Plaignant
MM. Michel Poulin et René Doyon
Mis en cause
M. Pierre Sirois, directeur de l’information; l’émission « Le TVA 18 heures » et le Groupe TVA inc.
Résumé de la plainte
MM. Michel Poulin et René Doyon portent plainte contre le Groupe TVA inc. pour avoir diffusé, lors de l’émission « Le TVA 18 heures » du 19 février 2007, ainsi que le lendemain matin, un reportage portant mention du nom ainsi que de la photographie de leur parente, retrouvée décédée dans la rue alors qu’elle résidait dans un établissement de soins pour personnes âgées. Les plaignants reprochent également au réseau de ne pas avoir respecté leur deuil lors de la collecte de matériel journalistique et ce, en interrogeant des membres de la famille de la défunte à la sortie des funérailles.
Griefs du plaignant
MM. Michel Poulin et René Doyon précisent que leur plainte vise à dénoncer une situation qu’ils qualifient de déplorable et dont a été victime leur famille à la suite du décès d’une de leur parente. Cet événement aurait été exploité avec exagération, à des seules fins de sensationnalisme et sans respect du deuil que vivait leur famille. Selon eux, la couverture journalistique de l’événement a été d’autant plus irrespectueuse, exagérée et inappropriée qu’elle ne pouvait nullement se réclamer du droit du public à l’information.
à cet égard, les plaignants expliquent que leur parente, âgée de 77 ans, demeurait avant son décès dans une résidence pour personnes âgées dites autonomes. Elle fut retrouvée morte, en février 2007, à l’extérieur de cet établissement. Les plaignants mentionnent que celle-ci souffrait de démence légère et qu’à la suite d’une enquête effectuée par le coroner, l’hypothermie a été identifiée comme cause du décès.
Lors des funérailles, MM. Poulin et Doyon rapportent que, à leur sortie de l’église, deux membres de leur famille ont été abordés par un journaliste du réseau TVA qui souhaitait recueillir leur sentiment sur « la façon de faire au centre d’hébergement » où vivait leur défunte parente. De l’avis des plaignants, le journaliste aurait souhaité obtenir des informations afin de réaliser un reportage sur le centre d’hébergement et ce, en dépit de l’état de deuil que la famille vivait à ce moment.
Les plaignants ajoutent qu’en plus de cette intervention, qu’ils qualifient d’inopportune et d’inappropriée, ils furent surpris du reportage diffusé lors de l’émission « Le TVA 18 heures ». En effet, celui-ci était accompagné d’une photographie de leur défunte parente, dont le nom était mentionné.
MM. Poulin et Doyon disent avoir été affectés par ce traitement public d’un drame d’ordre privé. Pour eux, rien ne justifiait que le décès de leur parente soit publiquement exploité, ni même que le nom de celle-ci fasse la manchette. Ils affirment que le télédiffuseur aurait récupéré l’événement à la seule fin de hausser ses côtes d’écoute.
Les plaignants précisent qu’à la suite de la diffusion du reportage, ils ont communiqué avec le journaliste afin de savoir qui lui avait fourni la photographie de leur défunte parente ainsi que l’autorisation de publication de celle-ci. Ce dernier aurait répondu qu’elle lui avait été transmise par le biais d’un courrier électronique et aurait assuré les plaignants que l’identité de ce correspondant leur serait révélée. Les plaignants affirment que cet engagement n’a jamais été rempli par le journaliste puisque celui-ci n’aurait en vérité disposé d’aucune autorisation pour publier ladite photographie.
Lorsque MM. Poulin et Doyon ont tenté de communiquer de nouveau avec le journaliste, ce dernier les aurait référé à M. Pierre Sirois, directeur de l’information de TVA qui aurait expliqué que le réseau s’était procuré le nom ainsi que la photographie de la défunte sur le site Internet du salon funéraire. Selon eux, cette photographie était dès lors publique, ce qui les autorisait ainsi à la publier. Lors de cette discussion avec M. Sirois, les plaignants auraient exprimé leur souhait que le nom ainsi que la photographie de leur parente soient retirés des ondes. Or, lors de la rediffusion du reportage le matin du 20 février 2007, le reportage était identique à celui de la veille.
Les plaignants expliquent qu’ils ont fait valoir auprès du directeur de l’information qu’il y aurait eu intérêt public si un manque évident de sécurité au centre d’hébergement où résidait leur parente avait été démontré et que son identité, en tant que telle, relevait de la sphère privée.
