Plaignant
Mme Marie-Claude Montpetit
Mis en cause
M. Claude Poirier, journaliste et animateur; M. Martin Cloutier, directeur général; l’émission « Le vrai négociateur » et le Groupe TVA-LCN
Résumé de la plainte
Mme Marie-Claude Montpetit porte plainte contre M. Claude Poirier et la chaîne télévisée LCN. Lors de l’émission « Le vrai négociateur » du 1er octobre 2008, l’animateur aurait qualifié une personne de « chien sale ». La plaignante lui reproche d’avoir tenu des propos discriminatoires, transmis de l’information inexacte et usé de sensationnalisme.
Griefs du plaignant
Mme Marie-Claude Montpetit rapporte que lors de l’édition du 1er octobre 2008, de l’émission « Le vrai négociateur », dans le cadre d’une émission conduite avec Me Marc Bellemare et sa cliente, Mme Céline Moisan, l’animateur Claude Poirier a traité une troisième personne liée au sujet de cette entrevue de « chien sale ».
Ce faisant, M. Poirier aurait prononcé des propos discriminatoires, transmis de l’information inexacte et usé de sensationnalisme.
Commentaires du mis en cause
Commentaires de MeVéronique Dubois, conseillère juridique :
La conseillère juridique précise d’abord le contexte dans lequel l’expression contestée a été utilisée, soit celui de l’émission « Le vrai négociateur » : « M. Poirier, dans le cadre de cette émission, a réalisé une entrevue avec Me Bellemare, l’avocat de Madame Céline Moisan, qui a été victime d’une agression sexuelle violente en 2001 et dont l’agresseur a été trouvé coupable et emprisonné. Mme Moisan se bat maintenant pour empêcher que son agresseur soit libéré conditionnellement. »
Me Dubois poursuit : « Madame Moisan a décrit les sévices dont elle a été victime, notamment des agressions sexuelles à plus de cinq reprises, lesquelles ont laissé de graves séquelles. Elle a ainsi expliqué qu’elle avait maintenant une invalidité à 85 %, des vertèbres endommagées et qu’elle souffrait toujours d’un choc post-traumatique. Dans ce contexte, monsieur Poirier a alors effectivement utilisé le terme « chien sale » lorsque madame a fini de décrire toutes les séquelles dont elle a été victime. Il a ainsi mentionné sous forme de question « à cause de ce chien sale? » ».
La conseillère juridique admet « que M. Poirier a effectivement utilisé un langage coloré, lequel caractérise cependant le style de M. Poirier qui ponctue ses propos d’expression imagée et parfois populiste ».
Me Dubois ajoute que, dans le cadre de l’émission « Le vrai négociateur », M. Poirier exerce un journalisme de type « commentaires », lequel, selon le guide des Droits et responsabilités de la presse du Conseil de presse, accorde aux journalistes une grande latitude dans l’expression de points de vue, commentaires et critiques. Ainsi, selon elle, les commentaires de M. Poirier ne contreviendraient pas, dans ce contexte, aux principes énoncés dans le guide du Conseil.
Réplique du plaignant
Mme Montpetit rappelle d’abord les trois manquements professionnels qu’elle reproche aux mis-en-cause : 1) avoir prononcé et permis la mise en ondes de propos discriminatoires et non conformes aux droits de la presse au Québec; 2) avoir prononcé et permis la mise en ondes de propos non conformes à l’obligation de la presse de traiter l’information équitablement et avec équilibre; 3) avoir prononcé et permis la mise en ondes de propos sensationnalistes.
En ce qui a trait à la « nature discriminatoire des propos litigieux », la plaignante affirme d’abord que la personne visée par les propos contestés était l’agresseur de Mme Moisan, ce qui aurait d’ailleurs été admis par les mis-en-cause. Il s’agit donc, selon Mme Montpetit, « d’une personne apparemment criminalisée et qui fut effectivement condamnée par les autorités judiciaires relativement aux accusations déposées par suite de la plainte de madame Moisan. C’est là, la condition sociale de cette personne ou le groupe social auquel sa condamnation l’a associé. » La plaignante déplore que les propos du journaliste « réaffirmaient non seulement ces conditions et appartenance, mais ils laissaient aussi tendancieusement croire que toute personne criminalisée serait un « beau chien sale » ». Or, selon elle, « la Charte des droits et libertés de la personne du Québec prohibe ce genre d’association et de traitement » fondé notamment sur la condition sociale.
