Plaignant
M. Serge Blondin, éditeur et l’hebdomadaire Le Point d’Impact
Mis en cause
M. Pierre Limoges, président-éditeur et journaliste et le bimensuel Le Bruchésien
Résumé de la plainte
M. Serge Blondin, éditeur de l’hebdomadaire Le Point d’Impact de Ste-Anne-des-Plaines, porte plainte à l’encontre du journaliste et président-éditeur M. Pierre Limoges et du bimensuel LeBruchésien, pour avoir publié un article intitulé « Après le scandale des commandites au fédéral… c’est le scandale des avis publics à Ste-Anne-des-Plaines » dans l’édition du 24février 2006. Par ses erreurs, ses insinuations et son manque de rigueur, cette publication aurait porté atteinte à la réputation et à l’intégrité du plaignant et du journal qu’il représente.
Griefs du plaignant
M. Serge Blondin, éditeur du journal Le Point d’Impact, porte plainte contre le président-éditeur et journaliste du bimensuel Le Bruchésien, concernant un article intitulé « Après le scandale des commandites au fédéral… c’est le scandale des avis publics à Ste-Anne-des-Plaines », paru dans l’édition du 24 février 2006 et annoncé à la une du journal. Le plaignant allègue que, malgré plusieurs condamnations auprès du Conseil de presse et des tribunaux civils, M. Limoges continue à « déformer l’information et la vérité », dans le but de salir sa réputation et celle du journal Le Point d’Impact.
M. Blondin déplore également que le mis-en-cause induise les lecteurs en erreur par « des informations fausses, des insinuations et un mépris de la vérité ». S’appuyant sur le code de déontologie de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec ( FPJQ), M. Blondin indique que l’article du 24 février 2006 contrevient à plusieurs normes éthiques, dont celles en regard de l’exactitude de l’information, de la correction des erreurs et de la distinction des genres journalistiques. Se basant sur le titre de l’article mis en cause, le plaignant s’interroge à savoir où est le scandale des avis publics de Ste-Anne-des-Plaines, que M. Limoges a comparé au scandale des commandites du fédéral, puisque le journal Le Point d’Impact n’a jamais été accusé de quoi que ce soit. L’éditeur de l’hebdomadaire Le Point d’Impact conteste également l’introduction à l’article du 24février 2006, qui serait erronée et comporterait des allusions et des insinuations non fondées.
M. Limoges y parle d’abus et de « manigances » liés au « coût excessif des avis publics », mais ne précise pas quels sont ces abus et ces « manigances » et comment ils auraient été commis. Le plaignant indique que l’hebdomadaire qu’il représente compte dix-huit années d’expérience et est un fournisseur de services fiables pour la communauté, qui établit des tarifs compétitifs, en dessous des prix établis par les autres hebdos régionaux. Rappelant les faits liés à l’attribution des avis publics, le plaignant mentionne que, pour l’année d’attribution 2005, le conseil municipal en place avait procédé à un appel d’offres. Le plaignant indique que Le Point d’Impact, qui a obtenu l’attribution pour l’année 2005, avait présenté l’offre la plus avantageuse. Il fournit une copie de la résolution du conseil municipal et de l’adjudication des soumissions pour la publication des avis publics de 2005. Pour l’année 2006, M. Blondin indique que, suivant l’appel d’offres du nouveau conseil municipal, la soumission du journal Le Point d’Impact, pour la publication des avis publics, était de 50 % inférieure à celle de l’autre soumissionnaire appelé, soit Le Bruchésien. Il ajoute que le conseil municipal «n’a pas donné suite à l’attribution des avis publics pour l’année 2006», comme la proposition de M. Limoges était plus élevée.
