Plaignant
Association de
défense des droits sociaux du Montréal-Métropolitain – ADDS-MM , (M. Richard
Miron, coordonnateur)
Mis en cause
M. Patrick Mahony, journaliste, M. Richard
Desmarais, éditeur et le magazine Allô!
Résumé de la plainte
M. Richard Miron, au nom de l’Association
de défense des droits sociaux du Montréal-Métropolitain (ADDS-MM), porte
plainte contre le journaliste Patrick Mahony et le magazine
Allô! pour avoir publié «un
article fallacieux qui dépeint les personnes assistées sociales comme
fraudeuses ».
Griefs du plaignant
M. Miron accuse le journaliste d’avoir
utilisé l’émission de télévision «Les Bougon» «pour colporter
des faussetés sur les personnes assistées sociales » et d’avoir cité des
données partielles du Ministère de l’Emploi, de la Solidarité sociale et de la
Famille (MESSF) hors contexte, qui laisserait entendre que la grande majorité
des personnes assistées sociales seraient des fraudeuses. De plus, critique le
plaignant, il y est écrit en gros caractères et en jaune «Des anomalies
dans 67,2 % des dossiers! » sans que le journaliste mentionne qu’il s’agit de
dossiers enquêtés. Le journaliste écrit aussi qu’il y a eu 3 % des dossiers qui
ont été enquêtés et que ces «non-conformités » au dossier auraient coûté
78 millions aux contribuables. Le plaignant souligne que le journaliste termine
son article par cette phrase aberrante: « Le plus malheureux, c’est que
le nombre de dossiersnon conformes et les sommes dues au gouvernement doivent
être 30 fois le montant mis de l’avant par le gouvernement puisque seulement
trois pour cent des prestataires de la Sécurité du revenu sont enquêtés. »
Selon le plaignant, il est clair que le
journaliste tire comme conclusion, à partir d’un petit échantillon de personnes
enquêtées, que 67,2 % de toutes les personnes assistées sociales sont
fraudeuses. Il apparaît donc au plaignant qu’il s’agit d’une information non
pondérée, sensationnaliste, inexacte, non rigoureuse et fallacieuse et que le
journaliste a omis de dire que le ministère enquête des dossiers où il a une
chance de prouver des anomalies. Il ajoute que si le gouvernement enquêtait
davantage de dossiers, il est fort probable que les taux d’anomalies seraient
de beaucoup inférieurs au taux de 67,2 %. C’est donc dire, aux yeux du
plaignant, qu’il est complètement fallacieux de supposer que la majorité des
personnes assistées sociales soient des fraudeuses à partir d’un échantillon
qui ne concerne qu’une partie infime de la population bénéficiaire d’aide sociale.
De plus, le plaignant reproche au journaliste «de ne pas caractérisé la
gravité des anomalies ».
M. Miron conclut que l’information
colportée par M. Mahony constitue un manque de respect flagrant pour les
personnes assistées sociales et que c’est tout un groupe social qui est attaqué
par l’article.
Commentaires du mis en cause
Commentaires de Patrick Mahony,
journaliste:
Selon le journaliste, la plainte envoyée
par l’ADDS, semble être beaucoup plus motivée par la justification de
subventions que par une défense propre des droits des assistés sociaux. Il se
dit accusé d’avoir cité des données partielles hors contexte, alors qu’il a
posé deux questions: Y’a-t-il des gens sur l’Aide sociale qui fraude le
gouvernement, et si oui, pour combien?
Le journaliste souligne que les réponses
sont claires et sans équivoque et qu’il ne s’agit pas de données partielles,
mais de statistiques fournies par le Ministère de l’Emploi, de la Solidarité
sociale et de la Famille.