Les plaignants concluent qu’ils ont été victimes d’un abus du droit du public à l’information. De leur avis, le journaliste aurait plus agi par excès de sensationnalisme que par simple droit du public à l’information. MM. Poulin et Doyon estiment donc que les mis-en-cause ont manqué à leurs obligations en ayant exploité d’une façon qu’ils qualifient d’abusive, le nom et l’image de leur défunte parente ainsi que de leur famille.
Commentaires du mis en cause
Commentaires de Me émilie Whiteside, service des Affaires juridiques du Groupe TVA :
Me émilie Whiteside soutient toutefois que le télédiffuseur ainsi que son journaliste ont respecté les règles éthiques usuelles. Elle explique que les circonstances particulières qui ont entouré ce décès constituaient bien un événement d’intérêt public. Pour elle, les conséquences du niveau de soins et de sécurité des résidences pour personnes âgées sont d’intérêt public étant donné le nombre grandissant de personnes âgées qui sont prises en charge par celles-ci. Me Whiteside ajoute que le système de santé occupe par ailleurs une place importante dans l’actualité. à cet égard, elle estime que devant les nombreux débats et controverses soulevés par le thème des soins de santé et de sécurité au Québec, il était tout à fait pertinent de renseigner les téléspectateurs sur les différents faits qui révèlent les bénéfices et/ou les lacunes de ce système. Celle-ci soutient donc que le public avait non seulement le droit de connaître l’existence de ces événements mais qu’il devait également pouvoir saisir les conséquences aussi bien douloureuses que désastreuses qui en résultent.
La représentante du Groupe TVA inc. précise que c’est bien dans cette perspective que le journaliste fut soucieux d’informer les téléspectateurs sur les circonstances entourant le décès de la parente des plaignants. Elle rappelle que celui-ci a eu lieu dans le cadre d’un endroit communément considéré comme réglementé, sécuritaire et fiable. Elle ajoute que la démarche journalistique auprès de la famille de la défunte avait pour but de comprendre la situation tout comme de saisir « le désarroi, la douleur ainsi que le désespoir » que ceux-ci ont pu ressentir. Bien que le réseau ne prenne pas position sur la question, elle envisage la possibilité que ce décès ait suscité des réactions dans le public et qu’à cet égard, il était tout à fait pertinent de vérifier auprès des proches de la défunte quelle était leur opinion quant à la responsabilité potentielle de la résidence ainsi que des fournisseurs de soins dans cet événement.
En l’espèce, Me Whiteside conclut que la démarche journalistique a été effectuée dans le respect et la dignité puisque les personnes abordées par le journaliste étaient libres de livrer ou non leurs opinions ainsi que leurs réactions. Elle ajoute que les médias n’étaient pas présents à l’intérieur de l’église lors des funérailles et que le neveu de la défunte ainsi qu’un ami de la famille ont librement consenti à répondre au journaliste. Pour cette dernière, TVA a donc parfaitement respecté la famille endeuillée. Elle soutient que les reportages ont donc été réalisés avec tout le respect qui convenait.
En ce qui à trait à la diffusion de la photographie de la défunte lors des bulletins d’information, Me Whiteside réitère que celle-ci a été obtenue sur le site Internet du salon funéraire dont les coordonnées ont par ailleurs été envoyées à la rédaction par un membre de la famille de la défunte.
Réplique du plaignant
MM. Poulin et Doyon précisent que leur plainte n’a pas pour objet de mettre en doute le droit du télédiffuseur qui souhaitait faire la lumière sur un événement s’étant déroulé dans une résidence pour personnes âgées et ils saluent par ailleurs le souci qu’a eu le réseau de vouloir informer le public sur la qualité des soins ainsi que la sécurité accordée à ces personnes dans ces établissements.
Ils rappellent que leur plainte visait à dénoncer le moment choisi par le journaliste pour s’entretenir avec certaines personnes, soit à la sortie de l’église. Selon eux, les membres de la famille auraient dû être contactés à un autre moment. Pour eux, l’argument de TVA selon lequel les membres de la famille ont accepté de répondre au journaliste ne justifierait en rien qu’il y ait eu manquement au respect de la vie privée.
Dans un second temps, les plaignants expliquent que la réponse du mis-en-cause sur la diffusion de la photographie identifiée de la défunte ne leur apparaît pas acceptable. Ils rappellent que, si le site Internet du salon funéraire fournissait une information, il n’est toutefois pas concevable que ce moyen de communication ait pu donner à TVA un quelconque droit de diffusion sans avoir, au préalable, obtenu une autorisation à cet effet.
