Plaignant
Michèle Tremblay
Mis en cause
Michel Vastel, journaliste et chroniqueur, et
Le Soleil (Gilbert Lavoie, rédacteur en
chef) et LeDroit (Pierre Bergeron,
président et éditeur)
Résumé de la plainte
Mme Tremblay dépose une plainte contre le journaliste Michel
Vastel pour une chronique publiée dans les quotidiens
Le Soleil de Québec et LeDroit
d’Ottawa le 9 juin 2000 sous le titre «Profil journalistique de la
Mata-Hari du BIC ». Dans un document qui prend la forme d’un profil
journalistique préparé par une firme de communication, le journaliste présente
le profil de la plaignante, la présidente d’une firme de communication
d’Ottawa. Selon la plaignante, la chronique lui a causé d’énormes préjudices
tant personnels que professionnels.
Griefs du plaignant
Selon la plaignante,
la chronique de M. Vastel viole dramatiquement quatre grands principes de
déontologie journalistique. Pour elle, l’exactitude de l’information est
transgressée car le document cité n’existe pas ou, s’il existe, il s’agit d’un
faux. La pondération de l’information n’est pas respectée, particulièrement à
l’égard du titre et de la référence à Mata Hari, ce qui
implique des accusations d’espionnage et de
trahison qui ne sont pas supportées de preuves. Le texte est cousu de fil blanc
et rattache des événements sans lien ni cause, ce qui constitue une faute
contre la rigueur de l’information. Enfin, il s’agit d’un manque de respect à
la réputation: depuis 25 ans elle travaille dans le milieu de
l’information et elle y a toujours maintenu une réputation impeccable. Rien ne
justifie cette attaque violente et vicieuse du journaliste. Mme Tremblay
détaille ses explications sur plusieurs pages pour démontrer la fausseté des
affirmations et annexe certains documents qu’elle juge pertinents à l’appui de
ses assertions.
Commentaires du mis en cause
Commentaires du journaliste et chroniqueur,
Michel Vastel
Le chroniqueur Michel Vastel
présente sa réponse à la plainte en y incluant copie d’un extrait de son propre
«profil journalistique» qui proviendrait du Bureau d’information du
Canada (BIC) ainsi que d’une nouvelle datée du 3 juin 2000 du quotidien
La Presse signé par le journaliste
Gilles Toupin et dans laquelle il est question de contrats du BIC obtenus par
Mme Tremblay.
Dans sa défense, le
journaliste affirme que Mme Tremblay a fort bien compris l’esprit de sa
chronique lorsqu’elle écrit que « […] la note publiée par Vastel est un
document faux qui n’a jamais été signé par M.Tellier dans ses fonctions
de greffier du Conseil privé…». Selon M.Vastel, «tout lecteur
attentif ne pouvait se tromper sur le sens de cette chronique qui emprunte la
formule du canular souvent utilisée dans les médias… ». Il fait observer qu’il
a pris soin d’ajouter « la très invraisemblable note de l’éditeur », en fin de
chronique, pour mettre le lecteur sur la piste.
M. Vastel précise que
« l’objet de la chronique était de tourner en dérision la pratique des
«profils journalistiques» – incidemment très dommageables à la
réputation des journalistes professionnels». Le journaliste chroniqueur
fait remarquer que le « profil journalistique
de Michel Vastel » établi par le BIC – et bien réel – et celui de
Michèle Tremblay – fictif – commencent
exactement par les mêmes mots. Il donne ensuite des explications sur le choix
des noms de Paul Tellier et de ceux de Luc Lavoie et Michel Gratton, qu’il
utilise dans le « profil journalistique » de Mme Tremblay.
Pour Michel Vastel «
le tout-Ottawa de la politique et de la presse parlementaire a bien compris la
référence, d’ailleurs! ». Le journaliste ajoute ensuite trois commentaires pour
répondre à l’accusation de la plaignante qui lui reprochait de faire un étalage
malsain de noms propres qui ont une chose en commun, le potentiel de faire peur
aux fédéralistes et aux anglophones.
Il termine en
indiquant que s’il est possible que sa chronique ait porté atteinte à la
réputation de Mme Tremblay, c’est que ses employeurs actuels ignoraient les
faits rigoureusement exacts relatés dans cette chronique. « Que ces faits aient
été ou non l’objet d’une note du greffier du Conseil privé –
sur laquelle Mme Tremblay semble bien être
la seule à s’être méprise! – ne change rien à leur nature ni à leur impact sur
sa réputation professionnelle ».
Commentaires de Pierre Bergeron président et
éditeur, LeDroit
M. Bergeron informe le
Conseil que comme la chronique de M. Vastel provient du quotidien
Le Soleil de Québec, il laisse au
rédacteur en chef de ce quotidien le soin de répondre à cette plainte en son
nom.
Commentaires de Gilbert Lavoie,
rédacteur en chef,
Le Soleil
M. Lavoie indique que
les commentaires de Michel Vastel en réponse à la plainte constituent sur le
fond la réponse officielle de son journal. Le rédacteur en chef ajoute qu’il
arrive régulièrement aux chroniqueurs d’utiliser la satire ou l’humour pour
appuyer leurs propos et que visiblement Mme Tremblay ne l’a pas compris. Il
serait cependant inopportun selon lui que le Conseil de presse interdise ou
demande dorénavant d’identifier l’utilisation de ce genre littéraire lorsque
c’est le cas.
