Plaignant
M. Philippe Malchelosse, directeur général et l’organisme Point de
rue
Mis en cause
Mme Maude Montembeault, journaliste; M.
Philippe Châtillon, directeur de l’information et TVA-CHEM – Trois-Rivières
Résumé de la plainte
M. Philippe Malchelosse, directeur général
de Point de rue, porte plainte au nom de son organisme, pour représenter Mme
Diane Dupont, une dame victime d’exclusion sociale et rejointe par les services
de Point de rue. La plainte vise un reportage de
la journaliste Mme
Maude Montembeault, présenté sur les ondes de TVA-CHEM –
Trois-Rivières, dans le cadre du bulletin de nouvelles, «Le TVA
édition régionale de 18h10», diffusé le lundi 30 janvier 2006. Ce
reportage serait inexact, déséquilibré, sensationnaliste et véhiculerait des
préjugés.
Griefs du plaignant
M. Philippe Malchelosse, directeur général
de l’organisme Point de rue, dépose une plainte au nom de Mme Diane Dupont, une
personne rejointe par l’organisme qu’il représente et dont les droits auraient
été lésés à la suite du traitement journalistique du reportage mis en cause. Le
plaignant allègue que, lors de ce reportage de la journaliste Mme Maude
Montembeault, des propos dégradants et inexacts ont été prononcés à l’endroit
de Mme Dupont.
Le directeur général de Point de rue
explique que les propos tenus par le responsable de l’Office municipal
d’habitation de Trois-Rivières (OMH), interrogé dans le cadre de cette
nouvelle, seraient erronés. Ce serait le cas de l’extrait où l’intervenant
sous-entend que la dame était tenancière d’une piquerie, en affirmant: «
L’appartement était ouvert 24 heures sur 24 et faisait office de piquerie
[…]». M. Malchelosse réprouve également la déclaration de cet intervenant
à l’effet qu’un nombre de seringues fortement supérieur à la consommation
personnelle de Mme Dupont aurait été trouvé dans l’appartement. Les
responsables de Point de rue, qui interviennent auprès de la dame, affirment
qu’elle ne faisait usage de seringues que de façon personnelle.
Bien que les responsables de l’organisme
communautaire reconnaissent que MmeDupont faisait partie intégrante de
l’actualité le 30 janvier 2006 et qu’ils comprennent que son nom fut diffusé à
cet effet, cela ne justifie pas le «sensationnalisme inutile et
dévastateur» dans le traitement de l’information. Le plaignant invoque
que le nom de la dame évincée de sa résidence est mentionné à plusieurs
reprises dans le reportage, portant ainsi atteinte à la vie privée et à la
réputation de Mme Dupont. M. Malchelosse ajoute que les affirmations avancées
dans la nouvelle ont contribué à véhiculer des préjugés concernant la
consommation de drogues et que, depuis sa diffusion, ce reportage a fait
reculer Point de rue, en tant qu’organisme oeuvrant auprès des personnes en
situation d’exclusion sociale.
Le plaignant déplore également que la
journaliste ait affirmé, dans le cadre de ce reportage, que la personne évincée
était prise en charge par un organisme qui l’hébergerait, et qu’elle ne se
retrouverait donc pas à la rue. À ce propos, Point de rue n’offre pas de
service d’hébergement. La dame se serait retrouvée à la rue.
Le plaignant signale ensuite que les
questions formulées par la journaliste sont partiales. Ce serait le cas
notamment lorsqu’elle insiste auprès des voisins de la personne évincée, en
leur demandant «Des seringues partout, les portes toujours ouvertes, ça
ne fait pas peur ça pour des voisins?». M. Malchelosse souligne que cette
question est non seulement orientée et suggestive, mais qu’elle contribue aussi
à dégrader l’image publique de Mme Dupont.
Pour conclure, le directeur général de
Point de rue indique, qu’à son avis, le reportage contrevenait aux normes
journalistiques, en ce qui à trait à l’exactitude, à l’équilibre et à
l’exhaustivité de l’information, à l’impartialité et à la pondération de
l’information, de même qu’au respect de la vie privée, de la réputation et des
groupes sociaux.