Analyse
MM. Michel Poulin et René Doyon portent plainte contre le Groupe TVA inc. pour avoir diffusé, lors de l’émission « Le TVA 18 heures » du 19 février 2007, un reportage traitant du décès d’une de leur parente qui résidait dans un établissement pour personnes âgées. En premier lieu, ils reprochent au télédiffuseur d’avoir traité publiquement d’un sujet d’ordre privé ainsi que de lui avoir accordé un traitement sensationnaliste.
Les drames humains et faits divers qui relèvent de la vie privée sont des sujets délicats à traiter et ce, en raison de leur caractère pénible pour leurs proches et le public. Toutefois, la liberté de la presse serait compromise si les médias n’en informaient pas la population. En effet, ces affaires traduisent des réalités ainsi que des enjeux sociaux importants. Les médias et les journalistes doivent pour autant éviter tout sensationnalisme dans le traitement de ces événements et veiller à ne pas leur accorder un caractère amplifié par rapport à leur degré d’intérêt public.
En vertu de ces principes, le Conseil de presse estime que TVA pouvait légitimement choisir d’accorder une couverture journalistique au décès de la parente des plaignants. De plus, et après analyse, il constate que le public n’a pas, au moyen de trop nombreux détails, été induit en erreur sur le message que souhaitait faire passer le télédiffuseur. à cet égard, il rejette également l’éventualité soulevée par les plaignants selon laquelle le reportage avait pour unique ambition de hausser les cotes d’écoute du réseau.
MM. Michel Poulin et René Doyon reprochent par ailleurs au journaliste d’avoir, lors de sa collecte de données, omis de considérer que la famille de la victime vivait un moment difficile et qu’il était inopportun de réaliser des entrevues des membres de celle-ci à leur sortie de la messe de funérailles.
En ce qui a trait au respect de la vie privée, le guide déontologique du Conseil mentionne que les médias ainsi que les journalistes doivent faire preuve de circonspection, que ce soit lors de la collecte, du traitement ou de la diffusion de l’information. En ce sens, il est impératif qu’ils fassent les distinctions qui s’imposent entre ce qui est d’intérêt public et ce qui relève de la seule curiosité publique.
Au regard de ces principes, le fait de réaliser deux entrevues avec des proches de la défunte pouvait-il se justifier? Comme l’expliquent les mis-en-cause, l’objectif du reportage était de sensibiliser le public sur les questions de gestion de la sécurité et des soins dans les résidences pour personnes âgées. Or, les deux entrevues diffusées lors du reportage recueillent bien le sentiment des individus sur cette même question; entrevues auxquelles ils se sont par ailleurs librement soumis. Après analyse, le Conseil conclut donc qu’il n’y a pas eu entorse à la déontologie journalistique sur cet aspect.
En dernier lieu, les plaignants formulent un grief concernant la divulgation de l’identité ainsi que de la photographie de leur défunte parente. En effet et lors du lancement du reportage, on peut entendre l’animateur dévoiler le nom de celle-ci tandis que, sur l’écran qui se trouve derrière lui, on perçoit distinctement la photographie de cette dernière.
à cet effet, le Conseil de presse tient à rappeler le principe selon lequel la publication d’informations permettant l’identification des victimes dans le cadre de drames humains doit avant tout être basée sur leur caractère d’intérêt public.
Le Conseil comprend le deuil difficile vécu par la famille de la défunte. Après analyse, le Conseil de presse conclut toutefois que l’utilisation de la photographie ainsi que le dévoilement de l’identité de la victime dans le reportage étaient d’intérêt public. En effet, le décès de la victime faisait l’objet d’une enquête du coroner et des forces policières. Nous étions donc en présence d’un drame humain à portée sociale. Le grief est donc rejeté.
Le Conseil tient cependant à inviter les médias à la prudence dans des dossiers aussi sensibles et à faire preuve, le plus possible, de compassion envers les familles de victimes et de discernement dans l’utilisation des photographies des personnes décédées. Il est toujours préférable d’expliquer à la famille des victimes les raisons de leur publication et, le cas échéant, éviter de présenter les photographies dans des reportages subséquents lorsqu’une demande en ce sens est formulée par les proches.
Décision
Après examen, le Conseil de presse rejette la plainte de MM. Michel Poulin et René Doyon à l’encontre du Groupe TVA inc.
Analyse de la décision
- C02A Choix et importance de la couverture
- C14A Sensationnalisme/exagération/insistance indue
- C16B Divulgation de l’identité/photo
- C16G Manque d’égards envers les victimes/proches
- C19A Absence/refus de rectification
- C21E Subordonner l’information à des intérêts commerciaux