Réplique du plaignant
La plaignante répond
que « les commentaires de Michel Vastel à l’effet que son article était un
«canular » écrit sous la forme d’un « poisson d’avril »… le 9 juin, sont
une insulte à l’intelligence. Pour elle, rien dans l’article ne laissait
soupçonner la moindre pointe d’humour. Pour elle, la note de l’éditeur visait à
augmenter la crédibilité de l’article et avait donc un effet inverse, et
surtout pas celui de donner au texte une saveur de « canular ».
Elle réaffirme que
personne n’a pris cet article pour une farce. On aurait pu penser à un canular
si cet article avait été publié dans une publication faisant une grande place à
ce genre journalistique, mais le Soleil
de Québec ou LeDroit d’Ottawa ne se
décrivent pas ainsi.
Mme Tremblay affirme en terminant qu’elle n’est pas «
conseiller » du BIC et ne l’a jamais été. «Sous aucune forme et à aucun
moment. Pas au moment où ces vignettes ont été réalisées, ni avant, ni après ».
Ainsi, M. Vastel n’a aucune raison de lui faire payer pour des choses que
d’autres auraient faites pour lui déplaire.
Analyse
La plainte soumise à l’examen du Conseil exigeait de tracer la ligne qui départage l’humour ou la satire, fussent-ils grinçants, qui sont permis dans la pratique professionnelle de ces écrits qui, en tombant dans l’inacceptable, dépasseraient tout simplement les limites déontologiques. À cet égard la jurisprudence a déjà tracé une telle frontière.
La chronique et la critique sont des genres journalistiques qui tiennent autant de l’éditorial que du commentaire et du reportage d’information. Ces genres laissent à leurs auteurs une grande latitude dans l’expression de leurs points de vue et de leurs jugements. Ils permettent aux journalistes qui les pratiquent d’adopter un ton polémiste pour prendre parti et exprimer leurs critiques, ce qu’ils peuvent faire dans le style qui leur est propre, même par le biais de l’humour et de la satire.
Vu sous cet angle, le chroniqueur Michel Vastel avait le droit de faire appel à l’humour pour illustrer ses propos. Cependant, la déontologie précise également que la latitude reconnue aux chroniqueurs n’est pas sans limite. Ceux-ci doivent éviter, tant par le ton que par le vocabulaire qu’ils emploient, de donner aux événements une signification qu’ils n’ont pas ou de laisser planer des malentendus qui risquent de discréditer des personnes ou des groupes.
L’examen de la plainte et des documents soumis à l’attention du Conseil révèle qu’il était difficile, même pour des initiés, de voir dans la chronique de M. Vastel des propos s’apparentant à l’humour ou à la satire. En effet, Michel Vastel est un chroniqueur politique réputé, reconnu comme un journaliste sérieux. Cette réputation, couplée à la vraisemblance des informations, laissaient peu de doute sur l’authenticité du document, d’autant plus que cet article avait été précédé quelques jours auparavant d’une nouvelle dans le quotidien La Presse faisant état de liens contractuels entre Mme Michèle Tremblay et le Bureau d’information du Canada (BIC).
Le Conseil n’a pas voulu mettre en doute l’intention visée par M. Vastel, puisque le journaliste reconnaissait lui-même le subterfuge, et que les indices qu’il donnait de son intention préalable concordent avec la chronique contestée.
Le Conseil constate cependant que la confusion engendrée par la transgression de la règle de la clarté du genre a eu pour effet de placer en contradiction les affirmations de la plaignante et du journaliste sur la véracité des faits. La seule certitude concernant les inexactitudes invoquées par la plaignante sont celles que M. Vastel a reconnues, soit le caractère fictif de la note de M. Tellier. Le titre de la chronique de Michel Vastel, Profil journalistique de la Mata-Hari du BIC, contribue également à entretenir la confusion, en plus d’être discutable.
Devant l’ambiguïté de la situation, le Conseil s’étonne que ni M. Vastel, ni ses éditeurs n’ont cru bon de faire une mise au point a posteriori pour préciser la portée de la chronique.
Au terme de ces considérations et pour l’ensemble de ces raisons, le Conseil de presse se doit de retenir la plainte contre le chroniqueur Michel Vastel et les quotidiens le Soleil de Québec et LeDroit d’Ottawa.
Analyse de la décision
- C11A Erreur
- C11B Information inexacte
- C11C Déformation des faits
- C11D Propos/texte mal cités/attribués
- C11F Titre/présentation de l’information
- C11G Rapporter des propos/témoignages erronés
- C14A Sensationnalisme/exagération/insistance indue
- C15A Manque de rigueur
- C15C Information non établie
- C15F Information non attribuée
- C15H Insinuations
- C17A Diffamation
- C17D Discréditer/ridiculiser
- C17E Attaques personnelles
- C17F Rapprochement tendancieux
- C17G Atteinte à l’image
Date de l’appel
19 June 2001
Décision en appel
Les membres de la Commission ont conclu à l’unanimité de
maintenir la décision rendue en première instance.
Griefs pour l’appel
M. Michel Vastel interjette appel à la décision du Conseil
de pressse.