Plaignant
M. Matthew Trowell
Mis en cause
M. Joel Goldenberg, journaliste; M. Pierre-Albert Sévigny, journaliste; M. Anthony Bonaparte, caricaturiste; M. Beryl Wajsman, éditeur; M. Sari Medicoff, directeur général et l’hebdomadaire The Suburban
Résumé de la plainte
M. Matthew Trowell porte plainte contre les éditions du 7 et du 14 janvier 2009 de l’hebdomadaire The Suburban. Il déplore que la ligne éditoriale, adoptée dans ces deux éditions, ait consisté à associer les individus ayant pris part à une manifestation dénonçant l’invasion de Gaza par Israël, à des partisans du Hamas au comportement violent. Il s’agit, pour lui, d’un exercice de propagande haineuse.
Griefs du plaignant
De l’avis de M. Trowell, The Suburban, sous la direction de son éditeur M. Beryl Wajsman, serait un outil de propagande sioniste. Selon lui, la distribution gratuite de cet hebdomadaire, qu’il qualifie d’arrogant, d’intolérant, de discriminatoire et d’haineux, est une menace à l’équilibre ainsi qu’à l’harmonie et au bien-être de la communauté. Bien qu’il considère que M. Wajsman ait droit à ses opinions, il n’est, selon lui, pas possible de prétendre que The Suburban représente une diversité d’opinions, puisque la suppression des points de vue qui contredisent les siens est, selon le plaignant, méthodiquement encouragée.
Pour le plaignant, les cibles de la propagande haineuse de l’hebdomadaire sont les Palestiniens, les sympathisants des Palestiniens tout comme les croyants de confession musulmanes. Il ajoute que les articles intitulés « Pro-Hamas mob takes over city streets » et « Hate in the Streets » étaient sensationnalistes.
– édition du 7 janvier 2009
De l’avis de M. Trowell, l’article « Hate in the streets » résume la paranoïa dont ferait preuve M. Wajsman, notamment par les mots suivants : « These are not ordinary demonstrators manifesting differing points of view. These are purveyors of hate who, for the most part, originate from totalitarian cultures. They do not even make a pretense of reason », ainsi que « They want all the freedoms of a liberal society – expression, religion, association and assistance – but they reject any fidelity to the principles of liberty, veracity or loyalty to sister democracies ». Ce paragraphe laissait, selon lui, entendre que ces mêmes islamistes sont des automates dépourvus d’esprit critique, des pions dont l’ultime mission est la destruction d’Israël. Pour le plaignant, l’éditorial que l’on retrouve dans la même édition de l’hebdomadaire et qui s’intitule « Israel fights west’s war » permet d’identifier clairement ceux que les accusations de M. Wajsman visent : « The Islamists that are marching in western cities are directed by shrewd and murderous operatives of regimes spawned in the dark ages of history. Israel is but the front line of civilization ». Pour M. Trowell, il ne fait alors aucun doute que le « they » fait référence aux islamistes, c’est-à-dire aux musulmans.
Relativement à la caricature publiée dans les pages éditoriales de cette même édition, le plaignant juge l’illustration de M. Bonaparte réductive. De son avis, elle est révélatrice de ce que l’éditeur a probablement suggéré de faire, c’est à dire de dépeindre la cruauté de l’ennemi d’Israël. De l’avis de M. Trowell, il ne s’agissait pas d’une caricature innocente, puisqu’elle dessert l’objectif de l’éditeur qui, selon lui, serait d’augmenter les préjugés en rendant plus profondes les incompréhensions envers les Palestiniens.
– édition du 14 janvier 2009
Pour M. Trowell, l’article intitulé « Pro-Hamas mob takes over city streets » démontrait un effort visant à rapporter, entre les lignes, que la majorité de la foule ordonnée de manifestants au bon comportement s’était distancée d’une petite minorité plus exubérante et plus excitable, les soi-disant « haters ». Comme l’explique le plaignant, cet événement fut également rapporté dans The Mirror, proposant aux lecteurs une photo mettant en scène une colonne ordonnée de personnes, marchant dans une rue du centre-ville de Montréal.
