Plaignant
M. André Christian Reeves
Mis en cause
Mme Annie Gagnon, journaliste; Mme Nadya Jawhar, rédactrice en chef et l’émission « J. E. » et le Groupe TVA
Résumé de la plainte
M. Christian Reeves dépose une plainte contre la journaliste Annie Gagnon et l’équipe de l’émission « J. E. » ainsi que contre le Groupe TVA. Les motifs invoqués sont principalement : le journalisme d’embuscade, le sensationnalisme, l’atteinte à la réputation et à la vie privée, l’atteinte à l’impartialité de l’information, les inexactitudes et le refus de rectification avant la diffusion de l’émission « J. E. » du 16 septembre 2005.
Griefs du plaignant
Dans un premier document déposé le 7 décembre 2005, M. Christian Reeves expose les motifs de sa plainte contre la journaliste Annie Gagnon, l’équipe de l’émission « J. E. » et le Groupe TVA : journalisme d’embuscade, sensationnalisme, atteinte à la réputation et à la vie privée, atteinte à l’impartialité de l’information, inexactitudes et refus de rectification avant la diffusion de l’émission « J. E. » (du 16 septembre 2005), de même que d’autres aspects de la plainte à compléter après le visionnement de l’émission.
M. Reeves indique que, durant la semaine précédant la diffusion de l’émission, « J. E. » attirait près d’un million de téléspectateurs sans compter les visiteurs du site Internet du Groupe TVA. En outre, sur le site de l’émission, il était précisé clairement que l’objectif ultime de l’émission « J. E. » était de « travailler à démasquer les fraudeurs et à combattre les injustices ». Par conséquent, il dénonce le site Internet du Groupe TVA, qui « diffuse des explications ne reflétant pas la réalité des faits, portant atteinte à la réputation et à la vie privée », de même que la journaliste Annie Gagnon pour la partialité de son information sur ce site Internet et durant l’émission du 16 septembre 2005. Le plaignant détaille ensuite les actes reprochés :
– Les faits diffusés lors de l’émission – selon ce qui lui a été rapporté par différentes personnes – ne semblent pas refléter ses propos recueillis lors de son entrevue téléphonique du 30 mai 2005, et comporteraient donc des inexactitudes et des faussetés.
– Lors de l’entretien téléphonique, il aurait refusé une entrevue devant la caméra, en expliquant poliment les raisons de ce refus. Or, le 3 juin 2005, durant tout l’avant-midi, un homme et une femme auraient circulé dans le secteur où réside le plaignant, dans un véhicule « fantôme », en quête d’une 2e entrevue, allant même jusqu’à pourchasser sa femme qui n’avait pourtant rien à voir dans le dossier. M. Reeves ajoute que, plus tard, il découvrira qu’il s’agissait de la journaliste Annie Gagnon et d’un cameraman caché dans le véhicule. Le plaignant dénonce donc leur pratique du journalisme dit « d’embuscade ».
– Selon le plaignant, les mis-en-cause lui auraient également refusé le visionnement avant la diffusion des entrevues réalisées et de l’émission elle-même, ce qui lui aurait permis d’apporter les corrections nécessaires à l’impartialité de l’information. Le plaignant insiste pour affirmer que le reportage du 16 septembre ne nécessitait aucune diffusion d’urgence et que le délai demandé n’aurait nui en rien à la diffusion éventuelle dudit reportage, à une date ultérieure.
M Reeves fait ressortir que, même s’il a « clairement posé des questions sous forme d’ultimatum au Groupe Quebecor inc. – Groupe TVA inc. – TVA Nouvelles et l’émission « J. E. » », on n’a jamais donné suite à sa demande. Le reportage lui apparaît donc comme une enquête bâclée.
M. Reeves expose ensuite ses démarches infructueuses pour obtenir copie du reportage diffusé, non seulement auprès des responsables de l’émission « J. E. », mais également auprès du service des archives publiques de TVA. Il termine en demandant au Conseil de presse d’intervenir pour qu’il puisse obtenir une copie de l’émission « J. E. » afin d’avoir en main l’ensemble des éléments pour compléter sa plainte.
