Plaignant
M. Bernard Desgagné
Mis en cause
M. André Pratte, éditorialiste en chef; M. Alain Dubuc, chroniqueur; M. Éric Trottier, directeur de l’information; le quotidien La Presse et le portail Internet Cyberpresse
Résumé de la plainte
M. Bernard Desgagné porte plainte contre les chroniques de MM. André Pratte et Alain Dubuc parues dans l’édition du 7 décembre 2007 du quotidien La Presse ainsi que sur Cyberpresse. Le plaignant reproche aux mis-en-cause d’avoir proposé aux lecteurs certaines interprétations erronées concernant les données linguistiques issues du recensement 2006 de Statistique Canada.
Griefs du plaignant
NOTE
Exceptionnellement et afin de permettre une compréhension optimale du texte, la plainte et la réplique ont été regroupées au sein d’une unique entité.
Selon M. Desgagné, les mis-en-cause auraient volontairement écarté des faits importants dans le cadre de leurs articles, ce qui aurait eu pour conséquence de proposer une interprétation biaisée de la réalité aux lecteurs en plus de les induire en erreur. De son avis, la thèse qu’ils ont défendue selon laquelle le français progresserait au Québec serait loin de la réalité.
Concernant l’éditorial de M. Pratte, le plaignant conteste l’allégation selon laquelle « les politiciens [mijoteraient] une crise tout aussi factice » puisque selon lui, il s’agirait d’une crise émanant de simples citoyens ainsi que de groupes de défense de la langue française.
De l’avis du plaignant, en proposant d’étudier les tendances à long terme plutôt que les variations de cinq ans en cinq ans, M. Pratte aurait passé sous silence les manigances méthodologiques qui auraient été employées par Statistique Canada lors des précédents recensements et qui aurait eu pour but de masquer le recul ou la stagnation de la langue française. Il ajoute que ces manigances ont été dénoncées par plusieurs auteurs et notamment par M. Charles Castonguay dans le cadre d’un article publié en septembre 2003 dans le journal L’Action nationale et intitulé « Le recensement au service de l’unité canadienne : comment dissimuler la faiblesse du français ».
Selon M. Desgagné, le mis-en-cause aurait fait montre de contradiction en écrivant qu’une diminution de 0,6 point de pourcentage est un recul pour la langue anglaise tandis qu’une diminution de 1,2 point de pourcentage doit être interprétée comme un maintien pour le français.
L’affirmation de M. Pratte selon laquelle « comme le souhaitaient les auteurs de la Charte de la langue française, [l]es immigrants adoptent de plus en plus le français comme langue d’usage », serait par ailleurs mensongère. De l’avis de M. Desgagné, la majorité des substitutions linguistiques des allophones favorisant le français s’effectuerait en réalité à l’étranger. Leur francisation ne serait donc nullement en lien avec la Charte de la langue française. Ainsi, selon le plaignant, il est tout au plus possible d’affirmer que l’apport d’immigrants francisés à l’étranger permet à la langue française de régresser moins vite mais nullement de la faire progresser.
En ce qui a trait à la chronique de M. Dubuc, le plaignant affirme que l’allégation selon laquelle « ces statistiques ne permettent pas de déceler un quelconque recul du français au profit de l’anglais » est fausse. D’après lui, le mis-en-cause ne se serait basé que sur les statistiques concernant la langue maternelle alors que ce serait celles concernant la langue d’usage qui seraient pertinentes en la matière.
Commentaires du mis en cause
Commentaires de Me Carolina Mingarelli, procureure de La Presse :
De l’avis de la représentante des mis-en-cause, le plaignant serait simplement en désaccord avec les points de vue de MM. Dubuc et Pratte et leurs échanges sur l’interprétation à donner à certaines statistiques relèveraient du débat d’idées.
Pour Me Mingarelli, l’interprétation des données publiées par Statistique Canada ne constitue pas un manquement à la déontologie puisque les textes éditoriaux s’inscriraient dans la continuité du débat sur ce sujet.
