Plaignant
M. André Lavoie journaliste, réalisateur, ex-réalisateur- coordonnateur de 1045, rue des Parlementaires, M. David Lemelin animateur, journaliste, caricaturiste, M. François Thiboutôt, journaliste, réalisateur, M. Mathieu Claise, journaliste, réalisateur et M. Pierre Charest, réalisateur
Mis en cause
M. Denis Bélisle, directeur, Affaires juridiques, Me Danielle Villemaire, conseillère juridique, Mme Paule Beaugrand-Champagne, présidente et Télé-Québec, émission « 1045, rue des Parlementaires »
Résumé de la plainte
Les cinq signataires de la plainte dénoncent des manquements à l’éthique journalistique de la part de la direction la société Télé-Québec aux motifs de censure, de conflit d’intérêts et d’entrave à la circulation de l’information. L’événement principal au coeur de la plainte est le retrait des ondes de l’émission « 1045, rue des Parlementaires », le lundi 22 mars 2004.
Griefs du plaignant
La plainte est déposée par cinq personnes ayant été à l’emploi de la Société de télédiffusion du Québec (Télé-Québec) pour l’émission « 1045, rue des Parlementaires », produite à Québec. Ces personnes dénoncent des interventions de la direction de Télé-Québec qui ont constitué, selon elles, « des entraves et des contraintes ayant mis en péril le travail des journalistes et des réalisateurs affectés à cette émission, et compromis le droit du public à l’information ». Des manquements importants à l’éthique journalistique de la part de la direction de Télé-Québec auraient amené les plaignants à déposer cette plainte sous trois motifs précis : censure, conflit d’intérêts et entrave à la libre circulation de l’information. Les plaignants détaillent ensuite ces griefs. Premier grief, censure. Les plaignants rappellent les événements : « Le lundi 24 mars 2004, la direction de Télé-Québec décidait de retirer des ondes l’émission « 1045, rue des Parlementaires ». Dans un communiqué émis le lendemain, elle évoquait un problème dans le traitement de l’information, sans le préciser, pour justifier ce retrait des ondes : « La Direction a évalué que l’émission soumise ne respectait pas ses exigences pour ce type de magazine quant au traitement de l’information. Le temps dévolu ne permettait pas d’apporter de correction, il a été décidé de reporter la diffusion de cette émission à une date ultérieure » ». Selon les plaignants, les événements antérieurs et postérieurs au 22 mars indiquent plutôt que les motifs de la décision étaient tout autres et qu’il y a eu autocensure et même censure. Les plaignants racontent ensuite en détail leurs échanges avec des employés du siège social de Montréal qui appréhendaient un reportage sur la Coalition «Destituons Patapouf » qui vise à la destitution du Premier Ministre Jean Charest. Ces personnes auraient alors alerté le directeur général, Affaires juridiques, Denis Bélisle sur ce segment d’émission, «qui pourrait déplaire au gouvernement et constituer une menace pour Télé-Québec, à quelques jours du dévoilement du budget ». Selon les plaignants, ces informations ont été confirmées par un appel conférence au cours duquel le réalisateur-coordonnateur leur a répondu que les personnes en question auraient dû s’informer au préalable du contenu du reportage puisque l’orientation du reportage était critique face à cette coalition. Toujours selon les plaignants, la décision remontera alors jusqu’au bureau de la présidente Paule Beaugrand-Champagne : transmission du verbatim complet de l’émission au bureau de la présidente; mauvaise humeur de la direction à sa réception; échanges téléphoniques entre une productrice déléguée et le réalisateur-coordonnateur, durant lesquels elle l’informera notamment que la direction prendra connaissance du reportage lors de sa réception le lundi 16h00. Les plaignants insistent pour dire que durant tous ces échanges, il n’aura été question que du seul reportage sur la Coalition et de son opportunité avant le budget. Le lundi, vers 17h30, le réalisateur apprend que la direction « fait sauter » l’émission prévue à 19heures, sans autres explications et qu’on lui reparlera plus tard dans la semaine. Selon les plaignants, dans son communiqué du lendemain, la direction a caché qu’elle avait en main un verbatim de l’émission depuis le jeudi précédent et a affirmé avoir été prise au dépourvu trois heures avant la mise en ondes, alors que le reportage aurait pu lui être acheminé le samedi précédent. Et durant ce temps, pas un membre de la direction n’a communiqué avec le responsable de l’émission. Ce n’est que le jeudi 25 mars que le réalisateur-coordonnateur a été convoqué au bureau de la présidente. Les plaignants détaillent la rencontre, et notamment les reproches faits au réalisateur- coordonnateur d’avoir divulgué aux journaux le retrait des ondes de l’émission alors que tel n’était pas le cas. La présidente lui aurait également reproché le montage du reportage sur la Coalition «Destituons Patapouf », de même que d’avoir une approche « trop affaires publiques ». Elle aurait aussi critiqué la présence d’une caricature