Plaignant
M. David Page, directeur général et la Société canadienne de l’hémophilie
Mis en cause
M. Aaron Derfel, journaliste; M. Ross Teague, rédacteur au national et le quotidien The Gazette
Résumé de la plainte
M. Page porte plainte contre le quotidien The Gazette relativement à son article intitulé « Agencies refuse to lift ban on gay men », publié dans l’édition du 7 mars 2008. Il reproche au journal d’avoir suggéré, sans n’avoir jamais pris contact avec elle, que la communauté hémophile exerçait des pressions politiques afin que soit maintenues les restrictions en vigueur concernant la possibilité que les homosexuels puissent faire don de leur sang.
Griefs du plaignant
M. Page rapporte dans un premier temps le passage de l’article qu’il juge insatisfaisant : « Wainberg suggested political pressure from the hemophiliac community and fears of potential civil liability as reasons for the reluctance to lift the ban » (« Wainberg suggère que des pressions politiques de la communauté hémophile et la crainte d’une potentielle responsabilité civile expliquent la réticence à lever l’interdiction » traduction libre).
Il déplore qu’aucune précision n’ait été apportée concernant la nature des pressions politiques supposément exercées par la communauté hémophile. Aucune explication n’est proposée aux lecteurs, à l’exception de considérations historiques, pour lui permettre de comprendre pourquoi cette communauté n’est pas favorable à un changement de législation. Selon le plaignant, le journaliste n’aurait pas tenté, préalablement à son article, de contacter la Société canadienne de l’hémophilie afin se renseigner sur ses positions et ce qui les sous-tend.
M. Page explique ne pas comprendre pourquoi seule la communauté hémophile est stigmatisée au travers de l’article. Selon lui, des objections à ce que les restrictions d’admissibilité pour les donneurs sanguins soient levées viennent également de nombreuses autres organisations, que ce soit au Canada ou dans le reste du monde.
Le matin du 7 mars 2008, le plaignant explique avoir soumis au quotidien The Gazette une lettre à l’éditeur au nom de la Société canadienne de l’hémophilie. Celle-ci exprimait le désaccord de l’organisation avec certains des arguments invoqués par les Dr. Wainberg et Gilmore en plus de présenter la position officielle de la Société canadienne de l’hémophilie. Ce matin-là ainsi que l’après-midi qui a suivi, M. Page aurait laissé de nombreux messages au journaliste, M. Aaron Derfel, ainsi qu’au bureau de la rédaction. Lorsque les appels lui furent retournés en fin d’après-midi ce même jour, il aurait été trop tard pour inclure cette lettre à l’édition du lendemain. La section des lettres à l’éditeur ainsi que celle des opinions étaient par ailleurs complètes jusqu’au mardi suivant. Dans son unique conversation téléphonique avec une personne travaillant pour le quotidien, M. Page a demandé à ce que les personnes responsables desdites sections le contactent afin que puisse être envisagé que soit publié le point de vue de la Société canadienne de l’hémophilie. Son appel n’aurait jamais été retourné.
Le plaignant explique avoir contacté de nouveau le quotidien du mardi 11 mars 2008 pour exprimer son mécontentement face à la non-publication de sa lettre ainsi que son souhait de parler aux responsables des sections. Il ne fut pas rappelé cette fois non plus.
Il conclut en expliquant qu’il ne s’agit pas de la première fois que le quotidien fait état de cette problématique d’une façon biaisée. Le 26 novembre 2007, et la suite d’un éditorial des mêmes auteurs, la lettre à l’éditeur de la Société canadienne de l’hémophilie n’avait pas non plus été publiée. Pour M. Page, cela démontrerait un biais de la rédaction du quotidien que viendrait renforcer la non-volonté de celle-ci de permettre au public de réagir à des articles qui l’interpelle.
Commentaires du mis en cause
M. Ross Teague, rédacteur au national, explique dans un premier temps que l’article d’Aaron Derfel était le fruit d’une conférence de nouvelles données le 6 mars 2008 durant laquelle deux experts de renom du VIH ont appelé à ce que les restrictions à vie qui concernent les donneurs sanguins gays soient levées. En plus d’avoir assisté à cette conférence, le journaliste aurait contacté les porte-parole d’Héma-Québec et de la Société canadienne du sang afin d’obtenir leur point de vue. Il aurait également fait des recherches sur le système de donneurs sanguins en Australie.
