Plaignant
M. Vincent Dostaler
Mis en cause
M. Guy Filion, adjoint au directeur général des programmes SRC-RDI, Information-télévision, Mme Geneviève Guay, directrice du développement professionnel, de la formation et des affaires générales Information-radio et la Société Radio-Canada, Montréal
Résumé de la plainte
M. Vincent Dostaler reproche au service de l’information de la Société Radio-Canada d’avoir gardé sous silence, dans ses différents canaux d’information, des éléments essentiels à la compréhension des événements survenus lors de la crise politique de 2004 en république d’Haïti.
Griefs du plaignant
La plainte de M. Dostaler fait suite à une lettre ouverte qu’il avait adressée au service des nouvelles de Radio-Canada, à propos de la couverture de la situation en république d’Haïti. Constatant que la présentation des événements, par le service de l’information de la Société d’état, est demeurée la même, le plaignant dénonce un manque de rigueur et d’objectivité dans la manière d’exposer les nouvelles. Il note que l’opinion d’une partie importante des acteurs de l’événement est passée sous silence et que certains faits, essentiels pour permettre à la population de comprendre la situation, furent ignorés. Le plaignant évoque que des «raisons historiques» expliquent la situation déplorable en Haïti. Il présente donc, par le biais de sa plainte, des «faits essentiels qui doivent être connus pour comprendre la situation haïtienne et ainsi éviter le piège de la désinformation», le tout appuyé par diverses références: Les dettes d’Haïti, à commencer par la dette que le pays a dû rembourser à la France «pendant plus d’un siècle» suite à sa libération, de même que «[l’] état d’endettement perpétuel par les grands financiers internationaux», dans lequel le pays baigne toujours. Les «pressions énormes des pays esclavagistes, ou qui l’ont été, » subies par Haïti dès la révolte des esclaves, et ce, jusqu’à nos jours. La prise de contrôle d’Haïti par les états-Unis d’Amérique, de 1915 à 1934, et ses répercussions. L’agression des bases traditionnelles de la culture haïtienne «par l’élite du pays et [par] diverses institutions». Les répercussions des différentes «dictatures militaires ainsi que des groupes paramilitaires» soutenus par les états-Unis. Le disfonctionnement du système judiciaire haïtien et la carence de ses «institutions politiques, sociales et démocratiques». L’insécurité découlant des démonstrations de mécontentement des militaires licenciés, suite à l’abolition de l’armée par le président Jean-Bertrand Aristide. L’accumulation des capitaux à l’étranger par «l’oligarchie économique haïtienne». «L’embargo de fait» imposé par les états-Unis «tout au long des périodes où [le Président Jean-Bertrand] Aristide était en poste (…)». Le plaignant présente, par la suite, des «suggestions pour que la couverture de la crise haïtienne par Radio-Canada soit plus équilibrée et se distancie des vagues médiatiques souvent pleines de distorsions et manipulées par des forces de l’opposition mensongères»: «[D]onner la parole aussi à des partisans de Jean-Bertrand Aristide», parce qu’ils «ont souvent une très bonne connaissance de l’histoire (…) d’Haïti ainsi qu’une conscience élevée du contexte global de la crise». «[I]nformer la population de qui sont les leaders des forces rebelles et qui est l’opposition». Informer l’auditoire sur la demande de réparation de 21 milliards de dollars faite par le président Aristide, peu avant les célébrations de l’anniversaire de l’indépendance d’Haïti, qui «coïncide avec une augmentation des pressions» sur le gouvernement lavalas, et «fouiller l’historique des interventions françaises en Haïti». Porter à la connaissance de l’auditoire la «demande d’enquête sur les conditions du départ précipité du président Aristide entouré de soldats états-uniens puis français» et signaler les «poursuites entreprises par Aristide autant en France qu’aux états-Unis quant à ce qu’il qualifie d’enlèvement international». «[S]uivre avec une attention rigoureuse le dossier des accusations de non-respect des droits humains, de corruption et de trafic de drogue portées contre Aristide et ses proches». Finalement, le plaignant demande une information plus complète et transparente au service des nouvelles, tant à la radio, à la télévision, que sur le site Internet, en rappelant que ce service exerce, selon lui, une désinformation volontaire à propos d’Haïti.
