Plaignant
Centre de la Petite Enfance (Édith Lavallée, directrice, « Les
Moussaillons »)
Mis en cause
Caroline Belley, journaliste et Groupe
TVA inc. (Pierre Tremblay,
rédacteur en chef, émission « J.E. »)
Résumé de la plainte
Mme Lavallée reproche à la journaliste Caroline Belley son
attitude anti-journalistique lors de l’émission «J.E.» diffusée sur
les ondes du réseau TVA le 26 octobre 2000. L’émission portait sur les Centres
de la Petite enfance et le ministère de la Famille et de l’Enfance. La
plaignante indique que son désaccord concerne l’exactitude de l’information
diffusée, le respect de la vie privée et le respect de la réputation.
Griefs du plaignant
La plaignante dénonce le fait que la journaliste s’est
saisie du dossier de l’organisme qu’elle dirige, le Centre de la petite enfance
« Les Moussaillons », alors que ce dossier était en attente devant le Tribunal
administratif du Québec (TAQ).
La journaliste aurait harcelé son organisme, même si elle
avait été formellement informée de son refus de lui accorder quelque entrevue
ou participation à son émission. Ce refus s’expliquait par le fait que le
dossier n’avait pas encore été entendu par le TAQ et que le mot d’ordre de son
Conseil d’administration était justement de refuser toute entrevue. L’autre
partie impliquée dans le litige ne souhaitait pas non plus, selon elle,
participer à l’émission « J.E. ».
La plaignante énumère les reproches qu’elle relève contre la
conduite de la journaliste : cette dernière aurait fait montre d’une attitude
arrogante et déplacée lors de ses nombreux appels. Son équipe de tournage
aurait, en outre, caché son véhicule
pour la surprendre lors de son arrivée à son bureau. La journaliste aurait enregistré
à l’insu de la plaignante des segments de conversations téléphoniques lors d’un
de ses nombreux appels, pour ensuite les diffuser. La plaignante aurait été
filmée à son insu et les images auraient été utilisées pour afficher son visage
en médaillon.
Mme Lavallée termine en demandant s’il est de pratique
courante d’acheter la participation d’un témoin. La plaignante affirme que
l’autre partie impliquée dans le litige s’est vue offrir, ce qu’elle a refusé,
une importante somme d’argent en échange de sa participation à l’émission «
J.E. » Cette participation à l’émission serait apparue aux parties une
possibilité d’atteinte à la réputation. L’équipe de « J.E. » lui aurait
également assuré que malgré sa décision, en aucun temps son identité ne serait
dévoilée. Cependant, non seulement a-t-elle été identifiée, mais les
mis-en-cause ont également diffusé des extraits d’entretiens téléphoniques
enregistrés à son insu.
Commentaires du mis en cause
Le rédacteur en chef, M. Pierre Tremblay, indique que c’est
après discussion avec sa journaliste et son directeur général des Affaires
publiques, Sylvain Chamberland, qu’il dépose ses commentaires. M.Tremblay
rappelle que l’émission « J.E. », présentée depuis 1993, s’inscrit dans la
tradition du journalisme d’enquête. De telles émissions représentent, pour plusieurs,
leur dernière ressource pour obtenir une réponse à un problème donné. Selon
lui, « J.E. » a développé une large expertise en journalisme d’enquête en
mettant tout en œuvre pour se conformer aux principes journalistiques
d’exactitude, d’honnêteté et d’intégrité, en se basant sur une recherche la
plus solide possible. En outre, Mme Belley est une professionnelle d’expérience
en matière de journalisme d’enquête.
Le reportage, diffusé un an auparavant, traitait de la
nouvelle politique familiale créée en 1997 par le Gouvernement du Québec, ainsi
que de la formation des Centres de la Petite Enfance (CPE). Par le biais de cas
concrets, de témoignages et de jurisprudence, le reportage illustrait les
difficultés d’application de la Loi sur les Centres de la Petite Enfance et de
ses règlements. Il traitait des pouvoirs et des prérogatives des CPE. Ce
reportage a également fait l’objet d’une recherche fouillée et d’une
préparation minutieuse : plus d’une dizaine d’entrevues et l’étude de plusieurs
documents juridiques et administratifs énumérés. Après la diffusion du
reportage le 26 octobre 2000, la plaignante n’a jamais contacté les
mis-en-cause pour leur faire connaître sa désapprobation jusqu’au moment du
dépôt de sa plainte, fin octobre 2001.
Concernant l’entrevue spontanée qui a eu lieu après
plusieurs demandes téléphoniques d’entrevues, M.Tremblay est d’avis qu’il
s’agit d’une pratique professionnelle conforme à certaines décisions du
Conseil, par exemple un cas de 1999 impliquant la Chambre des notaires. Pour le
rédacteur en chef, les éléments recueillis lors de cette conversation étaient
donc pertinents et d’intérêt public.