à l’appui de sa plainte, M. Reeves ajoute plusieurs documents dont un extrait du Journal de Montréal indiquant les cotes d’écoute de la première émission « J. E. », deux pages de Canoë.com au sujet de l’émission « J. E. », une copie des mises en demeure adressées aux mis-en-cause, les échanges de correspondance pour l’obtention de copie de l’émission et un extrait de la politique d’information de TVA.
Commentaires du mis en cause
Commentaires de Me Christian Leblanc, procureur des mis-en-cause :
Avant d’aborder les deux griefs identifiés, Me Leblanc rappelle que le reportage « portait sur les droits d’auteur que M. Reeves prétendait avoir sur toute forme de concours artistiques, de personnalité ou de type « Miss » », de même que sur ses démarches pour empêcher l’organisation du Gala Révélations 2005 qui était diffusé de façon contemporaine au reportage. Pour lui, « ce reportage portait sur un sujet d’intérêt public, à savoir les droits de tous les citoyens sur les concepts, les idées, les marques de commerce et, généralement, le droit d’auteur tel qu’établi par nos lois et, d’autre part démontrer les embûches reliées à l’organisation et la tenue du Gala Révélations 2005, événement public ». En outre, selon Me Leblanc, il a été confectionné sans aucune malice ni vengeance, et uniquement dans un but informatif.
Le représentant des mis-en-cause aborde ensuite le premier grief sur la tentative d’obtenir une entrevue filmée de M. Reeves, en commençant par une revue des faits. Il indique que la journaliste a sollicité une entrevue télévisée de M. Reeves afin qu’il puisse expliquer en détail ses prétendus droits d’auteur sur les « Concours artistiques » et obtenir ainsi sa version des faits. Au téléphone, M. Reeves se serait plutôt borné à invoquer l’enregistrement d’un nom au Registre canadien des droits d’auteur sans expliquer son concept, arguant que ce serait plutôt au « Gala Révélations » à établir son droit. Pour Me Leblanc, il est d’ailleurs faux, en droit, de prétendre à un tel renversement de fardeau. M. Reeves aurait, par la même occasion, refusé d’accorder l’entrevue.
Selon Me Leblanc, la démarche de Mme Gagnon visait à permettre à M. Reeves de fournir des explications concrètes sur son prétendu concept. La journaliste se serait donc déplacée à l’adresse que M. Reeves avait publiquement indiquée au Registre canadien des droits d’auteur, qui contenait la mention « Bureau 100 » et donc, qui ne laissait aucun doute qu’il s’agissait d’une place d’affaires. Il s’est avéré que cette adresse était également celle du domicile de M. Reeves.
Me Leblanc raconte sa version des faits : les mis-en-cause ont observé M. Reeves quitter en voiture, Mme Gagnon et son caméraman l’ont suivi pour pouvoir l’interroger s’il s’arrêtait en chemin, mais il est revenu chez lui. Un peu plus tard, une femme a quitté le domicile avec la même voiture, mais les mis-en-cause ne l’auraient pas suivie. Plus tard, M. Reeves monta à bord d’une seconde voiture et se dirigea vers la camionnette dans laquelle Mme Gagnon et son cameraman prenaient place. M. Reeves est alors descendu de voiture pour aller invectiver les mis-en-cause. C’est à ce moment que Mme Gagnon serait sortie avec son cameraman qui a capté les images diffusées dans le reportage. Mme Gagnon serait, par la suite, allée au domicile du plaignant et cogné à sa porte afin de solliciter l’entrevue, sans obtenir de réponse.
Selon Me Leblanc, jamais les mis-en-cause n’ont pris en filature la femme de M. Reeves. Comme c’est M. Reeves qui est allé à la rencontre de Mme Gagnon, il était légitime, selon lui, de diffuser sa réaction alors qu’il choisissait de confronter Mme Gagnon de son propre chef. Pour Me Leblanc, la tentative de Mme Gagnon d’obtenir une entrevue spontanée était tout à fait conforme aux règles déontologiques puisqu’elle avait déjà essuyé un refus pour une entrevue télévisée.