Pour tout résultat, M. Teague estime que l’article ne faisait qu’effleurer la question des hémophiles d’une manière qu’il est possible de juger comme étant neutre, voire positive. La phrase concernant les pressions politiques en provenance de la communauté hémophile aurait été prononcée par le Dr. Wainberg lors de la conférence. Plus haut dans l’article, un porte-parole d’Héma-Québec est cité expliquant que la décision de lever l’interdiction se devait de prendre en considération les personnes susceptibles de recevoir des produits sanguins. Selon le mis-en-cause, cela venait expliquer le contexte des problèmes passés liés aux dons de sang et ne viendrait nullement soutenir l’affirmation du plaignant selon laquelle l’article n’était ni juste ni équilibré.
De l’avis de M. Teague, le plaignant semblerait croire que son organisation détient le droit d’être cité dans tout article relatif au don de sang et qui fait mention des hémophiles. Selon lui, ce n’est toutefois pas le cas. Il ajoute qu’Aaron Derfel a contacté les organisations qui lui ont semblé être essentielles à ce qu’il puisse écrire un article complet et équilibré et n’avait pas ainsi aucune obligation de contacter toutes les autres organisations qui pouvaient se sentir affectées de quelque façon que ce soit.
Concernant l’affirmation selon laquelle M. Page n’a pas été contacté à la suite de son appel à M. Derfel le 7 mars 2008, le mis-en-cause explique que ce dernier était en vacances depuis ce jour et n’a donc pu prendre ses appels depuis son bureau.
M. Teague conclut en ajoutant que la lettre qui fut soumise au journal par la Société canadienne de l’hémophilie était aussi longue que l’article auquel elle réagissait et n’était donc pas conforme à la politique éditoriale en la matière. Il ajoute que le quotidien n’a nullement l’obligation de publier toutes les lettres qui lui sont soumises, tout particulièrement dans le cas où l’auteur de la lettre n’est pas directement impliqué dans l’article.
Réplique du plaignant
De l’avis de M. Page et contrairement à ce qu’affirmait le mis-en-cause, l’article de M. Derfel ne touchait pas à la question des hémophiles de manière secondaire en étant neutre voire positif. Pour lui, l’article suggérait que la communauté des hémophiles ralentit les avancées en matière de possibilité de donner du sang et ce, pour des motifs d’ordre politiques mais non détaillés. Il rappelle que le journaliste n’aurait fait aucun effort pour découvrir pourquoi les personnes hémophiles sont opposées à des changements dans la régulation concernant les donneurs sanguins. De son avis, l’article dépeignait la Société canadienne de l’hémophilie comme exerçant sans raison des pressions politiques, ce qui ne serait ni neutre ni positif. Pour M. Page, le journaliste aurait pu éviter ce problème en contactant celle-ci, ce qui lui aurait permis de prendre conscience que ses objections reposent sur des questions de sécurité sanitaire présentes et futures.
Le plaignant explique que, contrairement à ce qu’affirmait le mis-en-cause, la Société canadienne de l’hémophilie n’a jamais prétendu qu’elle devait être citée dans tout article qui a trait à des questions de don sanguin et qui mentionne la question des hémophiles. Il ajoute qu’il lui semble cependant raisonnable qu’un article traitant de la question des donneurs et qui se veut complet et équilibré puisse inclure le point de vue de l’organisation des receveurs la plus importante du pays, tout spécialement lorsqu’il en est fait mention dans un article.
M. Page conclut qu’après avoir soumis sa lettre au quotidien, personne ne lui a suggéré de raccourcir celle-ci afin d’être en conformité avec la politique de publication de la rédaction. Il explique pourtant avoir été invité à la faire dans d’autres journaux.