M.Tremblay indique également que le Conseil a déjà
reconnu que les enregistrements clandestins peuvent constituer une pratique
légitime dans le cadre du journalisme d’enquête. Dans ce cas, cela permettait
de faire connaître aux téléspectateurs des éléments nouveaux d’intérêt public
concernant le seul jugement rendu sur la problématique exposée dans le
reportage. De plus, le nouveau Code civil du Québec prévoit que l’on peut
utiliser la voix et/ou l’image de quelqu’un pour les fins de l’information
légitime du public.
En ce qui concerne une offre monétaire que les mis-en-cause
auraient faite dans le cadre de ce reportage ou de l’émission « J.E. », M.Tremblay la nie vigoureusement.
Enfin, relativement au reproche fait à la journaliste
d’avoir dévoilé l’identité d’une éducatrice de la région de Joliette, non
seulement la personne impliquée n’aurait jamais manifesté son désaccord depuis
la diffusion de l’émission, mais la conversation diffusée respecterait
l’entente prise avec cette personne.
Réplique du plaignant
La plaignante n’a présenté aucune réplique.
Analyse
Même si l’objet du reportage visé par la plainte était au cœur d’un litige devant être tranché par le Tribunal administratif du Québec, cet état de fait n’interdisait pas à la presse, et plus spécifiquement à l’équipe de «J.E.», d’en traiter dans le cadre de son émission. Au contraire, ce sujet était sans contredit d’intérêt public.
Par ailleurs, le fait pour un journaliste de revenir à la charge pour tenter d’obtenir une entrevue ou de l’information ne constitue pas, en soi, une faute professionnelle. Ceci, bien sûr, à condition de ne pas manquer de respect aux personnes que l’on tente ainsi d’interviewer. Or, dans le présent cas, Mme Lavallée n’a pas fait la démonstration d’arrogance, de manque de respect ou de harcèlement de la part de la journaliste à son égard. De plus, rien dans le reportage diffusé n’a été relevé qui permette d’en arriver à une telle conclusion.
De même en est-il pour d’autres accusations portées par la plaignante, mais qui n’ont pas été démontrées : celle concernant d’importantes sommes d’argent qui auraient été offertes à l’autre partie au litige pour obtenir sa participation à l’émission; celle à l’effet que l’équipe de « J.E. » avait promis à l’autre partie dans le conflit qu’en aucun temps son identité ne serait dévoilée alors qu’elle a été identifiée et que des extraits d’entretiens téléphoniques enregistrés à son insu ont été diffusés; celles, plus générales, concernant l’exactitude de l’information diffusée, le respect de la vie privée et le respect de la réputation. Le Conseil rappelle, à cet égard, qu’il ne suffit pas de formuler une accusation pour obtenir automatiquement une condamnation de sa part. Encore faut-il que la véracité en soit établie. Et il appartient au plaignant de fournir la preuve de ce qu’il avance.
La plaignante reprochait en outre à l’équipe de « J.E. » l’utilisation de procédés clandestins pour obtenir l’information désirée. Or, la plaignante reconnaît elle-même avoir refusé plusieurs des demandes d’entrevues. Tout en disant comprendre que Mme Lavallée respectait ainsi la directive de son conseil d’administration, le Conseil de presse fait observer que la plaignante occupait un poste de direction au Centre de la Petite Enfance «Les Moussaillons ». Ainsi était-il légitime aux mis-en-cause de s’attendre, sinon à ce qu’elle rende publiquement des comptes sur le dossier en litige, à tout le moins à ce qu’elle donne des explications publiques sur les normes et critères d’application de la nouvelle Loi sur les Centres de la Petite Enfance en usage dans son établissement.
En contrepartie, les mis-en-cause n’ont pas convaincu le Conseil de l’absolue nécessité pour l’intérêt public de l’utilisation des procédés clandestins dans la collecte de leurs informations; plus spécifiquement en ce qui concerne le fait d’avoir diffusé en ondes un extrait sonore d’une conversation téléphonique avec la plaignante, sans en avoir prévenu au préalable cette dernière.
Au-delà donc de ces réserves exprimées sur l’utilisation de procédés clandestins, le Conseil de presse rejette la plainte contre le Groupe TVA inc., l’émission « J.E. » et la journaliste Caroline Belley.
Analyse de la décision
- C11 Exactitude de l’information
- C16 Respect de la vie privée
- C17 Respect des personnes
- C22 Conflit d’intérêts
- C22C Intérêts financiers
- C23D Tromper sur ses intentions
- C23E Enregistrement clandestin
- C23J Intimidation/harcèlement