Plaignant
M. Daniel Sanger
Mis en cause
M. Patrick White, journaliste et Reuters et M. Russel Blinch, directeur de l’information – Canada; M. Mario Roy, journaliste et La Presse et M. Marcel Desjardins, vice-président et éditeur adjoint; M. Luc Chartrand, journaliste, et L’Actualité et MmeCarole Beaulieu, rédactrice en chef
Résumé de la plainte
M. Sanger porte plainte contre les mis-en-cause pour trois articles qui, en donnant une impression hautement « distorsionnée » et malhonnête de ce qu’il a lui-même écrit dans l’édition de mars 2000 du magazine Saturday Night, ont porté atteinte à son intégrité et à sa crédibilité de journaliste. Ces trois articles faisaient suite à son propre article intitulé : « Colder and Whiter : In Vieux-Québec, ethnic cleansing occurs by attrition ».
Les trois articles sont : une dépêche de l’agence Reuters, publiée le 6 mars 2000 sous la plume de Patrick White, correspondant de l’agence de nouvelles dans la ville de Québec; un éditorial de Mario Roy publié dans le quotidien montréalais La Presse le 10 mars 2000 et intitulé « Crime contre l’humanité »; enfin un éditorial de Luc Chartrand, dans L’Actualité du 24 mars 2000, sous le titre « Les » Rhodésiens » masqués ». Ces textes seraient, au mieux, du journalisme négligé (sloppy) et au pire, des lectures biaisées intentionnellement (intentional misreadings) et des distorsions conçues pour semer la division et alimenter la discorde entre anglophones et francophones au Canada.
M. Sanger estime que ces plaintes font ressortir deux questions importantes : la première, celle de la volonté – et même du désir profond – de membres éminents des médias québécois de mal représenter en toute liberté (freely misrepresenting) les événements ou les opinions avec lesquelles ils sont en désaccord ou qu’ils trouvent inconfortables. La stratégie apparaît alors être de déformer et d’attaquer pour ne pas avoir à traiter des vraies questions soulevées. La seconde est l’admission implicite, exprimée par MM. Roy et Chartrand, qu’étant non-francophone, il ne devrait pas avoir le droit de pointer du doigt des aspects peu flatteurs de la société québécoise.
Griefs du plaignant
A. PLAINTE CONTRE PATRICK WHITE ET REUTERS
Le plaignant indique que non seulement l’article de M. White était partial (one-sided) mais que le journaliste a prétendu qu’il avait dit que la ville de Québec « had been consciously emptied of its ethnic communities over the past century », ce qui est complètement faux. à nul endroit dans son article ne suggère-t-il qu’il y a eu une campagne organisée pour vider (empty) la ville de Québec de ses communautés ethniques. à nulle part n’a-t-il laissé entendre que quiconque et de quelque ethnie que ce soit n’ait quitté Québec autrement que de son plein gré.
Le plaignant ajoute que lorsqu’il a communiqué par téléphone avec le journaliste concernant l’expression « consciously emptied », qui suggère les évictions et les baïonnettes, M. White a tenté d’imputer la faute à son rédacteur (editor), qui l’aurait lui-même ajoutée. Ayant vérifié l’information auprès du rédacteur, M. Peter Galloway, celui-ci lui aurait affirmé que c’est à la demande-même de M. White qu’il avait ajouté le mot « consciously ». De plus, il n’aurait jamais lu l’article du plaignant.
B. PLAINTE CONTRE MARIO ROY ET LA PRESSE
Selon le plaignant, c’est dans un texte plein de distorsions et de demi-vérités que M. Roy, comme plusieurs autres commentateurs, a soutenu que M. Sanger a écrit que la ville de Québec a subi un nettoyage ethnique (ethnically cleansed), ce qui est absolument faux. La seule fois où ce terme a été utilisé dans son article était pour dire que la ville de Québec est devenue moins diversifiée sur le plan ethnique sans qu’il y ait eu (in the absence) de guerre ou de nettoyage ethnique.
