Plaignant
M. Louis Morissette
Mis en cause
M. Rodolphe Morissette, journaliste, M. Serge
Labrosse, directeur général de la rédaction et le quotidien
Le Journal de Montréal
Résumé de la plainte
Le contexte est celui du procès en appel de M. David
Chityal, auquel assiste M. Rodolphe Morissette en tant que
journaliste pour Le Journal de Montréal.
Le Dr Louis Morissette, psychiatre expert devant le tribunal, reproche au
journaliste d’avoir émis dans son article du 26 août 2004 une critique
injustifiée sur son expertise, ce qui aurait nui à son intégrité
professionnelle. Il relève aussi une erreur de fait dans le compte rendu du
journaliste.
Griefs du plaignant
Le plaignant reproche au journaliste d’avoir employé deux
termes inappropriés, «dérisoire» et «bidon», pour
qualifier son rapport psychiatrique. Ces termes ne se retrouvent pas dans le
jugement et leur emploi est donc injustifié.
De même, selon le Dr Morissette, le juge n’a pas
«rejeté d’un revers de la main» son expertise. D’ailleurs, cela
n’apparaît pas non plus dans le jugement.
D’après M. Louis Morissette, le journaliste s’est permis
de critiquer son expertise sans posséder de compétences en matière de
psychiatrie. Il devait au contraire s’en tenir au simple récit des faits.
Selon le
plaignant, la critique de son expertise porte atteinte
à son intégrité professionnelle.
Le plaignant remarque aussi une erreur de fait dans le
compte rendu du journaliste. Ce dernier a écrit: «Se sachant
recherché, Chityal s’était réfugié pour une bonne
partie de l’année 2003 dans les Cara
ïbes
.» Le Dr
Morissette explique que M. Chityal a voyagé à Cuba et
Turks 1/4 Caicos en janvier et février 2003. Il a
appris le 13 février 2003 que les autorités amÉricaines voulaient l’arrêter. Il
est rentré chez lui à Montréal le 15 février 2003, où il est resté jusqu’à son
arrestation en novembre 2004.
Commentaires du mis en cause
M. Rodolphe Morissette revient
sur l’emploi de «bidon» et «dérisoire», se rapportant
respectivement au constat du psychiatre et à son rapport. Selon lui, ces termes
sont justifiés pour quatre raisons que l’on retrouve dans le jugement :
1) Le Dr Morissette conclut
qu’«il n’y a pas de raison de croire que M. Chityal
chercherait à fuir la justice, à ne pas faire face aux accusations
actuelles». Or, M. David Chityal se savait
recherché par les autorités depuis février 2003 et il ne
s’est pas pour autant livré aux autorités. Il a donc déjà fui la justice dans
le passé et a même voyagé vers des destinations aussi éloignées que Cuba ou
Turks 1/4 Caicos. Pour ces raisons, le juge a
refusé la remise en liberté de M. Chityal.
2) M. Louis Morissette écrit que
«Chityal n’a pas démontré de signe
d’impulsivité ou de violence dans le passé.». L’expert n’a pas vérifié
les antécédents de l’accusé car ce dernier a à son actif deux condamnations en
1998 pour des vols à main armée. D’autre part, M. Chityal
est accusé d’avoir cherché à soudoyer, à empêcher de témoigner, voire à faire
assassiner un témoin à charge contre lui. Si sa culpabilité n’est pas encore
déterminée, la Cour a jugé la preuve de ces faits «accablante».
C’est pourquoi le juge s’étonne de la conclusion du psychiatre et suppose que
pour avoir émis de telles conclusions, il ne devait pas être au courant de tous
ces facteurs.
3) Le Dr Morissette fait part que
M. Chityal «désire se défendre de façon honnête
de l’accusation». Là encore, il s’agit de l’accusation pour laquelle les
preuves établies contre l’accusé sont jugées «accablantes», c’est
pourquoi, selon le journaliste, M. Chityal ne peut se
défendre honnêtement pour les faits qui lui sont reprochés.
