Plaignant
Michel
Chayer
Mis en cause
Diane
Lapointe, journaliste, et Le Courrier du
Sud (Ginette Claude Perron, rédactrice en chef)
Résumé de la plainte
Michel Chayer porte plainte contre la journaliste
Diane Lapointe pour la parution d’un article à la une du journal
Le Courrier du Sud le 17 février 2002
intitulé «Chez Lise… allège le
système de santé de bien des cas lourds».
Le plaignant estime que la journaliste ne fait
pas preuve d’objectivité dans son article, elle aurait un point de vue partial,
ce qui pourrait démontrer, selon lui, la présence d’un conflit d’intérêts.
La plainte de
M. Chayer est appuyée par le Collectif de défense des droits de la Montérégie.
Griefs du plaignant
La Maison Chez Lise est une entreprise
d’hébergement de pensionnaires souvent aux prises avec des problèmes de santé
mentale. Madame Lise Bissonnette en est la propriétaire et gestionnaire.
Le plaignant estime que l’article est
complaisant envers l’hébergement de Lise Bissonnette, bernant ainsi le lectorat
du journal. Il considère que certains termes employés par la journaliste
(«Mère Thérésa», «cette femme au cœur d’or») ne
seraient pas appropriéspour décrire la propriétaire et mèneraient à
croire que son activité est caritative alors qu’il s’agit selon lui d’une
entreprise à but lucratif.
Il explique ainsi que le journal serait le
seul à juger l’entreprise de manière positive. Les divers reportages des autres
médias, ainsi que le Collectif de défense des droits de la Montérégie (CDDM),
la Régie régionale de la Santé et des services sociaux (la RRSSS Montérégie) et
tous ses divers partenaires, seraient loin de partager le point de vue de la
journaliste et de son journal. Il explique cette complaisance par le fait que
l’entreprise serait un annonceur régulier de l’hebdomadaire depuis de
nombreuses années et qu’il y aurait donc apparence de conflit d’intérêts. Il affirme
également que la journaliste a refusé de se prévaloir de la Loi d’accès aux
documents publics afin de consulter des pièces de dossiers qui seraient
pertinentes.
Le plaignant souligne ensuite des erreurs que
la journaliste aurait commises allant dans le sens de la complaisance.
Tout d’abord, le sous-titre annonce que
«La Régie régionale de la santé et des services sociaux interdit aux
hôpitaux d’y référer des personnes». Le plaignant estime que c’est faux.
Il n’y aurait pas eu interdiction. Les responsables des différents hôpitaux
auraient pris part à la décision de ne plus référer des personnes à la Maison
Chez Lise par une concertation avec la Régie régionale.
Ensuite, la journaliste indique dans son
article que le «Collectif de droit en psychiatrie a porté une plainte
contre la Maison Chez Lise». Elle souligne qu’après une enquête de la
Commission des droits de la personne, la plainte aurait été jugée non fondée.
Le plaignant conteste cette affirmation. La Commission aurait simplement fermé
le dossier car de nombreux organismes, intervenant auprès des personnes logées
chez Lise Bissonnette, auraient mis en place des mesures que la Commission
jugeait adéquates pour protéger les pensionnaires.
La plainte est accompagnée de:
4 pages du journal où figurent des
publicités de Maison Chez Lise.
–
4 pages provenant de l’Inspecteur
général des institutions financières au sujet de la forme juridique de la
Maison Chez Lise.
–
Un rapport de la Régie régionale de la
santé et des services sociaux de Montérégie sur la Maison Chez Lise (17 pages).
–
La conclusion de l’enquête qu’a menée
la Commission des droits de la personne au sujet de la plainte du Collectif de
défense des droits de la Montérégie envers la Maison Chez Lise.
Divers documents de la Régie régionale de
la santé et des services sociaux au sujet de l’établissement.
Commentaires du mis en cause
Commentaires de Diane Lapointe, journaliste
à l’hebdomadaire Le Courrier du Sud:
La journaliste amorce ses commentaires par
l’explication de l’orientation de son article en faveur des hébergements de
madame Lise Bissonnette.
Elle explique qu’il est exact que l’article
fut rédigé à la suite d’une réunion d’orientation à la rédaction du journal. Le
rédacteur en chef de l’époque aurait suggéré un tel sujet aux journalistes en
s’appuyant sur les commentaires de plusieurs bénéficiaires, des responsables
d’institutions hospitalières et des policiers de Longueuil qui auraient estimé
que «Les Maisons» de madame Lise Bissonnette remplissaient un rôle
important dans la communauté. Ils auraient décidé de traiter le sujet, au plan
journalistique, avec un angle «humain» qui selon eux, en
considération des circonstances, primerait sur les éléments bureaucratiques et
technocratiques du dossier.
La journaliste ajoute ensuite qu’aucune
autre ressource dans le milieu ne pourrait pallier aux besoins des déficients
mentaux car le seul autre recours serait hospitalier.
Enfin, elle termine en soulignant que le
journal aurait offert à monsieur Chayer de profiter de ses pages de
«tribune libre» pour commenter l’article ou pour rectifier des
faits, mais qu’il aurait refusé.
