Plaignant
Richard Wallot
Mis en cause
Stéphane
Baillargeon, journaliste et
Le Devoir (Bernard Descôteaux,
directeur)
Résumé de la plainte
La plainte de Richard Wallot fait
suite à la publication d’un article à la une du quotidien
LeDevoir le 12 juillet 2000. Le journaliste Stéphane
Baillargeon y présentait la recension d’un livre de l’auteur amÉricain Garry
Wills intitulé Papal Sin – The Structure
of Deceit qui constitue, aux yeux du plaignant, une attaque contre le Pape
et le clergé catholique.M.Wallot s’estime offensé par cet article
et par l’attitude de la direction du journal à l’égard de la réputation des
prêtres. En outre, la direction n’aurait pas non plus respecté le droit de
réplique des lecteurs.
Griefs du plaignant
Le plaignant précise
que le livre dont traite l’article de M. Baillargeon attaque le Pape et le
clergé catholique dans le monde, qui y sont accusés d’imposture, de
falsification, de malhonnêteté et de tromperie, notamment dans la manière dont
le célibat sacerdotal est vécu. Selon le plaignant, Stéphane Baillargeon
présenterait sans aucune réserve la thèse de Garry Wills voulant « qu’à peu
près tous les prêtres qui ont quitté l’Église dans les années 70 et 80 l’ont
fait pour se marier. Les prêtres homosexuels sont restés, avec comme
conséquence que leur proportion a augmenté (…) et maintenant leur nombre
augmente. Plusieurs observateurs
pensent donc que le vrai héritage de Jean-Paul II à son Église sera un clergé
gay ». Le journaliste aurait également rapporté sans en questionner le
bien-fondé ou la valeur scientifique d’autres allégations, notamment que « plus
d’un prêtre sur quatre entretient des relations hétérosexuelles, qu’un sur cinq
s’avoue homosexuel et qu’un sur dix assume ouvertement cette orientation.
Environ un prêtre sur vingt avoue même être attiré sexuellement par les
enfants! ».
Le plaignant considère
que M. Baillargeon rapporte les thèses de Wills sans avoir vérifié le
bien-fondé de ces allégations en milieu québécois et présente son ouvrage avec
complaisance. Au total, l’article laisse une déplorable impression du clergé et
une image qui n’a aucun fondement sérieux dans la réalité québécoise. Les
nombreuses années d’expérience de M. Wallot auprès des prêtres québécois
lui permettent de témoigner que la vision du
prêtre proposée par Le Devoir dans
cet article est partiale et malhonnête parce qu’elle ne reflète pas la réalité.
Le plaignant fait ressortir le caractère « haineux et méprisant » des
accusations et à titre de prêtre il dit se sentir personnellement dénigré,
injustement jugé et l’objet d’insinuations malveillantes.
Pour M. Wallot, le
fait que l’article ait été publié à la une est une indication que la direction
du Devoir endosse le contenu de l’article.
Il dénonce enfin le fait qu’il n’ait reçu aucune explication sur les motifs
pour lesquels sa lettre de réponse à l’article n’a pas été publiée. Plusieurs
prêtres et évêques ont également écrit au Devoir
pour protester mais aucune lettre n’a été publiée.
Commentaires du mis en cause
Commentaires du journaliste Stéphane
Baillargeon
Pour le journaliste,
la plainte de M. Wallot relève trois travers méthodologiques et idéologiques
dans cet article. En ce qui a trait au fait de ne pas avoir publié sa réplique,
se disant en faveur du débat et de la libre circulation des idées et des
opinions, le journaliste indique que la publication du texte de M.Wallot
ne l’aurait pas gêné, même s’il n’a rien eu à voir avec la décision de ne pas
le publier. Il était alors en vacances. De plus, son journal ne ménage
habituellement pas les efforts pour rapporter dans ses pages les critiques à
son endroit. Le journaliste pense « que
Le Devoir en publie suffisamment pour
témoigner de l’indignation d’un certain type de fidèles ».
Au reproche d’avoir
repris les arguments de Garry Wills « sans aucune réserve » ou sans remettre en
question le bien-fondé ou la valeur scientifique de ces allégations, le
journaliste ne croit pas avoir commis de faute professionnelle en ne vérifiant
pas la fiabilité des études citées par Garry Wills. Il reconnaît s’être fié au
fait qu’il s’agissait d’un des historiens des plus réputés aux États-Unis. Son
livre est publié par une des maisons d’édition les plus sérieuses des
États-Unis et sur ces bases, il croit qu’il pouvait lui faire confiance à la
valeur de ses sources.
Concernant le reproche
de ne pas avoir cherché à confronter les thèses de M. Wills à la réalité
québécoise, il répond qu’il lui semble ridicule, d’un point de vue
méthodologique, de mettre dans la balance une étude réalisée selon les règles
de l’art et quelques cas circonstanciels choisis de manière subjective. Le
journaliste invoque que son texte était une recension et non une thèse de
doctorat, son objectif étant de présenter le livre et l’auteur. Stéphane
Baillargeon conclut en affirmant que s’il manque de respect envers quelqu’un,
c’est envers ceux que cette information dérange, ce qui ne le dérange
aucunement. Il trouve même ironique les reproches de manquer de sens critique.