Commentaires du mis en cause
Commentaires de l’adjoint au directeur général des programmes (SRC-RDI), Information-télévision, Guy Filion: Le mis-en-cause rappelle, tout d’abord, qu’il a donné suite à la lettre ouverte du plaignant au moyen de la réponse envoyée le 6 avril 2004; celle-ci est jointe au dossier de plainte. Cette première correspondance, à laquelle M. Filion souscrit de nouveau, précise que«[l]a Société Radio-Canada a fait de son mieux pour couvrir les réalités sur le terrain ainsi que les avis des différents groupes», en spécifiant que le réseau n’a «pas l’intention d’oublier Haïti». Le mis-en-cause répond ensuite aux différents motifs de plainte de M. Dostaler. En réaction aux neuf «faits essentiels qui doivent [selon le plaignant] être connus pour comprendre la situation haïtienne et ainsi éviter le piège de la désinformation», le mis-en-cause soutient que le réseau a pris note des points apportés par M. Dostaler, bien que la SRC n’ait «jamais nié qu’Haïti a vécu de nombreux soubresauts politiques, économiques et sociaux depuis son accession à l’indépendance officielle[…] » et que nombre de reportages réalisés sur le terrain démontrent cette réalité. M. Filion donne ensuite la réplique aux cinq «suggestions pour que la couverture de la crise haïtienne par Radio-Canada soit plus équilibrée»: Dans un premier temps, la Société se dit étonnée de la première proposition du plaignant où il demande au réseau de «donner la parole aussi à des partisans de Jean-Bertrand Aristide», car la Société d’état affirme avoir «souvent et depuis longtemps donné la parole aux partisans de J.-B. Aristide ainsi qu’à lui-même[…] ». Le mis-en-cause étaie qu’il estime avoir «pleinement décrit les leaders des différentes forces rebelles, avant et après le dernier départ du président Aristide», sans avoir fait montre de complaisance. La SRC allègue ne pas avoir «caché la demande du président Aristide qui a exigé réparation à la France […]» et ajoute n’avoir «aucune objection à fouiller l’historique des interventions en Haïti», bien qu’elle rappelle que ses efforts sont concentrés autour des «réalités actuelles sur le terrain». Le réseau certifie avoir «fait part [lors de ses nouvelles] de la demande d’enquête du président Aristide sur les conditions de son départ précipité». M. Filion précise également, que si des données officielles précisant les conclusions de l’enquête sont publiées, la Société Radio-Canada s’intéressera «assurément aux données de l’enquête». Le réseau corrobore qu’il suivra «avec une attention rigoureuse le dossier des accusations de non-respect des droits humains, de corruption et de trafic de drogue portées contre Aristide et ses proches». Le mis-en-cause ajoute que l’intérêt du réseau pour la cause haïtienne se reflète dans le grand nombre de reportages diffusés par le Réseau de l’Information (RDI), auquel s’ajoute «356 dossiers [réalisés entre juillet 2003 et juillet 2004] représentant 22 heures de diffusion […] sur la communauté haïtienne montréalaise [et] sur la situation en Haïti». M. Filion précise également que la SRC est consciente que «l’intérêt des Haïtiens de la diaspora pour les informations [de la SRC] est grand et qu’il le demeurera», ainsi le réseau se dit fier de son travail ainsi que «de l’écoute en provenance de cette communauté [haïtienne] montréalaise et de l’écoute en Haïti». Finalement, le mis-en-cause réitère qu’il n’a pas de parti pris et expose sa bonne foi en présentant la correspondance avec le plaignant aux artisans du service. Commentaires de la directrice du développement professionnel de la formation et des affaires générales, Information-radio, Geneviève Guay: Mme Guay précise, en premier lieu, que le service radio de la Société Radio Canada se rallie au commentaire de M. Filion. Elle précise, de plus, que «la radio a aussi diffusé des centaines de dossiers sur Haïti, plus précisément au cours des mois de février et mars 2004», pendant lesquels les émissions d’information de la radio auraient «concerté leurs efforts pour offrir une couverture variée, nuancée et fouillée». La mise-en-cause appuie cette information sur le grand nombre de journalistes, basés à différents endroits, venus apporter une modulation dans l’information. La mise-en-cause précise que de