Plaignant
Francine Jinchereau
Mis en cause
René Cochaux et
Michel Jean, journalistes, et RDI-SRC
(Martin Cloutier, directeur exécutif)
Résumé de la plainte
Dans un reportage présenté le 5 mars 2002 au bulletin de
nouvelles de 13 h 00 sur RDI, les
journalistes René Cochaux et Michel Jean diffusent et présentent des images et
des renseignements privés se rapportant à l’arrestation d’un suspect. Le
reportage porte sur la situation d’une dame qui a hébergé contre son gré un
criminel.
Griefs du plaignant
La plaignante
déplore et réprouve le genre d’information qui consiste à divulguer l’identité
de gens qui ont contribué au bien-être de la société.
Elle reproche aux journalistes d’avoir identifié une dame, et le
nom du père de cette dernière, ainsi quela façade de la maison, le nom et
le numéro de la rue où la police s’est rendue pour appréhender un suspect. Que
les journalistes aient identifié cette femme qui a permis l’arrestation du
suspect constitue « non seulement une atteinte à sa vie privée mais la
possibilité d’une atteinte à sa vie tout court ». La plaignante se demande en
quoi ces informations étaient «d’intérêt public? ». Comment peut-on
préserver l’intégrité de ces personnes, si les journalistes placent cette femme
et son père en situation de vulnérabilité. Il y a eu un manque de respect qui
consistait en «une discrétion totale quant à son identité. Ce que
RDI n’a pas fait ». Il y avait une
«responsabilité morale en cause, responsabilités des médias et des
journalistes ».
Commentaires du mis en cause
Après s’être entretenu
avec MM. René Cochaux et Michel Jean, M. Cloutier rapporte que René Cochaux
s’est rendu à l’endroit du crime et a rencontré les autorités policières qui
lui ont confirmé le déroulement détaillé des incidents de la nuit, et l’adresse
de l’appartement où a eu lieu la séquestration. Pendant toute la matinée, le
journaliste n’était pas seul sur place. Il était en présence de journalistes et
de techniciens d’autres entreprises de télévision et de radio. « À aucun moment,
pendant la rencontre avec les policiers, a-t-il été question d’une demande
d’anonymat de la part de la dame ou d’un porte-parole de cette dernière ».
Le mis-en-cause souligne qu’il ne s’agissait pas d’une
petite affaire. Que Stéphane Boucher faisait l’objet d’une intense chasse à
l’homme de la part des policiers du Canada et des États-Unis. Les médias
suivaient cette affaire quotidiennement. L’arrestation de Stéphane Boucher «
s’est faite heureusement sans incident, et le rôle joué par madame Lefèvre a été
déterminant, voire invraisemblable » et « visiblement, elle s’est trouvée dans
une situation difficile, et elle a pris des risques particuliers ».
Étant donné que c’est la fille de madame
Lefèvre qui avait exigé de sa mère qu’elle recueille Stéphane Boucher, M.
Cloutier ne voit pas comment le nom de la fille aurait pu être gardé secret
très longtemps et que l’arrestation de la fille et les accusations subséquentes
donnaient lieu automatiquement à la divulgation du nom de cette dernière, et
donc à la divulgation de l’identité de la mère. Pour le mis-en-cause, seule une
ordonnance exceptionnelle de non-publication de la part d’un tribunal aurait
sauvegardé l’anonymat des deux femmes. Et dans ces circonstances, le
mis-en-cause ne voit pas comment l’anonymat de cette dame aurait pu être
préservé. Cependant, il comprend la réaction de la plaignante et souligne
qu’ils ont tous éprouvé beaucoup de sympathie pour madame Lefèvre et que son
intervention s’est heureusement bien terminée ».
Réplique du plaignant
Pour Mme Jinchereau, ses commentaires ne semblent pas avoir
suscité une réflexion de la part de M. Cloutier. Pour la plaignante, écrire au
Conseil de presse était un moyen de protester devant ce qu’elle continue de
considérer comme « étant un geste légal mais immoral », soit celui de donner en
ondes le nom d’une femme, ainsi que son adresse civique complète, le nom de son
père et l’âge de ce dernier. Tout cela accompagné d’une « téléphoto » de la
maison, alors que cette femme venait de livrer un homme armé, soupçonné du
meurtre d’un policier. Elle reconnaît que la police a fait une erreur, mais ce
n’est pas parce que cette dernière fait une erreur que les médias doivent
nécessairement en profiter. Qu’il y ait eu plusieurs autres réseaux de
télévision sur les lieux ne change en rien son opinion « quant à cette façon de
faire la nouvelle à la Société
Radio-Canada». Pour la plaignante, dans ces cas, il faut doubler de
vigilance afin de livrer une information pertinente.
À propos de l’argument avancé par M. Cloutier à l’effet que «
d’autres l’ont fait, nous l’avons fait », la plaignante souligne que « si c’est
là l’argument et le raisonnement professionnels susceptibles de calmer des
esprits… ça ne calme pas le mien. Ça l’active ».
Mme Jinchereau tient par ailleurs à mentionner « qu’à
l’écoute du bulletin de 18 h 00 ce soir-là, ça l’a apaisée de constater un
changement dans la nouvelle ». Il n’y était plus fait mention du nom des
personnes, ni de l’âge, ni de l’adresse civique.
Analyse
Tout en assurant le droit à l’information, les médias et les professionnels de l’information doivent respecter les droits de la personne dont le droit à la vie privée, à l’intimité, à la dignité et à la réputation. Ils doivent se soucier d’informer réellement le public, plutôt que de recourir au sensationnalisme.
La plainte formulée vise un manquement en regard du respect de la vie privée. La plaignante déplore et réprouve que la couverture faite par RDI, lors de l’arrestation d’un suspect, ait donné lieu à la publicisation de moult détails de gens qui ont contribué au bien-être de la société, en mettant ainsi leur vie en danger.
Après examen, le Conseil de presse est d’avis que le reportage en cause était d’intérêt public. Mais, en revanche, plutôt que de mettre l’accent sur les aspects sensationnels de l’événement, le réseau RDI aurait dû manifester, à l’endroit de la victime et de ses proches, tout le respect qui leur est dû en évitant de mentionner des informations somme toute accessoires à la compréhension de l’histoire. Ces détails, destinés à alimenter la curiosité publique, peuvent être préjudiciables à la victime ou à ses proches et les exposer à des tracas ou des peines inutiles. Le Conseil tient à rappeler que les médias doivent prendre les plus grandes précautions pour éviter d’exploiter le malheur d’autrui. Les impératifs du travail en direct devraient inciter les médias à une vigilance accrue à cet égard.
Le Conseil a toutefois noté avec satisfaction que le reportage incriminé a été modifié dans le bulletin de nouvelles de RDI du soir même; on n’y mentionnait plus le nom des personnes impliquées, ni leur âge, ni leur adresse civique. Bien qu’un changement ait alors été effectué dans la nouvelle, il n’en demeure pas moins que les détails donnés lors de la première diffusion du reportage ont pu porter préjudice aux personnes impliquées dans ce drame.
Pour ces raisons, le Conseil de presse retient la plainte contre le Réseau de l’Information de la SRC.
Analyse de la décision
- C16B Divulgation de l’identité/photo
- C16C Publication de l’adresse/téléphone
- C16G Manque d’égards envers les victimes/proches