Plaignant
Corporation métisse du Québec et de l’Est du Canada et Communauté métisse de l’Est du Canada (MM. Pierre Montour et Roland Oakes)
Mis en cause
Mme Helen Mokas, journaliste, M. Daniel Renaud, rédacteur en chef, M. Philippe Lapointe, vice-président, information et affaires publiques et le Groupe TVA
Résumé de la plainte
Des représentants de la Corporation métisse du Québec et de l’Est du Canada et de la Communauté métisse de l’Est du Canada se plaignent d’un reportage que «J.E. » a diffusé le 2 avril 2004 sur les ondes de TVA et qui porterait sur de fausses représentations reliées à l’adhésion à la Communauté. Selon les plaignants, le reportage serait tendancieux, ne respecterait pas la réalité et véhiculerait des préjugés envers les Métis.
Griefs du plaignant
Pierre Montour est directeur général de la Corporation métisse du Québec et de l’Est du Canada. Il dépose une plainte en son nom personnel, en celui de M. Roland Oakes et aussi au nom de la Corporation métisse du Québec et de l’Est du Canada et de la Communauté métisse de l’Est du Canada. Les plaignants reprochent à la journaliste Helen Mokas ainsi qu’au Groupe TVA: «[D’avoir] manqué à leur devoir de livrer au public une information complète rigoureuse et conforme aux faits et aux événements, sans déformer la réalité, ni avoir recours au sensationnalisme». Dans un même ordre d’idées, il reproche à la journaliste de «s’être laissé imposer un courant d’idée[s] donné, [d’]avoir rapporté avec un parti pris l’information et ne pas avoir accordé un traitement équilibré aux éléments et aux parties en opposition». Entre autres, les plaignants soutiennent que le seul angle privilégié par le texte publié sur le site Internet de «J.E. » est la vente de cartes d’adhésion à la Communauté métisse pour éviter de payer des taxes. Selon eux, la journaliste a volontairement choisi d’ignorer les faits que lui avaient transmis les plaignants, MM. Oakes et Montour, et a omis d’en informer les téléspectateurs. Elle aurait aussi omis de préciser dans le reportage qu’une des personnes qui s’est plainte de fausse représentation, M. Yvan Saint-Pierre, est caméraman à la pige pour TVA. Ils reprochent aussi à la journaliste de ne pas avoir dit dans le reportage que les droits des métis ne sont pas encore reconnus; «[De ne] pas avoir fait preuve d’une extrême vigilance pour éviter de devenir, même à leur insu, les complices de personnes, de groupes ou d’instances qui ont intérêt à les exploiter pour imposer leurs idées ou encore pour orienter et influencer l’information au service de leurs intérêts propres, au détriment d’une information complète et impartiale»; «[D’avoir] eu recours à des procédés clandestins injustifiables alors qu’il existait d’autres moyens d’obtenir les informations recherchées», «[d’avoir] violé le droit à la vie privée de M. Roland Oakes», «[d’avoir] enregistré clandestinement les communications privées de M. Oakes», «[d’avoir] violé son image et [d’avoir] envahi sa propriété privée». Selon les plaignants, M. Oakes aurait été filmé et enregistré de façon clandestine à son domicile privé. D’après les plaignants, l’utilisation de la caméra cachée ne doit être utilisée que dans les cas les plus graves et ils regrettent que cette méthode ait été utilisée malgré le fait que M. Oakes ait donné une entrevue aux studios de TVA pour répondre aux questions de Mme Mokas; «[D’avoir] porté atteinte au droit à la présomption d’innocence de MM. Oakes et Montour»; «[D’avoir] glissé dans le journalisme d’embuscade où l’objectif apparaît davantage de piéger MM. Oakes et Montour et leur organisme respectif mis en cause dans l’enquête plutôt que de servir l’intérêt public»; «[D’avoir] tu le nom du plaignant, M. Yvan Saint-Pierre, à MM. Montour et Oakes avant de le dévoiler durant le reportage, les privant ainsi de leur droit à une défense pleine et entière et la possibilité d’évaluer sa crédibilité au moment opportun et ce, contrairement à la règle audi alteram partem»; «[D’avoir] accordé l’anonymat sans justification à deux sources anonymes, l’une s’avérant finalement être M. Yvan Saint-Pierre, alors que les informations d’intérêt public importantes pouvaient être obtenues autrement»; «[D’avoir] cultivé ou encore entretenu des préjugés envers les membres du peuple métis du Québec et de l’Est du Canada, attisant ainsi la haine, les préjugés et les réactions racistes à leur égard».