Me Leblanc ajoute que « Mme Gagnon n’a ni harcelé M. Reeves ni manqué de respect à celui ci ». à ce sujet, Me Leblanc fait valoir que dans sa décision D2004 04 053 (2), le Conseil de presse a déjà reconnu que la tentative d’entrevue spontanée est justifiée lorsque le sujet de l’entrevue a préalablement refusé de consentir à une entrevue.
Le procureur des mis-en-cause ajoute que le journalisme d’enquête nécessite que le journaliste soit insistant et persistant afin d’aller au fond des choses, et qu’il s’agit même d’une qualité pour pratiquer ce métier. Il en donne pour preuve une décision rendue par le Conseil canadien des normes de la radiotélévision (CCNR) visant un reportage antérieur de l’émission « J. E. ».
Me Leblanc fait également référence au guide Droits et responsabilités de la presse dans lequel on précise qu’il « est essentiel qu’aucune entrave ne soit faite aux médias et aux journalistes lors de la collecte d’informations, par voie de supports visuels et sonores qui font partie intégrante de l’information, même si, ce faisant, les médias peuvent heurter la sensibilité des personnes en cause et du public en général ».
Le second point abordé par Me Leblanc dans ses commentaires est celui du droit de prévisionnement de l’émission par M. Reeves. à ce sujet, il rappelle qu’il est reconnu dans de nombreuses décisions du Conseil de presse que les médias jouissent d’une autonomie éditoriale dans la confection de leurs reportages. Il cite d’ailleurs en exemple un extrait de la décision D1998-07-008 du Conseil.
Me Leblanc ajoute que le Conseil n’a pas juridiction pour déterminer si un reportage est diffamatoire ou s’il est attentatoire à la vie privée. Il cite en appui la décision D2004 02 032 (2). Le représentant des mis-en-cause annexe à ses commentaires un extrait du Registre canadien des droits d’auteur et une copie de la décision du CCNR citée dans sa réponse.
Réplique du plaignant
Ayant pu visionner une copie de l’émission contestée, M. Reeves répertorie plusieurs catégories de griefs : liberté et indépendance des journalistes, conflit d’intérêts, impartialité de l’information, pondération de l’information (sensationnalisme, insistance indue), rigueur de l’information, choix de couverture et de contenu, cueillette de l’information, rectification de l’information, droit de réponse du public, exactitude de l’information, équilibre et exhaustivité de l’information, respect de la vie privée, respect de la réputation et respect des groupes sociaux.
Le plaignant détaille ensuite les motifs sur lesquels reposeraient sa plainte et fait un rappel de principes déontologiques et de jurisprudence qu’il juge applicables à son cas.
Suivent, sous le titre « Faits réels et éléments de preuve », les reproches qu’il adresse aux mis-en-cause :
A. reproche de convergence et de conflits d’intérêts : appartenance de l’autre protagoniste du reportage à « la grande famille des corporations Quebecor/Groupe TVA », liens avec la journaliste Annie Gagnon et avec l’équipe de « J. E.» et TVA »;
B. reproche de « graves faussetés » induites par des expressions comme « qui décident du jour au lendemain de vous mitrailler de mises en demeure » et « inondée d’appels téléphoniques »; reproche pour l’utilisation de « qualificatifs excessifs et hors du contexte des faits » et pour l’utilisation de l’expression « journalistes chevronnés » dans la présentation de l’émission;
C. reproche d’avoir parlé « d’un simple article […] dans un quotidien montréalais » sans avoir mentionné le nom du journal d’où provenait l’article;
D. reproche d’avoir diffusé le témoignage erroné d’un avocat pour donner plus de crédibilité au reportage et diminuer la portée de son témoignage téléphonique.
