Plaignant
Le Regroupement indépendant des conseillers de l’industrie financière du Québec (RICIFQ) et
Mme Manon Saint-Cyr, vice-présidente, trésorière et responsable des communications
Mis en cause
M. David Clerk, directeur général; Mme Claire Harvey, journaliste et rédactrice en chef,
Option consommateurs et le magazine Protégez-Vous
Résumé de la plainte
Mme Manon Saint-Cyr, vice-présidente, trésorière et responsable des communications pour le Regroupement indépendant des conseillers de l’industrie financière du Québec (RICIFQ) porte plainte contre la journaliste Claire Harvey et le magazine Protégez-Vous pour l’article paru dans l’édition du 19 septembre 2007 et intitulé « L’incompétence règne, la moitié échoue ».
Griefs du plaignant
Mme Saint-Cyr précise qu’elle déplore successivement :
– la méthodologie utilisée dans le cadre de l’enquête réalisée par Option consommateurs et publiée par le magazine Protégez-Vous et notamment l’utilisation d’une note de passage de 66 % afin de faire en sorte que la moitié des conseillers financiers enquêtés échoue;
– le manque de rigueur dans les choix des compétences qui ont été évaluées chez les conseillers enquêtés;
– le manque de coopération des enquêteurs concernant la mention de détails supplémentaires et pertinents;
– l’utilisation de titres « tapageurs »;
– l’atteinte à la réputation du RICIFQ ainsi qu’à l’intégrité des conseillers financiers.
Commentaires du mis en cause
Commentaires de M. David Clerk, directeur général des éditions Protégez-Vous :
De l’avis du mis-en-cause, les allégations de Mme Saint-Cyr sont vagues et imprécises. Il explique que le magazine Protégez-Vous n’a pas fait exception, dans le cadre de son dossier sur les conseillers financiers, aux critères habituels de rigueur et d’intégrité.
M. Clerk précise que le scénario d’enquête a été établi de concert avec un professionnel expérimenté détenant les titres de planificateur financier et d’assureur-vie agréé qui a exercé des fonctions de courtier de plein exercice en valeurs mobilières.
Il mentionne que, lors de leur collecte de données, les journalistes d’Option consommateurs ont visité plusieurs institutions financières en se faisant passer pour de potentiels consommateurs et ce, afin d’obtenir le portrait le plus réaliste des services proposés aux individus qui prospectent un conseiller financier. Les informations ainsi recueillies ont été compilées dans une grille uniformisée. Or, après analyse, il se serait avéré que plusieurs conseillers financiers enquêtés n’ont pas posé certaines questions nécessaires à une bonne connaissance du client. Pour le mis-en-cause, ces questions ont pourtant été jugées comme fondamentales par les experts du domaine et notamment par la Chambre de la sécurité financière.
M. Clerk précise que, bien que l’enquête ait été réalisée par Option consommateurs, le magazine Protégez-Vous s’est assuré, avant publication, que la méthodologie utilisée ainsi que le choix d’attribuer des notes étaient conformes à ses standards. La note de passage a été fixée à 66 % et, dans l’esprit de l’enquête, les conseillers ayant obtenu 65 % et moins n’auraient pas posé toutes les questions qu’il convenait d’aborder afin de bien connaître un client potentiel.
De l’avis du mis-en-cause, le titre « Conseillers financiers : 50 % échouent à notre test » qui se trouvait sur la page de couverture du magazine, reflétait fidèlement les conclusions de l’enquête d’Option consommateurs. Ainsi dès le départ, le lecteur était informé que l’échantillon se limitait aux personnes qui ont été enquêtées. M. Clerk ajoute que l’enquête évaluait la performance de 39 conseillers financiers et que jamais le magazine Protégez-Vous ou l’association Option consommateurs n’ont entendu étendre les conclusions de celle-ci à l’ensemble de l’industrie. Il ajoute que le titre « L’incompétence règne », qui se trouvait quelques pages plus loin, se situait sous la mention « Enquête : 39 conseillers financiers », qui situait les limites des conclusions proposées par le magazine.
Le plaignant rapporte que la majorité des conseillers financiers qui ont été interrogés travaillaient dans le milieu bancaire et il ajoute qu’aucune institution n’a contesté les résultats de l’enquête parue dans le magazine Protégez-Vous. Certaines institutions auraient même souligné l’importance de procéder à une analyse de ces résultats et ce, afin de revoir certaines des façons de faire de l’industrie.
