Plaignant
La Fédération des producteurs acÉricoles du Québec et M. Pierre Lemieux, président
Mis en cause
Mme Véronique Lessard, journaliste; M. Denis Roberge, réalisateur-coordonnateur; la Société Radio-Canada (SRC) , l’émission « La Semaine verte » et M. Pierre Sormany, rédacteur en chef
Résumé de la plainte
Le président de la Fédération des producteurs acÉricoles du Québec considère que l’équipe de l’émission «La Semaine verte » a failli à sa tâche en réalisant un reportage biaisé dont l’information était inexacte et où primait le sensationnalisme alors que des faits pertinents ont été délibérément mis de côté. Le reportage a été diffusé sur les ondes de la SRC le 12 mars 2006.
Griefs du plaignant
Au nom de la Fédération des producteurs acÉricoles du Québec (FPAQ), M. Pierre Lemieux dépose une plainte contre M. Pierre Sormany, rédacteur en chef, Mme Véronique Lessard, journaliste et M. Denis Roberge, réalisateur-coordonnateur de l’émission « La Semaine verte» pour un reportage intitulé « La chaudière déborde».
Selon M. Lemieux, ce reportage diffusé le 12 mars 2006 visait à établir un bilan du travail réalisé par la Fédération au cours des dernières années pour organiser la mise en marché du sirop d’érable. Le plaignant explique que la tâche était difficile car les lois, les réglementations et les programmes en vigueur dans le milieu agricole sont complexes pour les profanes, mais que l’équipe de « La Semaine verte » était la mieux placée pour faire ce reportage. Cependant, cette équipe a failli à la tâche en produisant un reportage biaisé où l’information transmise a été inexacte, alors que des faits pertinents ont été délibérément mis de côté et que le sensationnalisme a primé, affectant ainsi la réputation de la FPAQ.
Le plaignant explique ensuite les activités de la Fédération : le contingentement de la production acÉricole; le contrôle de la qualité du sirop d’érable; sa mise en marché collective sur le marché du vrac, par le biais d’une agence; la gestion de programmes d’avances financières et de paiements aux producteurs; la promotion et le développement des marchés des produits de l’érable et enfin, des activités de recherche dans le domaine. Le plaignant ajoute que l’industrie est actuellement en croissance, puisque la valeur de production est passée de 99 à 150 millions entre 1995 et 2006, mais qu’il existe toutefois un déséquilibre entre la production et les ventes de sirop. En outre, entre 2002 et 2004, plusieurs changements touchant la mise en marché étaient nécessaires parce que le libre marché générait des baisses de prix, hypothéquant ainsi le revenu des acÉriculteurs. Ces nouvelles mesures permettraient aujourd’hui de maintenir le maximum d’entreprises en exploitation et de contrôler en même temps les normes de qualité du sirop produit en vrac.
Le plaignant souligne cependant qu’un groupe d’individus contrevenant aux réglementations existantes répandent des rumeurs etattaquent ces réglementations. M. Lemieux déplore donc que l’équipe de l’émission ait accordé foi aux propos d’un groupe d’opposants sans vérifier leurs affirmations auprès de la principale concernée, la FPAQ, ou en ignorant des faits portés à sa connaissance qui contredisaient ces affirmations. Le plaignant relève, au cours de l’émission visée, 19 manquements de la part des mis-en-cause. Les reproches formulés constituent essentiellement des griefs pour information inexacte et incomplète, manque de vérification et insinuations. Le plaignant déplore aussi que l’équipe de cette émission « n’ait pas su distinguer l’essentiel de l’accessoire, les rumeurs des faits ». Pour lui, cette équipe « a failli à sa tâche en réalisant un reportage biaisé où l’information fut inexacte, des faits pertinents furent délibérément mis de côté et le sensationnalisme a primé ». La diffusion de ce reportage aurait également été préjudiciable à la Fédération en nuisant à la réputation de ses dirigeants et en semant le doute sur la qualité du sirop d’érable encore en inventaire. Le plaignant reproche enfin à M. Sormany de ne pas l’avoir rappelé et de ne pas avoir répondu à ses courriels avant et après la diffusion du reportage, pour obtenir un droit de réplique.