4) Enfin, le psychiatre conclut qu’«il n’y a
pas de raison de croire que David Chityal serait un homme
dangereux pour la société ou pour une personne en particulier s’il était
libéré». E
ncore
une fois, Dr Louis Morissette ignore les vols à
main armée commis par l’accusé et les chances de réussite de la preuve
amÉricaine touchant le projet qui visait à soudoyer, sinon à faire assassiner
le témoin Verdy.
Quatre des constats du psychiatre apparaissent à la Cour d’appel
dépourvus de base factuelle. Le journaliste était donc justifié de
parler d’un constat «bidon», c’est-à-dire sans fondement sérieux. Il
l’est aussi quand il qualifie les conclusions de
«dérisoires»: la façon d’y traiter les questions en cause est
si insatisfaisante que le rapport paraît se moquer de celles-ci, comme le
suggère l’adjectif.
Le journaliste justifie également
l’emploi de «rejeté du revers de la main» au sujet de la réaction
de la Cour face à l’expertise du Dr Morissette. L’expression signifie
«rejeté de façon sommaire, sans formalités, voire de manière un peu
cavalière». Le paragraphe 35 du jugement indique en effet que la Cour
d’appel n’accepte pas les conclusions du psychiatre, sachant qu’il ne tient pas
compte des antécédents de l’accusé. Le juge Nuss
évacue la question en quelques lignes.
M. Rodolphe Morissette se défend ensuite d’avoir émis une critique
surle rapport sans posséder les compétences en matière de psychiatrie. Le
journaliste précise que le rapport d’un psychiatre expert devant le tribunal
est soumis à des juges et des jurés qui doivent évaluer l’expertise et sa
crédibilité sans posséder de compétences en matière de psychiatrie. En outre,
un tel rapport n’a pas force d’autorité devant la loi et personne n’oblige les
citoyens à s’incliner devant lui. M. Rodolphe Morissette cite également une
décision du 16 octobre 2002 de la Cour d’appel«qui autorise le
journaliste à avoir un point de vue et à l’exprimer». Le journaliste
ajoute que les constats du Dr Morissette relatés dans le reportage n’ont pas
vraiment trait, quant à leur contenu, à la seule expertise psychiatrique. Le
médecin tire des conclusions qui, au simple plan de la logique, dépassent
l’expertise psychiatrique, sont discutables et qui sont vivement contestées par
la Cour. Le journaliste cite de nouveau les passages contestés et indique les
avoir retranscrits sous un angle critique. Selon le mis-en cause, le plaignant
cherche à cacher ses accrocs au sens commun derrière «le paravent sacré
de la psychiatrie».
En dernier lieu, le journaliste admet s’être trompé en écrivant que
l’accusé s’est réfugié pendant une bonne partie de l’année 2003 aux Caraïbes.
En effet, M. David Chityal est resté pendant 9 mois à
Montréal, jusqu’à son arrestation. Mais M. Rodolphe Morissette explique que
cette erreur de fait est sans conséquence. L’idée qu’il voulait exprimer était
celle du refus de M. Chityal de se livrer à la
justice. Le lieu de résidence ne change pas la question examinée par la
Cour et n’a pas d’impact sur la crédibilité
du rapport d’expertise psychiatrique. D’ailleurs, le journaliste ne tire aucune
conclusion de cette observation erronée; il dit avoir été induit en erreur par
un passage de la décision du juge Cohen. Celui-ci expliquant que l’accusé a
tout fait pour éviter d’atterrir sur le sol des États-Unis lorsqu’on lui a
demandé de quitter les îles Turks 1/4 Caicos en
février 2003. Il s’agit d’une distraction sa part, de même que l’erreur du juge
de la Cour d’appel qui se trompe à deux reprises dans le numéro de l’article du
code criminel qu’il cite.
Réplique du plaignant
Le plaignant revient sur les
commentaires du journaliste, qui a écrit: «La Cour d’appel n’a pas
délibéré trois mois là-dessus[…] ». Selon le Dr Morissette, de très
nombreux jugements, à la Cour d’appel ou ailleurs, sont rendus sur le banc ou
dans les jours suivant l’audition.