Selon M. Mahony, le plaignant l’accuse
d’avoir tiré des conclusions à partir d’un petit échantillon de personnes
enquêtées, par la phrase qui suit: «Le plus malheureux, c’est que
le nombre de dossiers non conformes et les sommes dues au gouvernement doivent
être 30 fois le montant mis de l’avant par le gouvernement puisque seulement
trois pour cent des prestataires de la Sécurité du revenu sont enquêtés. » Il
précise que statistiquement, un échantillonnage de 13 627 (3 %) sur environ 453
779 prestataires représente, selon les lois de la statistique, un échantillonnage
convenable. Il mentionne que les sondages d’opinion publique se font avec un
échantillonnage de 1 000 à 1 500 personnes pour donner une idée de la tangente
politique d’une province de sept millions d’habitants.
En ce qui concerne le manque de rigueur,
les propos fallacieux et inexacts, le mis-en-cause souligne que le plaignant
n’a pas de leçon à donner à personne, lorsqu’il mentionne «qu’il avait
oublié de dire que le ministère enquête des dossiers où il a une chance de
prouver des anomalies». Pourtant, précise le mis-en-cause, à la page 3,
il y est cité la porte-parole du MESSF, Ève Desmarais, qui indique que
«Les dossiers dont ils enquêtent viennent principalement de dénonciations
qui sont faites par des proches de la personne visée par l’enquête. »
Il est tout aussi faux, selon le
mis-en-cause, qu’il «ne caractérise même pas la gravité des anomalies »,
puisque encore à la page 3, Mme Desmarais mentionne que «Plus souvent
qu’autrement, la faute reprochée en est une de mauvaise foi comme on dit. Ce
n’est pas que les gens travaillent au noir, même si ce groupe représente cinq à
10 pour cent de nos enquêtes, mais plutôt des gens qui vivent ensemble et qui
ont omis de le déclarer à la Sécurité du revenu. »
Le mis-en-cause souligne qu’il est loin de
manquer de respect pour les assistés sociaux, mais il n’en reste pas moins que
peu importe la gravité des infractions relevées par le MESSF, les anomalies aux
dossiers des assistés coûtent 78 millions aux contribuables québécois. Il
ajoute que c’est presque aussi honteux qu’un scandale de commandite de 100
millions… sauf que dans le cas des assistés sociaux, c’est récurrent, bon an
mal an. Il ajoute que ce n’est pas lui qui le dit mais le gouvernement.
Il termine en ajoutant qu’il trouve cette
plainte farfelue et que le Conseil a tous les motifs de la rejeter.
Commentaires de Richard Desmarais,
éditeur:
M. Desmarais mentionne que le journaliste a
écrit son article à partir de faits et de statistiques existantes et qu’il a
aussi fait comme tout citoyen raisonnable pouvait le faire, une extrapolation
des chiffres officiels en indiquant bien que l’enquête gouvernementale ne
portait que sur une partie des bénéficiaires. D’après M. Desmarais, le
journaliste n’a rien à se reprocher.
Selon M. Desmarais, la série à succès
«Les Bougon» fait état de certains comportements de la part de
profiteurs du système et certains d’entre eux sont des bénéficiaires de l’aide
sociale, ajoute-il. Donc, où est le mal pour un journaliste d’en parler, de
constater et même de juger certains comportements condamnables? À moins que
ceux qui leur reprochent de le faire souhaitent tout simplement que le silence
serve à camoufler les abuseurs que le plaignant semble vouloir représenter et
défendre! Belle attitude sociale, si c’est le cas, souligne-t-il.
Loin d’eux l’idée de mettre tous les
bénéficiaires de l’aide sociale dans le
même panier, «ce que tout lecteur intelligent du magazine Allô!
pouvait comprendre », explique le
mis-en-cause. Mais en même temps, précise-t-il, ils ne sont pas obligés de se
comporter en aveugle silencieux comme le plaignant souhaiterait que le reste de
la société le fasse.
Selon M. Desmarais, le plaignant a le droit
de s’exprimer et ils sont prêts à l’écouter. Mais de là à reconnaître qu’il représente
tous les bénéficiaires de l’aide sociale et qu’ils auraient dû le contacter
avant «d’exercer leur profession », «c’est un peu prétentieux de la
part du plaignant ».
