Plaignant
M. Giovanni (Wolfmann) Bruno et M. Fo Niemi, directeur général du Centre de recherche-action sur les relations raciales (CRARR)
Mis en cause
M. Patrick Lagacé, chroniqueur; M. Éric Trottier, directeur de l’information et le quotidien La Presse
Résumé de la plainte
Les plaignants reprochent au chroniqueur, M. Patrick Lagacé du quotidien La Presse, d’avoir alimenté sa chronique du 6 octobre 2008, intitulée « Fo Niemi a (encore) tout faux », de propos inexacts. Ils accusent le journaliste d’avoir discrédité le porte-parole du Centre de recherche-action sur les relations raciales (CRARR), M. Fo Niemi, par la dérision, l’insulte et l’injure. Enfin, M. Niemi reproche au journal de ne pas avoir publié de rectification.
Griefs du plaignant
Plainte de M. Giovanni (Wolfmann) Bruno :
M. Bruno précise d’abord ne pas connaître personnellement M. Fo Niemi, dont il est question dans la chronique.
Le plaignant reproche, en premier lieu, à Patrick Lagacé, d’avoir discrédité par la dérision, l’insulte et l’injure, le porte-parole du CRARR, M. Fo Niemi. Le mis-en-cause associerait M. Niemi « à une personne ridicule, à une personne grotesque, à un bouffon ». Il mentionne que le ton utilisé à l’encontre du porte-parole du CRARR s’apparente à un règlement de compte. Le plaignant remarque que ce n’est pas le premier article du chroniqueur dirigé contre M. Niemi.
Il accuse également le mis-en-cause d’avoir coiffé sa chronique d’un titre faux.
Plainte de M. Fo Niemi, directeur général du Centre de recherche-action sur les relations raciales (CRARR) :
M. Fo Niemi reproche au journaliste d’avoir rapporté « des propos ou des positions qui ont été interprétés de manière inexacte et tendancieuse », ayant eu pour effet de le discréditer personnellement et professionnellement.
Selon le plaignant, le mis-en-cause aurait fait des références « dérisoires et injustifiées relatives à [son] origine ethnique ».
M. Niemi explicite les erreurs factuelles commises par le mis-en-cause dans sa chronique, qui constituent la base de son interprétation tendancieuse :
a. « Ce n’est pas Mme Gallardo qui a porté plainte à la Commission. C’est M. Niemi en son nom » : Le plaignant explique que légalement, c’est le CRARR qui a reçu le mandat, de la part de Mme Gallardo, de porter plainte au nom de cette dame et de son fils. Donc, le chroniqueur a fait une interprétation erronée des faits.
b. « La Commission fait enquête. Entrevues des témoins… ». Le plaignant exprime, comme il l’a fait auparavant en conférence de presse que, contrairement aux procédures d’enquête habituelles de la Commission, aucune personne n’a été interrogée dans ce dossier. Mais, dans un « complément à la plainte » envoyé par le plaignant quelques semaines plus tard, celui-ci revient sur son affirmation : la Commission a effectivement rencontré des représentants scolaires, mais le CRARR en a pris connaissance après le dépôt de la plainte au Conseil de presse. Dès lors, l’organisme a entamé une révision du dossier pour manque d’équité dans la procédure.
c. « M. Niemi est fâché » : Le plaignant contredit cette affirmation. Il précise que rien de tel n’a été dit lors de la conférence de presse. Il aurait seulement reconnu partager les préoccupations de la mère, face aux problèmes d’enquête et d’analyse.
d. « Pour Fo Niemi, la décision de la Commission est suspecte parce que ceux qui l’ont rendu étaient tous des Québécois blancs » : Le plaignant récuse cette déclaration. Jamais il n’aurait laissé sous-entendre une telle chose, que ce soit dans les communiqués ou lors des conférences de presse. Il ajoute qu’il n’a pas pu dire cela, dans la mesure où les commissaires ne rendent pas, seuls, des décisions. De plus, le plaignant explique que l’affirmation réductrice que le journaliste lui prête, en tant que directeur du CRARR, est « illogique, déraisonnable et inéquitable » dans la mesure où, durant ces dernières années, plusieurs décisions de la Commission ont été favorables en matière de lutte contre le racisme.
Enfin, le plaignant reproche au journal d’avoir refusé de publier une rétractation ou une correction, malgré sa requête. Il souhaite que le journal publie une rectification relative aux interprétations erronées des faits qui ont eu comme effet de le discréditer.
