Plaignant
Pierre Viau
Mis en cause
Pierre Bourgault, journaliste, et Le
Journal de Montréal (Paule Beaugrand-Champagne, rédactrice en chef)
Résumé de la plainte
Pierre Viau reproche au journaliste
Pierre Bourgault d’avoir écrit que s’il avait été à la place de M. Bernard
Landry, il aurait frappé Mme Christiane Charette. La plainte concerne une
chronique parue dans l’édition du samedi 3 mars 2001 du Journal de Montréal
et intitulée » Une faute grave » où paraissait un commentaire sur une
interview télévisée que le futur Premier ministre du Québec, Bernard Landry,
avait accordée à Mme Christiane Charette.
Griefs du plaignant
Pierre Viau porte plainte contre le
Journal de Montréal et contre le journaliste Pierre Bourgault.
Tout en reconnaissant à M.
Bourgault le droit à son opinion et se défendant de vouloir censurer les propos
du journaliste, le plaignant indique que la liberté de presse entraîne des
responsabilités pour ceux qui pratiquent ce métier: un sens aigu du
respect d’une certaine morale publique dans une société libre et le respect des
plus hautes normes d’éthique du journalisme. Selon le plaignant, M. Bourgault a
manqué lamentablement à ces deux principes fondamentaux.
M. Viau ajoute que dans une société
civilisée comme la nôtre, il existe une conduite inaliénable qui dicte à toute
personne, homme ou femme, qu’il est défendu de faire violence à quiconque et
principalement aux femmes et aux enfants, quelles que soient leurs fautes et/ou
les circonstances de notre désaccord avec leur conduite. Or, au dixième
paragraphe de sa chronique, M. Bourgault indiquait que s’il avait été à la
place de M. Landry il aurait frappé Mme Charette.
Pour le plaignant, prôner violenter
une femme pour exprimer son désaccord avec elle est irresponsable en tout temps
et en tout lieu, encore plus dans un journal sérieux qui atteint
1,8million de lecteurs. Il s’agit également d’un manque de respect
fondamental pour les nombreuses lectrices de ce journal.
De l’avis du plaignant, le Conseil
ne peut cautionner un tel manque de jugement de la part d’un journaliste.
Commentaires du mis en cause
La rédactrice en chef rappelle que
Pierre Bourgault est connu pour ses propos souvent enflammés depuis de très
nombreuses années. La majorité de ses lecteurs s’y attendent et, bien souvent,
le lisent pour cela, justement. De toute évidence, dans le cas qui nous occupe,
il était furieux contre Mme Charette et il n’a pas mâché ses mots pour dire à
quel point l’entrevue l’avait ulcéré. Il y a mis toute son ardeur littéraire en
utilisant de nombreux adjectifs et commentaires bien sentis. C’est dans cette
foulée qu’il s’est laissé aller à écrire » je l’aurais frappée « ,
mais il faut comprendre qu’il s’agissait là bien plus d’une image que de
l’expression d’une réalité. Tout comme dans le dernier paragraphe où il parle
de la » job de bras » de la première venue, où il s’agissait d’une
image.
Mme Beaugrand-Champagne ajoute que
le journaliste aurait utilisé la même expression s’il s’était agi d’un animateur
homme plutôt que femme. Elle dit comprendre que certains lecteurs aient pu voir
dans cette expression plus que ce qu’elle voulait transcrire. Elle écrit:
« M.Bourgault et moi-même, au nom du Journal en sommes
vraiment désolés: frapper quelqu’un pour exprimer son désaccord n’est en
effet pas la solution à un débat quel qu’il soit. Une autre image eut mieux
valu. «
Réplique du plaignant
Le plaignant indique qu’il accepte
la controverse mais qu’il ne peut accepter qu’un journaliste, parce qu’il est
furieux, exprime sa rage et sa hargne contre des personnes, qu’elles soient
hommes ou femmes, en utilisant des propos méchants ou haineux dans ses articles
de presse.
Le plaignant relève l’explication
de la rédactrice en chef à l’effet qu’en regard de l’utilisation de
l’expression contestée, il s’agissait davantage d’une image que de l’expression
d’une réalité. Il invoque que M. Bourgault est un journaliste d’expérience qui
manie la langue française de façon exceptionnelle et qui connaît très bien le
sens des mots.
Le plaignant fait remarquer que le
journaliste a placé entre guillemets l’expression » job de bras » et
s’il avait fait la même chose avec je l’aurais frappée, il aurait très
bien compris qu’il s’agissait d’une image et non d’une réalité.
Pour le plaignant, il ne s’agit pas
d’une simple erreur mais d’une faute grave sur le plan de l’éthique
professionnelle et si on accepte ce genre de comportement de la part des
journalistes, il existera un grand risque de saper à jamais la confiance que le
public doit entretenir envers tous les médias d’information.
Analyse
La chronique est un style journalistique qui offre à son auteur une grande latitude dans l’expression de ses jugements et de ses points de vue. Elle permet notamment au journaliste d’adopter un ton polémique pour prendre parti, de donner son point de vue et d’émettre des critiques sur un ton qui lui est propre, même par le biais de l’humour ou de la satire.
Toutefois, le chroniqueur doit éviter, tant par le ton que par le vocabulaire qu’il emploie, de donner aux événements une signification qu’ils n’ont pas, de laisser planer des malentendus qui risquent de discréditer les personnes ou les groupes, et d’inciter à la violence.
Le Conseil a pris en compte ici le fait que la rédactrice en chef du Journal de Montréal et le chroniqueur se sont dits vraiment désolés de ce que certains lecteurs aient pu voir dans cette image plus qu’elle ne signifiait et qu’ils ont affirmé clairement que frapper quelqu’un ne constituait pas la solution à un débat.
Après s’être penché sur les arguments du plaignant, après avoir examiné l’article contesté et avoir soupesé les explications de la rédactrice en chef, le Conseil en arrive à la conclusion que les mots utilisés sans nuance par le chroniqueur Pierre Bourgault sont malhabiles et excessifs, même s’ils ne constituent pas, en soi, une incitation à la violence.
Considérant la prise de position responsable exprimée par les mis-en-cause, le Conseil de presse rejette la présente plainte sur le fond, tout en émettant une sérieuse réserve sur l’utilisation d’une expression outrancière par le Journalde Montréal et son chroniqueur Pierre Bourgault.
Analyse de la décision
- C01A Expression d’opinion
- C15I Propos irresponsable
Date de l’appel
21 June 2002
Décision en appel
Les membres de la Commission ont conclu
à l’unanimité de maintenir la décision rendue en première instance.
Griefs pour l’appel
M. Pierre Viau interjette appel à
la décision du Conseil de presse.