Après quoi, réagissant aux commentaires des mis-en-cause, M. Reeves :
E. porte à l’attention du Conseil deux jugements des tribunaux portant sur « l’entrevue surprise et l’embuscade »;
F. discute le procédé de collecte de l’information (filature, enquête bâclée en vitesse) et conteste l’affirmation selon laquelle il s’agissait d’une deuxième chance qui lui était donnée pour s’expliquer;
G. considère inadmissible que les mis-en-cause aient rediffusé l’émission « durant la période du 12 mai 2006 et le 30 juin 2006 » sans respect pour la plainte déposée au Conseil de presse et les mises en demeure envoyées le 7 décembre 2005;
H. conclut que le reportage en question était sans nuances, présentant les faits comme avérés et ayant été vérifiés alors que l’histoire racontée est fausse et mensongère;
I. conclut aussi que cette conduite de la journaliste et de l’équipe de l’émission démontrait une grossière insouciance des conséquences de leur travail sur la vie et la dignité des personnes concernées.
Le plaignant procède alors à une analyse du reportage. Avant d’en amorcer la description, il affirme que certaines images-clés ont été amputées de la cassette de l’émission, notamment les images tournées sur son balcon et devant sa résidence. M. Reeves détaille alors en 27 « tableaux » les différentes séquences.
Les cinq premiers tableaux servent à décrire les premières scènes de l’émission. Au tableau 1, le plaignant proteste contre l’utilisation par la journaliste de l’expression « des années de travail acharné ».
Au sixième tableau, il conteste l’expression « la vie de Chantal Brossard bascule ». Le plaignant affirme que l’autre protagoniste du reportage a choisi d’utiliser son réseau de contacts en télévision pour manipuler l’information et l’accuse de s’être servie de l’émission comme d’une arme publique pour attaquer les plaignants et régler ses comptes.
Dans les tableaux 6, 7 et 8, M. Reeves détaille les procédés télévisuels (utilisation de gros plans, de trame sonore dramatique, etc.) et l’interprétation qu’il faut leur donner.
Au tableau 9, M. Reeves accuse la journaliste d’avoir « participé à la manipulation des données » et conteste la pertinence d’une question de la journaliste à l’autre protagoniste du reportage, de même que les images et le son des séquences prises au moment où il sort de chez lui.
Au tableau 10, le plaignant dénonce l’affirmation par la journaliste que « les mots « violation » et « droit d’auteur » reviennent à profusion ». Il affirme également que jamais la mise en demeure de la procureure de la productrice ne demandait « de prouver qu’il était l’auteur d’un concept ».
à partir du tableau 11 jusqu’au tableau 26, il conteste le traitement journalistique et, dans quelques cas (tableaux 21, 25, 26), l’exactitude de l’information. Par exemple, il contestera l’affirmation selon laquelle sa fille n’est pas porte-parole de l’Unicef (tableau 11), ou soutiendra que l’émission « J. E. » induit le public en erreur en laissant entendre qu’un auteur a une obligation de divulgation de son Œuvre originale (tableau 12).
Au tableau 13, le plaignant conteste le procédé de collecte de l’information.
Les tableaux 25 et 27 ne comportent aucun grief spécifique.
Le plaignant conclut ses observations par un constat général sur le reportage : il estime que le traitement journalistique et le montage ont utilisé plusieurs procédés pour nuire à son image tout en avantageant celle de la productrice.
M Reeves ajoute ensuite une douzaine de « notes importantes aux membres du Conseil de presse » selon lesquelles :
– la cassette qui a fait l’objet de son analyse aurait été amputée de plusieurs tableaux ou scènes par les mis-en-cause avant d’être transmise au Conseil, après neuf mois d’attente;
– le reportage est demeuré longuement sur le site Internet des mis-en-cause et a été rediffusé à quelques reprises;
– il a été difficile au Conseil d’obtenir la réaction des mis-en-cause et l’enregistrement de l’émission, ce qu’il interprète comme de la non-transparence et de la mauvaise foi de la part de TVA;
– le reportage ayant été disponible sur Internet depuis la première diffusion, « il ne s’agit plus d’une seule diffusion télé du 16 septembre 2005, mais de plus de 405 diffusions télé et Internet auprès de plusieurs millions de spectateurs et d’internautes ».