Analyse
M. David Page portait plainte contre le journaliste Aaron Derfel pour son article intitulé « Agencies refuse to lift ban on gay men », publié dans l’édition du 7 mars 2008 du quotidien The Gazette. Il reprochait dans un premier temps au journaliste d’avoir suggéré que la communauté hémophile exerçait des pressions politiques afin que la possibilité de donner son sang ne soit pas étendue aux personnes homosexuelles. Il aurait à cet effet omis de faire mention des raisons qui expliquent cette position en plus d’avoir attribué celle-ci à la seule communauté hémophile alors qu’elle serait partagée par plusieurs organismes.
Le Conseil précise tout d’abord que l’article de M. Derfel ne faisait pas référence à la Société canadienne de l’hémophilie mais à la communauté hémophile que citait M. Wainberg. L’article portait principalement sur la position des deux principales agences canadiennes du sang que sont Héma-Québec et la Société canadienne du sang concernant la possibilité que les personnes homosexuelles puissent faire don de leur sang.
En ce qui a trait à la nouvelle, les médias et les professionnels de l’information doivent s’en tenir à rapporter les faits et à les situer dans leur contexte sans les commenter. Quel que soit l’angle de traitement retenu pour une nouvelle ou un reportage, les médias et les journalistes doivent transmettre une information qui reflète l’ensemble d’une situation et le faire avec honnêteté, exactitude et impartialité.
Après analyse, le Conseil constate que le journaliste a proposé aux lecteurs un complément d’information qui permettait d’expliquer la position de la communauté hémophile. Bien que le plaignant ait jugé cette explication insatisfaisante, il n’a offert au Conseil aucune proposition quant à celle qu’il aurait souhaité y voir figurer à la place. Compte tenu du fait que l’article portait sur le refus des principales agences responsables du sang au Canada en la matière, le journaliste pouvait librement choisir d’y faire ou non figurer l’opposition d’autres organismes. Par conséquent, le grief est rejeté.
Le plaignant reprochait également au journaliste de ne pas avoir contacté la Société canadienne de l’hémophilie pour se renseigner sur ses positions et les arguments qui les sous-tendent.
L’information livrée par les médias fait nécessairement l’objet de choix. Ceux-ci doivent toutefois être faits dans un esprit d’équité et de justice et ne se mesurent pas seulement de façon quantitative, sur la base d’une seule édition ou d’une seule émission, pas plus qu’au nombre de lignes ou au temps d’antenne. Ils doivent être évalués de façon qualitative, en fonction de l’importance de l’information et de son degré d’intérêt public.
L’analyse a permis au Conseil de conclure que le journaliste pouvait se contenter de rapporter les propos du Dr. Wainberg sans pour autant contacter la Société canadienne de l’hémophilie. Le grief est rejeté.
M. Page déplorait enfin que la lettre à l’éditeur qu’il a fait parvenir au journal n’ait pas été publiée et que ses appels à la rédaction ne lui aient pas non plus été retournés afin que soit discutée la possibilité que sa lettre soit raccourcie pour satisfaire aux exigences de la politique éditoriale du quotidien.
Le public n’a pas accès de plein droit aux pages des médias écrits. La presse a cependant le devoir d’en favoriser l’accès à ses lecteurs. Ils doivent, lorsque cela est à propos, permettre aux personnes, groupes ou instances de répliquer aux informations et aux opinions qui ont été publiées ou diffusées à leur sujet ou qui les ont directement ou indirectement mis en cause.
De l’avis du Conseil, le quotidien n’avait aucune obligation quant à la publication de la lettre du plaignant. Il constate également que la politique rédactionnelle du journal met spécifiquement en garde le public sur le fait que toutes les lettres reçues ne sont pas publiées et qu’aucun accusé de réception n’est délivré. Le Conseil conclut que le quotidien n’aurait contacté le plaignant que s’il avait souhaité voire publier sa lettre, ce qui n’était pas le cas. Le grief est donc rejeté.
Décision
Au vu de tout ce qui précède, le Conseil de presse rejette la plainte de M. David Page contre le journaliste M. Aaron Derfel et le quotidien The Gazette.
Analyse de la décision
- C03B Sources d’information
- C09A Refus d’un droit de réponse
- C12B Information incomplète
- C12D Manque de contexte