Commentaires du mis en cause
Me Maxime Bédard
indique d’abord, qu’après revue et analyse du reportage, les mis-en-cause sont
d’avis qu’il a respecté les droits et responsabilités de la presse.
Il expose
premièrement que, comme le plaignant l’a reconnu dans ses griefs, la nouvelle abordée
dans le reportage était d’intérêt public. Elle rapportait «l’expulsion
d’une personne de son logement suite aux problèmes découlant d’une dépendance à
une drogue par injection». Le reportage relate principalement les
événements entourant cette intervention exceptionnelle et les différents
problèmes causés par le mode de vie de la locataire évincée. Bien qu’il
reconnaisse que les causes et les conséquences des interventions auprès de
l’ancienne locataire étaient nombreuses et complexes, Me Bédard soutient que,
dans le cadre d’un reportage présenté à l’intérieur d’un bulletin de nouvelles
télévisé, une enquête sur celles-ci n’était «ni nécessaire, ni
appropriée».
Deuxièmement, le
représentant des mis-en-cause rappelle les normes déontologiques voulant que,
dans des situations telles que celle qui fut dévoilée dans le présent
reportage, alors que la vie privée d’une personne devient d’intérêt publique,
les journalistes doivent user d’une certaine réserve dans le choix des images
et des propos qu’ils rapportent, pour s’assurer que seuls les éléments
nécessaires à la compréhension du public soient divulgués. Il ajoute également
que, bien que les journalistes doivent éviter de sombrer dans le
sensationnalisme, ils ne peuvent se soustraire à leur obligation de rapporter
les faits d’intérêt public, bien que ceux-ci suscitent parfois de vives
réactions.
Me Bédard
indique que le reportage contesté rapporte correctement le contexte entourant
l’éviction de la locataire, puisque d’une part le représentant de l’Office
municipal d’habitation de Trois-Rivières (OMH) a expliqué les problèmes
auxquels il faisait face depuis plusieurs années, de même que les démarches
préalables à l’éviction de la locataire et les motifs qui ont poussés l’OMH à
agir. C’est afin d’appuyer et d’expliquer cette décision que le représentant de
l’OMH a mentionné qu’il y avait, selon lui, plus que de la simple consommation
personnelle de drogue à cet endroit, compte tenu de divers preuves factuelles
et témoignages de voisins. Me Bédard ajoute que l’intervenant a relaté les
faits avec respect pour la locataire concernée. Bien qu’il comprenne que le
plaignant puisse être en désaccord avec les affirmations de cet intervenant, le
conseiller juridique soutient que là n’est pas le débat, puisque l’OMH
disposait de suffisamment d’éléments logiques et crédibles pour faire ces
déclarations. Pour sa part, la journaliste n’a fait que reprendre, en d’autres
termes, les opinions de cette source. Elle aurait également apprécié obtenir la
version des faits de la locataire évincée, mais il était impossible de la
rejoindre au moment du reportage et elle ne s’est pas manifestée avant ou à la
suite de celui-ci. Me Bédard affirme également que l’OMH a refusé de fournir
aux mis-en-cause les coordonnées qui auraient pu leur permettre de rejoindre la
dame en question.
Pour ce qui est
de la déclaration d’une voisine, à l’effet qu’elle barrait constamment sa porte
en raison des craintes pour sa sécurité, le conseiller juridique souligne qu’il
ne s’agit pas d’un préjugé, mais d’un état de fait. Il précise aussi que le
reportage ne comprend qu’un court extrait des affirmations de cette locataire
qui éprouvait de réelles craintes. MeBédard reconnaît que la question
adressée par la journaliste était suggestive, mais allègue qu’elle ne visait
qu’à résumer l’ensemble de la conversation entre la journaliste et la locataire
ainsi qu’à présenter les causes de la crainte de cette dernière. Le
représentant des mis-en-cause explique que ce fut uniquement dans un but de
concision, compte tenu de la durée d’un reportage pour un bulletin de
nouvelles, que la journaliste a choisi cet extrait plus suggestif. Il avance
que, comme l’opinion générale de la voisine interrogée n’a pas été déformée et
puisque l’extrait transpose correctement l’ensemble de son propos, il ne peut y
avoir de reproche à cet effet. Il ajoute que ces propos se voulaient également
en lien avec la déclaration du représentant de l’OMH, selon laquelle certains
toxicomanes avaient cogné à la porte d’un locataire voisin, pour obtenir des
outils d’injection.