Le plaignant peut à peine croire que cela ait échappé à M. Roy, c’était dans le premier paragraphe. Il est plutôt convaincu que celui-ci a déformé intentionnellement le sens de son article pour des raisons personnelles qu’il ne peut qu’imaginer.
L’article de M. Roy a vraisemblablement été alimenté par le sous-titre – qu’il n’a pas lui-même écrit – et qui se lisait : « In Vieux-Québec, ethnic cleansing occurs by attrition ». Le choix des mots pourrait avoir été inapproprié, compte tenu de l’aboutissement (issue). Cependant, cela ne justifie pas que M. Roy ait ignoré le qualificatif « by attrition », alors que le premier paragraphe de son article indiquait bien qu’aucun nettoyage ethnique n’était survenu.
C. PLAINTE CONTRE LUC CHARTRAND ET L’ACTUALITé
Selon le plaignant, M. Chartrand continue à propager cette fausseté à l’effet que M. Sanger a dit qu’un nettoyage ethnique était survenu à Québec. M. Chartrand ayant probablement lu les divagations de M. Roy, il aura fait comme le reste des journalistes. Cependant, une semaine avant la parution de l’article de M. Chartrand, le plaignant a eu une longue conversation avec lui durant laquelle il lui a expliqué que la seule fois où il fait mention de nettoyage ethnique dans son texte, c’était pour préciser très clairement que cela n’était pas survenu à Québec. à la fin de cette conversation, M. Chartrand avait alors conclu avec lui, à contrecŒur, que « tout était dans le packaging », ce qui semblait alors signifier « le sous-titre et l’illustration ».
Malheureusement, selon M. Sanger, cela ne cadrait pas avec la thèse que voulait mettre de l’avant M. Chartrand : qu’il y a une sorte de conspiration par « les nostalgiques de la supériorité anglo-saxonne », dans laquelle, présume-t-il, il est inclus, de même que le propriétaire du Saturday Night, Conrad Black. Le plaignant estime donc que c’est la raison pour laquelle M. Chartrand a choisi de déformer ce qu’il a dit dans son article, de même que ce qu’il lui a confié au téléphone : qu’il a vécu trois ans dans la ville de Québec, qu’il a déménagé au Québec il y a 20 ans et qu’il a refusé de nombreuses opportunités et offres qui l’aurait amené ailleurs, que son épouse est francophone et que le français est même la langue qu’il utilise pour communiquer avec son fils.
Commentaires du mis en cause
A. COMMENTAIRES DE PATRICK WHITE
Patrick White invoque que Reuters n’a fait que diffuser une dépêche, portant non pas sur le journaliste ou sur son article mais bien sur la controverse provoquée au Québec à la suite de la parution de son texte. L’article de Reuters ne porte aucune accusation contre M. Sanger. Il ne fait que résumer ses écrits et faire état des réactions suscitées par la publication de son article.
Pour le mis-en-cause, l’article de M. Sanger tendait à démontrer que les gens de Québec sont xénophobes et que cette xénophobie latente les aurait amenés à organiser consciemment un nettoyage ethnique. Que ce soit par l’article, le titre de l’article ou l’illustration les accompagnant, il est clairement expliqué qu’un nettoyage ethnique à l’usure de même que d’autres facteurs ont entraîné le départ des anglophones et des immigrants de la ville de Québec. Ces accusations ont provoqué de multiples réactions. Le mis-en-cause annexe 27 pages de ces réactions, dont celles des autres mis-en-cause à la présente plainte.
Pour M. White, le constat du plaignant est juste : il reste moins de 2% d’anglophones et d’allophones à Québec en l’an 2000; mais c’est sa manière de le dire et de l’expliquer qui a créé la controverse. Le journaliste mis en cause fait d’ailleurs remarquer qu’une des personnes citées dans l’article de M. Sanger a même pris la peine de faire une sortie publique pour affirmer haut et fort qu’il avait été cité hors contexte par M. Sanger.
Le journaliste termine en affirmant que l’article de Reuters ne faisait que rapporter les faits, c’est-à-dire « l’essence du texte de M. Sanger et les réactions provoquées par cet article », en présentant ses arguments et les réactions à son texte.