Selon le Dr Morissette, le
journaliste continue à employer des termes visant à le ridiculiser de même que
son rapport.
D’autre part, le journaliste
oublie que l’accusation de complot pour meurtre a été retirée en juin 2004, à
la demande du Ministère de la Justice du Canada.
D’après le psychiatre, le
journaliste ne rapporte pas correctement les faits. À son arrivée au Canada à
l’aéroport le 15 février 2003, les autorités canadiennes ont arrêté M.
Chityal pour possession simple de cannabis, l’ont relâché
et ont émis comme condition qu’il vive à son domicile, ce qu’il a fait jusqu’à
son arrestation en novembre 2003. Il ne s’est jamais caché et les autorités
savaient où le trouver.
M. Louis Morissette convient enfin que les juges et jurés
doivent évaluer un témoignage d’expertise en utilisant leur esprit critique et
que personne n’a à «s’aplatir»
devant un rapport d’expert. Toutefois, toute personne qui émet une
opinion doit demeurer respectueuse et éviter les opinions personnelles non
reliées à une connaissance particulière.
Analyse
Le Conseil de presse rappelle que, dans une nouvelle le journaliste doit s’en tenir à rapporter les faits et à les situer dans leur contexte sans les commenter.
Le plaignant reproche au journaliste d’avoir qualifié son rapport de «dérisoire» et son constat de «bidon». Selon lui, ces deux termes ne seraient pas conformes au jugement de la Cour. Le juge a rejeté le rapport mais n’a pas minimisé l’expertise du DrMorissette. Ces deux termes ne participent pas à un compte rendu exact des faits et le Conseil retient donc le grief.
Concernant l’expression «rejeté du revers de la main», on comprend, à la lecture du compte rendu du procès, que le juge n’a pas hésité ou débattu l’idée de rejeter le rapport. Cet épisode tient en quelques lignes dans le jugement. L’expertise a été rejetée de façon sommaire, comme le dit l’expression du journaliste. Il n’y a pas d’inexactitude et ce grief est rejeté.
Le journaliste a commis une erreur en écrivant que M. David Chityal s’était «réfugié pour une bonne partie de l’année 2003 aux Caraïbes». L’accusé est en fait rentré à Montréal dès le 15 février 2003 et il y est resté jusqu’à son arrestation en novembre 2003. Le journaliste est conscient de son erreur et pourtant il ne l’a pas corrigée dans un rectificatif. Une autre erreur s’est glissée dans l’article en cause au sujet du temps consacré par le plaignant aux entrevues avec son client: il s’agit en réalité de deux entrevues d’une durée totale de trois heures, et non pas d’un total de six heures. Les griefs sont donc retenus sur ce double aspect.
Le plaignant estime que cette critique arbitraire a porté atteinte à son intégrité professionnelle. Certes, le psychiatre a négligé le passé de l’accusé, comme le mentionne le jugement du tribunal. Pour autant, il ne s’agit que d’une erreur qui ne remet pas en cause les aptitudes du Dr Morissette. Or, le rapport n’est pas «dérisoire» (qui mérite d’être tourné en ridicule); il est rendu irrecevable par les antécédents de l’accusé. Quant au constat, il est incomplet, mais n’est pas pour autant «bidon», c’est-à-dire faussé, truqué.
Décision
Par conséquent, le Conseil de presse retient la plainte de M. Louis Morissette pour manquement à l’exactitude de l’information, à la distinction des genres et au respect de la réputation, à l’encontre du journaliste Rodolphe Morissette et du Journal de Montréal.
Analyse de la décision
- C11A Erreur
- C11B Information inexacte
- C20A Identification/confusion des genres
Date de l’appel
4 October 2005
Décision en appel
Après examen, les membres de la Commission ont conclu à l’unanimité
de maintenir la décision rendue en première instance.
Griefs pour l’appel
Le Journal de Montréal