Plaignant
M. Yves Gingras
Mis en cause
MM. Frenchie Jarraud et Gary Daigneault, animateurs; M.
Alexandre Azoulay, président et la radio CJMS-AM
Résumé de la plainte
La plainte de M. Gingras concerne des émissions
radiophoniques diffusées sur les ondes de CJMS-AM de Saint-Constant les
6 et 10 janvier 2005, de même que le 11 avril 2005, dans le cadre de la
quotidienne «Le p’tit monde à Frenchie». Lors de ces émissions, les
animateurs auraient dérogé à l’éthique journalistique en portant atteinte à la
vie privée du plaignant et en faisant usage d’un langage inapproprié et
haineux.
Griefs du plaignant
La plainte de M. Gingras fait suite à sa participation à une
ligne ouverte lors de l’émission «Le p’tit monde à Frenchie» du 6
janvier 2005. Le plaignant dénonce le comportement des deux animateurs qui
l’auraient alors «insulté et menacé», avant de divulguer à maintes
reprises sur les ondes son numéro de téléphone personnel. M. Gingras explique
que les mis-en-cause ont alors tenu «des propos haineux et
injurieux» à son égard, parce qu’il avait «émis une opinion
contraire à celle de M. Jarraud, ce qui ne lui plaisait pas».
Suivant cet événement, le lundi 10 janvier 2005 la station CJMS-AM
a diffusé un dialogue avec une auditrice, Mme Jeannine, qui a divulgué en ondes
le vrai nom du plaignant, initialement identifié sous un pseudonyme, et qui
aurait également tenu «des propos injurieux et blessants» à son égard.
M. Gingras ajoute que la station CJMS n’a pas pris les moyens pour
éviter qu’une situation semblable se reproduise. Il précise à cet effet que les
mis-en-cause ont récidivé lors de l’émission du 11 avril 2005, alors que
l’animateur, M. Frenchie Jarraud, a traité une auditrice intervenant sur la
tribune téléphonique de «chipie».
M. Gingras souligne que, suivant ces événements, le Conseil
canadien des normes de la radiotélévision, dans sa décision 04-05-0939,
«a reconnu que CJMS et les animateurs Jarraud et Daigneault n’ont
pas respecté certaines normes établies par l’[A]ssociation Canadienne des
Radiodiffuseurs (L’ACR) et par le Code de déontologie (journalistique) de
l’[A]ssociation canadienne des directeurs de
l’information[radio-télévision]». Il indique également que le
«CCNR a reconnu que l’action des deux animateurs a porté atteinte à [s]a
vie privée et [qu’ils] ont tenu en ondes des commentaires inappropriés».
Pour conclure, M. Gingras déplore l’attitude des animateurs
qui «ont manqué à leur devoir en faisant du sensationnalismeà [s]es
dépens». Il ajoute que les mis-en-cause ont atteint au «respect de
[s]a vie privée», «qu’ils ont manqué de discrétion
rédactionnelle», qu’ils ont abusé de leur liberté journalistique, qu’ils
ont failli au devoir d’indépendance des journalistes et de l’information et
qu’ils ont enfin «manqué d’équilibre et d’exhaustivité» de
l’information; à la suite de quoi, il demande au Conseil de les
«blâmer».
Commentaires du mis en cause
Les commentaires des
mis-en-cause se présentent, dans les faits, sous forme d’un disque compact
contenant les extraits des émissions dénoncées par le plaignant, ainsi que le
message annonçant la décision du Conseil canadien des normes de la
radiotélévision, diffusé en ondes à quatre reprises et indiquant que CJMS
n’a pas respecté certaines normes établies par le
Code de déontologie de l’Association canadienne des
radiodiffuseurs et par le Code de
déontologie journalistique de l’Association canadienne des directeurs de
l’information radio-télévision.
Réplique du plaignant
Le plaignant
regrette d’abord la façon de procéder des mis-en-cause pour livrer leurs
commentaires, alors qu’ils n’ont fourni qu’un disque compact contenant des
extraits des émissions mises en causes et l’enregistrement du message requis
par le CCNR. Il précise que cette façon de faire semble «à la fois
cavalière et irrespectueuse».
M. Mathieu, le
représentant du plaignant dans le présent dossier, ajoute que«CJMS
AM et les animateurs ont été blâmés par le CCNR qui leur a exigé de
diffuser sur les ondes un message». Il souligne toutefois que «CJMS
ne s’est jamais excusé auprès du plaignant monsieur Yves Gingras».
Le conseiller en
radiodiffusion avance que, depuis le dépôt de la plainte de M. Gingras,
plusieurs émissions diffusées sur les ondes de CJMS et d’autres
animateurs, dont M. Maximilien Bradette, «continuent d’abuser de
leur »privilège » d’accès aux ondes publiques».
Pour conclure, le
plaignant demande au Conseil de presse, «dans l’intérêt public», de
«sévir vis à vis (sic) CJMS AM et ses animateurs, Jarraud,
Daigneault et Bradette».
Analyse
L’émission «Le p’tit monde à Frenchie» appartient au genre journalistique de la tribune téléphonique. Ce type d’émission comporte certaines difficultés particulières qui découlent principalement de leur caractère de spontanéité et du fait que les animateurs sont souvent dépendants des interventions du public. Le rôle de ceux qui les animent requiert une discipline et un discernement d’autant plus grands que les sujets abordés, en raison des intérêts et des passions qu’ils soulèvent, suscitent la controverse.
Le plaignant, M. Yves Gingras, reproche d’abord aux animateurs d’avoir divulgué en ondes, à plusieurs reprises au cours de l’émission du 6janvier 2005, son numéro de téléphone personnel. Il déplore également que la station CJMS ait diffusé, le 10 janvier 2005, les propos d’une auditrice qui a identifié son nom en ondes, dans un but malveillant.