Commentaires du mis en cause
Commentaires de Me Patrick Bourbeau, affaires juridiques, au plaignant M. Giovanni Bruno :
Me Patrick Bourbeau nie les allégations du plaignant à l’encontre du chroniqueur Patrick Lagacé.
Le représentant des mis-en-cause met d’abord en valeur le fait que le genre journalistique de l’article est clairement identifié comme une chronique, que son auteur est réputé en la matière. Il ajoute que ce genre journalistique se distingue par la grande latitude accordée à leurs auteurs dans le traitement de l’information. Ils peuvent y faire ressortir leur personnalité et leurs opinions. Pour défendre cet argument, Me Bourbeau rapporte des passages du guide de déontologie du Conseil de presse, les Droits et responsabilités de la presse. Il justifie ainsi l’utilisation de la satire et du ton polémiste du chroniqueur, notamment dans la dernière phrase où il utilise le terme « clown ». Selon les mis-en-cause, ce mot tient de la satire et devrait être interprété au second degré.
Me Bourbeau souligne que le sujet traité par le chroniqueur était d’intérêt public. Il rappelle qu’il portait sur « la réaction de M. Niemi, à titre de président du CRARR, suite à une décision de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse ».
Selon le représentant des mis-en-cause, le chroniqueur ne cherchait pas à discréditer M. Fo Niemi, puisqu’il soutient les objectifs visés par son organisme. Pour autant, il s’attaque aux moyens utilisés pour y arriver qui, selon son opinion personnelle, sont maladroits.
Concernant l’accusation de règlement de compte que ferait le journaliste à travers sa chronique, il répond que ces allégations ne sont pas fondées et « seraient démenties par le fait que ses textes antérieurs sur M. Niemi visaient en tout temps à dénoncer ce qu’il perçoit comme une dérive de la part de certains groupes ayant comme mission de dénoncer l’intolérance et le racisme ».
Relativement au titre du texte, Me Bourbeau récuse l’accusation selon laquelle il serait faux, dans la mesure où, pour le mis-en-cause, il s’agit d’un jeu de mots. Le chroniqueur ne remet pas en cause la véracité des faits sur lesquels s’appuient ces opinions.
Finalement, Me Bourbeau explique que le plaignant, pour exprimer une opinion contraire à celle du chroniqueur, pouvait utiliser la rubrique « Forum » du quotidien.
Commentaires de Me Patrick Bourbeau, affaires juridiques, au plaignant M. Fo Niemi :
Tout d’abord, Me Bourbeau reprend l’argumentaire déjà utilisé pour répondre à la plainte de M. Giovanni Bruno.
Ensuite, il remet en cause l’inexactitude mise de l’avant par le plaignant, relativement à deux affirmations : « M. Niemi est fâché » et « pour Fo Niemi, la décision de la Commission est suspecte parce que ceux qui l’ont rendu étaient tous des Québécois blancs ». Selon lui, cette interprétation est fondée sur les propos de M. Niemi lors de sa conférence de presse rapportée par Mme Louise Leduc dans le quotidien La Presse, mais aussi par CTV et Radio-Canada. Il ajoute qu’à la lumière de ces propos ainsi que des communiqués de presse, le chroniqueur « était parfaitement justifié de considérer que M. Niemi était mécontent de la décision de la Commission ».
Relativement au fait que le chroniqueur a déclaré que c’était M. Niemi qui avait porté plainte devant la Commission au nom de la mère, Me Bourbeau rétorque qu’il s’agit d’une question de sémantique. Le nom de M. Niemi était à prendre, selon eux, au sens large; en tant que dirigeant du CRARR, « ses actes sont intimement liés à ceux de l’organisme […] dont il est le visage public ».
Selon le plaignant, la Commission n’a interrogé personne. Or, le chroniqueur affirme le contraire dans son article. Le représentant des mis-en-cause explique que cette information était dans la décision de la Commission qui mentionnait, entre autres : « le témoignage de l’éducatrice interrogée lors de l’enquête », les « explications du directeur de l’école » et « la preuve recueillie lors de l’enquête ».
Enfin, Me Bourbeau estime que le chroniqueur n’a pas discrédité le plaignant, ni manqué de respect à l’obligation d’éviter de donner aux événements une signification qu’ils n’ont pas, ni laissé planer de malentendus. Il défend, au contraire, le fait qu’il ait adopté un ton polémiste, autorisé par le genre journalistique de la chronique, de même que l’est l’expression d’une opinion.
