Plaignant
M. Bruno Déry
Mis en cause
M. Bernard Derome, chef d’antenne et journaliste; M. François Cormier, journaliste; Mme Geneviève Guay, directrice traitement des plaintes et affaires générales; l’émission « Le Téléjournal 22 heures » et la Société Radio-Canada (SRC)
Résumé de la plainte
M. Déry portait plainte contre le chef d’antenne, M. Derome, pour avoir traité plus de 80 % des Québécois de « simples d’esprit » lors de l’émission « Le Téléjournal 22 heures » diffusée le 18 juin 2008 ainsi que contre la salle des nouvelles de Radio-Canada pour avoir diffusé les 15 et 16 juin 2008 des reportages qui faisaient de la propagande contre le Congrès eucharistique international.
Griefs du plaignant
De l’avis de M. Bruno Déry, la Société Radio-Canada, sa salle de nouvelles, ses journalistes ainsi que son présentateur considèrent les Québécois se disant catholiques comme des simples d’esprit. M. Derome aurait émis cette opinion en présentation d’un sondage sur les connaissances académiques des Québécois en matière de religion catholique en traitant 80 % des Québécois de « simples d’esprit ».
Le reportage affirmerait à plusieurs reprises que les catholiques de 55 ans et plus ont une connaissance académique de la religion catholique nettement meilleure que les autres. D’après le plaignant, aucune explication ne justifie ce résultat qui s’expliquait selon lui par le fait que l’état québécois a retiré à l’église catholique, dans les années soixante, le pouvoir de décider de l’enseignement religieux dans les écoles québécoises.
Pour le plaignant, il ne s’agissait pas de la première fois que les journalistes faisaient acte de propagande haineuse pour dénigrer les catholiques. Pour soutenir son propos, M. Déry fait référence à un reportage diffusé lors du « Téléjournal 22 heures » du 15 juin 2008 et qui portait sur le Congrès eucharistique international (CEI). Le journaliste, M. François Cormier, aurait fait la réflexion suivante : « Ce congrès ne fait cependant pas l’unanimité tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’église catholique du Québec » ce qui, pour le plaignant, n’était appuyé en rien par le reportage à l’exception du commentaire d’un théologien cité, de son avis, hors contexte. Le lendemain, le même journaliste aurait insisté dans un autre reportage sur une éventuelle demande de pardon de l’église catholique pour les pensionnats autochtones alors que rien ne fut dit concernant le CEI qui réunissait, affirme-t-il, plus de 11 000 personnes ou sur Jean Vanier qui était présent à cette conférence. Pour M. Déry, cela découle du fait que le choix des sujets couverts par les journalistes est soumis à des choix subjectifs et idéologiques. M. Déry remarque enfin qu’aucun reportage sur le CEI n’a été présenté le 17 juin 2008.
Commentaires du mis en cause
Commentaires de Mme Geneviève Guay, directrice au traitement des plaintes et affaires générales :
Dans un premier temps, Mme Guay rappelle les propos qu’a tenus M. Derome en présentant le sondage qui portait sur les connaissances des catholiques : « Bienheureux les pauvres d’esprit car le royaume des cieux leur appartient. S’il faut en croire cette parole d’évangile du discours des Béatitudes, la place au ciel d’une majorité de Québécois qui se disent catholiques est déjà assurée ». Cette introduction était, explique-t-elle, une tentative de clin d’Œil de la part du chef d’antenne. Elle ajoute qu’il s’agissait d’une tentative d’autodérision que l’équipe du « Téléjournal » a cru pouvoir se permettre en s’incluant dans cette population.
La représentante des mis-en-cause reproduit ensuite la réponse des membres de l’équipe du « Téléjournal ». Ils précisent tout d’abord que M. Derome n’a pas dit « simples d’esprit » mais « heureux les pauvres d’esprit ». Ils affirment qu’ils ne voulaient en rien prétendre que les Québécois sont pauvres d’esprit dans le sens littéral du terme. Il s’agissait selon eux d’une façon imagée d’annoncer le sondage compte tenu du fait que la majorité des Québécois ont échoué à celui-ci. Ils ajoutaient enfin que, dans les écrits catholiques, cette phrase a pour signification le sentiment d’insuffisance que ressent le Chrétien en présence de Dieu.
Mme Guay explique ensuite qu’il lui semble important que puisse être permis un sourire dans le cadre du « Téléjournal ».