Elle ajoute que les données incluses dans les deux articles sont exactes et proviennent directement et intégralement des résultats du sondage de Statistique Canada. Elle conclut que la plainte de M. Desgagné n’est pas fondée.
Analyse
M. Bernard Desgagné portait plainte contre l’éditorial de M. André Pratte et la chronique de M. Alain Dubuc parus dans l’édition du 7 décembre 2007 du quotidien La Presse ainsi que sur Cyberpresse. Il reprochait aux mis-en-cause d’avoir proposé aux lecteurs une interprétation biaisée de la réalité en écartant des faits importants dans le cadre de leur analyse.
L’éditorial laisse aux professionnels de l’information une grande latitude dans l’expression de leurs points de vue, commentaires, opinions, prises de position, critiques, ainsi que dans le choix du ton et du style qu’ils adoptent. Cette liberté n’est toutefois pas absolue et les éditorialistes doivent veiller à rester fidèles aux faits ainsi qu’à faire preuve de rigueur et d’intégrité intellectuelles dans l’évaluation des événements, des situations et des questions sur lesquels ils expriment leurs points de vue, leurs jugements et leurs critiques.
Dans le cadre de l’éditorial de M. Pratte, le plaignant contestait d’une part l’allégation du mis-en-cause selon laquelle « les politiciens [mijoteraient] une crise » alors que celle-ci émanerait de simples citoyens et de groupes de défense de la langue française et d’autre part son affirmation selon laquelle « [l]es immigrants adoptent de plus en plus le français comme langue d’usage » et ce, grâce à la Charte de la langue française serait selon lui inexacte. Après analyse, le Conseil constate cependant que le mis-en-cause n’a fait montre d’aucune inexactitude. En effet, les premiers propos de M. Pratte ne se rapportaient pas aux origines de la crise linguistique mais à sa possible instrumentalisation par les politiciens, ce qui est différent. Par ailleurs et concernant l’adoption de la langue française par les immigrants, le Conseil n’a pu identifier aucun élément permettant de conclure à une entorse à l’éthique journalistique dans cette affirmation.
M. Desgagné reprochait également à M. Pratte d’avoir passé sous silence la question des « manigances méthodologiques » employées par Statistique Canada dans le but de masquer le recul de la langue française ainsi que d’avoir fait montre de contradiction en écrivant qu’une diminution de 0,6 point de pourcentage était un recul pour la langue anglaise tandis qu’une diminution de 1,2 point de pourcentage doit être interprétée comme un maintien pour la langue française. Sur ces points, le Conseil affirme que le mis-en-cause disposait d’une latitude éditoriale suffisante pour choisir dans un premier temps de ne pas s’intéresser aux questions des possibles biais méthodologiques de Statistique Canada dans son éditorial. En ce qui a trait aux points de pourcentage, il remarque que, contrairement à l’affirmation du plaignant, le mis-en-cause ne s’est tout au plus qu’interrogé dans le cadre de son éditorial pour savoir si une diminution de 0,6 point de pourcentage était considéré, par les personnalités politiques et les commentateurs, comme un recul de la langue anglaise. Le grief est rejeté.
Concernant la chronique de M. Dubuc, le plaignant affirmait que l’allégation du mis-en-cause selon laquelle le passage de 81,4 % à 79,6 % de francophones au Québec ne permettait pas de déceler un recul du français au profit de l’anglais serait mensongère. Or, compte tenu d’une part de la latitude dont disposait le mis-en-cause dans le cadre de sa chronique et d’autre part des arguments qui venaient soutenir ce postulat d’interprétation statistique dans son argumentation, le Conseil rejette le grief.
Décision
Au terme de son analyse, le Conseil de presse rejette la plainte de M. Bernard Desgagné contre l’éditorial de M. André Pratte et la chronique de M. Alain Dubuc parus dans l’édition du 7 décembre 2007, du quotidien La Presse ainsi que sur Cyberpresse.
Analyse de la décision
- C03C Sélection des faits rapportés
- C11B Information inexacte
- C11C Déformation des faits