M. Clerk conclut qu’il juge normal que les conclusions de l’enquête aient entraîné de vives discussions et ajoute que cela est même souhaitable si l’industrie souhaite améliorer ses pratiques.
Commentaires de M. Michel Arnold, directeur général et de Mme Claire Harvey, rédactrice en chef et journaliste pour Option consommateurs :
Sur la question de la méthodologie utilisée, les mis-en-cause expliquent qu’Option consommateurs a procédé à une enquête anonyme afin d’évaluer le service rendu du point de vue du client et non de celui de l’industrie. Ils expliquent que l’organisme a, à cette fin, utilisé une méthodologie rigoureuse qui fut de surcroît validée par un expert. De leur avis, ce dernier était en mesure de déterminer les principales variables dont un bon représentant devrait tenir compte pour prodiguer un service financier approprié.
Mme Harvey et M. Arnold expliquent que l’évaluation des entrevues a été réalisée à l’aide d’une grille de 100 points, élaborée en collaboration avec les éditions Protégez-Vous.
Pour les mis-en-cause, l’échantillon choisi se devait de refléter le marché et surtout les habitudes de consommation de la clientèle. C’est à cette fin que fut reproduit le comportement d’un consommateur « ordinaire » cherchant à investir son argent. Afin d’avoir un aperçu du type de services qui leur était offert, ils précisent que les enquêteurs se sont adressés aux institutions les plus visibles. De leur avis, le choix de rencontrer des représentants rattachés aux grandes institutions était légitime puisque celles-ci détiennent 80 % du marché des fonds communs de placement.
En ce qui a trait à la démarche, Mme Harvey et M. Arnold expliquent qu’il a été supposé qu’un consommateur consciencieux rencontrerait plusieurs représentants avant de décider de celui qui lui conviendrait. Ils précisent que cette hypothèse est tirée d’un document de travail produit par l’Autorité des marchés financiers et intitulé « Comment choisir votre firme et votre représentant en valeurs mobilières ». Les mis-en-cause ajoutent que les enquêteurs avaient pour directive de ne pas ouvrir de compte et de ne pas conclure de transaction avec les représentants. Ils devaient se limiter à dire qu’ils souhaitaient réfléchir à la proposition du représentant.
Pour Mme Harvey et M. Arnold, connaître son client est la plus grande responsabilité du représentant, qu’il s’agisse d’une rencontre de prospection ou d’ouverture de compte. De l’avis de leur expert, il serait crucial que le représentant pose certaines questions de base afin de seulement savoir si le client potentiel travaille ou s’il a des dettes. Ils ajoutent que ces questions auraient par ailleurs été jugées comme fondamentales par la Chambre de la sécurité financière ainsi que l’Autorité des marchés financiers.
Concernant le choix des compétences enquêtées chez les conseillers, les mis-en-cause expliquent que les enquêteurs ont pris contact avec plusieurs institutions en laissant à celles-ci le soin de les rediriger vers les professionnels qu’ils jugeaient les plus aptes à répondre à leurs besoins. De leur avis, l’argument de la plaignante selon lequel les enquêteurs ont manqué de rigueur dans le choix des compétences des conseillers par rapport à la grille d’évaluation ne serait pas pertinent.
Enfin, en ce qui a trait à la réputation des conseillers, Mme Harvey et M. Arnold sont d’avis que le sondage publié par le magazine Protégez-Vous n’a aucune valeur scientifique. Ils ajoutent qu’il n’établit pas non plus de lien entre l’enquête et la confiance des consommateurs envers leur conseiller financier. Par ailleurs, puisque le sondage ne mesurait pas le taux de satisfaction des consommateurs avant et après la tenue de l’enquête, il n’est pas possible de mesurer l’impact de celle-ci sur la confiance des consommateurs.
Ils concluent qu’il était clairement mentionné dans le dossier d’enquête que les résultats de l’enquête ne pouvaient être étendus à l’ensemble de l’industrie. Ils précisent à cet effet que sous la rubrique « comment lire notre tableau » et sous « note globale », il était possible de lire le commentaire suivant : « la note globale est basée sur une rencontre avec un représentant et ne témoigne pas de la qualité du service de l’ensemble de la succursale ».
