Plaignant
M. Mohammed Boudjenane
Mis en cause
M. Benoît Dutrizac, journaliste et animateur; M. Yves bombardier, directeur général; l’émission « Dutrizac, l’après-midi » et la station radiophonique 98,5 FM
Résumé de la plainte
M. Mohamed Boudjenane porte plainte contre Benoît Dutrizac pour avoir, lors de l’émission du 10 septembre 2008 où il interrogeait Mme Samira Laouni, candidate du NPD dans Bourrassa, tenu des propos injurieux contre la communauté musulmane, en plus d’inciter à la haine et à la violence.
Griefs du plaignant
Selon M. Boudjenane, M. Dutrizac aurait, lors de son entrevue avec la candidate du NPD dans Bourrassa, tenu des propos racistes, sexistes et insultants à son encontre. Il fait plus précisément référence au moment où il fut question des musulmans qui forcent leurs enfants à aller à l’école, affamés pendant le mois de ramadan et conclut que, ce faisant, une image barbare et inhumaine de la religion a été diffusée, en plus de constituer des informations inexactes concernant la pratique de la religion. Il en aurait découlé, selon lui, un certain préjudice pour la communauté musulmane.
Le plaignant explique que la référence au fait que, si M. Dutrizac violait la candidate, cette dernière aurait besoin de trois témoins, selon la loi musulmane, pour valider sa plainte, constitue, encore une fois, de l’information inexacte. Il ajoute qu’inciter au viol demeure chargé de sexisme et encourage potentiellement la violence contre les femmes.
M. Boudjenane conclut que l’entrevue conduite par M. Dutrizac n’informait nullement l’auditeur sur le programme politique de la candidate ni même sur ses capacités politiques. Selon lui, M. Dutrizac encourageait tout simplement au mépris de la communauté musulmane québécoise et canadienne, en plus d’inciter à la haine.
Commentaires du mis en cause
Commentaires de M. Yves Bombardier, directeur général :
Expliquant que Corus Québec s’est retiré du Conseil de presse en septembre 2008, à la suite de l’avis public de radiodiffusion du CRTC approuvant le Code d’indépendance journalistique du Conseil canadien des normes de la radiotélévision (CCNR), le mis-en-cause décline la demande de commentaires qui lui a été adressée.
Il précise ne pas désirer se soumettre à la juridiction de deux organismes différents.
Réplique du plaignant
Le plaignant n’a soumis aucune réplique.
Analyse
M. Mohamed Boudjenane porte plainte contre M. Benoît Dutrizac pour avoir, lors de l’émission du 10 septembre 2008 où il interrogeait Mme Samira Laouni, candidate du NPD dans Bourrassa, tenu des propos injurieux contre la communauté musulmane, en plus d’inciter à la haine et à la violence.
Grief 1 : choix du sujet
Le plaignant déplore, dans un premier temps, que les propos échangés entre M. Dutrizac et son invitée n’aient pas informé les auditeurs sur le programme politique de cette dernière, ce que l’analyse effectuée par le Conseil de presse confirme.
Il est néanmoins un principe, que consacre le guide des Droits et responsabilités de la presse (DERP) selon lequel les médias et les professionnels de l’information sont libres de décider de l’attention qu’ils décident de porter à un sujet en particulier. Le choix d’un sujet et sa pertinence relèvent du jugement rédactionnel. Par conséquent, M. Dutrizac pouvait choisir de ne pas interroger son invitée sur son programme politique. Le grief est rejeté.
Grief 2 : inexactitude des propos/exagération
M. Boudjenane formule deux reproches à l’endroit du mis-en-cause concernant l’exactitude des propos tenus. Il précise qu’il est inexact que les musulmans forcent leurs enfants à aller à l’école affamés pendant le mois de ramadan, en plus du fait que cette information donnait, selon lui, une image inhumaine de la religion. Il ajoute qu’il est également inexact que, selon la loi musulmane, il faille trois témoins pour valider une plainte pour viol. Il conclut qu’il s’agit d’un commentaire sexiste incitant à la violence.