Pour ce qui est de la déclaration finale de
l’OMH, à l’effet qu’une entente de prise en charge avait été conclut, afin que
la dame évincée ne se retrouve pas à la rue, Me Bédard explique premièrement
que jamais dans le reportage il n’est mentionné que cette entente concerne
l’organisme Point de rue. Il ajoute que l’OMH ne leur a pas révélé l’identité
de l’organisme auquel il référait. Le conseiller juridique regrette que la dame
se soit peut-être retrouvée sans abri à la suite de l’éviction de son logement,
mais allègue que cette information n’était pas connue au moment du reportage.
Me Bédard assure que la journaliste a rapporté de bonne foi les informations
provenant de l’OMH, qui constituait une source crédible dans les circonstances.
De l’avis du représentant des mis-en-cause, si le responsable de l’OMH a commis
une erreur, celle-ci ne peut être imputée à la journaliste.
Réplique du plaignant
Le plaignant n’a
présenté aucune réplique.
Analyse
Le genre journalistique auquel appartiennent le reportage et la nouvelle demande un grand degré de précision et une certaine mise en contexte, afin de rendre l’information accessible au public. Quel que soit l’angle de traitement retenu pour une nouvelle ou un reportage, les médias et les journalistes doivent transmettre une information qui reflète l’ensemble d’une situation et le faire avec honnêteté, exactitude et impartialité.
Le premier reproche exprimé par le plaignant concerne l’inexactitude des propos tenus par la journaliste, de même que certaines déclarations du représentant de l’Office municipal d’habitation de Trois-Rivières (OMH).
Premièrement, en regard des allégations du représentant de l’OMH, à l’effet que l’appartement était «ouvert 24 heures sur 24 » et aurait fait office de piquerie, le Conseil estime que l’intervenant était une source crédible. En effet, cet organisme a compilé les plaintes contre la locataire évincée et fait enquête à son sujet pendant plus de sept ans. En s’appuyant sur cette déclaration et sur les éléments de preuves évoqués par ce témoin, la journaliste pouvait affirmer que l’appartement faisait office de piquerie.
Le plaignant soutient aussi que la journaliste fait erreur lorsqu’elle signale que la personne évincée a été prise en charge. À ce propos, c’est le porte-parole de l’OMH qui a spécifié qu’il existait une entente pour la prise en charge de la dame avec un organisme offrant le service d’hébergement. Le reportage ne précise pas si l’organisme en question est Point de rue. Aux dires des mis-en-cause, l’OMH a fournit cette information, sans révéler l’identité de l’organisme auquel elle référait. Cette affirmation repose donc sur les propos de la principale source interrogée et a été rapportée de bonne foi.
Après analyse des trois affirmations considérées comme inexactes par le plaignant, le Conseil estime que les propos contestés reposent sur le témoignage d’une source crédible et sur des éléments factuels pertinents. Le premier grief concernant l’exactitude de l’information est donc rejeté.
Un autre reproche formulé par le plaignant concerne le déséquilibre de l’information.
Les médias et les journalistes doivent livrer au public une information complète, conforme aux faits et aux événements, afin de permettre aux auditeurs de se faire une opinion en toute connaissance de cause. Le choix d’un sujet et la façon de le traiter appartenant en propre aux professionnels de l’information, la journaliste pouvait donc choisir d’orienter son reportage sur les motifs ayant poussés l’OMH à évincer la locataire, sur les réactions des voisins et sur l’absence d’intervention policière. De plus, le plaignant reconnaît que l’éviction de Mme Dupont était d’intérêt public. Le Conseil considère que, malgré le fait que les mis-en-cause n’aient pas interrogé l’organisme Point de rue, ni la dame évincée de son logement, dont les coordonnées n’ont pas été fournies par l’OMH, le principal intervenant rencontré pour la réalisation du reportage était une source fiable et neutre qui connaissait bien la situation. Le Conseil rejette ce second grief.
Le directeur général de Point de rue dénonce la partialité et la manipulation de l’information reliées au comportement de la journaliste qui cherchait à orienter l’information. Ce comportement se refléterait particulièrement dans les questions que Mme Montembeault adresse à la voisine de Mme Dupont, qui seraient orientées et suggestives.