Toute personne, qu’elle soit de notoriété publique ou non, a le droit fondamental àla vie privée, à l’intimité, à la dignité et au respect de la réputation. Le public, pour sa part, a le droit d’être informé sur ce qui est d’intérêt public et la presse, le devoir de l’en informer.
Après l’écoute des extraits d’émissions portés à son attention, le Conseil de presse constate que les animateurs ont agi contrairement à l’éthique journalistique, en divulguant à maintes reprises sur les ondes le numéro de téléphone personnel du plaignant, en tentant de l’appeler en direct afin de revenir sur la conversation, en enjoignant les auditeurs à faire de même et en qualifiant le numéro privé de l’intimé de «nouveau numéro de service professionnel». De la même façon, le 10 janvier 2005, la station CJMS a diffusé la conversation d’une auditrice qui, à la suite des événements survenus le 6 janvier, a révélé le nom du plaignant. Aux yeux du Conseil, le radiodiffuseur était responsable de ces propos qui n’apportaient rien au niveau de l’information et de l’intérêt public.
En second grief, le plaignant dénonce le comportement des animateurs MM. Gary Daigneault et Frenchie Jarraud, qui l’auraient insulté lors de l’émission du 6 janvier 2005. Il regrette également l’intervention d’une auditrice, lors de l’émission du 10 janvier 2005, qui a tenu des propos injurieux et blessants à son endroit. Il souligne enfin que les mis-en-cause ont récidivé, lors de l’émission du 11 avril 2005, en traitant sur les ondes, à plusieurs reprises, une auditrice qui participait à la tribune de «chipie».
Selon les principes déontologiques, les tribunes téléphoniques ou « lignes ouvertes » sont soumises aux mêmes exigences de rigueur, d’authenticité, d’impartialité et de qualité que tout autre type de traitement de l’information.
Les animateurs doivent respecter les opinions de leurs interlocuteurs et éviter à leur endroit tous propos, attitudes ou tons offensants. Les responsables de ces émissions doivent aussi éviter les outrances verbales, les dérogations aux règles élémentaires de l’éthique et les propos offensants, discriminatoires, voire haineux.
De l’avis du Conseil, les extraits mis en cause contiennent des propos irrespectueux et désobligeants à l’égard du plaignant, notamment lorsque les animateurs lui disent «je vous emmerde», «je vais le faire giguer, moi» et «il déconne». Il en va de même pour les propos tenus envers une auditrice, le 11 avril 2005, que M. Jarraud traitera de «langue de chipie», de «vraie chipie» et de «chipie québécoise». Le Conseil considère que les animateurs contreviennent à l’éthique journalistique en faisant usage d’un tel langage et que la station CJMS est responsable d’avoir diffusé ces propos, de même que ceux de l’auditrice Jeannine, qui a traité le plaignant de «merdeux» lors de son intervention en ondes, alors que la station avait la responsabilité d’utiliser son dispositif de délai de diffusion pour les éviter.
Le dernier grief soulevé par le plaignant est le manque d’équilibre et d’exhaustivité dans le traitement de l’information des émissions mises en cause. M. Gingras reproche aux animateurs de traiter l’information uniquement selon leur point de vue propre et d’avoir réagi de façon négative à son égard lors de l’émission du 6 janvier 2005, uniquement parce qu’il avait émis une opinion qui ne leur plaisait pas.
L’avis public du Conseil de presse du Québec Les tribunes téléphoniques: émissions d’information ou spectacles médiatiques? (Septembre, 1998) mentionne que toute émission d’affaires publiques qui se respecte doit présenter toutes les facettes du sujet traité à l’antenne, avec exactitude et honnêteté. L’information transmise au public dans ce cadre doit donc être complète et conforme aux faits et aux événements.
Cependant, bien que plusieurs agissements observés par le Conseil démontrent que les animateurs coupent la parole à certains interlocuteurs, allant jusqu’à rompre la conversation téléphonique, rien ne permet toutefois d’établir que ces actions découlent d’une volonté des animateurs de masquer délibérément l’expression d’un point de vue divergent du leur. Les extraits mis en cause ne permettent donc pas de conclure à un manque d’équilibre dans le traitement de l’information.
Par ailleurs, le plaignant a déposé parallèlement une plainte au Conseil canadien des normes de la radiotélévision (CCNR). La décision 04/05-0939 du CCNR, à ladite plainte, a donné raison à l’intimé et blâmé CJMS, pour avoir diffusé ces émissions du «P’tit monde à Frenchie». À la suite de cette décision, la station radiophonique a diffusé à quatre reprises, sur son antenne, un condensé de la décision du CCNR.
Pour sa part et tel qu’établi plus haut, le Conseil de presse a constaté plusieurs manquements à l’éthique journalistique pour des propos irrespectueux et des entorses au respect de la vie privée.
Selon le Conseil, les griefs invoqués démontrent un manquement grave à l’éthique. Cependant puisque la station radiophonique a utilisé le moyen prescrit pour rectifier son manquement, soit la diffusion du blâme émis à son endroit par le CCNR, le Conseil ne prononce pas de blâme contre les mis-en-cause. Toutefois, le Conseil recommande aux animateurs, MM.Jarraud et Daignault, de formuler leurs propres excuses au plaignant.
Analyse de la décision
- C12A Manque d’équilibre
- C12C Absence d’une version des faits
- C16B Divulgation de l’identité/photo
- C16C Publication de l’adresse/téléphone
- C17C Injure
- C17D Discréditer/ridiculiser
- C17E Attaques personnelles