En outre, selon elle, les règles établies par le Conseil de presse réaffirment que : « Les médias et les professionnels de l’information doivent éviter de cultiver ou d’entretenir les préjugés. Ils doivent impérativement éviter d’utiliser, à l’endroit des personnes ou des groupes, des représentations ou des termes qui tendent à soulever la haine et le mépris, à encourager la violence ou encore à heurter la dignité d’une personne ou d’une catégorie de personnes en raison d’un motif discriminatoire. »
Ayant ensuite précisé que, selon le guide de principes du Conseil, il n’est pas interdit à un journaliste de faire état des caractéristiques qui différencient les personnes ou les groupes, mais que cette mention doit être pertinente et d’intérêt public. Elle dit ne pas concevoir en quoi les propos tenus par M. Poirier ont put être pertinents et d’intérêt public, ou être une condition essentielle à la compréhension de l’information.
Au chapitre du « traitement équitable et équilibré de l’information », selon Mme Montpetit, même si les mis-en-cause prétendent avoir « présenté la situation factuelle judiciaire avant de la commenter », l’extrait de l’émission fourni en preuve démontre que, seuls les arguments et prétentions de la partie poursuivante et de la victime ont été mis en ondes. Pour la plaignante, l’omission de présenter l’ensemble de la situation judiciaire a pour effet de priver le public d’une information complète, rigoureuse et conforme aux faits et aux événements.
La plaignante aborde ensuite ce qu’elle appelle « le type de journalisme pratiqué par Claude Poirier ». Elle rappelle d’abord que « selon les mis-en-cause, Claude Poirier exercerait du journalisme de type « commentaire », soit un style permettant l’utilisation d’un « langage coloré » et « d’expression imagée et populiste » ».
La plaignante répond que ce style de journalisme est également soumis à des règles et ne peut pas servir à cautionner les abus de langage ou toute autre forme de manquement professionnel. Après avoir rappelé un article du Conseil concernant la latitude reconnue aux journalistes, Mme Montpetit rappelle qu’un autre article précise ce qui est acceptable : « Les auteurs de chroniques, de billets et de critiques ne sauraient se soustraire aux exigences de rigueur et d’exactitude. Ils doivent éviter, tant par le ton que par le vocabulaire qu’ils emploient, de donner aux événements une signification qu’ils n’ont pas ou de laisser planer des malentendus qui risquent de discréditer les personnes ou les groupes. »
Sur la base de cet extrait du guide Droits et responsabilités de la presse du Conseil, la plaignante ajoute : « il semble que l’utilisation des termes « c’te beau chien sale-là » équivaudrait plus à un manquement, qu’à la figure de style que le représentant des mis-en-cause tente d’accorder à Claude Poirier. » Pour la plaignante, « cette règle trouve particulièrement application dans le cas de Claude Poirier qui utilise quotidiennement l’insulte et les grossièretés de manière outrancière dans le cadre de ses prestations de commentateur ».
La plaignante termine en citant une quinzaine de décisions du Conseil qui illustreraient ses propos.
Analyse
Mme Marie-Claude Montpetit reproche au journaliste M. Claude Poirier d’avoir prononcé et permis la mise en ondes de propos discriminatoires et non conformes au droit de la presse au Québec, de propos non conformes à l’obligation de la presse de traiter l’information équitablement et, enfin, de propos sensationnalistes.
Grief 1 : propos discriminatoires
Selon la plaignante, les propos du journaliste réaffirment la condition sociale de l’agresseur ou le groupe social auquel sa condamnation l’a associé, et laissent tendancieusement croire que toute personne criminalisée serait un « beau chien sale ».