nombreuses autres entrevues «ont été diffusées dans des émissions qui ne relèvent pas directement du service de l’information» et que «les grands radio-journaux (…) ont touché à la question plus de 200 fois». Mme Gay ajoute, en réponse aux suggestions du plaignant, que «la composition réelle de l’opposition au président Aristide a fait l’objet de plusieurs explications». Suite à la demande du plaignant de publier certains «faits essentiels qui doivent être connus pour comprendre la situation haïtienne» et certaines «raisons historiques» qui expliquent la situation déplorable en Haïti, la mis-en-cause rétorque «que les explications contextuelles étaient plus nombreuses dans les émissions d’actualité que dans les bulletins de nouvelles, [puisque] les nouvelles, par définition, servent à décrire la réalité quotidienne et ses rebondissements». Mme Guay précise finalement que «les divisions politiques d’Haïti se répercutent fortement dans la communauté haïtienne du Québec», précisant avoir reçu également «quelques plaintes de gens qui trouvaient [la station de radio] trop favorable au président Aristide». Le lundi 4 octobre 2004, lors d’une «correspondance» avec le plaignant, suite à une deuxième lettre envoyée par ce dernier dans le but de dénoncer certains aspects d’une chronique diffusée le 28 septembre, Mme Guay ajoute à ses commentaires qu’il est impossible pour la société d’état de répondre aux exigences du plaignant qui semble, selon elle, vouloir que les politiques amÉricaines soient abordées chaque fois qu’il est question d’Haïti. La mis-en-cause rappelle, par le fait même, les nombreux éléments abordés récemment sur les ondes, en lien avec la situation en Haïti, et les différents angles de traitement.
Réplique du plaignant
Dans sa réplique, le plaignant rappelle que sa plainte vise uniquement le service des nouvelles du «Téléjournal» et du « Radiojournal ». M. Dostaler précise qu’il ne peut «fouiller les archives de Radio-Canada», mais ajoute qu’il espère que le Conseil de presse du Québec et l’ombudsman de Radio-Canada effectueront une recherche «afin de trouver les dates des émissions qui ont erré dans leur couverture de la question haïtienne». à ce propos, le plaignant cite, à titre d’exemple, le portrait de Jean-Bertrand Aristide, par Claude Desbiens qui «manque totalement d’objectivité», selon lui. M. Dostaler spécifie que ses critiques «visent surtout des omissions, des silences indus, et des informations incomplètes». Il mentionne donc une série d’expressions qui dénotent, à son avis, un «parti pris anti-Aristide et une vision erronée de certains événements», des expressions telles que déclin, dictature, déchu, paria, fuite, etc.
Analyse
Le genre d’information auquel appartiennent le reportage et la nouvelle, demande un très grand degré de précision et une certaine mise en contexte, afin de rendre l’information accessible au public. Quel que soit l’angle de traitement retenu pour une nouvelle ou un reportage, les médias et les journalistes doivent transmettre une information qui reflète l’ensemble d’une situation et le faire avec honnêteté, exactitude et impartialité. Dans le cas soumis à l’attention du Conseil de presse, le plaignant met en cause le contenu des nouvelles de Radio-Canada en ce qui a trait à la couverture de la situation en Haïti. Le plaignant déplore principalement un manque d’information. Cette absence ferait en sorte que les informations présentées sur les ondes de la SRC ne permettraient pas au public de comprendre tous les événements ayant menés à la situation actuelle en république d’Haïti. Cette «désinformation» pousserait également le public à adopter la vision des forces d’opposition, puisque l’opinion des partisans et certains autres faits cruciaux seraient restés dans l’ombre, conduisant à des informations partiales et tendancieuses. Les mis-en-cause soutiennent, pour leur part, que la SRC a toujours cherché à livrer l’information d’une manière complète et juste. Ils ajoutent que certaines des allégations du plaignant ne sont pas fondées et précisent qu’ils se sont beaucoup penché sur la question d’Haïti, ce qui est démontré par une impressionnante quantité d’émissions et de bulletins de nouvelles voués à ce sujet. Ils précisent également que le genre en