Sur la question des causes de l’ignorance révélée par le sondage, qui n’auraient pas été explicitées, la représentante des mis-en-cause affirme que la question de l’enseignement de la religion a été abordée au cours de la même édition du « Téléjournal », dans un deuxième reportage présenté aux alentours de 22h30. Dans ce reportage, une religieuse, professeure de catéchèse, aurait donné son point de vue sur les carences des cours de religion s’adressant aux enfants. Plus loin, un sociologue de l’Université Laval aurait expliqué que le domaine religieux est le mal aimé de la culture.
Enfin et concernant la question de la controverse entourant le CEI, la représentante des mis-en-cause explique que la controverse était bel et bien réelle. Elle ajoute que l’équipe de rédaction s’est appuyée sur plusieurs déclarations, dont certaines publiées dans les journaux, pour en faire état. Elle ajoute qu’un débat sur cette question a été diffusé à l’émission « Maisonneuve à la radio » le 16 juin 2008 dont un des invités était un enseignant en sciences religieuses de l’UQAM.
Réplique du plaignant
M. Bruno Déry rappelle qu’il ne parle pas d’un unique reportage, mais de trois reportages sur une période de quatre jours. Le plaignant ajoute qu’il a été surpris du contraste entre la couverture du CEI par deux reportages, les deux premiers jours, qui, selon lui, étaient très négatifs, et la couverture réalisée ensuite par un autre journaliste, de son avis complaisant. M. Déry s’interroge sur la volonté qu’a pu avoir la SRC d’apaiser la grogne en passant d’un journaliste à un autre.
Le plaignant revient sur le caractère humoristique que plaidaient les mis-en-cause quant à la présentation du reportage. De son avis, le métier des journalistes ne serait pas de faire de l’humour et il lui semble contradictoire que le milieu se plaigne de l’information-spectacle quand il est question d’information-humour. Pour M. Déry, la tentative d’humour de M. Derome était de mauvais goût, blessante et apportait une controverse de son avis évidente. Il ajoute que ce n’est pas parce l’équipe de rédaction ne pensait blesser personne par ses propos qu’elle n’est pas coupable que cela soit arrivé.
Pour le plaignant, le reportage ne laissait nullement entrevoir que le sens attribué aux propos de M. Derome était celui de l’église catholique et ce, compte tenu du fait qu’étaient clairement associés, dans la présentation du reportage, cette phrase avec une évaluation de connaissances. Pour M. Déry, la présentation de M. Derome ne pouvait s’interpréter que dans le sens d’un dénigrement des catholiques. Il ajoute que la SRC ne pouvait prétendre à ce que les auditeurs l’aient compris autrement.
Le plaignant se dit insulté de cette présentation. Il réitère que ce n’est pas parce que l’équipe de rédaction n’a pas envisagé que quelqu’un ait pu être blessé de ces propos qu’elle n’est pas coupable que cela soit arrivé. Bien que l’équipe ait dit ne pas avoir attaqué la majorité des Québécois, M. Déry estime qu’elle a tout de même insulté les catholiques. Il ajoute que si, dans les 80 % de Québécois auxquels faisait référence le sondage, certains ne se sentaient pas insultés parce qu’ils se dissocient de la religion catholique, ce n’est toutefois pas le cas de tout le monde.
Le plaignant affirme que le premier reportage sur le CEI ne comprenait aucun argument pour appuyer l’idée d’une controverse significative sur le sujet. Elle reposait selon lui sur des ouï-dire. Il s’étonne que le journaliste n’ait trouvé personne dans le cadre du Congrès pour parler de cette controverse et qu’il ait dû avoir recours à un théologien. Dans le second reportage, depuis la conférence de presse du CEI, le reportage abordait un sujet selon lui hors de propos alors qu’il aurait été possible de trouver des sujets à traiter en lien avec celle-ci.
De son avis et compte tenu du fait que M. Jean Vanier était présent lors du Congrès, les journalistes pouvaient difficilement ne pas l’interroger. Selon M. Déry, le fait que dans ses reportages le journaliste n’en ait pas parlé démontre son incompétence.
Analyse
M. Bruno Déry portait plainte contre le chef d’antenne, M. Bernard Derome, ainsi que la salle de nouvelles de la Société Radio-Canada et le journaliste François Cormier pour la présentation du reportage diffusé le 18 juin ainsi que pour deux reportages diffusés les 15 et 16 juin 2008.
Dans un premier temps, le plaignant reprochait à M. Derome d’avoir émis, lors de la présentation d’un reportage, l’opinion selon laquelle 80 % des Québécois seraient des « simples d’esprit ». La représentante des mis-en-cause rétorquait à cet effet qu’il s’agissait d’une tentative d’autodérision par l’humour, ce que le plaignant jugeait néanmoins ne pas avoir sa place dans un « Téléjournal ».