à cet effet, le DERP précise qu’une information de qualité fait preuve de précision et de respect des faits. Or, l’analyse du Conseil a permis de conclure qu’il est difficile d’émettre une affirmation aussi tranchée que celle de M. Dutrizac, selon laquelle, les enfants musulmans seraient affamés en période de ramadan, alors qu’ils vont à l’école. Pour le Conseil, il est toutefois un fait que l’animateur a pour style propre, l’utilisation de questions et de constats généralistes, potentiellement provocateurs, avant de laisser la parole à ses invités. Ces derniers ont alors le loisir de venir rectifier ses propos, ce qui fut le cas ici.
Quand à l’affirmation selon laquelle une plainte pour viol n’est valide que si elle est confirmée par trois témoins, le Conseil remarque que M. Dutrizac n’a pas été jusqu’à préciser le nombre de témoins nécessaires, il a simplement mentionné que ceux-ci devaient témoigner. Avec l’analyse, le Conseil a constaté que ce précepte est issu de la charia, soit la loi islamique, c’est-à-dire un dogme à fondement religieux, ce que le mis-en-cause a précisé. Le grief est rejeté.
Grief 3 : propos injurieux
Enfin, pour le plaignant, les propos échangés entre M. Dutrizac et son invitée, en plus d’être injurieux, encourageraient à la haine et au mépris de la communauté musulmane.
à ce sujet, le DERP précise que « Les médias et les professionnels de l’information […] doivent impérativement éviter d’utiliser, à l’endroit des personnes ou des groupes, des représentations ou des termes qui tendent à soulever la haine et le mépris, à encourager la violence ou encore à heurter la dignité d’une personne ou d’une catégorie de personnes en raison d’un motif discriminatoire. » DERP, p. 41
En procédant à l’analyse de l’entrevue entre M. Dutrizac et Mme Laouni, le Conseil n’a relevé aucun propos injurieux. Concernant l’incitation à la violence, le plaignant ne donnait qu’un unique exemple, celui que nous avons relevé plus haut, soit celui du viol qui requérrait trois témoins pour qu’en soit condamné l’auteur. Après analyse, le Conseil constate qu’il est encore une fois ici question du style propre à l’animateur qui a choisi d’utiliser une mise en situation impliquant son invitée. Il est néanmoins clair que M. Dutrizac n’appelle nullement à la violence contre cette dernière, pas plus qu’il ne défend l’exemple qu’il prend.
Concernant l’incitation au mépris de la communauté musulmane, le Conseil a remarqué que l’usage d’images caricaturales est un des éléments constitutifs du style de l’animateur, mais qu’il n’y était pas fait appel dans le but de démontrer d’un quelconque mépris vis-à-vis de la communauté musulmane. Le grief est donc rejeté.
Grief 4 : non-participation des mis-en-cause
Enfin, le Conseil de presse regrette la non-participation des mis-en-cause visés par la plainte, ce qui va à l’encontre de la responsabilité qu’ont les médias de répondre publiquement de leurs actions. Le citoyen requérant dans ce dossier a choisi de s’adresser au Conseil de presse du Québec comme mécanisme d’autorégulation. En ne satisfaisant pas à ce choix du plaignant et en refusant de répondre à la présente plainte, sous prétexte que Corus ne répond maintenant qu’aux plaintes adressées au CCNR, le média en cause prive le citoyen de son droit de choisir l’organisme auquel il désire s’adresser et refuse ainsi de participer au processus d’autorégulation. Le Conseil de presse insiste sur l’importance pour tous les médias de participer aux mécanismes d’autorégulation qui contribuent à la qualité de l’information et à la protection de la liberté de presse. Cette collaboration constitue un moyen privilégié pour eux de répondre publiquement de leur responsabilité d’informer adéquatement les citoyens. Le Conseil déplore le manque de collaboration du mis-en-cause, qui a refusé de répondre devant le tribunal d’honneur de la plainte le concernant.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse rejette la plainte de M. Mohamed Boudjenane contre M. Benoît Dutrizac et la station radiophonique 98,5 FM, aux griefs de choix du sujet, de l’inexactitude des propos et de propos injurieux, mais blâme la station pour manque de collaboration.
Analyse de la décision
- C02A Choix et importance de la couverture
- C11B Information inexacte
- C17C Injure
- C17D Discréditer/ridiculiser
- C18C Préjugés/stéréotypes
- C24A Manque de collaboration