dans l’émission. Après discussion, la direction a interdit toute caricature ou « portrait » dans l’émission. De plus, il a été décidé que dorénavant, les principaux reportages seraient expédiés à Montréal le dimanche précédant leur mise en ondes pour être visionnés par la responsable de la programmation le lundi matin. Les plaignants présentent ensuite leur point de vue et leur argumentation : c’est par peur d’indisposer le gouvernement que la direction aurait pris la décision de retirer des ondes cette émission, au mépris de l’intérêt public et du droit du public à l’information, en invoquant une question de régie interne. Pour eux, la direction de Télé-Québec « impose un bâillon à ses journalistes tout en raillant le droit du public à l’information ». Enfin, les plaignants estiment que le fait pour le journaliste et animateur de l’émission de ne plus pouvoir exercer librement une partie de son métier, soit sa fonction de caricaturiste, relève de la censure. Second grief, conflit d’intérêts. Les plaignants font référence à une lettre (annexée à la plainte) datée du 29 mars 2004 et adressée à M. Denis Bélisle, directeur général Affaires juridiques et secrétaire général de Télé-Québec. Après avoir fait état d’un malaise à la suite du retrait des ondes de l’émission du 22 mars, la missive questionne les activités extérieures de M. Bélisle qui est, selon les plaignants, l’ultime interprète des règles d’éthique et du code de Télé-Québec et qui, à ce titre, conseille la direction sur la politique d’information. Au sujet de ces activités extérieures de M. Bélisle, les plaignants posent la question : « à titre de président d’une société d’exploration minière et pétrolière, M.Bélisle peut-il être le dépositaire des règles d’éthique et de la politique d’information à Télé-Québec? » Les plaignants expliquent qu’il agit à titre de président d’une société minière et de directeur pour une autre, et donc de porte-parole pour ces sociétés et qu’il doit ainsi rendre des comptes aux actionnaires pour des activités qui recoupent bon nombre de sujets d’intérêt journalistique. Il doit agir également comme démarcheur auprès de sociétés de financement, publiques comme privées. Les plaignants se demandent aussi comment réagiraient les actionnaires des entreprises en question si leur directeur ou actionnaire était impliqué dans une controverse publique entre Télé-Québec et des intérêts dont ils dépendent. Les plaignants n’auraient jamais reçu de réponse à cette lettre, mais des mesures auraient été prises pour les intimider. Un autre réalisateur-coordonnateur aurait été embauché pour une nouvelle émission portant sur une partie de leur mandat d’émission et, après avoir vécu un silence de plusieurs mois sur leur avenir, les plaignants auraient finalement appris, après l’acheminement de la dernière émission le 14 juin, que l’émission ne reviendrait pas en ondes, et cela, sans explication. Troisième grief, entrave à la libre circulation de l’information. Les plaignants commencent par rappeler les succès de leur émission qui en était à sa sixième année, sans qu’aucune plainte n’ait été portée à son endroit. Son mandat était de « démystifier et d’intéresser les auditeurs au parlementarisme et à la politique avec une pointe d’humour quand cela était possible ». Ils expliquent que comme les activités parlementaires sont rapportées dans les médias quotidiennement, leur contribution se situait davantage dans la mise en contexte des événements et des enjeux qui interpellent le gouvernement, les jeux de coulisse, la connaissance des hommes et des femmes qui consacrent leur vie à la politique. Ils se demandent s’il était possible de remplir ce mandat sans une approche, même partielle d’affaires publiques? Pour eux, en reprochant soudainement à l’équipe le genre « affaires publiques», sans pour autant suggérer quoi que ce soit d’autre en remplacement, la direction de Télé-Québec a entravé le travail des journalistes et usé de représailles. Les plaignants mettent en doute les raisons de la direction pour ne pas remettre en ondes l’émission pour une septième saison. Ils expliquent l’impact dramatique pour les membres de l’équipe, dans un milieu comme celui de la ville de Québec où le marché pour ce genre d’emploi est restreint, alors qu’aucun d’eux n’est réembauché pour une autre émission. « Lorsque des personnes sont mises à l’index pour avoir accompli leur travail avec professionnalisme mais dans un genre qui dérange une direction alors que c’était essentiel pour la compréhension des enjeux et du terrain qui leur ont pourtant été assignés, en l’occurrence le parlement et la politique, n’est-ce pas aussi une forme de censure? » écrivent les plaignants. Ces derniers terminent en rappelant que Télé-Québec est une télévision publique et qu’en conséquence, ses responsabilités envers l’intérêt public et le droit des citoyens à une information accessible et complète sont encore plus importants qu’ailleurs, compte tenu également du contexte récent de la disparition d’émissions d’affaires publiques.