à ce sujet, le guide Droits et responsabilités de la presse du Conseil indique :
« La rigueur intellectuelle et professionnelle dont doivent faire preuve les médias et les journalistes représente la garantie d’une information de qualité. Elle ne signifie aucunement sévérité ou austérité, restriction, censure, conformisme ou absence d’imagination. Elle est synonyme d’exactitude, de précision, d’intégrité, de respect des faits et des événements mais aussi des personnes et des groupes. » (DERP, p. 21)
L’analyse a permis au Conseil de constater que les véritables propos tenus par M. Derome étaient les suivants : « Bienheureux les pauvres d’esprit car le royaume des cieux leur appartient. S’il faut en croire cette parole d’évangile du discours des Béatitudes, la place au ciel d’une majorité de Québécois qui se disent catholiques est assurée ». Il s’agissait d’une introduction aux résultats d’un sondage commandé par la Société Radio-Canada sur l’état des connaissances en matière de religion catholique des Québécois. Aux yeux du Conseil, les propos de M. Derome sont effectivement du domaine de l’humour. Et bien qu’il ne juge pas de la qualité de l’humour utilisé par M. Derome, le Conseil affirme néanmoins que ce dernier était libre d’en user.
En relevant, par ailleurs et d’entrée de jeu, les mauvais résultats obtenus par les répondants, le Conseil considère que les propos de M. Derome étaient conformes à la réalité que décrivait le sondage. Par conséquent, et bien que le plaignant ait pu s’en trouver blessé, M. Derome ainsi que l’équipe de rédaction du « Téléjournal » n’ont commis aucune entorse à la déontologie en introduisant les téléspectateurs aux résultats du sondage, de cette façon. Le grief est rejeté.
Dans un second temps, M. Déry reprochait à l’équipe de rédaction de ne pas avoir expliqué le résultat du sondage à l’effet que les Québécois qui se disent catholiques de 55 ans et plus ont une meilleure connaissance académique de la religion.
Or, dans leurs commentaires, les mis-en-cause insistaient sur le fait qu’un long reportage, présenté dans le cadre de la même édition du « Téléjournal », venait préciser le pourquoi de ces différences de résultats entre les jeunes et les moins jeunes générations. Après analyse, le Conseil constate que la Société Radio-Canada, grâce à une entrevue réalisée auprès d’une religieuse, a exposé l’idée selon laquelle le manque de culture en matière de religion catholique des jeunes générations est imputable au fait que la catéchèse ne s’enseigne plus de façon aussi rigoureuse. Le grief est rejeté.
Le plaignant déplorait par ailleurs que, dans le cadre d’un reportage de M. Cormier diffusé le 15 juin 2008, personne ne prenant part au Congrès n’ait été interrogé pour répondre au commentaire du journaliste selon lequel le Congrès eucharistique international (CEI) ne faisait « pas l’unanimité tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’église catholique du Québec ». Les mis-en-cause insistaient quant à eux sur le fait que cette controverse avait déjà été soulevée par d’autres médias.
Un des principes que consacre le guide DERP du Conseil veut que la façon de traiter un sujet, de même que le moment de la publication et de la diffusion des informations, relèvent de la discrétion des médias et des journalistes. Par conséquent et après s’être assuré que la controverse dont il était question était bien réelle, le Conseil conclut que le journaliste était libre d’interroger la personne qui lui semblait la plus indiquée pour en confirmer l’existence et fournir quelques explications aux téléspectateurs. Le grief est rejeté.
Enfin, M. Déry expliquait que, le 16 juin 2008 lors d’un autre reportage, M. Cormier aurait insisté sur une demande de pardon de l’église catholique pour les pensionnats autochtones tandis que rien ne fut diffusé concernant le CEI. Il déplorait par ailleurs qu’aucun reportage n’ait été présenté à ce sujet le lendemain.
Le Conseil rappelle que le choix des faits et des événements rapportés, de même que celui des questions d’intérêt public traitées, relèvent de la discrétion des directions des salles de nouvelles, des organes de presse et des journalistes. Par conséquent, le journaliste était libre des sujets qu’il désirait présenter. Le grief est rejeté.
Au terme de cette analyse, le Conseil conclut que les reportages sur lesquels la plainte de M. Déry reposait ne faisaient pas Œuvre de propagande haineuse à l’égard des catholiques.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse rejette la plainte de M. Bruno Déry contre MM. Bernard Derome et François Cormier ainsi qu’à l’encontre de la Société Radio-Canada.
Analyse de la décision
- C02A Choix et importance de la couverture
- C12B Information incomplète
- C15G Rumeurs/ouï-dire
- C17D Discréditer/ridiculiser
- C18C Préjugés/stéréotypes