COMPLéMENT DE PLAINTE – Le secrétaire général de la Fédération des producteurs acÉricoles du Québec, M. Charles-Félix Ross, demande que soit ajouté à son argumentaire antérieur le fait que « la Loi sur la mise en marché des produits agricoles, alimentaires et de la pêche (L.R.Q., c. M-35.1) (ci-après désignée: la Loi sur la mise en marché) et le Plan conjoint ne s’appliquent pas à la vente directe effectuée par un producteur à un consommateur. Les Varin, compte tenu de la taille de leur érablière, soit ne respectent pas la Loi sur la mise en marché, ou soit vendent la très grande majorité de leur production directement à la ferme et ne sont pas visés par le Plan conjoint ni par la réglementation de la Fédération ». Le secrétaire général ajoute : « Conséquemment, si nous assumons que les Varin sont de bonne foi et respectent la loi et dans l’hypothèse la plus favorable à Radio-Canada, les journalistes ont donné un droit de parole et de critique extrêmement important dans cette émission à des producteurs qui ne seraient pas visés par la réglementation de la Fédération mais qui profitent de la stabilité des prix du sirop d’érable résultant des efforts collectifs de tous. » M. Ross termine en faisant part au Conseil d’échos de la perception négative du public à l’endroit de son organisme, à la suite du reportage.
Réplique du plaignant
M. Lemieux affirme que le reportage « ne traçait pas un bilan correct et équitable des démarches de la Fédération des producteurs acÉricoles du Québec (FPAQ) au cours des dernières années, car l’information transmise fut inexacte, beaucoup de faits pertinents furent délibérément mis de côté, le sensationnalisme a primé et la réputation de l’organisme fut inutilement attaquée. Il ajoute que le reportage est maintenant une référence journalistique négative qui projette une image peu flatteuse de la mise en marché du sirop d’érable produit au Québec. Selon le plaignant, l’approche journalistique a été déplorable : il ne s’agissait pas de journalisme d’enquête mais de journalisme de confrontation et de dissimulation, alors que la FPAQ était prête à collaborer.
La journaliste Véronique Lessard aurait refusé, lors de ses premières conversations et entrevues, d’indiquer le sujet du reportage, pour faire vaguement référence aux inventaires de la FPAQ; par contre, lors des entrevues, elle aurait cherché à confronter systématiquement le plaignant avec des allégations et des rumeurs obtenues de tiers. Le plaignant précise qu’il a même dû lui remettre une lettre à la fin de la première entrevue demandant un droit de réplique puisqu’il ignorait toujours le thème du reportage. Selon M. Lemieux, il n’y a jamais eu de véritable enquête sur l’action de la FPAQ, mais plutôt chez les opposants « qui n’ont pas été interrogés de façon inquisitoriale, loin s’en faut ». M. Lemieux relève que dans sa réponse, le mis-en-cause mentionne à deux reprises qu’il aurait obtenu des confidences de plusieurs personnes au sein de l’industrie, du gouvernement, de l’UPA et même de la FPAQ. Pour lui, cette mention est hautement déloyale parce qu’en préservant ses sources, il empêche le plaignant de commenter son affirmation non prouvée. Pour M. Lemieux, même si la règle de la majorité doit prévaloir, il y aura toujours des mécontents à qui les médias donnent souvent une importance démesurée. M. Lemieux poursuit en indiquant que l’instauration d’une agence de vente est un droit accordé par la loi et historiquement, la mise en place de toute agence entraîne des oppositions de personnes déjà engagées dans la commercialisation du produit visé. Les réglementations perçues comme « rigides et irritantes » par certains acÉriculteurs ont été demandées puis votées par une large majorité des producteurs acÉricoles du Québec. Par la suite, elles ont été modifiées par les
producteurs en assemblée. Le plaignant insiste pour affirmer que plus de 2 500 productrices et producteurs participent régulièrement à ces assemblées tenues à tous les six mois à travers le Québec. Il donne l’exemple sur le contingentement de la production qui, après avoir été demandé une première fois en 2000, a été discuté lors de différentes assemblées jusqu’en 2003. à la demande des producteurs, il a également été amendé trois fois entre 2004 et 2006. Pour le plaignant, il est inconcevable que ces ajustements n’aient pas été mentionnés dans l’émission, alors qu’ils sont le résultat d’un exercice démocratique qui prend du temps et de l’énergie. Le plaignant explique ce que permet l’action de la FPAQ en ce moment de surproduction et indique que tous ses résultats sont vérifiables et documentés dans ses rapports annuels. Les éléments qu’il vient de rappeler constituent un bilan et un historique que l’équipe de « La Semaine verte » a failli de bien présenter, s’attardant plus à des anecdotes. S’il est légitime que des journalistes et des citoyens s’intéressent au travail de la Fédération, « le prétexte d’ouvrir un débat et d’en discuter […] ne doit pas mener à une charge où on accuse à tort, juge et, sur la base d’une enquête biaisée, crée de fausses perceptions presque impossibles à corriger après coup ». M. Lemieux termine en insistant sur l’impact négatif qu’a pu avoir le reportage et dénonce une dernière fois le parti pris de l’équipe de « La Semaine verte».