Commentaires du mis en cause
Me Danielle Villemaire, représentante des mis-en-cause indique que pour sa réponse, elle procédera en respectant l’ordre des accusations ou de reproches faits au premier paragraphe de la plainte, et détaillés par la suite, soit censure, conflit d’intérêts et entrave à la libre circulation de l’information. Au sujet de l’accusation de censure, elle rappelle les griefs : les signataires de la plainte accusent la Société de télédiffusion du Québec (STQ) d’avoir, le 22 mars 2004, exercé une censure en retirant de sa grille une émission de la série « 1045, rue des Parlementaires », laquelle contenait entre autres, un reportage sur la Coalition « Destituons Patapouf ». La porte-parole des mis-en-cause répond que l’émission a été diffusée dans son intégralité le lundi 29 mars suivant, avant le dépôt du budget Séguin et elle demande où est la censure dans ce cas. «Veut-on prétendre, demande-t-elle, qu’un diffuseur n’a plus le droit de visionner un document avant qu’il ne soit diffusé alors qu’il porte la responsabilité de ce qu’il met en ondes? Veut-on insinuer qu’un diffuseur n’a pas le droit de s’assurer que le document ne comporte aucun élément dont les droits de diffusion n’auraient pas été libérés, par exemple? » Me Villemaire précise que le reportage contenait, entre autres, un passage où figurait le site Internet de la Coalition et que la direction en a demandé le retrait après avoir pris connaissance du verbatim. La conseillère juridique demande si le diffuseur n’est plus le maître de sa grille de programmation. « Si c’est le cas, cela voudrait-il dire, écrit-elle, que le réalisateur qui retire des éléments de tournage lors d’un montage ou qui réoriente un reportage exerce alors lui aussi une forme de censure? » La porte-parole des mis-en-cause aborde ensuite l’accusation de conflit d’intérêts en rappelant que tous les employés de la STQ doivent respecter le code d’éthique de la Société. Elle ajoute que tous les membres du conseil d’administration de l’entreprise sont tenus de dévoiler les intérêts qu’ils détiennent dans des entreprises qui pourraient les mettre en conflit d’intérêts ou même laisser supposer qu’il pourrait y avoir un conflit d’intérêts et que Me Denis Bélisle n’échappe pas à cette règle. Pour Me Villemaire, la lettre que M. André Lavoie a adressée à Me Bélisle avec copie conforme à la présidente-directrice générale est de nature privée et n’a absolument rien à voir avec le dossier sous étude ou avec quelque conflit d’intérêts que ce soit. Elle était plutôt, selon elle, que «l’expression d’un fort dépit » et « ressemblait davantage à une attaque ad hominem ». La conseillère juridique répond également que Me Bélisle n’est pas « l’ultime interprète des règles d’éthique et du code de conduite de Télé-Québec » puisque, comme le dit la phrase suivante des plaignants, il « conseille » la direction (la présidence) qui peut demander un autre avis et en référer au conseil d’administration. Pour elle, les plaignants voient un conflit d’intérêts où il n’y en a pas et cette lettre n’a aucune pertinence dans le présent dossier. En ce qui concerne l’accusation d’entrave à la libre circulation de l’information, Me Villemaire répond que comme entreprise responsable, la STQ doit diffuser une information exacte, pertinente et tenir compte du mandat qu’elle donne à chaque émission ou série d’émissions. Pour les motifs exprimés en regard de l’accusation de censure, elle indique que les mis-en-cause ne voient pas en quoi la décision de reporter d’une semaine la diffusion d’un épisode d’une série pour permettre aux décideurs d’en prendre connaissance de façon à prendre une décision éclairée constitue une entrave à la libre circulation de l’information. La porte-parole des mis-en-cause rappelle en terminant que la série « 1045, rue des Parlementaires » n’a jamais été une émission d’information ou d’affaires publiques mais bien un magazine sur la vie parlementaire. Quant au retrait de cette émission, il était prévu depuis avril 2003 par la direction générale des programmes, comme certains des plaignants le savent très bien. Pour toutes ces raisons, les mis-en-cause ne voient pas comment on pourrait retenir les allégations reprochées.