Le mis-en-cause, conclut en précisant que
le Conseil a tous les motifs pour rejeter cette plainte qu’il qualifie de
farfelue.
Réplique du plaignant
Le plaignant n’a soumis aucune réplique.
Analyse
En ce qui a trait à la nouvelle et au reportage, les médias et les professionnels de l’information doivent s’en tenir à rapporter les faits et à les situer dans leur contexte sans les commenter. Quel que soit l’angle de traitement retenu pour une nouvelle ou un reportage, les médias et les journalistes doivent transmettre une information qui reflète l’ensemble d’une situation et le faire avec honnêteté, exactitude et impartialité.
Au premier grief, le plaignant reproche au journaliste d’avoir donné une information non pondérée, sensationnaliste, inexacte, non rigoureuse et fallacieuse, par le biais de données partielles tirées des statistiques du Ministère de l’emploi, de la Solidarité sociale et de la Famille (MESSF) qui laisserait entendre que la majorité des personnes assistées sociales seraient des fraudeuses. Le journaliste rétorque qu’il a utilisé des statistiques provenant du MESSF et que ses propos ont été corroborés par une porte-parole de ce ministère.
Après analyse, le Conseil considère que l’ensemble des données comprises dans l’article en cause apparaissent conformes aux faits, à l’exception toutefois d’une extrapolation fallacieuse de l’auteur laissant entendre que les fraudes devraient être « 30 fois le montant mis de l’avant par le gouvernement puisque seulement 3% des prestataires de la Sécurité du revenu sont enquêtés ».
Au deuxième grief, le plaignant estime que le journaliste, par ses titres et photos et sa comparaison avec la télé-série «Les Bougon», démontre un manque total de respect envers les personnes assistées sociales. Le journaliste considère que le plaignant semble être beaucoup plus motivé par la justification de subventions que par une défense propre des droits des assistés sociaux.
De l’avis du Conseil, l’amplification de certains titres et l’ajout de photos de la télé-série «Les Bougon» tout au long de l’article accentuent les anomalies relevées et contribuent ainsi à renforcer les préjugés et stéréotypes envers les personnes assistées sociales. Le Conseil tient à préciser que les médias doivent faire preuve de circonspection afin de ne pas juxtaposer illustrations et événements qui n’ont pas de lien direct entre eux et qui risquent ainsi de créer de la confusion sur le véritable sens de l’information transmise pour ainsi éviter le sensationnalisme et veiller à ce que les manchettes, titres et photos ne servent pas de véhicules aux préjugés et aux partis pris.
Le troisième grief relevé concerne «l’appel à la dénonciation ». À la fin du reportage, dans un encadré, on peut y lire la phrase suivante: «Vous connaissez des Bougon? Dénoncez leurs magouilles! ». Le Conseil n’est pas sans s’étonner de cette invitation à la délation lancée aux lecteurs du magazine. Poursuit-on ici un objectif journalistique parfaitement légitime? Le Conseil émet quelque doute à ce sujet et invite la direction du magazine à la plus grande prudence, de manière à ne pas porter éventuellement atteinte à la réputation de personnes sur la base de dénonciations plus ou moins fondées et non vérifiables, et cela même si le magazine Allô! allègue ne pas avoir l’intention de «dénoncer ces gens aux autorités ».
Décision
Pour l’ensemble de ces raisons, le Conseil de presse retient la plainte contre le journaliste Patrick Mahony et le magazine Allô!.
Analyse de la décision
- C03A Angle de traitement
- C03C Sélection des faits rapportés
- C11B Information inexacte
- C11F Titre/présentation de l’information
- C14A Sensationnalisme/exagération/insistance indue
- C15A Manque de rigueur
- C15I Propos irresponsable
- C18C Préjugés/stéréotypes