Il annexe à sa réplique une réponse spécifique, détaillée en 28 points, aux commentaires de M.Sormany et quatre autres annexes pour étayer ses affirmations. Il indique également vouloir amender un élément de plainte et le remplacer par de nouveaux éléments inclus dans son document. En pratique, comme ce dernier «amendement » à sa plainte déborde sur d’autres moments que ceux couverts par la présente plainte, il ne pourra être accueilli par le Conseil parce que non seulement cela équivaudrait à ajouter de nouveaux griefs à la présente plainte, mais également à ouvrir le dossier sur d’autres émissions dont il n’a pas été question jusqu’ici. COMMENTAIRES à LA RéPLIQUE : M. Sormany indique avoir pris connaissance de la réplique de M. Lemieux, à ses commentaires et il ajoute un commentaire d’ordre général. Pour lui, il est certain que la Fédération a mis en place un plan conjoint de commercialisation et imposé par la suite un contingentement pour de bonnes raisons, et avec l’appui de la majorité de ses membres. Les mécontents sont en minorité, mais le mécontentement est réel. Il a fait l’objet de manifestations publiques. Au reproche d’avoir délibérément mis de côté certains faits pertinents et d’avoir basé l’enquête de son équipe sur les propos des opposants, il explique : « C’est qu’en journalisme, on doit restreindre notre angle. » Le rédacteur en chef donne alors deux exemples, celui de la SAQ et de l’Affaire Saint-Charles-Borromée.
Dans les deux cas, on n’a pas décrit les services extraordinaires qui ont pu être donnés par les établissements visés. Les crises, dénonciations ou autres manifestations de colère sont presque toujours le point de départ de la recherche des journalistes. «Mais M. Lemieux parle à tort de « journalisme de confrontation et de dissimulation » de la part de la journaliste Véronique Lessard », indique M. Sormany. Les articles d’autres médias fournis par le plaignant vont dans le même sens que l’analyse présentée dans l’émission. M. Sormany termine en rappelant que certaines émissions subséquentes ont aussi nuancé le bilan de l’émission sur les ondes de Radio-Canada , notamment « la participation du porte-parole de la Fédération à l’émission de Michel Desautels, quelques jours plus tard, puis la chronique de M.Lionel Levac à l’émission de Joël Le Bigot, où l’action de l’agence était décrite comme globalement positive, malgré les irritants mentionnés dans le dossier de « La Semaine verte. » Il ajoute : « Quand on juge du traitement qu’un média accorde à un dossier d’actualité, il faut regarder l’ensemble de la couverture, et pas seulement un élément, pris isolément. »
Analyse
Le Conseil de presse a examiné les reproches exprimés par le plaignant contre l’équipe de « La Semaine verte » pour son reportage intitulé «La chaudière déborde ». L’étude des 19 griefs formulés par le porte-parole de la Fédération des producteurs acÉricoles du Québec (FPAQ), a permis de constater qu’ils appartenaient à quatre types de manquements particuliers : information incomplète, manque de vérification, information inexacte et insinuations. Au chapitre des informations incomplètes, comme le représentant de la FPAQ accusait à maintes reprises les artisans de l’émission d’avoir omis plusieurs informations importantes, il apparaît opportun de rappeler un principe maintes fois énoncé par le Conseil. Ce principe veut que l ‘attention que les médias et les professionnels de l’information décident de porter à un sujet particulier relève de leur jugement rédactionnel; que le choix de ce sujet et sa pertinence, de même que la façon de le traiter, leur appartiennent en propre; et qu’ainsi, nul ne peut dicter à la presse le contenu de l’information sans s’exposer à faire de la censure ou à orienter l’information. Pour cette raison, et comme il n’a pas été démontré que les omissions reprochées créaient des situations inéquitables à l’endroit des plaignants, le Conseil n’a retenu aucun grief sous ce motif. Les griefs au titre de manque de vérification ont également été scrutés par le Conseil qui n’a pu conclure dans le même sens que le plaignant sur cet aspect. Ils ont donc également été rejetés.