Réplique du plaignant
Mme Saint-Cyr précise que la plainte du RICIFQ ne portait pas sur l’enquête en elle-même mais sur la forme de l’article ainsi que sur les titres qu’elle juge « tapageurs ». En effet, sur la page de couverture, il est possible de lire en gros titre « L’incompétence règne » suivi de la mention « Toutes les institutions financières s’engagent à faire une analyse approfondie de votre cas. Peut-on leur faire confiance? » ce qui mettrait d’emblée le lecteur sur la défensive. Elle ajoute que le premier paragraphe de l’article commençant par « Vous avez une chance sur deux de rencontrer quelqu’un d’incompétent » pousserait le lecteur à conclure que la moitié des conseillers ne sont pas compétents.
De son avis, l’entête de l’intitulé, « La moitié échoue… » serait basée sur une note de passage subjective de 65 % visant à donner une saveur sensationnaliste à l’article. La plaignante ajoute que l’on peut lire plus loin dans le dossier que « L’industrie fait face à un défi considérable. Ne devrait-elle pas faire le ménage en ses murs? », ce qui, selon elle, constitue une généralisation à l’ensemble de l’industrie bien que les mis-en-cause réfutent cette idée. Elle mentionne également que l’affirmation selon laquelle « La grande majorité des représentants vivent de la vente de produits » aurait pour effet de laisser au lecteur l’impression que les conseillers financiers ne sont pas objectifs. De son avis, à la lecture de l’enquête publiée par le magazine Protégez-vous, le lecteur retiendrait que l’incompétence règne parmi les conseillers financiers.
Analyse
Mme Manon Saint-Cyr, vice-présidente, trésorière et responsable des communications pour le Regroupement indépendant des conseillers de l’industrie financière du Québec (RICIFQ) portait plainte contre Mme Claire Harvey, journaliste pour l’association Option consommateurs et le magazine Protégez-Vous concernant le dossier d’enquête sur les conseillers financiers paru dans l’édition du 19 septembre 2007 et intitulé « L’incompétence règne – la moitié échoue ».
Les médias et les professionnels de l’information doivent traiter l’information recueillie sans déformer la réalité; le recours au sensationnalisme risquant de donner lieu à une exagération et une interprétation abusive des faits et des événements en plus d’induire le public en erreur quant à la valeur et à la portée réelles des informations qui lui sont transmises. Les manchettes et les titres doivent quant à eux respecter le sens, l’esprit et le contenu des textes auxquels ils renvoient en évitant le sensationnalisme en plus de veiller à ce que les manchettes et les titres ne servent pas de véhicules aux préjugés et aux partis pris.
La plaignante reprochait dans un premier temps à Option consommateur, qui a réalisé le dossier d’enquête, et au magazine Protégez-Vous, qui l’a publié, d’avoir manqué de pondération dans sa présentation de l’information. Elle regrettait tout d’abord le choix de fixer subjectivement une note de passage à 66 %, ce qui aurait eu pour effet de faire échouer la moitié des conseillers enquêtés. Mme Saint-Cyr déplorait également le sensationnalisme du titre « La moitié échoue », qui découlait directement du choix de la note de passage, de même que les titres et sous-titres de la page d’ouverture du dossier qui incitaient, par leur côté « tapageur », les lecteurs à la méfiance. Enfin, Mme Saint-Cyr reprochait au magazine Protégez-Vous d’avoir fait des généralisations.
Or, l’analyse a permis d’établir que le choix d’une note de passage a été réalisé conjointement par Option consommateur, le magazine Protégez-Vous et un professionnel de la finance. Le Conseil précise qu’il s’agissait par ailleurs d’un choix relevant de la liberté rédactionnelle sur lequel il ne peut porter de jugement. Il constate par ailleurs que le titre « La moitié échoue » découlait des conclusions relatives à ce choix méthodologique et remarque que des précisions détaillées étaient proposées aux lecteurs au moyen d’une colonne explicative à la page précédant la compilation des notes obtenues par les 39 conseillers financiers. Le Conseil constate néanmoins que ces précisions méthodologiques n’étaient présentées aux lecteurs que plusieurs pages après le titre « La moitié échoue », ce qui ne permettait pas à ces derniers de faire instantanément le lien entre titre et méthodologie.