Affirmant que ce dernier est l’un des membres fondateurs de l’équipe politique qui a remporté les élections de novembre 2005, le plaignant soutient que, depuis janvier 2006, les avis publics sont envoyés systématiquement au bimensuel Le Bruchésien pour y être publiés, puisqu’il n’est pas obligatoire pour une ville d’aller au plus bas soumissionnaire pour l’octroi d’un contrat de moins de 25 000 $. Le plaignant déplore également les propos que M. Limoges tient au sujet du conseiller M. Denys Gagnon, à l’intérieur de l’article mis en cause, qui seraient mensongers et inexacts. En outre, M. Blondin soutient que le mis-en-cause a tenté de salir la réputation du journal qu’il représente, en choisissant de divulguer les chiffres de la soumission de cet hebdomadaire, mais en omettant de mentionner qu’il y avait cinq autres soumissionnaires, dont l’un présentait une offre plus élevée de près de 1 500 $. Cette façon de présenter l’information induirait le public en erreur. Le plaignant déplore également que le journaliste et président-éditeur n’ait pas mentionné que l’an dernier Le Point d’Impact avait été le moins élevé des cinq soumissionnaires.
M. Blondin conteste de plus la remarque finale de l’article, qu’il juge haineuse. Le journaliste y stipule que l’éditeur du Point d’Impact avait soumissionné d’une façon ridicule pour les avis publics et d’une façon « extravagante pour l’impression des publications municipales », ajoutant: « Naturellement, quand on est l’intermédiaire, il faut prendre son profit! ». Le plaignant signale que le mis-en-cause ne connaît pas les ententes commerciales et les relations entre Le Point d’Impact et différents imprimeurs. Il dénonce également la référence à l’effet que le journal serait l’intermédiaire, puisque c’est Le Point d’Impact qui a soumissionné et qui est responsable de fournir le travail. En dernier lieu, le plaignant dénonce la façon dont les propos, qu’il a tenus lors de l’assemblée publique du conseil municipal, sont rapportés dans l’article. Il explique qu’il n’a pas dit que Le Point d’Impact était l’hebdomadaire avec les tarifs les moins chers, mais plutôt l’un des moins onéreux en rapport au tirage, et non versus 50 000 copies tel que mentionné dans l’article.
M. Blondin précise que cette argumentation était basée sur l’analyse annuelle du magazine Infopresse, qui fait une comparaison des hebdomadaires québécois et de leurs tarifs. Il fournit une copie de cette analyse avec sa plainte. L’éditeur du Point d’Impact ajoute enfin que les conclusions de l’article mis en cause ne confirment pas les faits et relèvent davantage d’inimitiés personnelles, que du souci de livrer au public une information juste et adéquate.
Commentaires du mis en cause
M. Pierre Limoges relate d’abord les faits entourant la rédaction de l’article mis en cause. Il expose que, lors d’une assemblée municipale publique, le conseiller municipal M. Mario Gauthier a posé une question afin d’obtenir des explications sur la baisse drastique du coût de publicité du Point d’Impact dans sa dernière soumission.
M. Blondin aurait alors répondu qu’on ne pouvait comparer un hebdomadaire et un bimensuel. Le mis-en-cause explique qu’à sa connaissance Le Point d’Impact était et demeure un hebdomadaire.
Il se demande donc pourquoi une variation aussi radicale des prix a eu court lors de la dernière soumission. Le président-éditeur affirme que, par la suite, le plaignant a comparé le journal Le Bruchésien à des « vidanges », avant d’être rappelé à l’ordre par la mairesse Mme Catherine Collin. Le mis-en-cause ajoute que Le Bruchésien n’a jamais « biaisé » le coût de la publication d’avis publics ou de publicité municipale et qu’il a toujours maintenu les mêmes tarifs, peu importe le conseil municipal en poste. Il soutient que ce coût était inférieur de 50 % à celui du Pointd’Impact.
Toutefois, malgré cette offre beaucoup plus avantageuse, les élus en place à l’époque, qui étaient majoritairement des amis de M. Blondin, octroyaient le contrat à l’hebdomadaire, malgré une résolution stipulant que le contrat serait accordé au plus bas soumissionnaire, ce que M. Limoges qualifie de commandite.