Commentaires du mis en cause
M. Daniel Renaud, le rédacteur en chef rappelle que «[l]e reportage traitait des représentations faites lors de la vente d’une carte d’adhésion, pour environ une centaine de dollars, à toute personne affirmant avoir des origines autochtones. à partir de témoignages et d’une démonstration éloquente à la caméra cachée, on y apprenait que certaines représentations trompeuses étaient faites lors de la vente de ces cartes notamment en exemption immédiate de taxes lors de l’achat d’une automobile». Selon M. Renaud, le reportage a fait l’objet d’une recherche fouillée et d’une préparation minutieuse en s’appuyant sur des entrevues avec plusieurs personnes. Plusieurs autres démarches auraient aussi été faites dont un tournage en caméra cachée démontrant les représentations faites par M. Oakes, soit des démarches auprès du Bureau de l’interlocuteur fédéral pour les Métis et les Indiens non inscrits, auprès de la mairie de Rivière-Bleue et l’étude de diverses décisions judiciaires, de la Charte canadienne des droits et libertés, etc. Daniel Renaud souligne qu’une grande partie des griefs exprimés par les plaignants ne concerne pas les éléments traités dans le reportage. Ainsi, il demande au Conseil de presse de se pencher non pas sur l’ensemble de la problématique décrite par les plaignants, mais «sur la question de savoir si le reportage en cause, traitant d’une situation précise, respectait les pratiques journalistiques». Ainsi, au sujet de l’entrevue initiale qui a eu lieu avec M. Oakes, le mis-en-cause soutient qu’elle s’est déroulée après des refus répétés au téléphone. Il soutient aussi que le lieu où Mme Mokas s’est présentée est l’adresse que ce dernier aurait fournie à la journaliste, la même que sur la carte d’affaires du plaignant. M. Renaud précise qu’il n’y a eu ni captation ni diffusion d’images de tiers et que la journaliste a quitté les lieux aussitôt que cela lui a été demandé. M. Oakes s’est aussi rendu volontairement aux studios de TVA alors que Mme Mokas attendait plutôt M. Montour seul. Relativement à la caméra cachée, son utilisation serait légitime parce que les propos de M. Oakes en entrevue devant la caméra et en caméra cachée sont différents. Le plaignant aurait affirmé ne pas donner de cartes d’adhésion aux personnes qui ne fournissent pas de preuve sur leurs origines métisses, mais en aurait émis une à quelqu’un sans qu’il n’ait fourni de documents. M. Oakes aurait aussi affirmé en entrevue ne jamais laisser entendre qu’une carte d’adhésion permettait d’obtenir des exemptions de taxes immédiates, mais aurait affirmé devant la caméra cachée qu’une adhésion permettait d’avoir une exemption de taxes immédiate à l’achat d’une automobile. Les plaignants prétendent qu’une fausse carte a été montrée à la caméra. La carte aurait simplement été modifiée à l’infographie pour protéger l’identité de la personne qui a fait la démarche en caméra cachée. Les plaignants reprochent à Mme Mokas de ne pas avoir lu certaines décisions de la Cour suprême pour la préparation de son reportage. Le rédacteur en chef soutient qu’elle a bien lu ces décisions, mais a décidé de privilégier un autre angle. Par ailleurs, le témoignage de M. Yvan St-Pierre ne serait pas biaisé, contrairement à ce que prétendent les plaignants. M. St-Pierre a grandi à Rivière-Bleue et rien ne permet de douter de sa crédibilité. Les chiffres qui sont remis en doute par les plaignants ont été fournis par le ministère des Affaires indiennes et du Nord du Canada.
Réplique du plaignant
Les plaignants soutiennent que «le seul véritable reproche formulé par l’autre partie à M. Oakes repose sur le témoignage d’un employé payé par TVA, M. Yvan Saint-Pierre, et sur un extrait contradictoire d’une communication privée citée hors contexte et enregistrée par un prétendu caméraman anonyme de TVA au domicile privé de M. Oakes». Plus spécifiquement, les plaignants soutiennent que: les journalistes de « J.E. » ne sont pas des policiers ni des informateurs de police; M. Yvan Saint-Pierre et le second prétendu caméraman anonyme ne sont pas des consommateurs agissant en dernière ressource pour obtenir une réponse à un problème; « J.E. » a omis de dire dans son reportage que la Couronne n’a porté aucune accusation dans cette affaire; la journaliste n’a pas offert à M. Oakes la chance de répondre à la fausse allégation de vente de carte métisse sous promesse de ne pas payer de taxes lors de l’achat d’une automobile en réserve indienne; elle aurait aussi dénaturé les propos de M. Oakes en les citant hors de leur contexte; elle se serait fait manipuler par le ministère des Affaires indiennes et du Nord du Canada et par l’Alliance autochtone; elle se serait placée en conflit d’intérêts; elle aurait eu recours au sensationnalisme et n’aurait pas desservi l’intérêt public.
