Plaignant
M. François Raymond
Mis en cause
M.
Guy Filion, adjoint au directeur général des
programmes, SRC-RDI,
Information-télévision française et la
Société Radio-Canada
– «Le bulletin de nouvelles»
Résumé de la plainte
La Société Radio-Canada
a diffusé le 17 juillet 2004, dans un bulletin de nouvelles, un reportage sur
Mme Heater Crowe, souffrant
d’un cancer du poumon et menant une «croisade» contre le tabagisme
passif. À la suite de cette diffusion, M. François Raymond dépose plainte au
Conseil de presse pour atteinte à la vie privée, manque d’exactitude des faits
rapportés et manque de partialité dans le traitement de l’information.
Griefs du plaignant
Le plaignant remet
tout d’abord en cause l’intérêt public du reportage. Le journal
La Presse, par exemple, n’a pas jugé bon
de publier une nouvelle concernant Mme Crowe. En
effet, selon M. Raymond, et prenant appui sur le guide des «Droits et
responsabilités de la presse » pour justifier son opinion, la vie privée ne
doit faire l’objet d’une exposition que si elle est d’intérêt public. Même si
Mme Crowe a pris contact avec des journalistes, sa
vie privée n’en devient pas pour autant d’intérêt public. Si le diffuseur juge
la vie privée de Mme Crowe d’intérêt public parce
qu’elle est appuyée par le groupe de pression «Médecins pour un Canada
sans fumée», alors Radio-Canada
contribue, selon le plaignant, à cultiver les préjugés, le mépris et la haine.
M. Raymond estime que «Médecins pour un Canada sans fumée» occupe
plus de place dans le reportage que Mme Crowe.
De surcroît, le
plaignant accuse le diffuseur d’avoir employé le terme «croisade»
pour qualifier le combat de Mme Crowe contre le
tabagisme passif. Selon lui l’emploi de ce terme, connoté religieusement,
contribue à alimenter la haine et le mépris. Si le diffuseur estimait que
l’intérêt public résidait dans le fait que la dame fut reçue par le ministre de
la santé, le reportage aurait dû se concentrer sur ce point uniquement.
M. Raymond remet
ensuite en cause l’exactitude des faits énoncés dans le reportage. En effet
l’état actuel de la science ne permet pas, selon lui, d’affirmer que le cancer
de Mme Crowe est la conséquence directe de la fumée
secondaire. Même si la fumée secondaire est cancérigène, rien ne permet de
prouver qu’elle est la cause de son cancer. Le diffuseur n’aurait pas dû s’en
tenir à l’opinion du médecin représentant le groupe«Médecins pour
un Canada sans fumée» mais aurait dû vérifier l’information avant de la
communiquer.
Le plaignant conclut
sa plainte en soulignant que
Radio-Canada, en tant que télévision d’État, a un devoir de
neutralité supérieur encore aux autres médias.
Commentaires du mis en cause
M. Filion explique d’abord en quoi le
reportage était d’intérêt public. Les groupes de pression présents dans le
reportage, Médecins pour un Canada sans fumée et la Coalition québécoise pour
le contrôle du tabac, font pression sur les gouvernements, les propriétaires de
commerce et sur la population pour bannir la cigarette des lieux publics au
Québec. De plus, une réflexion populaire s’impose suite à l’adoption des
dernières lois à ce sujet. Après l’apparition de sections «fumeur»
dans les restaurants, de fumoirs dans les lieux de travail, doit-on étendre les
interdictions de fumer, changer les lois et les règlements? Autant de questions
d’intérêt public que soulèvent le reportage. M.
Filion joint à son commentaire le témoignage du
journaliste, auteur du sujet sur Mme Crowe, Yvan
Côté. Selon ce dernier, puisqu’au cours
de l’année 2005 Québec doit réviser sa loi sur le tabac, il était d’intérêt
public de prévenir la population des différentes tendances idéologiques en ce
domaine.
Concernant la question de l’affirmation selon laquelle le cancer de Mme
Crowe a pour origine la fumée secondaire, M.