En ce qui a trait à l’exactitude de l’information, le Conseil a constaté cinq manquements à ce chapitre. Deux de ces manquements ont été reconnus par les mis-en-cause qui ont procédé à une rectification dans une émission subséquente. à ce sujet, la tradition en pareil cas veut que lorsque la rectification est faite convenablement et dans un délai raisonnable, le Conseil ne retienne pas le grief. La troisième inexactitude relevée consistait à avoir affirmé que «tous» les transformateurs de sirop d’érable sont maintenant certains que la structure unique de commercialisation nuit à leur industrie, alors que la journaliste aurait plutôt dû utiliser l’adjectif «certains ». Le rédacteur en chef de l’émission a reconnu qu’il y avait certains transformateurs «qui s’accommodent bien du système ».
Ce manquement mesuré à l’échelle de l’émission a tout de même été considéré comme mineur. Une autr e inexactitude relevée est survenue au moment du bilan, en fin d’émission, la journaliste parle d’une « chute marquée de la rentabilité» dans l’industrie. Aux yeux du Conseil, et sur la base des informations fournies, elle aurait dû dans ce cas nuancer ses propos et ajouter qu’après que le contingentement ait abouti à une chute marquée de rentabilité, la situation s’est ensuite progressivement améliorée. La dernière inexactitude portait sur l’affirmation que les surplus de sirop d’érable en inventaire n’avaient pas été réduits. Dans sa réponse, le porte-parole des mis-en-cause indiquait que : « le succès des mesures ayant permis une réduction de 15 % des inventaires […] est décevant ». Il reconnaissait donc implicitement qu’il y a eu réduction, et donc, qu’il y a eu inexactitude dans ce qui a été énoncé, même si une moyenne de 3 % par année ne représente pas dans les faits une baisse spectaculaire et que les mis-en-cause l’ont alors considérée comme négligeable. Cette inexactitude a donc été également retenue.
Le plaignant déplorait également le fait d’avoir utilisé la famille Varin comme exemple d’acÉriculteurs mécontents. Après examen, le Conseil a considéré que ce choix était, en effet, inapproprié, puisqu’il laissait croire que l’entreprise de ce couple d’acÉriculteurs était, en pratique, assujettie à l’ensemble des contraintes imposées la FPAQ. Le Conseil a donc retenu le grief, également au motif d’inexactitude. Le plaignant a déploré à plusieurs reprises les insinuations présentes dans le reportage de « La Semaine verte », qui auraient créé dans le public une perception négative à l’endroit de son organisme. Après analyse du dossier, le Conseil de presse du Québec en est venu à la conclusion qu’il n’y avait pas de tels manquements dans l’émission en question. Au cours de son analyse du dossier, le Conseil a pu observer un travail de recherche fouillé et une rigueur générale dans tout le reportage examiné. De plus, le point de vue de la Fédération des producteurs acÉricoles du Québec a été largement exposé dans le reportage .
Par conséquent, tenant compte des nuances apportées et aux motifs des griefs retenus pour inexactitude, le Conseil de presse retient partiellement la plainte contre l’émission « La Semaine verte » de la Société Radio-Canada , son équipe et sa direction.
Analyse de la décision
- C11B Information inexacte
- C12B Information incomplète
- C15D Manque de vérification
- C15H Insinuations
Date de l’appel
15 May 2007
Appelant
La Fédération des producteurs acÉricoles du Québec et M. Charles-Félix Ross, secrétaire général
Décision en appel
La commission d’appel du Conseil de presse du Québec a étudié l’appel que vous avez interjeté relativement à la décision rendue par le comité des plaintes et de l’éthique de l’information dans le dossier cité en titre.
Après examen, les membres de la commission ont conclu à l’unanimité de maintenir la décision rendue en première instance.
Par conséquent, conformément aux règles de procédure, nous rejetons votre appel et fermons le dossier cité en titre.