B. COMMENTAIRES DE LA PRESSE
M. Alain Dubuc commence par rappeler que c’est le droit le plus strict d’un éditorialiste d’exprimer son désaccord avec des idées soumises au débat public. Pour lui, le fait que M. Sanger soit mécontent des réactions que son article a pu susciter n’est pas un motif de plainte valable. L’éditorialiste en chef répond ensuite à deux reproches du plaignant sur des éléments qui pourraient ressembler à des entorses à l’éthique journalistique, reproches qui ne seraient pas fondés.
Selon lui, le plaignant estime qu’on lui a reproché à tort d’avoir écrit que le Québec avait fait l’objet d’une épuration ethnique. S’il est vrai que le corps du texte ne l’affirme pas, le titre de l’article utilise très clairement cette expression. Il lui apparaît donc approprié de considérer que le titre d’un article de magazine constitue une partie intégrante de cet article. D’autant plus que Mario Roy n’attribue pas au plaignant mais au magazine cette expression.
Le plaignant reprochait à l’éditorialiste de ne pas avoir précisé que ce même titre parlait d’épuration ethnique « par attrition », ce qui est faux. Dans le second paragraphe, Mario Roy a écrit : « Souvent par attrition ou par exil volontaire, concède le signataire de l’article ». Après avoir déclaré la plainte sans fondement, M. Dubuc termine en ajoutant que l’article de M. Sanger, par ses allusions et ses demi-vérités, apparaît comme une sorte de journalisme indésirable et qu’à ce titre, l’éditorial de Mario Roy était parfaitement approprié.
C. COMMENTAIRES DE L’ACTUALITé
Commentaires de l’éditorialiste, Luc Chartrand :
L’éditorialiste fait un rappel des faits, des titre et sous-titre, fait une description de la caricature et explique que « la capitale québécoise était dépeinte sous la plume de M. Sanger comme peu accueillante pour les minorités ». Il indique ensuite l’objet de son propre texte : situer l’article de M. Sanger dans le contexte d’une montée de l’intolérance des Canadiens-français, sous le couvert d’un parti-pris soi-disant multiculturaliste. Il a alors appelé ce phénomène du racisme et il avait, selon lui, le droit de décoder ainsi le message public, pour le bénéfice des lecteurs. Dans son éditorial, il formulait deux reproches à M. Sanger : l’absence d’analyse historique et l’évocation d’un « quartier chinois » à Québec, aux dimensions exagérées, de manière à soutenir sa thèse. En réalité, selon lui, la communauté chinoise est passée, entre 1950 et 1996 de 140 à 1 290 habitants.
M. Chartrand estime que l’essentiel de la position de M. Sanger consiste à se retrancher derrière une phrase de son article qui en contredit, en apparence du moins, le sous-titre. Le mis-en-cause estime qu’il s’agit ici d’une « précaution littéraire de sa part » et que dans son essence, son propos a été interprété avec justesse et lucidité par les éditeurs de Saturday Night, que ce soit dans le titre, le sous-titre et l’illustration. Luc Chartrand se demande d’ailleurs pourquoi le plaignant ne s’en prend pas à sa rédaction et à son illustrateur s’ils ont tellement trahi l’essentiel de son propos.
Pour M. Chartrand, la plainte fait référence à un déni du droit du plaignant, en tant que non-francophone, d’écrire sur le Québec. M. Chartrand considère que ce commentaire relève du même processus qui se répète : faire de tout non-francophone au Québec une victime d’une majorité présentée comme foncièrement antipathique envers les autres, peu accueillante et étroite d’esprit.
En post scriptum, le mis-en-cause fait observer que L’Actualité a publié dans son courrier aux lecteurs l’opinion de M. Sanger, de même que des lettres de plusieurs lecteurs, les uns favorables et les autres défavorables à l’éditorial de son magazine. Copie du document est annexée, ainsi que copie du courrier des lecteurs du Saturday Night du 13 mai 2000 où figurent également des lettres de protestation comme des lettres d’appui à l’article de M. Sanger.