M. Reeves complète cet exposé par plusieurs annexes, à l’appui de ses prétentions.
Commentaires à la réplique
Le procureur des mis-en-cause amorce ses commentaires en indiquant qu’il est difficile de déceler les doléances exactes contenues à la réplique du plaignant. Il tient aussi à préciser que le reportage transmis n’a été amputé d’aucune « scène » et qu’il est fidèle à celui qui a été diffusé sur les ondes du Groupe TVA.
Me Leblanc fait ensuite cette observation : « dans sa réplique, le plaignant porte à l’attention du Conseil des articles ou des reportages qui ne portent pas sur l’émission et le sujet en l’espèce. Il réfère également à la question de « convergence » entre médias. Nous tenons à indiquer au Conseil que cela n’a aucune pertinence eu égard au reportage en l’espèce et par conséquent nous n’entendons pas commenter davantage. »
En ce qui a trait aux expressions utilisées dans le reportage, Me Leblanc affirme qu’elles sont le reflet du travail journalistique réalisé dans les règles de l’art par la journaliste Annie Gagnon. Les termes « qui décident du jour au lendemain » et « mitraillé », par exemple, sont tout à fait justifiés et correspondent à l’information recueillie. Il en donne pour preuve les nombreuses communications écrites et verbales adressées par M. Reeves à Mme Brossard. Me Leblanc rapporte avoir comptabilisé pas moins de sept lettres et un courriel provenant de M. Reeves. De plus, dans une de ses propres lettres adressées à l’avocate de l’autre protagoniste du reportage le 24 février 2005, M. Reeves aurait lui-même décrit ainsi ses envois : « les multiples lettres réponses détaillées, les multiples offres d’affaires que j’ai pris soin de vous faire parvenir ainsi qu’à votre cliente… » [soulignés de Me Leblanc].
En ce qui a trait au grief de ne pas avoir identifié un article d’un quotidien montréalais, le procureur des mis-en-cause soumet « qu’en rien l’identification du journal ne change quoi que ce soit au reportage ».
Quant à l’expert utilisé par J.E., il s’agit de Me Jacques Léger, un éminent juriste expert en droit d’auteur qui vient d’être nommé juge à la Cour supérieure du Québec. Le choix d’utiliser son témoignage rencontre en tout point, selon lui, les règles de déontologie journalistique.
Pour ce qui est de l’urgence de diffuser le reportage ou de la demande du plaignant de visionner le reportage avant sa diffusion, ces questions ont été traitées dans la réponse à la plainte. Il en va de même de la question de la supposée « filature » à laquelle réfère M. Reeves. Selon Me Leblanc, il n’a jamais été question de filature dans ce dossier, mais simplement d’une tentative d’obtenir une entrevue filmée de M. Reeves.
Pour Me Leblanc, une grande partie de la réplique constitue tout simplement une analyse du reportage. Il indique qu’il ne commentera pas, se contentant d’indiquer que le reportage parle par lui-même.
Il termine en réitérant que le Conseil n’a pas juridiction pour déterminer si le reportage est diffamatoire ou attentatoire à la vie privée et demande enfin de rejeter la plainte.
Analyse
Avant de communiquer le fruit de sa réflexion, le Conseil aimerait préciser que la décision qui suit ne constitue en aucune façon une prise de position sur le fond du dossier traité par l’émission « J.E. », à savoir si le plaignant avait raison ou non de faire valoir ses droits d’auteur à l’encontre de l’autre protagoniste du reportage, organisatrice de spectacle. Cette question d’interprétation du droit d’auteur relève du domaine juridique.
Le premier grief analysé portait sur une dénonciation du processus de collecte de l’information que le plaignant associait à du « journalisme d’embuscade ». Les mis-en-cause avaient invoqué dans leur défense que s’étant vu refuser une entrevue télévisée, ils se sont rendus à l’adresse d’affaires du plaignant apparaissant au Registre des droits d’auteur, mais que cette adresse s’est révélée être celle de la résidence de M. Reeves. Après avoir examiné le récit des parties, le Conseil en arrive à la conclusion qu’il était légitime pour l’équipe de l’émission « J.E. » de tenter de recueillir à la caméra les explications du plaignant sur son concept qui était à la source de ses réclamations adressées à l’organisatrice de spectacles.