Réplique du plaignant
Les plaignants se disent stupéfaits de la réponse de Télé-Québec par son omission de vérifier ses propres allégations. Pour eux, les arguments invoqués par la direction sont non seulement réducteurs et faux dans bien des cas mais aussi, peu dignes d’une télévision publique.
Les plaignants refeusent l’argument de la direction selon lequel il n’y a pas eu de censure puisque l’émission a été diffusée intégralement une semaine après son retrait des ondes. Ils mettent en parallèle, comparent et contestent les raisons invoquées dans le premier communiqué de la direction avec la présente prise de postion. Ils présentent une réfutation sur la question de la libération des droits et contestent également l’affirmation de la direction indiquant : « Le reportage contenait par exemple un passage où figurait le site Internet de la Coalition, nous en avons exigé le retrait après lecture du vervatim. »
Selon eux, jamais la direction n’a communiqué avec l’équipe sur la base du verbatim ou après le visionnement de l’émission. La seule chose qui a été dite au coordonnateur c’est : « L’émission saute. La direction te rappellera. » Ainsi, la direction avoue indirectement qu’il y a eu censure puisque ce n’est pas de l’adresse Internet de la Coalition dont il est question ici, mais de son site Internet. Les plaignants invoquent qu’au cours des six dernières années ils on tourné, droits libérés à l’appui, quantité de sites Internet et ils demandent quel est le problème, sinon qu’on ne voulait pas voir, même pour quelques secondes sur le site de la Coalition sur les ondes de Télé-Québec.
Les plaignants relèvent ensuite deux autres arguments invoqués par la direction au chapitre de la censure. Au sujet du « diffuseur […] maître de sa grille de programmation », ils demandent si Télé-Québec peut faire la différence entre une grille de programmation, une politique d’information et des questions éthiques. Au sujet du réalisateur « qui retire des éléments de tournage lors d’un montage » les plaignants qualifient l’argument de « déni du travail journalistiques ». Invoquant que la direction ne fait pas la différence entre censure et montage, les plaignants citent le Conseil de presse au sujet de l’importance d’éviter l’autocensure. « Avant le retrait de l’émission, il n’était question de la part de la direction que de sa pertinence qavant le budget […]. Après son retrait des ondes et suite aux interventions […], la direction a blâmé le coordonnateur pour son approche trop « affaires publiques » ».
Autre point relevé par les plaignants, la direction N,aurait pas daigné répondre à la lettre au sujet de la censure des caricatures à l’émission. La direction aurait non seulement reproché aux plaignants leur approche « affaires publiques », mais leur aurait également interdit de poursuivre les caricatures qui ajouteraient un brin d’humour dans l’émission.
En ce qui concerne le conflit d’intérêts, les plaignants tiennent à faire observer que cette lettre soulevait des questions fondamentales sur la politique d’information et pour la poursuite de leur travail. Pour eux, sans le savoir, ils avaient recoupé sur le terrain des activités auxquelles était liées M. Bélisle. Les plaignants demandaient également à la direction comment exécuter leur travail dans l’avenir s’il leur arrivait de couvrir, dans un reportage, des organismes ou des entreprises « approchées par M. Bélisle » dans ses « activités extérieures à Télé-Québec ». Pour les plaignants, il ne s’agissait pas d’une lettre privée.
En outre, la direction édulcore aussi la responsabilité de M. Bélisle à titre de secrétaire général et va jusqu’à nier son propre code de conduite. Les plaignants réfèrent alors le Conseil à la 7e règle des « Règles d’éthique et code de conduite du personnel de Télé-Québec ». Les plaignants rappellent que malgré l’importance des enjeux soulevés, ils n’ont jamais reçu de réponse de la direction.
Les plaignants abordent ensuite la question de l’entrave à la libre circulation de l’information. Pour eux, lorsque la direction affirme que « 1045, rue des Parlementaires » n’a jamais été une émission d’information ou d’affaires publiques, mais bien un magazine sur la vie parlementaire, ceci est totalement faux et démontre son peu de respect pour ses artisans et sa propre politique de l’information. Les plaignants s’appliquent à démontrer leurs affirmations et que leur émission est bien une « émission d’information ».
Enfin, ils accusent la direction de cynisme, et d’avoir abusé de la confiance de ses artisans lorsqu’elle a mis fin à l’émission.