Commentaires de la rédactrice en chef, Carole Beaulieu :
Mme Beaulieu relève sept griefs formulés par le plaignant et répond à chacun. Pour elle, si Saturday Night a donné une vision déformée de son propos, elle suggère au plaignant de déposer une plainte devant le Conseil de presse de l’Ontario pour le traitement du titreur et du caricaturiste du magazine. Cependant, à ses yeux, le caricaturiste a compris la même chose que l’éditorialiste de L’Actualité.
Aux griefs d’atteinte à son intégrité et sa crédibilité, elle répond qu’après avoir affirmé que M. Sanger ne savait pas de quoi il parlait, M. Chartrand a donné des exemples d’erreurs et de faits historiques, que le plaignant n’a pas réfutés. Pour ce qui est du « journalisme peu rigoureux », le plaignant n’indiquerait pas où sont les erreurs dans le texte de M. Chartrand. De plus, le plaignant ferait aux mis-en-cause un procès d’intention, en les accusant de semer intentionnellement la discorde.
La rédactrice en chef reconnaît en outre que M. Sanger n’a pas écrit textuellement qu’il y avait eu nettoyage ethnique, et il a même écrit une phrase dans laquelle il se défend de vouloir dire cela. Cependant, plusieurs autre éléments le donnent à penser, notamment la phrase précisant que les non-blancs devraient songer à s’installer ailleurs. Ses omissions parleraient également : par exemple, ne pas mentionner que des raisons économiques ont amené des populations à migrer vers Montréal et que des anglophones unilingues vivent heureux à Québec.
Mme Beaulieu répond au reproche de ne pas avoir expliqué le contexte dans lequel a vécu le journaliste en questionnant la pertinence de cette mention. De plus, son journaliste aurait pu, selon elle, commenter la chronique de M. Sanger sans jamais lui en parler, une pratique courante et déjà admise. Enfin, en ce qui a trait aux droits du plaignant, les mis-en-cause n’ont jamais nié à M. Sanger celui d’émettre des points de vue sur la société québécoise, mais de simplement utiliser le leur pour débattre de sa vision.
Réplique du plaignant
A. RéPLIQUE à PATRICK WHITE
En préambule à ses réactions aux mis-en-cause pour les trois plaintes, M. Sanger demande au Conseil de presse du Québec de lui faire connaître la composition du jury qui étudiera les plaintes pour s’assurer d’une représentation ethnique équitable.
En ce qui a trait à M. White, celui-ci ne répondrait pas à ses demandes d’explication, notamment sur le « consciously emptied » sur lequel il s’arrête lui-même pour l’expliquer. De plus, le mis-en-cause n’aurait pas fait son compte rendu d’une manière honnête et exacte; et il n’aurait fait aucun effort non plus pour le contacter ou contacter quelqu’un du magazine Saturday Night. Ce qui représente à ses yeux, non seulement une omission mais une tentative intentionnelle de donner une version déformée de toute l’histoire. Le plaignant revient ensuite sur le témoignage de M. Napoléon Woo, contestant que celui-ci aurait affirmé qu’il avait été cité hors contexte. Il y ajoute également, pour appuyer ses dires, le témoignage de M. Wally Seto, un ami d’enfance de M. Woo.
B. RéPLIQUE à LA PRESSE
M. Sanger dit avoir apprécié le caractère bref et direct de la réponse de M. Dubuc. Sa défense repose sur le fait que M. Roy n’a pas accusé le journaliste d’avoir dit que la ville de Québec avait été « nettoyée ethniquement »; c’est plutôt le magazine qu’il a accusé de l’avoir fait, dans le sous-titre de l’article.
