiquenaude méprisante ». C’est
comme si Radio-Canada répondait à la
question de départ, «Comment s’en sortir? » en disant clairement: «
Pas par la souveraineté », ce que la plaignante trouve inacceptable et
anti-démocratique.
Mme Berthelet accuse les
mis-en-cause de vouloir faire croire que le mouvement souverainiste est en
déclin. Pour elle, il s’agit d’une tactique du gouvernement fédéral qui utilise
un réseau public de télévision pour arriver à ses fins. Le but de cette
émission était clair: décourager les souverainistes. Tout en
reconnaissant qu’un député péquiste participait à la tribune téléphonique qui
terminait l’émission diffusée sur RDI,
la plaignante précise que sa plainte concerne les invités qui prenaient place à
la tribune avec l’animateur.
Les
huit autres plaignants reprennent tantôt intégralement la plainte et les griefs
exprimés par Mme Berthelet, et insistent tantôt sur certains aspects en
particulier. On retrouvera donc les reproches concernant l’absence d’une
personne pour représenter le point de vue souverainiste et le parti politique
au pouvoir. Pour l’un d’eux, « les invités
choisis, sauf deux, étaient des gens sensiblement opposés à la souveraineté »;
un plaignant explique notamment que Jean-François
Lisée n’est plus représentatif puisqu’il propose maintenant une
nouvelle voie que la souveraineté-partenariat obtenue suite à un referendum. Un
autre plaignant ajoute que les sondages qui devaient être commentés par les
invités étaient extrêmement ambigus et avaient été commandés par
RDI et
The Globe and Mail. Un autre dit qu’il ne demandait pas que le
réseau prenne position en faveur de la souveraineté mais qu’un minimum
d’impartialité soit respecté.
Les plaignants y vont également
de commentaires globaux sur l’émission de même que sur le travail général à la
SRC. Spécifiquement sur l’émission, ce
serontnotamment : « Un manque flagrant d’objectivité des responsables de
l’émission »; « ce débat est une vraie farce, indigne d’une télé d’État »; «
cette émission était une manipulation vicieuse de l’auditoire »; « une
émission biaisée par la machine anti-souverainiste
qu’est la SRC et ses animateurs »; «
Je ne peux me résigner à laisser la SRC
endormir le Québec avec des émissions de ce genre. Je proteste très haut ».
Sur
le travail général à la SRC, on
trouverales commentaires suivants : «
R-C et RDI n’ont aucune
crédibilité et n’ont comme seul but de ternir l’image du mouvement
souverainiste au Québec. La SRC est
devenue une télévision de propagande. Inacceptable. »;
«Est-ce que la SRC doit
faire en sorte que « l’unité canadienne » passe à tout prix? Comment prétendre
que la SRC est impartiale, devant le
dérapage régulier et systématique de certains reporters? La
SRC serait devenue une entreprise de
propagande fédéraliste? La qualité passée des reportages de la
SRC est révolue ».
Commentaires du mis en cause
Les plaintes ayant généralement été adressées à
l’ombudsman de la SRC, celles-ci ont
d’abord été redirigées chez le directeur de l’information télévisée Claude
Saint-Laurent. La réponse aux plaignants a été rédigée par le directeur des
opérations et des émissions spéciales.
Après les remerciements d’usage, M. Jomphe dit ne pas
partager ces points de vue. Pour le directeur, l’émission découlait des
analyses, des prises de position et des actions de MM. Lisée, Laforest et
Dubuc, invités à l’émission, ainsi que des récents sondages dont les données
convergeaient avec les constats évoqués par ces trois principaux invités.
L’objectif n’était donc pas de braquer à nouveau les
projecteurs sur les arguments et positions des camps souverainiste et fédéraliste
maintes fois évoqués, examinés et débattus. Il s’agissait de faire un peu de
place à d’autres visions pouvant apporter un éclairage à l’ensemble du
questionnement actuel au moment où on note une lassitude de la population face
à la question constitutionnelle.
Le directeur admet avoir « reçu des invités qui ne
portaient pas le dossard de l’orthodoxie de l’une ou l’autre option » mais que
cette approche visait à permettre aux discussions de prendre une couleur
nouvelle, dépouillée des arguments qu’on entend habituellement dans l’ensemble
des médias. Quant au titre, il faut le voir dans le contexte de sa présentation
télévisuelle où étaient évoqués les slogans de l’histoire politique des
dernières décennies. M. Jomphe termine en assurant son interlocuteur de la
constante vigilance de ses services à produire une information complète,
équitable et équilibrée.
Réplique du plaignant
Mme Berthelet formule une réplique et celle-ci est adressée
au directeur des opérations et des émissions spéciales de la
SRC, Pierre Jomphe. Elle répond en
substance qu’elle ne croit pas du tout à la bonne volonté de
Radio-Canada et estime que la
Société est devenue une machine à
propagande. Aucune autre réplique n’est parvenue au Conseil, bien que
l’ombudsman de la SRC – dans sa correspondance
avec M. Yves Sabourin et dont le Conseil a reçu copie – fasse mention d’une
autre réplique.
Analyse
L’essentiel des plaintes soumises à l’attention du Conseil concernait le traitement accordé au sujet, qui apparaissait aux plaignants manquer d’équilibre et souffrir de l’absence d’une version des faits. À partir de cette impression certains plaignants en étaient venus à conclure à une volonté, chez les dirigeants de Radio-Canada et du réseau RDI, de manipuler l’information au profit de l’option fédéraliste dans le cadre des débats constitutionnels.
La déontologie du Conseil de presse a déjà précisé que l’information communiquée au public fait nécessairement l’objet de choix rédactionnels et que la façon de présenter l’information relève du jugement et des prérogatives des médias et des professionnels de l’information. Ce qui signifie en pratique que l’angle choisi par la direction de l’information ainsi que les invités retenus relevaient de la latitude rédactionnelle reconnue aux médias et aux journalistes, à condition qu’ils respectent les règles déontologiques.
De l’avis du Conseil, l’angle de traitement du sujet était clairement défini en début d’émission par la mise en situation de l’animateur qui avait bien indiqué que l’émission n’aborderait pas la question de façon habituelle et que la parole serait donnée principalement à trois personnes qu’on ne voit pas habituellement. On pouvait constater dès ce moment que le traitement du contenu n’utiliserait pas une formule à deux camps, le front fédéraliste et le front souverainiste. Aux yeux du Conseil, il était tout à fait légitime, pour les artisans de la SRC d’aborder le sujet comme ils l’ont fait.
En choisissant de bâtir leur émission sous cet angle et en tentant d’explorer de nouvelles avenues, les mis-en-cause faisaient également le choix de ne pas reprendre les débats traditionnels et de ne pas donner la parole aux ténors habituels, ce qui était également légitime. Le Conseil ne peut donc y voir aucune faute à l’impartialité ou au manque d’équilibre.
Les plaignants ont, de plus, exprimé de nombreux griefs à l’égard du traitement de l’information par la SRC, autant dans le cadre de cette émission que dans sa pratique régulière. Cependant, aucun des reproches qui ont été formulés ne présentaient d’assise solide et n’étaient démontrés. Le Conseil considère finalement, après examen, que rien dans l’émission mise en cause ni dans la pratique régulière du réseau RDI et de la Société Radio-Canada ne permet de conclure aux écarts professionnels que les plaignants leur reprochent. Par conséquent le Conseil de presse rejette la plainte, considérant l’ensemble des accusations gratuites contre la SRC.
Analyse de la décision
- C12A Manque d’équilibre
- C12C Absence d’une version des faits
- C13B Manipulation de l’information