Par contre, en regard du reproche fait aux mis-en-cause de s’être postés en observation à proximité de la résidence du plaignant, le Conseil rappelle que même dans le cas du journalisme d’enquête, l’éthique journalistique commande que les journalistes, dans l’exercice de leur profession, s’identifient clairement et recueillent l’information à visage découvert. Ainsi, le recours à des procédés clandestins doit demeurer exceptionnel; il peut s’exercer quand tous les autres moyens ont été épuisés et il doit se justifier par le fait qu’il n’existe aucune autre voie pour obtenir les informations recherchées. Dans le présent cas, le Conseil estime que les mis-en-cause aurait dû commencer par aller frapper à la porte du plaignant, et tenter de l’interroger ou de solliciter une nouvelle entrevue, avant de recourir à des procédés clandestins. Pour cette raison, le grief est retenu.
D’autre part, en ce qui a trait à l’accusation de filature de la femme du plaignant, niée par les mis-en-cause, le Conseil a respecté l’usage voulant que devant des versions contradictoires, il se refuse à prendre position, considérant que le grief n’est pas démontré.
Le plaignant déplorait ensuite qu’on ne lui ait pas permis de visionner l’émission avant diffusion, ce qui lui aurait permis de donner ses explications et de faire corriger des informations inexactes. à ce sujet, le guide de principes déontologiques, de même que de nombreuses décisions du Conseil, confirment que les médias et les professionnels de l’information n’ont en aucun temps à soumettre leur production journalistique à l’approbation d’une source avant diffusion.
Le plaignant dénonçait aussi l’appartenance de l’autre protagoniste du reportage à « la grande famille des corporations Quebecor/Groupe TVA » et l’existence de liens avec la journaliste Annie Gagnon et avec l’équipe de « J. E. ».
Après avoir consulté le relevé des activités professionnelles de l’autre protagoniste du reportage dressé par le plaignant, et non nié par les mis-en-cause, le Conseil en est venu à la conclusion que certains liens professionnels entre la productrice de spectacles et quelques entreprises de Quebecor avaient effectivement existé. Cependant, le Conseil fait observer que même si elle occupe une place centrale en tant que sujet du reportage, la productrice n’est aucunement mise en cause dans ce dossier.
De plus, au delà des juxtapositions et des liens supposés, jamais le plaignant n’a-t-il donné de preuve de conflits d’intérêts ou de partialité de la part de l’équipe de l’émission, ni de « convergence » fautive avec le groupe de presse Quebecor. Le grief a donc été rejeté; mais le Conseil estime qu’il aurait été plus transparent pour les mis-en-cause, dans les circonstances, d’avoir fait part de la situation aux téléspectateurs.
Le grief suivant visait de « graves faussetés » qui auraient été induites par des termes utilisés par la journaliste, par exemple l’expression « inondée d’appels téléphoniques ». à ce sujet le guide déontologique du Conseil indique clairement dans la section sur la liberté rédactionnelle reconnue aux journalistes, que les médias et les professionnels de l’information sont libres de relater les événements et de les commenter sans entraves, et que la façon de présenter et d’illustrer l’information relèvent de leur jugement rédactionnel. Après étude des documents au dossier, le grief a été rejeté.
Le plaignant affirmait aussi que le témoignage de Me Jacques A. Léger était erroné et il reprochait aux mis-en-cause d’avoir diffusé un témoignage d’un avocat pour donner plus de crédibilité au reportage et diminuer la portée de son propre témoignage téléphonique. Le Conseil a constaté que Me Léger est reconnu au Québec comme une source crédible, neutre et experte en matière de droits d’auteur. La diffusion de ses propos respectait l’éthique journalistique.
Au reproche d’avoir parlé d’un article d’un quotidien montréalais sans en mentionner le titre, le visionnement de l’émission a permis de vérifier que dans la seconde minute du reportage, la productrice mentionne que c’est dans le Journal de Montréal qu’a été publié l’article au sujet de son Gala. Le grief a été rejeté.
Le plaignant considérait inadmissible que les mis-en-cause aient rediffusé l’émission entre le 12 mai 2006 et le 30 juin 2006, sans respect pour la plainte déposée au Conseil et les mises en demeure envoyées aux mis-en-cause.
