Plaignant
Mme Patricia Beaudoin et une
centaine d’autres plaignants
Mis en cause
MM. Patrick Rodrigue, journaliste, David Prince, directeur
de l’information, André Renaud, directeur général régional et l’hebdomadaire
La Frontière
Résumé de la plainte
Patricia Beaudoin, ainsi qu’une
centaine d’autres plaignants, portent plainte contre le journal
La Frontière de Rouyn-Noranda
principalement au sujet de deux articles en page 9 de l’édition du 21 avril
2004. Ceux-ci exposent la venue d’une vedette de la pornographie Tangerine
Dream au sein de la ville. La une de cette édition ainsi
que le commentaire de David Prince publié dans l’édition du 28 avril
2004 en page 4 sont également mis en cause.
Les plaignants estiment que le contenu représente plusieurs
manquements à la déontologie journalistique, notamment dans le traitement de
l’information qui verse dans le sensationnalisme ainsi que pour le caractère
promotionnel qui se dégage de la nouvelle.
Griefs du plaignant
Le thème de la dignité et de la
sécurité de la femme constitue la base de l’argumentation des plaignants qui
accusent le journal La Frontière
d’avoir publié dans les éditions du 21 et 28 avril 2004 un «contenu
indigne d’un hebdomadaire d’information régionale».
Ainsi, ils considèrent tout
d’abord que dans la première édition, le journal a fait preuve de
«sensationnalisme» avec la photographie à la une de Tangerine
Dream ainsi qu’en page 9 où deux articles lui sont
consacrés.
Ils mettent en exergue le fait
que le journaliste ait réalisé une nouvelle à caractère promotionnel, faisant
état des «détails scabreux du spectacle et vantant les mérites de femme
d’affaires de Tangerine Dream. Ils remettent en cause
la pertinence de l’importance de la couverture dédiée à sa venue:
«toute la page est consacrée à ses prestations». La femme dans ces
articles n’est qu’un «objet sexuel». Ils signalent aussi à la fin
de l’édition un article qui banalise la violence sexuelle faite aux femmes.
La plainte concerne également l’édition du 28 avril 2004.
Ils dénoncent le commentaire du directeur de l’information en page 4
écrit en réaction aux diverses plaintes du public liées au
traitement de la nouvelle. Les plaignants notent particulièrement le manque de
respect du public de la part de David Prince qui «justifie l’intérêt de
la nouvelle entre autres par le fait qu’il a aperçu des enfants en train de
lire l’endos de cassettes pornographiques».
Commentaires du mis en cause
Les deux directeurs du journal
La Frontière expliquent que le thème des articles «les
bars à danseuses, les danses à 10 $ et les spectacles pornos» peut à lui
«seul justifier que La Frontière y
consacre une partie» de leurs éditions.
Mais il y avait également un élément de nouvelle et un angle
local au sujet de la venue de Tangerine Dream à
Rouyn-Noranda à l’occasion de la production d’un spectacle. Celui-ci avait été
banni ailleurs, notamment à Montréal.
Les mis-en-cause
réfutent la plainte sur le caractère sensationnaliste de l’article. Dans le
titre tout d’abord où l’élément local a été privilégié. Les photographies n’ont
«rien de pornographique et ne sont guère plus révélatrices que celles que
l’on pourrait trouver dans une circulaire de lingerie».
Ils estiment que les détails du spectacle décrits dans les
articles de l’édition du 21 avril 2004 étaient «essentiels pour
caractériser l’histoire». Ils indiquent avoir «éliminé de
nombreuses citations de la danseuse […] parce que ces extraits ne servaient pas
la compréhension de l’histoire».
Concernant la question de la promotion de la danseuse, ils
répondent par la négative.
Ils ne retiennent pas le lien effectué par les plaignants
entre ce reportage et la couverture mentionnée du jeune joueur de hockey accusé
d’agression sexuelle.
Ils affirment que le journal a «toujours reconnu
l’importance d’informer le public sur la violence faite aux femmes». À
cet effet, ils fournissent en annexe la copie d’extraits d’articles sur le
sujet.
En conclusion, ils estiment que «la présente plainte
équivaut tout simplement à un procès d’intention» car ils ont réalisé
«un reportage sur la pornographie, mais pas un reportage
pornographique».
Réplique du plaignant
Les plaignants n’ont présenté aucune réplique.
Analyse
Le cas soumis à l’attention du Conseil de presse relève au premier chef de la liberté reconnue aux médias et aux journalistes dans l’exercice de la fonction d’informer.