Analyse
Les plaignants, MM. Pierre Montour et Roland Oakes, qui représentent la Communauté métisse et la Corporation métisse du Québec et de l’Est du Canada, reprochent à la journaliste Helen Mokas de n’avoir étudié qu’un seul angle dans son reportage, soit celui de la vente de cartes de la Communauté qui permettrait des exemptions de taxes immédiates. Ils considèrent que le reportage manque de rigueur et d’exactitude et que son traitement est déséquilibré. Le choix d’un sujet ainsi que l’angle abordé demeure une prérogative qui relève du jugement rédactionnel des professionnels de l’information. L’équipe de «J.E. » ainsi que la journaliste Helen Mokas n’ont enfreint aucune règle déontologique en décidant d’enquêter et de faire un reportage sur la vente de cartes par la Communauté métisse et sur les représentations qui y ont été faites par ses porte-parole. Lorsque les questions traitées peuvent être controversées, un traitement équilibré doit être accordé aux éléments et aux parties en opposition. Dans le présent cas, les plaignants ont eu et ont saisi l’occasion de faire valoir leur point de vue lors d’une entrevue effectuée dans les studios de TVA avec la journaliste Helen Mokas. De plus, le choix des intervenants que l’équipe de «J.E. » décide d’interroger et de présenter dans le reportage leur revient entièrement. Ils ont choisi de s’entretenir avec un représentant du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, un négociateur autochtone bien connu et avec un représentant de l’Alliance autochtone du Québec. Rien ne permet au Conseil de presse d’affirmer qu’il y a eu une entorse au principe du traitement équilibré de l’information, même si les réponses des intervenants n’appuient pas la thèse défendue par les plaignants. MM. Montour et Oakes se plaignent aussi de la façon dont la collecte de l’information a été faite. Selon eux, une des sources d’information de l’équipe «J.E. », un caméraman à la pige pour le Groupe TVA, ne serait pas crédible et l’utilisation de la caméra cachée et du journalisme d’embuscade violerait leurs droits. Selon la déontologie journalistique, les professionnels de l’information doivent identifier leurs sources d’information afin de permettre au public d’évaluer la crédibilité et l’importance des informations que celles-ci transmettent. Pour le Conseil, le lien d’emploi qui unit le caméraman au Groupe TVA ne mine pas, en soi, la crédibilité du témoignage de cette personne. Cependant, il laisse planer un doute sur ce qui a motivé la participation de ce dernier au reportage, d’autant plus que l’autre source d’information présentée est demeurée anonyme. Par ailleurs, le Conseil note que le numéro et le nom de la carte de membre qui a été remise à la personne qui a fait la démarche en caméra cachée ont été changés en infographie lors de la diffusion afin de préserver son identité. Même si aucun grief n’est retenu à ce titre, le nom et le numéro auraient pu être brouillés, comme cela a été fait pour la photo, afin de ne pas laisser planer de doute sur la crédibilité des informations présentées. En ce qui a trait à l’utilisation de la caméra cachée et à l’entrevue spontanée effectuée au domicile de M. Oakes, les règles déontologiques stipulent qu’il ne faut avoir recours à ces méthodes d’enquête que dans les cas où l’information est d’intérêt public et qu’il n’est pas possible de l’obtenir autrement; il s’agit donc d’un procédé que l’on ne peut utiliser que sur une base exceptionnelle. L’usage de la caméra cachée dans le reportage apparaît justifié ici puisqu’il s’agit d’une des seules façons de vérifier quelles sont effectivement les représentations qui sont faites par M. Oakes alors qu’il remet une carte de membre de la Communauté métisse à quelqu’un qui en fait la demande. Par ailleurs, avant de se présenter chez lui, la journaliste Helen Mokas aurait appelé chez M. Oakes pour lui demander une rencontre, ce qu’il a refusé. Cependant, le Conseil s’interroge sur la pertinence de diffuser ce refus d’entretien alors que M. Oakes s’est finalement présenté à TVA pour donner une entrevue. Enfin, les plaignants soutiennent que le reportage véhicule des préjugés envers les personnes métisses. Le reportage de «J.E.» traite spécifiquement de l’adhésion à la Communauté métisse de l’Est du Canada et le Conseil n’a identifié aucune représentation ni aucun terme utilisé dans le reportage qui puisse permettre d’entretenir des préjugés ou soulever la haine et le mépris envers le peuple métis. De plus, la journaliste Helen Mokas n’a fait preuve d’aucune partialité dans le traitement de l’information.
Décision
Pour toutes ces considérations et compte tenu de certaines réserves qui ont été émises, le Conseil de presse rejette les griefs qui ont été déposés contre la journaliste Helen Mokas, l’équipe de «J.E. » et le Groupe TVA.
Analyse de la décision
- C03A Angle de traitement
- C03B Sources d’information
- C12A Manque d’équilibre
- C13A Partialité
- C14A Sensationnalisme/exagération/insistance indue
- C15A Manque de rigueur
- C16D Publication d’informations privées
- C17G Atteinte à l’image
- C18C Préjugés/stéréotypes
- C23E Enregistrement clandestin
Date de l’appel
18 February 2005
Décision en appel
Les membres de la Commission d’appel ont conclu majoritairement au maintien de la décision rendue en première instance.
Griefs pour l’appel
MM. Pierre Montour et Roland Oakes