Filion rappelle que le présent du conditionnel est
prudemment employé dans le reportage: «la fumée secondaire serait
responsable…». De surcroît, le mis-en-cause
indique qu’il a été prouvé scientifiquement que la fumée secondaire est
directement responsable du cancer des poumons. Il cite un article paru dans le
quotidien La Presse du 14 décembre 1999, pour justifier ses propos.
Réplique du plaignant
Le plaignant indique tout d’abord qu’il n’est pas satisfait
du commentaire de Radio-Canada,
qu’il juge être une série d’excuses et de justifications farfelues visant à
minimiser les reproches adressés, dans la plainte, au reportage.
M. Raymond met en évidence le manque de neutralité et
d’objectivité du reportage. En effet, le diffuseur s’est fait, selon le
plaignant, le relais d’un groupe de pression. De plus, seul
Radio-Canada
a choisi de faire de cet événement une information. L’articulation
du reportage laisse une libre parole au groupe de pression, sans contradicteur
ou remise en question de l’opinion émise.
Enfin, sur la question de la véracité des faits énoncés dans
le reportage, le plaignant indique que s’appuyer sur la science et la recherche
ne constitue pas le point final d’une réflexion mais l’utiliser comme tel
révèle une subjectivité intéressée. Pour M. Raymond, le reportage s’appuie
davantage sur un diagnostic médical que sur un rapport scientifique sérieux.
COMMENTAIRES À LA RÉPLIQUE
Le Conseil de presse a reçu une copie d’une lettre de M.
Renaud Gilbert, ombudsman des services français de
Radio-Canada, adressée au
plaignant.
Analyse
La plainte déposée au Conseil de presse par M. François Raymond porte sur un reportage diffusé au bulletin de nouvelles de la chaîne RDI de la Société Radio-Canada. Le reportage relève donc du journalisme d’information qui, selon les règles déontologiques en vigueur au Québec, doit s’en tenir à des faits d’intérêt public, traités avec impartialité et exactitude.
Le plaignant reproche tout d’abord au diffuseur d’avoir choisi un sujet ne présentant aucun intérêt public et remet donc en question la pertinence du reportage. Cependant, selon le Conseil, la vie privée de Mme Crowe est devenue publique lorsqu’elle a décidé de se servir de sa maladie pour promouvoir un combat contre la fumée secondaire. De surcroît, Radio-Canada précise, à juste titre, que le reportage apporte un éclairage sur un débat de société. En effet, de futures réformes sur le tabac sont en préparation. Le reportage était donc d’intérêt public, et ce premier grief est rejeté.
M. Raymond dénonce également la partialité dont Radio-Canada aurait fait preuve dans le traitement du sujet. Seule la Société Radio-Canada a choisi de faire du combat de Mme Crowe une nouvelle d’information, devenant, selon le plaignant, le relais d’un groupe de pression.
Le choix des sujets et la manière de les traiter, dans les limites du respect de la déontologie acceptée par la profession, relève de la discrétion rédactionnelle. La Société Radio-Canada était libre de choisir et de traiter n’importe quelle information. Ce second grief est donc rejeté.
Pour finir, le plaignant conteste l’exactitude des informations présentées dans le reportage. Selon lui, il n’est pas démontré que la fumée secondaire soit responsable du cancer du poumon. Selon les règles en usage au Conseil de presse, il revient au plaignant de faire la preuve des accusations qu’il formule. Or, M. Raymond n’a pas démontré que le diffuseur n’a pas respecté son obligation de vérifier ses informations. De surcroît, Radio-Canada apporte la preuve, par un article du quotidien La Presse et par l’opinion de journalistes de l’émission «Découverte», que l’information selon laquelle la fumée secondaire est responsable du cancer est partagée et emporte un consensus scientifique. Ce dernier grief est également rejeté.
Décision
Pour l’ensemble de ces raisons, le Conseil de presse du Québec rejette la plainte contre la Société Radio-Canada.
Analyse de la décision
- C11B Information inexacte
- C13C Manque de distance critique
- C16C Publication de l’adresse/téléphone