Le guide Droits et responsabilités de la presse du Conseil indique qu’il relève de la discrétion rédactionnelle des médias et des journalistes de déterminer l’espace et le temps qu’ils accordent à la publication ou à la diffusion des informations; et que nul ne peut dicter à la presse les décisions en la matière, ni en ce qui concerne le choix du moment de publication ou de diffusion des informations. Ce grief a été rejeté.
Pour compléter sa réplique, le plaignant a procédé à une analyse détaillée du reportage, en 27 tableaux. L’essentiel des griefs qu’on y trouve vise l’exactitude et le traitement de l’information. Le plaignant y décrit chacune des scènes et explique son point de vue. Toutefois, après examen, il s’est avéré qu’il s’agissait d’une interprétation personnelle, sans démonstration des inexactitudes et du traitement erroné. Par exemple, le plaignant reprochait aux mis-en-cause d’avoir affirmé que sa fille n’avait pas été porte-parole de l’Unicef. Or, l’examen des documents déposés indique que, même si elle a participé à des collectes de fonds et agi comme figurante dans une publicité de l’Unicef, il était exact d’affirmer qu’elle n’avait pas été porte-parole de l’organisme humanitaire. Après examen, le Conseil n’a retenu aucun grief dans cette dernière partie de la plainte.
à plusieurs moments, le plaignant déplorait que le traitement de l’information ait eu pour effet de porter atteinte à sa vie privée et à sa réputation. Puisque cette atteinte, découlerait des fautes professionnelles de la part des mis-en-cause, et puisque aucun des griefs précédents n’a été retenu, le Conseil n’a pas retenu ce dernier reproche du plaignant.
Une dernière remarque portera sur le temps écoulé entre la réception de la plainte en décembre 2005 et son traitement actuel par le CPEI, qui s’explique par les délais occasionnés par les multiples échanges concernant les demandes d’anonymat réclamé par le plaignant et par la contestation de recevabilité qui en a découlé, auxquels se sont ajoutés de nouveaux délais pour obtenir copie intégrale de l’émission et les réactions finales des parties. Sur ce dernier aspect, le Conseil reproche à TVA son manque de collaboration pour fournir dans des délais raisonnables copie de l’enregistrement original de l’émission.
Décision
Au terme de cette analyse, même si la plainte n’a pas été retenue sur le fond, et outre les réserves exprimées concernant l’absence de mention de liens passés entre la productrice et Quebecor, le Conseil déplore le procédé de collecte de l’information à la résidence du plaignant et formule un reproche formel sur les délais indus pour obtenir le matériel nécessaire à l’analyse de la plainte. Par conséquent et sur les aspects identifiés précédemment, le Conseil de presse retient la plainte de M. Christian Reeves contre la journaliste Annie Gagnon, l’équipe de l’émission « J. E. » et le Groupe TVA.
Analyse de la décision
- C02B Moment de publication/diffusion
- C11B Information inexacte
- C12B Information incomplète
- C13A Partialité
- C13B Manipulation de l’information
- C13C Manque de distance critique
- C17G Atteinte à l’image
- C19A Absence/refus de rectification
- C20A Identification/confusion des genres
- C23C Recours à une fausse identité
- C23D Tromper sur ses intentions
- C23E Enregistrement clandestin
- C23F Faire voir un texte avant publication
- C23J Intimidation/harcèlement
- C23L Altercation/manque de courtoisie
Date de l’appel
16 October 2007
Appelant
M. Christian Reeves
Décision en appel
Après examen, les membres de la commission d’appel ont conclu majoritairement au maintien de la décision rendue en première instance. Dans un deuxième temps, les membres concluent à un rejet du grief sur le journalisme d’embuscade, tout en maintenant un commentaire sur le fait que la filature aurait dû suivre une étape au cours de laquelle la journaliste aurait été, en toute ouverture, cogner à la porte de la résidence et place d’affaires du plaignant avant de le suivre en voiture.
Par conséquent, conformément aux règles de procédure, l’appel est rejeté.