Plaignant
Denis Blondin et Cheikh Ndiaye
Mis en cause
Alain Bouchard, journaliste, et Le
Soleil (Gilbert Lavoie, rédacteur en chef)
Résumé de la plainte
Denis Blondin et Cheikh Ndiaye
portent à l’attention du Conseil un article du quotidien Le Soleil, paru
le 22 avril 2001 et intitulé » Un contraste vivant, Emmanuella Ruel, la
Noire qui veut flotter vite « . Selon les plaignants, on retrouve
dans cet article une conception des différences biologiques (ou » raciales
« ) qui est sans fondement scientifique et qui ne fait qu’alimenter les
lieux communs et les préjugés envers les gens étiquetés comme » Noirs
« .
Griefs du plaignant
Pour Denis Blondin et Cheikh
Ndiaye, l’article du Soleil, sous la plume du journaliste Alain
Bouchard, comporte un traitement de l’information susceptible de contribuer à
la transmission d’une conception raciste des différences entre les humains.
Bien que l’article ne véhicule aucune forme d’intolérance ou d’agressivité, la
conception des différences biologiques qu’on y retrouve est sans fondement
scientifique. Il a donc pour effet de nourrir les lieux communs et les
préjugés.
Les plaignants relèvent d’abord que
le titre de l’article présente la nageuse comme étant » la Noire « .
Le sujet de l’article semble justifier ce recours à une étiquette «
raciale » mais le traitement même est biaisé. Les plaignants contestent
également l’utilisation du terme « mulâtre « , qu’ils considèrent
comme un terme désuet. Ils reprochent du même coup » la catégorisation
raciale floue » qui revient également quand il est question des «
protégés decouleur « .
Les plaignants contestent également
l’argumentaire de l’article qui utiliserait » une certaine prétention
scientifique « , alors que les recherches en génétique ont démontré depuis
longtemps que les catégories raciales traditionnelles ne reposaient sur aucun
fondement génétique objectif. La performance de quelques nageurs ou celle de
quelques sprinters ne permet en aucune façon de généraliser ces caractéristiques
à l’ensemble des gens à pigmentation foncée.
Quant aux explications de ces
» dominations temporaires « , l’article aborde aussi le rôle des
facteurs socio-économiques, mais seulement » après avoir établi ses
pseudo-vérités sur les attributs naturels des Noirs « .
Selon les plaignants, il importe de
préciser qu’une telle présentation des faits entretient un lien direct et
étroit avec l’idéologie raciste dont le fondement part d’une «
biologisation » des différences, pour les hiérarchiser ensuite. Pour les
plaignants, il ne s’agit pas de nier les différences réelles mais le problème
se pose à partir du moment où on en invente d’autres et qu’on les généralise
sans aucune base scientifique.
Commentaires du mis en cause
Pour M. Lavoie, la plainte ne porte
pas sur le racisme ou sur l’intolérance, mais sur la publication d’un texte
qui, selon les plaignants, alimente les lieux communs ou les préjugés envers
les Noirs. Les plaignants prêtent vite au journaliste des intentions qu’il n’a
pas. Pour le rédacteur en chef, Alain Bouchard a toujours été » un chantre
de la diversité ethnique et culturelle » et c’est mal le connaître que lui
prêter des » obsessions » ou une forme de racisme » inconscient
« .
Le rédacteur en chef ajoute que M.
Bouchard fait partie des journalistes qui estiment qu’il faut appeler les
choses par leur nom et qui résistent à la tentation de camoufler certaines
réalités derrière des appellations plus politiquement correctes. Il lui semble
injuste de le condamner pour un article où il applique les mêmes principes.
Le rédacteur en chef précise
également qu’il laissera à M. Bouchard, s’il le juge à propos, le soin de
répondre aux plaignants sur le fond.
Réplique du plaignant
Aucune réplique.
Analyse
Comme l’indiquaient les plaignants, l’article du Soleil ne véhicule aucune forme d’intolérance ou d’agressivité et le Conseil de presse ne doute pas, dans le contexte, de la bonne foi du journaliste Alain Bouchard et de son employeur LeSoleil de Québec, non plus que de celle de ses sources à l’Université Laval.
Et même si les plaignants ne sont pas d’accord, le fait de parler de » protégés de couleur » n’est pas, dans le contexte, une question de racisme. Ce sont des faits. Dans le cas présent, il existe une réelle et visible différence entre les autres nageurs à peau blanche et les deux personnes, dont la peau est plus foncée, qui reçoivent un traitement différent de la part de leur entraîneur. Le premier devoir d’un journaliste est de nommer les faits, et c’est ce que fait le journaliste Alain Bouchard. Par conséquent, cette partie des griefs ne peut constituer une faute déontologique.
En ce qui a trait à l’explication de la difficulté de flotter par une théorie sur la nature différente des tissus des nageurs, et donc par des caractéristiques propres aux races blanche et noire, cette hypothèse dite scientifique est exposée mais non démontrée par le journaliste. En contrepartie, les plaignants affirment à leur tour (sans le démontrer non plus) que les recherches scientifiques indiquent et démontrent depuis longtemps que les catégories raciales traditionnelles ne reposent sur aucun fondement génétique objectif. Devant ces versions contradictoires, le Conseil ne peut retenir le grief.
De même en est-il de l’utilisation du terme » mulâtre » dont aucun des quatre dictionnaires consultés n’a consacré la désuétude.
Les mis-en-cause dans le cadre de ce dossier amorcent leur défense par un constat selon lequel » la plainte ne porte pas sur le racisme ou sur l’intolérance « . L’examen des documents soumis à l’attention du Conseil révèle effectivement que s’il est juste de dire, à l’instar de M. Lavoie, que la plainte ne porte pas sur l’intolérance, elle porte néanmoins sur la délicate question du racisme.
Tout en reconnaissant que l’article ne renfermait aucune connotation haineuse ou péjorative, le Conseil ne pouvait que constater que le fond de l’article reposait sur une discussion des différences fondamentales entre Blancs et Noirs.
Or, au terme d’une recherche sommaire, il a été facile au Conseil de constater que si quelques scientifiques en recherche médicale utilisent encore des distinctions fondées sur la race, nombre de généticiens et de militants des droits de la personne réprouvent ou même condamnent une telle pratique qu’ils proclament fausse et non fondée scientifiquement depuis au moins une trentaine d’années.
Par conséquent, malgré l’intérêt que peut présenter la thèse évoquée par le journaliste Alain Bouchard, le Conseil estime qu’il aurait été souhaitable que le journaliste s’interroge davantage sur la généralisation que faisaient les entraîneurs qui concluaient, à partir de l’expérience de deux athlètes, à une théorie touchant l’ensemble de la population noire. D’autant plus que la filiation des deux » protégés » en question était mi-blanche, mi-noire.
Tel que mentionné par les parties, le Conseil n’ayant observé ni hostilité ni mauvaise foi, et le journaliste ayant fait reposer son article sur des sources crédibles, le Conseil de presse ne peut retenir la plainte.
Analyse de la décision
- C11B Information inexacte
- C11C Déformation des faits
- C11F Titre/présentation de l’information
- C11G Rapporter des propos/témoignages erronés
- C11H Terme/expression impropre
- C15B Reprendre une information sans la vérifier
- C18B Généralisation/insistance indue
- C18C Préjugés/stéréotypes