Les plaignants terminent en affirmant : « en toute logique, Télé-Québec qui ne reconnaît même pas que nous étions une émission d’information, devrait conclure que le Conseil de presse n’a pas juridiction pour entendre cette cause. Elle n’a pas osé directement, mais l’essentiel de son argumentaire revient à discréditer les artisans et la pertinence de Conseil de presse à évaluer notre plainte ».
Analyse
Après examen de l’ensemble des griefs formulés par les plaignants, voici les conclusions auxquelles en arrive le Conseil, et d’abord, celles qui concernent les griefs au motif de censure. Les plaignants estimaient qu’en ne pouvant plus exercer sa fonction de caricaturiste, l’animateur de l’émission était victime de censure de la part de la direction. Or, selon le Conseil, l’affectation des journalistes à différentes fonctions visant le traitement de l’information relève de la liberté rédactionnelle de la direction de l’information, qui a le pouvoir de confier ou de retirer à tout moment des fonctions à des journalistes. Comme les plaignants n’ont pas démontré en quoi le retrait de cette fonction pouvait brimer le droit du public à l’information, le Conseil n’a pas retenu le grief à ce sujet. Toujours en matière de censure, mais en ce qui a trait à la décision de retirer l’émission des ondes, le Conseil rappelle que les médias sont responsables de tout ce qu’ils publient ou diffusent. Ainsi , pour le Conseil, il va de soi que si une direction de média considère qu’un produit de son cru est en deçà de ses standards, elle peut prendre les moyens pour en interrompre la diffusion. Il en va même de sa responsabilité, dans certains cas, d’agir ainsi. Selon les plaignants, par peur d’indisposer le gouvernement, à la veille du budget Séguin, la direction de Télé-Québec aurait pris la décision de retirer des ondes l’émission, en imposant un bâillon à ses journalistes. Après examen, il appert que l’émission a été remise en ondes intégralement, la semaine suivant son retrait, et avant le budget, contredisant dans les faits les accusations des plaignants. Au chapitre de la censure, le Conseil n’a donc retenu aucune doléance. Toutefois, le Conseil aimerait, en outre, profiter de l’occasion pour rappeler l’importance d’un principe maintes fois évoqué, celui visant à éviter l’autocensure par les médias, afin que ces derniers ne deviennent pas eux-mêmes une menace au droit du public à l’information. Le second aspect sur lequel les plaignants avaient choisi de s’arrêter est celui du conflit d’intérêts. Ayant découvert que le directeur général des Affaires juridiques et secrétaire général de Télé-Québec, M.Denis Bélisle, était administrateur et actionnaire dans deux compagnies minières et pétrolières, les plaignants estimaient qu’il se trouvait ainsi en situation de conflit d’intérêts. Le Conseil a fait l’examen des circonstances et des arguments de la plainte, des motifs estimés par les plaignants et des raisons invoquées par les mis-en-cause pour le retrait de l’émission. Cet examen n’a pas permis de faire de lien entre les intérêts que détiendrait la personne visée et la décision de retirer l’émission des ondes. Qui plus est, les plaignants n’ont pas démontré en quoi les fonctions externes de M. Bélisle pouvaient représenter un conflit d’intérêts, apparent ou réel, dans les circonstances, avec la mission générale de l’entreprise. Le troisième grief avait trait à la libre circulation de l’information à laquelle les mis-en-cause auraient nui en retirant l’émission de la programmation. Or, il existe, parmi les principes consignés dans le guide «Droits et responsabilités de la presse » du Conseil, celui de la discrétion rédactionnelle. C’est celui qui permet aux médias et aux professionnels de l’information de décider de ce qu’ils vont porter à l’antenne, de même que de l’espace et du temps qu’ils accorderont aux informations retenues. En vertu de ce principe, les responsables de l’information à Télé-Québec disposaient de la latitude leur permettant de retirer l’émission en cause. De plus, les plaignants n’ont pas fait la démonstration qu’il s’agissait de geste hostile ou de représailles contre eux. Ce dernier grief a donc, lui aussi, été rejeté.
Décision
Après examen et pour l’ensemble de ces raisons, le Conseil de presse rejette donc la plainte contre la société Télé-Québec et contre sa direction.
Analyse de la décision
- C01B Objection à la prise de position
- C02F Création/retrait de rubriques/d’émissions
- C06G Ingérence de la direction du média
- C07A Entrave à la diffusion/distribution
- C22C Intérêts financiers