Finalement, Me Bourbeau considère qu’il n’avait pas à publier de rectificatifs puisque, selon lui, le chroniqueur n’a pas fait d’erreurs. Il précise que le journal n’a pas reçu de demande de rectification contrairement aux dires du plaignant. Il conseille à M. Niemi de proposer son opinion aux pages « Forum » du journal, s’il souhaite exprimer son désaccord avec l’opinion du chroniqueur.
Réplique du plaignant
Réplique de M. Giovanni Bruno :
Relativement au genre de la chronique, le plaignant rapporte des extraits du guide de déontologie du Conseil de presse, pour exprimer les limites de la liberté rédactionnelle. Il évoque alors la responsabilité qui incombe aux chroniqueurs de ne pas laisser planer des malentendus qui risquent de discréditer les personnes ou les groupes. Le plaignant estime que le journaliste n’a pas respecté cette règle déontologique.
Le plaignant reproche également au mis-en-cause de l’avoir, en tant que lecteur, induit en erreur sur la personne de M. Fo Niemi et sur son organisme de lutte contre le racisme. Pour cela, il estime que le mis-en-cause a utilisé le sensationnalisme, tel qu’il est défini dans le guide de déontologie du Conseil de presse : « Le recours au sensationnalisme et à l’information spectacle risque de donner lieu à une exagération et à une interprétation abusive des faits et des évènements et, d’induire le public en erreur quant à la valeur et à la portée réelles des informations qui lui sont transmises. »
Ensuite, M. Bruno met en valeur le fait que le chroniqueur est un « récidiviste » en matière de violation des règles de déontologie. Il cite une plainte du 19 septembre 2005, pour laquelle le mis-en-cause avait été blâmé par le Conseil de presse. Il rapporte également une plainte à l’encontre d’un autre chroniqueur blâmé par le Conseil pour discrédit sur la personne (D1994-09-050).
Enfin, il exprime ses regrets devant le silence du mis-en-cause, à qui il a exprimé son opinion à plusieurs reprises, espérant en vain obtenir des explications. C’est la raison pour laquelle il a finalement saisi le Conseil de presse du Québec de ce dossier.
Réplique de M. Fo Niemi :
Sur les expressions, « Fâché » ou « mécontent », le plaignant considère qu’il n’a jamais émis de tels commentaires ou quelconques termes qui puissent laisser penser cela. Il juge qu’à l’égard d’une personnalité publique, représentant un organisme, le journaliste doit faire preuve de prudence. Il ajoute qu’on « ne peut donc publiquement et incorrectement imputer à quelqu’un un sentiment, une opinion, […] ou une position qu’il n’a pas exprimé ou manifesté ».
Le plaignant réaffirme que les mis-en-cause sont partiaux, ne serait-ce que dans leur commentaire à la plainte, lorsqu’ils disent que le chroniqueur dénonçait ce qu’il considérait comme une « tendance pernicieuse chez certains dirigeants », alors que plus loin, ils disent ne dénoncer que « les moyens mis en Œuvre par ceux-ci pour arriver aux fins de l’organisme ».
M. Niemi réitère qu’il est factuellement incorrect de l’avoir associé, en son nom propre, à la plainte déposée devant la Commission, qui était au nom de l’organisme CRARR. Selon le plaignant, il s’agit de désinformation et cela constitue une attaque personnelle visant à le discréditer.
Analyse
Les plaignants, M. Giovanni Bruno ainsi que M. Fo Niemi, reprochent au chroniqueur M. Patrick Lagacé, du quotidien La Presse, d’avoir alimenté sa chronique du 6 octobre 2008, intitulée « Fo Niemi a (encore) tout faux », de propos inexacts. Ils accusent le journaliste d’avoir discrédité le porte-parole du Centre de recherche-action sur les relations raciales (CRARR), M. Fo Niemi, par la dérision, l’insulte et l’injure. Enfin, M. Niemi reproche au journal de ne pas avoir publié de rectification.
Grief 1 : inexactitude
En premier lieu, les plaignants accusent le mis-en-cause d’inexactitude au sein de sa chronique du 6 octobre 2008. Plusieurs faits qui y sont rapportés, sont remis en cause par les plaignants, notamment le fait que le dirigeant du CRARR se serait montré « fâché » face à la décision de la Commission des droits de la personne dans un dossier et qu’il aurait critiqué la diversité des membres de cette dernière lors d’une conférence de presse.