En ce qui a trait au choix du titre, « L’incompétence règne », et le sous-titre de la première page du dossier d’enquête, « Toutes les institutions financières s’engagent à faire une analyse approfondie de votre cas », le Conseil remarque que ceux-ci étaient précédés par un en-tête en haut de page portant la mention « Enquête – 39 conseillers » et conclut que cette disposition permettait aux lecteurs de comprendre que les conclusions ne s’appliquaient que dans le cadre de l’enquête réalisée auprès de ces mêmes conseillers.
Enfin, l’analyse a permis de démontrer que l’affirmation « L’industrie fait face à un défi considérable. Ne devrait-elle pas faire le ménage en ses murs? » constituait bien une généralisation à l’ensemble de l’industrie. N’intervenant toutefois qu’au terme d’un dossier d’enquête de plusieurs pages, le Conseil conclut que l’affirmation mise en cause, en dépit du manque de nuance, n’avait pas une portée sensationnaliste.
Mme Saint-Cyr reprochait à Option consommateurs et au magazine Protégez-Vous d’avoir manqué de rigueur dans le cadre de son dossier d’enquête. Elle regrettait d’abord ce qu’elle estime être un manque de rigueur dans le choix des compétences des conseillers financiers qui ont été évaluées. Elle déplorait par la suite que la journaliste ait présumé que ces derniers n’étaient pas en mesure de donner des conseils objectifs à leur client puisqu’ils sont rémunérés en fonction de la vente de produits. Elle regrettait enfin que le dossier d’enquête dans sa globalité ait laissé entendre aux lecteurs que l’incompétence règne parmi les conseillers financiers et qu’ils ont une chance sur deux de tomber sur un conseiller incompétent.
Or, l’analyse a permis de démontrer qu’Option consommateur en accord avec le magazine Protégez-Vous ainsi qu’en collaboration avec un conseiller financier de métier ont fait le choix de critères d’évaluation axés sur la mesure de la qualité du service rendu au client. Compte tenu de la mission de la publication, le Conseil conclut que les critères retenus permettaient d’évaluer les conseillers financiers selon le mandat que s’étaient conjointement donné Option consommateur et le magazine Protégez-Vous, en accord avec la mission de ce dernier.
En ce qui a trait au manque d’objectivité des conseillers financiers, la plaignante faisait référence à l’affirmation selon laquelle « La grande majorité des représentants vivent de la vente de produits. Il ne faut donc pas s’attendre à une totale objectivité de leur part. » L’analyse a permis au Conseil d’établir que le vocable « conseiller financier » recouvre des réalités hétérogènes, plus loin détaillées dans l’article, et qu’un conseiller financier est en partie rémunéré par les ventes qu’il réalise. Le Conseil conclut que l’affirmation selon laquelle ils ne seraient pas totalement objectifs envers leur clientèle restait dans les limites permises par la déontologie.
Enfin, concernant l’impression qui serait laissée aux lecteurs que l’incompétence règne parmi les conseillers financiers et qu’ils ont une chance sur deux de rencontrer des professionnels incompétents, le Conseil est plutôt d’avis que le dossier d’enquête appelait les lecteurs à la prudence en leur rappelant qu’ils doivent faire preuve de vigilance dans le choix de leur conseiller financier; impression qui découlait des résultats de l’enquête.
Finalement, Mme Saint-Cyr déplorait que la publication de l’enquête d’Option consommateur ait eu pour effet de porter atteinte à la réputation ainsi qu’à l’intégrité du métier de conseiller financier. Le Conseil rappelle que l’éthique journalistique se limite à déterminer si un journaliste ou un média a commis ou non une faute d’ordre déontologique dans le cadre de l’exercice de sa profession. Elle ne peut nullement prétendre mesurer les conséquences d’une telle faute sur la réputation d’une personne, cet aspect relevant des tribunaux.
Décision
Par conséquent, le Conseil de presse rejette la plainte de Mme Saint-Cyr contre la journaliste Mme Claire Harvey et le magazine Protégez-Vous.
Analyse de la décision
- C11F Titre/présentation de l’information
- C14A Sensationnalisme/exagération/insistance indue
- C15A Manque de rigueur
- C15C Information non établie
- C15H Insinuations
- C17D Discréditer/ridiculiser
Date de l’appel
4 November 2008
Appelant
Le Regroupement indépendant des conseillers de l’industrie financière du Québec (RICIFQ) et
Mme Manon Saint-Cyr, vice-présidente, trésorière et responsable des communications
Décision en appel
Les membres de la commission d’appel ont conclu à l’unanimité de maintenir la décision rendue en première instance.