Si M. Dubuc est capable de faire une telle distinction entre lui et le magazine, pourquoi M. Roy ne reconnaît-il pas que M. Sanger a dit clairement, dans le premier paragraphe, que Québec était devenue plus homogène en l’absence de guerre ou de nettoyage ethnique? De plus, pourquoi ne dit-il pas clairement que la seule fois où il est suggéré qu’un nettoyage ethnique soit arrivé (soit dans le titre) il y est également mentionné que c’est par attrition? Ce qualificatif modifie pourtant la perception (popular notion) qu’on peut avoir de ce qu’est ce nettoyage ethnique (ethnic cleansing).
L’article de M. Roy donnerait également à penser qu’il voulait faire croire à son lecteur que Daniel Sanger avait dit qu’un nettoyage ethnique était survenu à Québec, ce qui serait une représentation fausse de l’essence son article. M. Sanger s’applique ensuite à démontrer l’inexactitude de la phrase « souvent par attrition ou par exil volontaire, concède le signataire de l’article ». Le plaignant affirme qu’il n’a jamais suggéré une telle chose et il termine en mentionnant que M. Dubuc l’accuse d’allusions indésirables et de demi-vérités, mais ne les indique pas. Il lui demande donc de démontrer ces accusations ou de les retirer.
C. RéPLIQUE à L’ACTUALITé
Dans une réplique en quatre pages, le plaignant répond d’abord à l’affirmation de l’éditorialiste de son droit de décoder librement [un message public pour le bénéfice des lecteurs], y allant de son interprétation. M. Sanger s’attaque ensuite à la « précaution littéraire » derrière laquelle il se serait retranché et il s’applique à la réfuter. Vient ensuite la mise en contexte, où M. Chartrand situerait injustement l’article du plaignant. Puis la discussion se porte sur la question de l’existence, au tournant des années 1950, d’un « Chinatown » à Québec.
La réplique de M. Sanger aborde alors ce qu’il considère chez M. Chartrand comme l’imagination d’une grande conspiration derrière son article et qu’il appellera une « hyperbole so comical… ». M. Sanger demandera alors au mis-en-cause sur quelle évidence il s’appuie pour atteindre à une telle conclusion, au-delà d’une lecture volontairement erronée de son article.
Le plaignant poursuit en rappelant la longue conversation téléphonique avec l’éditorialiste, les articles qu’il a écrits au cours de ses 15 années de journalisme au Québec et discute de la propriété de son magazine par Conrad Black et de celui de M. Chartrand par Ted Rogers. Il conclut en tentant de démontrer que M. Chartrand ment quand il dit qu’il a été inondé de courriers électroniques insultants, alors qu’il n’en a envoyé que deux.
à madame Beaulieu, le plaignant répond que L’Actualité n’était pas la seule à présenter une vision déformée et malhonnête de son article, il répond à sa suggestion de déposer une plainte devant le Conseil de presse de l’Ontario et à son assertion sur des « exemples d’erreurs de faits historiques » en retournant les accusations de « journalisme peu rigoureux » de Mme Beaulieu à M. Chartrand. Il aborde ensuite ce qu’il estime être les motifs de ce dernier, de semer la discorde.
M. Sanger rappelle que la rédactrice en chef a admis qu’il avait dit qu’un nettoyage ethnique n’est pas survenu dans la ville de Québec, et reprend débat et démonstration sur « son affirmation qui signifierait le contraire de ce qu’il avait dit ». Il termine en précisant à nouveau que ce serait bien si un anglophone au Québec pouvait écrire des choses peu flatteuses au sujet de la province sans qu’on ait le réflexe de lui demander pourquoi il n’écrit pas plutôt sur Thunder Bay ou St John’s.
Analyse
Quelle que soit la latitude journalistique dont disposent les médias et les journalistes dans l’exercice de la profession, cette liberté ne peut jamais s’exercer qu’à l’intérieur des limites que dicte l’obligation de respecter les faits. Or, dans le présent cas, ce que le Conseil a considéré comme constituant « les faits » est l’article de M. Sanger, publié par le magazine Saturday Night, le contexte auquel il réfère et les diverses réactions provoquées par sa publication.