Réplique du plaignant
De l’avis du plaignant, les commentaires du mis-en-cause confirment un élément présenté dans la plainte. M. Blondin rappelle que, dans sa lettre, le président-éditeur du Bruchésien s’interroge au sujet de la baisse radicale des prix du journal Le Point d’Impact pour la soumission de 2006, ce qui indiquerait que l’hebdomadaire présentait l’offre la moins élevée.
Analyse
Les organes de presse et les journalistes ont le devoir de livrer au public une information complète, rigoureuse et conforme aux faits et aux événements. La rigueur intellectuelle et professionnelle dont doivent faire preuve les médias et les journalistes est synonyme d’exactitude, de précision, d’intégrité, de respect des personnes et des groupes, des faits et des événements.
La situation à l’origine de la rédaction de l’article relève de la concurrence entre deux journaux régionaux. Malgré les désaccords qui opposent le plaignant et le mis-en-cause, cet article était soumis aux mêmes normes de rigueur que tout matériel journalistique.
Rappelons que le rôle du Conseil n’est pas de déterminer le degré d’atteinte à la réputation d’un plaignant ou d’un groupe, cela relève des tribunaux. Le Conseil a étudié cette plainte sous l’angle de l’éthique professionnelle.
Le plaignant, M. Serge Blondin, dénonçait premièrement plusieurs inexactitudes dans l’article. L’analyse de l’article contesté a permis au Conseil d’identifier des manquements en regard de l’exactitude de l’information, pour avoir négligé certains faits, avoir déformé des événements et avoir utilisé certaines expressions impropres.
Les documents officiels présentés par le plaignant démontrent que des termes ont été utilisés de façon impropre et abusive et que l’information véhiculée dans l’article était en plusieurs points inexacte. Pour ces raisons, le premier grief est retenu. M. Blondin contestait également le choix du titre de l’article.
À cet égard, la déontologie du Conseil de presse précise que les titres doivent respecter le sens, l’esprit et le contenu des textes auxquels ils renvoient. Les responsables doivent éviter le sensationnalisme et veiller à ce que les titres ne servent pas de véhicules aux préjugés et aux partis pris. Après examen, le Conseil constate que l’utilisation du terme « scandale » y était abusive, compte tenu qu’aucune accusation ne fut déposée, ni aucune enquête entamée et qu’aucun élément factuel concret n’a été apporté contre Le Point d’Impact. De plus, en raison de l’ampleur et de la complexité du scandale des commandites au fédéral, y comparer cette affaire s’avère excessif. Ce second grief est donc retenu.
Un autre reproche formulé contre le Bruchésien est celui d’avoir abusé de la discrétion rédactionnelle, en omettant délibérément certains faits et en sélectionnant l’information pour appuyer un point de vue.
La déontologie du Conseil indique que les médias et les professionnels de l’information doivent traiter l’information recueillie sans déformer la réalité. Bien que la liberté journalistique reconnaisse aux médias la latitude de choisir les sujets et leur angle de traitement, ces choix doivent être fait avec impartialité, dans un souci d’équité et de justice. Or, le Conseil a relevé plusieurs éléments, présentés dans le texte, qui furent sélectionnés pour appuyer l’idée avancée par le journaliste. Ce dernier néglige toutefois certaines informations élémentaires. Le grief concernant la sélection des faits rapportés a donc été retenu.
En ce qui à trait à la rigueur de l’information, le Conseil rappelle que les journalistes doivent veiller à éviter les insinuations, surtout celles qui risquent de porter préjudice à une personne, ce dont le mis-en-cause avait été avisé lors de dossiers précédents (D2005-05-090 et D2005-06-1022).
L’examen de l’article permet toutefois de déceler plusieurs insinuations ou informations non établies, au sujet du plaignant, de l’ancien conseil municipal et du journal Le Point d’Impact. Conséquemment, ce quatrième grief est retenu.