Les journalistes et les responsables de l’information doivent se montrer neutres dans leur façon de traiter et de rapporter l’information, pour éviter d’orienter ou de déformer la nouvelle.
Bien qu’à première vue la question posée puisse sembler suggestive, en considérant l’ensemble du reportage, elle résume plutôt la conversation avec cette voisine et la situation présentée par le représentant de l’OMH. Sur l’ensemble du reportage, le Conseil remarque que les commentaires de la journaliste résument la situation rapportée par les témoins. Pour cette raison, ce troisième grief est rejeté.
En quatrième grief, le plaignant allègue que certaines informations contenues dans le reportage mis en cause ont contribué à véhiculer des préjugés concernant la consommation de drogue.
Les médias et les professionnels de l’information doivent éviter de cultiver ou d’entretenir les préjugés. Il n’est pas interdit aux médias de faire état des caractéristiques qui différencient les personnes ou les groupes. Cependant, cette mention doit être pertinente et d’intérêt public, ou être une condition essentielle à la compréhension et à la cohérence de l’information.
Or, le reportage traite spécifiquement de l’éviction d’une locataire par l’OMH, vu les problèmes répétés, liés à la consommation de drogue par injection à son appartement. Afin de bien expliquer la situation, la journaliste devait faire ressortir certains faits liés à la consommation de drogue de la dame. De plus, le Conseil n’a identifié aucune représentation ni terme, utilisé dans le reportage, qui puisse permettre d’entretenir des préjugés ou soulever la haine et le mépris envers les personnes concernées par la consommation de drogues et en situation d’exclusion sociale.
En ce qui à trait au sensationnalisme évoqué par le plaignant, en regard du traitement de l’information et de la mention abusive du nom de la dame évincée, le guide déontologique du Conseil stipule que les médias et les professionnels de l’information doivent traiter l’information sans déformer la réalité. Le recours au sensationnalisme et à l’«information-spectacle» risque de donner lieu à une exagération et une interprétation abusive des faits et d’induire le public en erreur quant à la valeur et à la portée réelle des informations qui lui sont transmises.
Il appert au Conseil que, pour bien expliquer la situation, la journaliste se devait de faire ressortir certains faits liés à la consommation de drogue de la dame. Ces faits furent également évoqués par le représentant de l’OMH. De plus, l’éviction était d’intérêt public. À cet effet, le média était justifié de rapporter la situation. Après écoute du reportage mis en cause, le Conseil constate que le nom de la dame fut utilisé afin de l’identifier, mais qu’il ne fut pas répété de façon abusive et que l’information fut présentée de façon adéquate, respectant le sens des propos des personnes interrogées. Le grief concernant la pondération de l’information n’a donc pas été retenu.
En dernier grief, M. Malchelosse alléguait que la diffusion du reportage du 30 janvier 2006 avait nui au respect de la réputation et de la vie privée de la dame évincée.
Le rôle du Conseil n’est pas de déterminer le degré d’atteinte à la réputation des plaignants, cela relève des tribunaux. Le Conseil a étudié cet aspect sous l’angle de l’éthique journalistique.
Sur cet aspect, puisque les faits rapportés étaient d’intérêt public et qu’aucune entorse à l’éthique journalistique n’a été retenue contre la journaliste ou les responsables du média, le Conseil rejette ce grief.
Au terme de ce qui précède, le Conseil rejette la plainte de M.Philippe Malchelosse, contre la journaliste Mme Maude Montembeault et la chaîne de télévision TVA-CHEM – Trois-Rivières.
Analyse de la décision
- C11B Information inexacte
- C11G Rapporter des propos/témoignages erronés
- C12A Manque d’équilibre
- C12B Information incomplète
- C13A Partialité
- C13B Manipulation de l’information
- C14A Sensationnalisme/exagération/insistance indue
- C16B Divulgation de l’identité/photo
- C16C Publication de l’adresse/téléphone
- C16D Publication d’informations privées
- C17F Rapprochement tendancieux
- C17G Atteinte à l’image
- C18B Généralisation/insistance indue
- C18C Préjugés/stéréotypes
- C18D Discrimination