Le guide de déontologie, Droits et responsabilités de la presse, du Conseil de presse définit le genre de la chronique en mentionnant qu’il accorde une grande latitude rédactionnelle tout en rappelant les exigences de rigueur et d’exactitude. « Les auteurs de chroniques, de billets et de critiques ne sauraient se soustraire aux exigences de rigueur et d’exactitude. […] S’ils peuvent dénoncer avec vigueur les idées et les actions qu’ils réprouvent, porter des jugements en toute liberté, rien ne les autorise cependant à cacher ou à altérer des faits pour justifier l’interprétation qu’ils en tirent. Il importe, par ailleurs, qu’ils rappellent les faits relatifs aux événements, situations et questions qu’ils décident de traiter avant de présenter leurs points de vue, critiques et lectures personnelles de l’actualité, afin que le public puisse se former une opinion en toute connaissance de cause quant aux sujets sur lesquels ils se prononcent. » DERP, p. 28
Au regard de la déontologie, le Conseil estime que le journaliste n’a pas manqué de rigueur dans sa collecte d’informations. Les propos jugés inexacts ou mal interprétés par le plaignant sont ceux repris par le chroniqueur de diverses sources journalistiques professionnelles. En outre, la latitude reconnue aux chroniqueurs leur accorde une grande liberté dans l’expression de leurs points de vue, commentaires, opinions, prises de positions et critique, ainsi que dans le choix du ton et du style qu’ils adoptent pour ce faire. Ainsi, M. Lagacé pouvait utiliser le mot « fâché » afin d’illustrer ses propos, à partir de l’information qu’il avait recueillie, sans contrevenir à la déontologie.
Le Conseil de presse ne retient pas le grief pour inexactitude.
Grief 2 : manque de respect, propos méprisants et insultants
En second lieu, les plaignants reprochent au journaliste d’avoir discrédité et méprisé le représentant du CRARR dans sa chronique.
Le guide de déontologie des Droits et responsabilités de la presse stipule, en matière de chronique, qu’il laisse « à leurs auteurs une grande latitude dans le traitement d’un sujet d’information. » Il ajoute que les journalistes sont autorisés à « adopter un ton polémiste pour prendre parti et exprimer leurs critiques, dans le style qui leur est propre, même par le biais de l’humour et de la satire ». Pour autant, le guide est clair en matière de respect des personnes : « [Les auteurs de chronique] doivent éviter, tant par le ton que par le vocabulaire qu’ils emploient, de donner aux événements une signification qu’ils n’ont pas ou de laisser planer des malentendus qui risquent de discréditer les personnes ou les groupes. » DERP, p. 28
Le Conseil estime que le mis-en-cause s’attaque, par le biais de sa chronique, au personnage public qu’est M. Fo Niemi et non à sa personne propre. Le Conseil, bien que conscient du vocabulaire coloré utilisé par le chroniqueur pour contester les moyens utilisés par le CRARR, ne remarque aucune dérive déontologique dans le texte du journaliste. Ce dernier utilise, certes, le ton polémique, mais pas de terme irrespectueux ou insultant. Enfin, concernant le titre qui coiffe la chronique, le Conseil l’analyse comme un jeu de mots introduisant le ton polémique de l’article.
Ainsi, au vu de ce qui précède, le Conseil estime que le journaliste a exprimé une opinion critique à l’égard du dirigeant du CRARR. Pour autant, il avait la liberté de défendre son idée dans le genre de la chronique, tout en respectant la personne publique dont il parle. Le Conseil ne juge pas que le mis-en-cause ait dépassé les limites posées par le genre journalistique en cause.
Le Conseil de presse ne retient pas le grief pour manque de respect, propos méprisants et insultants.
Grief 3 : absence de rectificatif
Enfin, M. Niemi reproche au quotidien de ne pas avoir publié un rectificatif qui reconnaisse les inexactitudes et l’atteinte à sa réputation par le mis-en-cause.
à la suite de l’analyse qui précède, le Conseil n’estime pas qu’un rectificatif était nécessaire parce qu’aucun manquement déontologique n’a été observé.
De plus, il rappelle aux plaignants que tout citoyen peut solliciter la publication de l’expression de ses opinions dans les pages réservées à cette fin, ce que les plaignants n’ont pas fait.
Le Conseil de presse ne retient pas le grief pour absence de rectificatif.
Décision
Au terme de cette analyse, le Conseil de presse rejette les plaintes de M. Giovanni Bruno et de M. Fo Niemi à l’encontre du chroniqueur M. Patrick Lagacé et du quotidien La Presse.
Analyse de la décision
- C11B Information inexacte
- C17D Discréditer/ridiculiser
- C19A Absence/refus de rectification