Le plaignant alléguait également que le bimensuel ne départageait pas les textes d’opinions personnelles de ceux d’information. Les médias et les journalistes doivent respecter les distinctions qui s’imposent entre les genres journalistiques. Ceux-ci doivent être facilement identifiables afin que le public ne soit pas induit en erreur sur la nature de l’information qu’il croit recevoir. L’article n’est pas identifié comme étant un texte d’opinion, mais présente certains faits mis en parallèle avec des opinions et des analyses de l’auteur. Le Conseil note que le mis-en-cause avait été mis en garde sur cet aspect dans un dossier précédent et remarque que M. Limoges a de nouveau exprimé son opinion au sein d’un article, dont il est difficile de déterminer le genre journalistique.
Le plaignant accuse enfin le mis-en-cause de s’être laissé guider par des inimitiés ou des intérêts personnels plutôt que par le souci d’informer adéquatement la population de Ste-Anne-des-Plaines, lors de la rédaction de cet article. La déontologie du Conseil de presse stipule que les journalistes doivent éviter les conflits d’intérêts ou toute apparence de conflits d’intérêts.
En raison des fonctions de président-éditeur et de journaliste du mis-en-cause, des intérêts financiers de son journal et de la concurrence avec le journal Le Point d’Impact, attendu également de certains rapprochements tendancieux, d’insinuations et de certaines opinions exprimées par M. Limoges à l’intérieur de l’article, le Conseil considère que le mis-en-cause était, du point de vue de l’éthique journalistique, en apparence de conflit d’intérêts lors de la rédaction de cet article. Le Conseil rappelle également que le mis-en-cause occupe des fonctions incompatibles au sein du journal Le Bruchésien, dont il est aussi propriétaire, président, éditeur, journaliste et directeur des ventes pour la publicité. Bien que sensible au fait que les affectations sont difficiles pour les médias pourvus de petites équipes, il est impérieux de préserver la confiance des organes de presse et des journalistes, tout autant que l’information qu’ils transmettent au public.
À cet effet, la déontologie du Conseil prévoit que lorsqu’une seule et même personne dirige et exécute à la fois l’ensemble des tâches de production d’un journal comportant de l’information et de la publicité, elle assume deux fonctions incompatibles.
Le Conseil note que la rivalité entre les parties est à l’origine du dossier soumis à son instance et constate que cette situation est liée au fait que M. Limoges agissait en tant que juge et parti dans son propre journal, lors de la rédaction de l’article.
En regard de ce qui précède, compte tenu de la portée des fautes observées par le Conseil et de leur caractère récurrent, attendu également du nombre de blâmes exprimés à l’endroit des mis-en-cause, considérant surtout le manque visible d’efforts pour répondre aux normes journalistiques du Conseil de presse, ce dernier porte un blâme sévère à l’endroit du président-éditeur M. Pierre Limoges et du bimensuel Le Bruchésien.
Analyse de la décision
- C03C Sélection des faits rapportés
- C11A Erreur
- C11B Information inexacte
- C11C Déformation des faits
- C11D Propos/texte mal cités/attribués
- C11F Titre/présentation de l’information
- C11H Terme/expression impropre
- C15C Information non établie
- C15H Insinuations
- C17D Discréditer/ridiculiser
- C17E Attaques personnelles
- C17G Atteinte à l’image
- C20A Identification/confusion des genres
- C22C Intérêts financiers
- C22G Appartenance du journaliste
- C22H Détourner la presse de ses fins
Date de l’appel
15 May 2007
Appelant
M. Pierre Limoges, président-éditeur et journaliste et le bimensuel Le Bruchésien
Décision en appel
La commission d’appel du Conseil de presse du Québec a étudié l’appel que vous avez interjeté relativement à la décision rendue par le comité des plaintes et de l’éthique de l’information dans le dossier cité en titre.
Après examen, les membres de la commission ont conclu à l’unanimité de maintenir la décision rendue en première instance.
Par conséquent, conformément aux règles de procédure, nous rejetons votre appel et fermons le dossier cité en titre.