Le Conseil tient à spécifier que son examen ne porte pas sur l’article publié dans Saturday Night sous la plume de M. Sanger, ce texte ayant déjà fait l’objet d’une décision du Conseil. Cet examen vise plutôt l’appréciation du respect des règles déontologiques par les trois médias mis en cause et par leurs journalistes respectifs.
Une première observation générale qui ressort de la lecture des documents soumis au Conseil est la référence continuelle de M. Sanger à l’exactitude dont n’auraient pas fait preuve les mis-en-cause en rapportant ses propos ou son article. Or, le Conseil fait observer que M. Sanger et Saturday Night ont utilisé un procédé qui consiste à suggérer une image, celle du nettoyage ethnique, de la juxtaposer à celle de la ville de Québec pour ensuite nier le phénomène. Même si ce n’est pas ce procédé stylistique qui est en cause, le plaignant ne doit pas s’étonner qu’en procédant ainsi il ait ouvert la porte à des interprétations.
Dans le cas de Patrick White et de l’agence Reuters, l’analyse du Conseil n’a permis de relever qu’un seul élément discutable, celui portant sur l’utilisation malencontreuse du qualificatif « consciously » par Patrick White dans sa dépêche sur l’article de M. Sanger. Tout en considérant qu’il s’agit effectivement d’une inexactitude, le Conseil en est venu à la conclusion qu’elle n’avait pas la portée que lui attribue le plaignant, ni une gravité ayant pour effet d’atteindre à sa réputation.
En ce qui a trait au grief de partialité exprimé par le plaignant, celui-ci n’a pas été démontré. Enfin, l’examen révèle également que si le plaignant ou son magazine n’ont pas été contactés pour donner leur version des faits, leur opinion était connue puisqu’elle était déjà inscrite dans la publication de Saturday Night et le journaliste White a également pris soin de faire une recherche à Québec et de citer des témoignages.
Le cas des deux articles suivants relève d’un genre journalistique différent, celui de l’éditorial qui, faut-il le rappeler, confère à son auteur une grande latitude pour exprimer ses opinions et ses prises de position, à condition de respecter les faits. Or les articles des deux éditorialistes ne visaient pas, comme il est énoncé clairement dans leurs titres et sous-titres, à traiter exclusivement de l’article de M. Sanger. Et les éditorialistes pouvaient le faire légitimement, sans se faire accuser de manquements à l’éthique pour information incomplète. Le plaignant ne pouvait pas s’attendre à ce que l’éditorialiste n’écrive exclusivement que sur lui, que sur le sujet qu’il avait abordé et sur l’entrevue qu’il avait donnée.
L’examen du texte publié dans La Presse n’a révélé, aux yeux du Conseil de presse, aucune entorse aux normes journalistiques. Par exemple, l’examen a montré que l’article de Mario Roy contenait bien la mention « par attrition », contrairement à ce que dénonçait et prétendait le plaignant.
Le plaignant invoquait que les titre et caricature n’étaient pas de son cru mais le fait de la rédaction du Saturday Night. Le plaignant ne pouvait tout de même pas s’attendre à ce que ses lecteurs lisent séparément le titre de son article, la caricature qui l’accompagnait et l’article lui-même. La plupart des lecteurs ne s’interrogeront pas pour savoir qui du rédacteur ou du journaliste ont composé l’article et la page. Pour tout lecteur, il est légitime de considérer spontanément que texte, caricature, image, photo et légende appartiennent à un même ensemble.
Enfin, tout en reconnaissant que Luc Chartrand et L’Actualité avaient pleinement le droit de porter un jugement critique sur l’article de M. Sanger, le Conseil se doit de déplorer, en revanche, l’association abusive que fait l’éditorialiste en prêtant des intentions racistes à M. Sanger, alors assimilé aux cercles de droite du Canada anglais.
Décision
Pour l’ensemble de ces considérations, et une réserve ayant été inscrite concernant l’article de Patrick White, le Conseil rejette sur le fond les plaintes formulées par Daniel Sanger contre Patrick White et l’agence Reuters, et Mario Roy et le quotidien La Presse. Le Conseil retient toutefois celle portée contre Luc Chartrand et le magazine L’Actualité.