cause, par définition, ne permet pas de situer la nouvelle dans un large contexte historique, d’autant plus que ce contexte entourant la situation en Haïti fut élaboré plus longuement en ondes, dans le cadre d’émissions et d’entrevues. Puisque la plainte était formulée de façon assez large, le Conseil a regroupé trois principaux griefs. La première récrimination exprimée par le plaignant est donc un manque d’information et de contexte, qui entraverait une bonne compréhension des événements entourant la crise en Haïti. En vertu des principes explicités dans le guide des «Droits et responsabilités de la presse», l’angle de traitement d’une nouvelle, de même que le choix d’un sujet, dépendent du jugement rédactionnel des médias et des journalistes. Le Conseil observe que les informations diffusées par le service des nouvelles de la Société Radio Canada, au sujet de la situation en Haïti, visaient à transmettre un portrait de la situation actuelle et à présenter les faits récents. La mise en contexte de l’information relève de la discrétion rédactionnelle, d’autant plus que la durée restreinte d’un bulletin de nouvelles contraint la rédaction à cibler les aspects fondamentaux de la nouvelle. Pour ces raisons, le Conseil de presse rejette ce grief. Un autre point reproché à la Société Radio Canada est de ne pas avoir pris en compte les contributions du public, en ne diffusant pas les suggestions et les informations envoyées par le plaignant, au sujet de la situation actuelle en Haïti. Ce à quoi les mis-en-cause rétorquent que de nombreux reportages diffusés à la SRC ont illustré ces réalités et que les faits et les suggestions apportés par le plaignant ont été portées à maintes reprises à l’attention des artisans du service des nouvelles. Pour ces raisons ce second grief est rejeté. En ce qui a trait à l’équilibre et à l’exhaustivité de l’information, le plaignant dénonce un déséquilibre relié à certaines omissions. Cependant, aucune preuve tangible ne vient corroborer les dires de M. Dostaler. De plus, le mis-en-cause soutient avoir livré une information de qualité et explique avoir couvert plusieurs des éléments soumis par le plaignant. Le Conseil tient, par le fait même, à rappeler que l’information fait l’objet de choix, selon l’importance de la nouvelle et son degré d’intérêt public. Retenir un tel grief, sans preuve concrète, équivaudrait dans le présent cas, à faire un procès d’intention aux mis-en-cause. Enfin, pour étayer ses propos, le plaignant mentionne le «Portrait de Jean-Bertrand Aristide» présenté en ondes par le journaliste Claude Desbiens. Selon M. Dostaler, ce reportage corroborerait ses griefs, puisqu’il serait totalement subjectif. Le Conseil de presse a visionné avec attention cet extrait de l’émission spéciale de « Matin Express Week-end» et il en retient que ce reportage présente avec objectivité les faits marquants de la vie politique de Jean-Bertrand Aristide. Le Conseil n’y décèle aucune entorse à la déontologie journalistique. Pour cette raison, ce dernier grief est rejeté.
Décision
En raison de ces considérations, le Conseil rejette la plainte de M. Vincent Dostaler à l’encontre du service des nouvelles de Radio-Canada.
Le Conseil de presse tient également à souligner qu’une plainte est jugée recevable lorsqu’elle repose sur des preuves. Ainsi, pour permettre au Conseil de rendre une décision, il est important de préciser le (ou les) bulletin de nouvelles fautif, en spécifiant la date et les motifs qui justifient la plainte. Dans le cas présent, le plaignant demandait au Conseil de chercher les documents condamnables dans les archives de la Société Radio-Canada. Il est à noter qu’il n’est pas de la juridiction du Conseil d’agir de la sorte. Ainsi, un plaignant doit mentionner ce sur quoi repose ses griefs, afin de fournir une base concrète à l’analyse de la plainte. En tel cas, le Conseil demeure ouvert à recevoir des plaintes justifiées et appuyées par tout matériel jugé fautif.
Analyse de la décision
- C03A Angle de traitement
- C03C Sélection des faits rapportés
- C08A Choix des textes
- C11B Information inexacte
- C11C Déformation des faits
- C12A Manque d’équilibre
- C12B Information incomplète
- C12C Absence d’une version des faits
- C12D Manque de contexte
- C13A Partialité