Toutefois, le guide des Droits et responsabilités de la presse (DERP) du Conseil indique qu’il « n’est pas interdit aux médias de faire état des caractéristiques qui différencient les personnes ou les groupes » à condition que cette mention soit « pertinente et d’intérêt public » ou soit « une condition essentielle à la compréhension et à la cohérence de l’information ». DERP, p. 41
Le Conseil estime que, dans le présent cas, il était impossible de présenter les raisons de l’opposition de Mme Moisan et de Me Bellemare à la libération du prisonnier sans exposer minimalement ses gestes et le fait qu’il avait été condamné. Rapporter le fait que l’agresseur avait été condamné et incarcéré était donc pertinent, nécessaire à la compréhension du sujet et d’intérêt public.
En ce qui a trait à l’utilisation du qualificatif de « beau chien sale », le Conseil estime que, malgré la force de l’expression, il s’agissait d’une réaction d’indignation en réaction aux souffrances et aux sévices que venait de décrire la victime et non d’un jugement visant à caractériser un ensemble de personnes. Le grief est donc rejeté.
Grief 2 : manque d’équilibre et d’équité
Mme Montpetit reproche ensuite aux mis-en-cause d’avoir prononcé et permis la mise en ondes de propos non conformes à l’obligation de la presse de traiter l’information avec équilibre et équité. Selon la plaignante, l’omission par les mis en-cause de présenter l’ensemble de la situation judiciaire a eu pour effet de priver le public d’une information complète et rigoureuse, conforme aux faits et aux événements et, par conséquent, de transmettre une information inexacte.
Après examen, le Conseil constate que les entrevues diffusées ne présentent pas la partie des faits favorables à l’agresseur. Cependant, le Conseil considère que le sujet des entrevues de l’animateur avec Mme Moisan et son procureur n’est pas le procès antérieur de Richard Charlish, mais bien l’exposé des raisons qui justifieraient actuellement de s’opposer à sa libération conditionnelle.
23. En vertu du principe de liberté rédactionnelle reconnu dans le guide DERP du Conseil, les mis-en-cause ont le droit de choisir le sujet de leur entrevue et donc, leur angle de traitement journalistique : « Les médias et les professionnels de l’information doivent être libres de relater les événements et de les commenter sans entraves ni menaces ou représailles. La presse n’a pas à se plier à un modèle idéologique unique : elle peut donc choisir ses propres sujets et décider de l’importance qu’elle entend leur accorder. » DERP, p. 22
L’angle choisi n’étant pas le récit du procès, l’entrevue n’exigeait pas qu’on présente l’accusation et la défense. L’individu impliqué était déjà condamné et incarcéré. Ainsi, selon le Conseil, puisque l’angle de traitement des entrevues avait été clairement défini au départ par la présentation de l’animateur, il était tout à fait légitime pour les mis-en-cause d’aborder le sujet comme ils l’ont fait. Le grief est donc rejeté.
Grief 3 : sensationnalisme
Mme Montpetit reproche aux mis-en-cause « d’avoir prononcé et permis la mise en ondes de propos sensationnalistes ».
à ce propos, le guide DERP du Conseil indique : « Les médias et les professionnels de l’information doivent traiter l’information recueillie sans déformer la réalité. Le recours au sensationnalisme et à l’ « information-spectacle » risque de donner lieu à une exagération et à une interprétation abusive des faits et des événements et, d’induire le public en erreur quant à la valeur et à la portée réelles des informations qui lui sont transmises. » DERP, p. 22
Selon le Conseil, un sujet comme celui des souffrances de la victime peut être très touchant, sans être pour autant sensationnaliste. D’autre part, les fonctions de chroniqueur et de commentateur appartiennent à un genre journalistique qui permet à son auteur l’utilisation d’expressions colorées. Le Conseil observe qu’au-delà de l’affirmer, la plaignante ne précise pas en quoi les propos de M. Poirier ou de ses invités seraient sensationnalistes. Rien non plus, dans l’étude du dossier, ne permet d’arriver à cette conclusion de la plaignante. Par conséquent, le grief n’est pas retenu.
Décision
Pour l’ensemble de ces raisons, le Conseil de presse rejette la plainte de Mme Marie-Claude Montpetit contre M. Claude Poirier, journaliste, et la chaîne télévisée LCN.
Analyse de la décision
- C12A Manque d’équilibre
- C12B Information incomplète
- C14A Sensationnalisme/exagération/insistance indue
- C18D Discrimination