Or, au sujet de la liberté rédactionnelle, le guide déontologique du Conseil indique que l’attention que les médias décident de porter à un sujet particulier relève de leur jugement rédactionnel; que le choix de ce sujet et sa pertinence, de même que la façon de le traiter, leur appartiennent en propre; et que nul ne peut dicter à la presse le contenu de l’information sans s’exposer à faire de la censure ou à orienter l’information.
C’est d’abord sur la base de ces principes que le Conseil a examiné les griefs formulés par les plaignants. Dans le présent cas, ces derniers mettent en cause le choix du contenu de l’édition du 21 avril 2004 où la publication du journal La Frontière a été, selon eux, « indigne d’un hebdomadaire d’information régionale » en ne répondant pas à un souci de « qualité [et de] pertinence ». L’image de la femme aurait été compromise par ces articles, affichant celle-ci comme un « objet ».
Dans leur commentaire, les mis-en-cause répondent que « le sujet principal pou[ vait] à lui seul justifier que La Frontière y consacre une partie de son espace rédactionnel. Le sujet était pertinent car il présentait un angle résolument local ». Ils font observer que les photographies publiées n’ont « rien de pornographique » et précisent que les éléments relatés du spectacle ont été choisis en fonction de leur degré de pertinence afin de servir la compréhension de l’histoire. Enfin, ils soulignent l’importance de la couverture accordée au problème de la violence faite aux femmes dans leur journal et se disaient sensibles à cette cause.
Après examen, et sur la base des principes évoqués plus haut, le Conseil est d’avis que la liberté rédactionnelle reconnue aux médias et aux journalistes leur permettait de couvrir l’événement comme ils l’ont fait et de choisir les informations et les photographies qu’ils jugeaient à propos de communiquer, même si cette couverture ne correspondait pas à ce qu’auraient attendu les plaignants.
Dans son édition du 21 avril 2004, la rédaction du journal La Frontière a fait le choix de traiter la venue de Tangerine Dream sous un angle local. Le reportage est basé sur le portrait d’une personne, exerçant des activités controversées dans la société. En décrivant une partie de ces pratiques, le journaliste n’altère pas l’image de la femme, il met en évidence la vie de Tangerine Dream sans la généraliser ni exercer une quelconque incitation à suivre ses traces. Le Conseil ne peut donc retenir ce grief.
Les plaignants indiquent, en outre, que la réponse sous forme de commentaire publiée le 28 avril 2004, du directeur aux plaintes liées au traitement de la nouvelle de l’édition du 21 avril fait preuve d’un manque de respect à l’égard des lecteurs. Les mis-en-cause estiment quant à eux, avoir réalisé une bonne couverture du sujet.
Le Conseil rappelle que les sujets et les contenus des éditoriaux relèvent de la discrétion de l’éditeur qui est libre d’établir la politique du média en ces matières. Mais il est nécessaire de respecter les faits en tout temps.
Dans le cas présent, le directeur de l’information exprime ses opinions dans le genre journalistique approprié. Il défend la position du journal face aux diverses plaintes reçues à ce sujet en l’inscrivant dans le contexte actuel. Le Conseil de presse ne perçoit donc ici aucun manquement à l’éthique.
Les plaignants estiment enfin que le journal La Frontière, par le biais des photographies et des articles en page 9, a fait preuve de sensationnalisme. Ils considèrent également que le journaliste a fait la promotion de cette vedette de la pornographie en vantant les mérites de femme d’affaires de celle-ci. Les mis-en-cause réfutent pour leur part ces allégations.
Après analyse, le Conseil de presse estime que le traitement réalisé par le journaliste sur la venue de Tangerine Dream à Rouyn-Noranda, pour un spectacle interdit ailleurs, respecte la réalité des faits, bien que ceux-ci aient pu heurter les valeurs et la sensibilité d’un certain nombre de lecteurs. L’utilisation d’une photo provocante de madame Dream est apparue par contre, aux yeux du Conseil, à la limite du sensationnalisme.
Décision
En raison de ces considérations, et au-delà de la réserve exprimée sur un élément photographique, le Conseil rejette la plainte de Mme Patricia Beaudoin et des autres plaignants à l’encontre du journaliste Patrick Rodrigue, du directeur de l’information, M. David Prince et de l’hebdomadaire La Frontière.
Analyse de la décision
- C02A Choix et importance de la couverture
- C03A Angle de traitement
- C03C Sélection des faits rapportés
- C03D Emplacement/visibilité de l’information
- C14A Sensationnalisme/exagération/insistance indue
- C21C Traitement à caractère promotionnel