Commentaires de Ginette Claude Perron,
rédactrice en chef du journal Le Courrier du Sud:
La rédactrice en chef du journal indique qu’elle n’était pas en
poste au moment où l’article a été produit et publié et qu’elle peut
difficilement commenter les décisions de l’ancien rédacteur en chef. Cependant,
elle soutient le contenu de la réponse de la mise-en-cause.
Réplique du plaignant
Le plaignant insère une nouvelle pièce au
dossier de la plainte. Il s’agit du rapport du 6 mai 1997 de l’enquêteur de la
Commission des droits de la personne, madame Jeanne Mayo. Ce document
réfuterait les écrits de la journaliste voulant que la Commission des droits de
la personne aurait jugé la plainte du Collectif de défense des droits de la
Montérégie (organisme qu’elle nomme Collectif de droit en psychiatrie) non
fondée.
Il réitère les griefs soumis
auparavant: l’article serait tendancieux, manquerait d’objectivité et
aurait dû être coiffé de la mention publireportage.
Il confirme les propos de la journaliste en
ce qui a trait à la tribune libre. Il n’a effectivement pas accepté l’offre car
«la tribune libre du Courrier du
Sud ne lui dit rien qui vaille».
Le Collectif de défense des droits de la
Montérégie appuie la plainte de M. Chayer. L’organisme considère que l’article
est incomplet: il ne présenterait pas les nombreuses péripéties du
dossier de Mme Bissonnette ces dernières années,aboutissant à une demande
aux hôpitaux de la Rive-sud de ne plus référer de personnes dans cette maison
d’hébergement.
Analyse
Le Conseil rappelle que la nouvelle est destinée à informer le public, c’est-à-dire à lui rappeler et à lui expliquer les faits en les situant dans leur contexte pour lui permettre de se faire en toute connaissance de cause, une opinion sur les événements et l’actualité.
L’article mis en cause est du genre journalistique de la nouvelle. La journaliste traite dans celui-ci de la Maison Chez Lise de manière très positive. Elle considère la gérante comme une femme au cœur d’or que certains qualifieraient de «Mère Thérésa». Elle conclut d’ailleurs dans son article que la Maison est une ressource essentielle en hébergement dont se prive la Régie.
La journaliste ne fait pas mention de toutes les discussions, réunions, plaintes (notamment de la Commission des droits de la personne) et revendications de différents organismes à l’encontre des hébergements de Lise Bissonnette. La Régie régionale de la santé et des services sociaux de la Montérégie considère pourtant ces hébergements comme un «problème récurrent» non solutionné depuis dix ans.
Le Conseil estime que ce texte fait preuve d’un manque évident de mise en contexte, ce qui ne permet pas au lecteur de se forger son propre point de vue sur le sujet. Il démontre, en outre, une complaisance certaine en faveur de la propriétaire, faisant preuve de partialité à cet égard.
Le Conseil retient donc le grief du plaignant tout en mentionnant qu’il est regrettable que ce dernier ait refusé la proposition du journal de donner son opinion sur la question dans sa « tribune libre».
Le Conseil rappelle également que les médias et les journalistes doivent livrer au public une information complète et conforme aux faits et aux événements. À cet égard, le plaignant a relevé deux phrases de l’article qui seraient erronées.
Dans la première, la journaliste indiquait que la plainte du Collectif de droit en psychiatrie avait été jugée non fondée par la Commission des droits de la personne. Cependant, selon le texte de la décision de la Commission fournie par le plaignant, cette dernière déclarait «cesser d’agir », dans le dossier en cause car des organismes étaient intervenus pour mettre en place «des mesures qu’(elle) juge adéquates».
La plainte du Collectif de défense des droits n’a donc pas été jugée «non fondée» par la Commission, comme le déclare la journaliste dans son article. Au contraire, la plainte était fondée mais la mise en place de mesures par d’autres organismes a permis à la Commission de se retirer du dossier. La journaliste a donc bien fait une erreur qui va dans le sens de la complaisance envers les maisons d’hébergements de Mme Bissonnette.
La seconde erreur alléguée concerne l’affirmation selon laquelle la Régie régionale de la santé et des services sociaux aurait demandé aux hôpitaux de ne plus y référer de personnes. Le Conseil estime qu’il n’y pas eu d’erreur de la journaliste à ce sujet. L’analyse du Conseil a permis d’établir que la Régie a bien envoyé une lettre à de nombreux établissements demandant de ne plus référer de clientèle à la Maison Chez Lise.
Enfin, en ce qui est du grief du conflit d’intérêts, le Conseil considère que cette allégation n’est aucunement démontrée.
Sur la base des explications précédentes, le Conseil retient la plainte contre la journaliste et le journal Le Courrier du Sud en regard de la partialité, de l’omission de certains faits importants et d’un manque d’équilibre dans le traitement de l’information.
Analyse de la décision
- C11A Erreur
- C12B Information incomplète
- C12D Manque de contexte
- C13A Partialité
- C22C Intérêts financiers
Date de l’appel
1 May 2002
Décision en appel
Après examen et délibération, les membres
de la Commission ont conclu à l’unanimité de maintenir la décision rendue en
première instance.
Griefs pour l’appel
M. Michel Chayer (plaignant) et Mme Lucie
Masse (mise-en-cause)