Commentaires du directeur Bernard Descoteaux
Le directeur indique qu’il ne retient de la plainte qu’un
seul élément, le refus de publier une libre opinion que le plaignant a adressée
en réplique au texte du journaliste Baillargeon. M. Descôteaux répond d’entrée
de jeu qu’en vertu d’une prérogative bien établie, « l’éditeur d’un journal a
toute liberté de publier ou non les textes soumis par des lecteurs ». Il ajoute
que la politique de son journal est d’accueillir volontiers les répliques, ce
qu’il fait régulièrement. De nombreuses lettres de lecteurs ont d’ailleurs été
publiées concernant l’Église catholique. Selon lui, le texte de M. Wallot
aurait dû être publié. S’il ne le fût pas, « c’est tout simplement qu’il s’est
en quelque sorte perdu dans les dédales de la maison qui pendant la période
estivale sont difficiles ». Lorsque le texte a été retrouvé, il était un peu
tard pour le publier. Pour M. Descôteaux, il n’y a pas d’autre explication et
il ne faut y voir ni partialité ni mépris à l’endroit de M. Wallot et des
prêtres, et les pages du Devoir lui
demeurent ouvertes.
Réplique du plaignant
M. Wallot indique
qu’aucune des deux lettres des mis-en-cause ne répond de façon satisfaisante à
l’objet essentiel de la plainte. Le plaignant précise qu’en aucun temps les
mis-en-cause n’expliquent pourquoi cet article a été publié à la une du
journal, lui donnant ainsi l’autorité et l’appui de la direction du journal.
Non seulement le journaliste a-t-il fait une véritable promotion du livre dans
une présentation non critique, mais il s’est permis, sans rien vérifier, d’en
ajouter. Le journaliste invoquerait la réputation d’historien de Wills pour
justifier sa confiance méthodologique, en l’absence de toute analyse critique.
De plus, les commentaires de M. Baillargeon contiendraient des insinuations
malveillantes qui remettent en question son jugement et sa bonne foi dans la
rédaction de son article.
Concernant la
non-publication de sa lettre au Devoir,
le plaignant relève que MM. Descôteaux et Baillargeon s’en excusent et avouent
qu’elle aurait dû être publiée. Le plaignant fait observer que non seulement sa
propre lettre, mais aucune des lettres de réplique n’a été publiée, même s’il y
en avait plusieurs. Il ajoute qu’au Devoir
l’éthique professionnelle et le contrôle de la qualité semblent prendre des
vacances en même temps que le directeur. Le plaignant soutient que
l’opportunité d’une réplique sur le sujet traité par M. Baillargeon n’est
aucunement tributaire de l’actualité médiatique. On ne joue pas ainsi avec la réputation
des gens et le droit à une information juste et honnête.
M. Wallot maintient sa
plainte et annexe à sa réplique une lettre d’appui de Mgr Robert Lebel, évêque
de Valleyfield, et trois des lettres
envoyées au Devoir à la suite de
l’article, lettres signées par Mgr Paul-Émile Charbonneau, évêque de
Gatineau-Hull, Mgr Jude Saint-Antoine, évêque auxiliaire de Montréal et du Père
France Salesse, curé de Sainte-Anne-de-Varennes.
Analyse
Comme l’indiquait M. Descôteaux dans son commentaire, il est reconnu comme une prérogative d’un éditeur de média ou d’un directeur de journal de décider des contenus de ses pages. Par conséquent, le journaliste et son directeur pouvaient choisir de traiter la recension du livre de M. Wills selon l’angle qu’il leur convenait, sans pour autant contrevenir à la déontologie sur cet aspect. Dans le même esprit, ils étaient également libres de publier ou non les textes soumis par les lecteurs à cette fin.
De plus, dans son exposé, le plaignant n’a pas fait la démonstration que le contenu de l’article est faux. Et le fait de publier une nouvelle à la une n’implique pas que la direction d’un journal en encourage ou en endosse automatiquement le contenu. On imagine sans peine que si c’était le cas, elle endosserait ainsi tous les crimes crapuleux qu’elle met en lumière. Dans les faits, ce n’était pas le journal mais le livre de M. Wills qui attaquait l’Église.
Le Conseil fait cependant observer que, dans le cas présent, si les mis-en-cause avaient le droit de présenter cette information comme bon leur semblait, il aurait fallu, par souci de professionnalisme, permettre à l’institution d’y répondre; ou encore mandater un reporter pour aller chercher les réactions et d’actualiser le sujet à l’heure du Québec. En fait, il ne s’agissait pas ici de la simple publication d’une lettre d’opinion d’un lecteur sur un auteur amÉricain et son œuvre. Il s’agissait d’une nouvelle qui remettait en question tout un pan de l’image d’une institution séculaire et, jusqu’à un certain point, certains fondements de sa morale.
Les affirmations qui y sont inscrites prenaient la forme d’accusations graves dans l’esprit de plus d’un lecteur. Les autorités ecclésiastiques étaient plus que légitimées de se sentir visées directement et de ressentir le besoin de réagir sur la place publique. Les mis-en-cause ont eux-mêmes reconnu qu’il aurait été préférable que la réaction de M. Wallot ait été publiée. Au minimum, un droit de réplique s’imposait. Ce faisant, les mis-en-cause auraient permis l’exercice d’un droit de réplique tel qu’il est reconnu depuis des décennies dans les traditions de la presse occidentale.
Par conséquent et pour ces raisons, le Conseil de presse ne peut-il que déplorer que les mis-en-cause n’aient pas pris soin d’accorder ce droit de réplique au plaignant dans les pages du quotidien Le Devoir.
Analyse de la décision
- C03A Angle de traitement
- C03B Sources d’information
- C03C Sélection des faits rapportés
- C03D Emplacement/visibilité de l’information
- C09A Refus d’un droit de réponse
- C13A Partialité
- C13B Manipulation de l’information
- C13C Manque de distance critique
- C15B Reprendre une information sans la vérifier
- C15H Insinuations
- C17D Discréditer/ridiculiser
- C17G Atteinte à l’image
- C17H Procès par les médias