Pour M. Trowell, M. Wajsman a, dans son article, fait preuve d’exagération en représentant de manière faussée les fanatiques supportant le Hamas et en appellant à ce qu’ils soient limités et restreints dans leurs actions et ce, sous le couvert de la Charte des Droits et Libertés. De son avis, cette idée qui se retrouve dans l’article intitulé « How to guard the line » est un effort calculé pour inspirer la peur, la suspicion et l’appréhension aux participants de ces événements, mais également pour empêcher l’association avec toute personne ayant des origines palestiniennes, étant de confession musulmane ou étant critique d’Israël.
D’après le plaignant, il faut faire preuve d’un profond mépris et de haine, assortis d’intentions malicieuses, pour publier une citation d’un rabbin montréalais, telle que « There will only peace when Palestinians leaders care about their children », dans l’article intitulé « Full House for Israel ». Ce que le plaignant qualifie d’abomination est reproduit dans le texte de l’article sous la forme « Peace will come to the Middle East the day Palestinian leaders begin to care about their own children » et « […] we were more concerned about their children than they were ». Il ajoute que dans ce même article, l’auteur réitère cette remarque, visiblement issue du discours du rabbin et ce, en faisant référence à un membre dirigeant de Gaza sans toutefois l’identifier par son nom : « 1/4#8219;the enemies of Allah do not know that the Palestinian people have developed its methods of death and death seeking. For the Palestinian people, death has become an industry, at which women and children excel. That is why we have formed human shields of the women, children and elderly to challenge the Zionists. It is as if we were saying the Zionists, we desire death while you desire life’ ». Pour M. Trowell, il ne s’agissait pas d’une attribution légitime puisque le lecteur est susceptible de croire qu’il s’agit d’une déclaration d’un représentant officiel de la police palestinienne.
Pour le plaignant, les deux éditions de The Suburban, qui sont ici en cause, allaient loin dans la dénonciation des Palestiniens et, par association, des individus de religion musulmane. Selon lui, les Palestiniens se font dépeindre comme étant des gens cruels et brutaux sans cause légitime dans ces deux éditions. à la différence, les actions d’Israël seraient minimalisées, excusées et justifiées. Pour M. Trowell, les quelques exemples qu’il a fournis suffisent à dépeindre ce phénomène et à conclure que l’éditeur orchestre avec précaution le contenu de l’hebdomadaire pour créer cet effet.
Commentaires du mis en cause
Commentaires de M. Beryl Wajsman, rédacteur en chef :
Pour le mis-en-cause, la plainte de M. Trowell est une diatribe contre sa personne, ainsi qu’envers les employés de The Suburban. Le mis-en-cause précise que l’idée selon laquelle personne ne peut se voir refuser le droit de protester et de manifester a été clairement exprimée dans l’éditorial intitulé « How to guard the line » et ce, bien que M. Trowell soutienne le contraire. On peut en effet y lire : « Short of incitement to violence, freedom of expression should be absolute », « As objectionable as all the above may be, it should still never be subject to restraint », ainsi que « no municipal authority should refuse a permit simply because of controversial views ».
De l’avis de M. Wajsman, le plaignant confond publication haineuse avec publication rapportant des propos et événements haineux. Bien que ce dernier parle de publication haineuse, il ne donne toutefois aucun détail de ce en quoi cette haine consiste.
Il ajoute que, bien que M. Trowell mentionne que la cible de The Suburban soit les Palestiniens et les musulmans, il ne voit pas où cette information a été mentionnée. Il précise que ce sont les islamistes qui sont attaqués. Quant aux Palestiniens, il précise ne pas avoir fait référence à eux de façon négative.
Concernant l’insinuation selon laquelle la caricature de M. Bonaparte aurait été réalisée sous son approbation, le mis-en-cause nie que cela soit possible et explique que ce dernier est parfaitement libre de réaliser les caricatures qu’il souhaite. Il ajoute que l’accusation de sensationnalisme que formulait le plaignant n’est pas non plus fondée.
Commentaires de M. Joel Goldenberg, journaliste:
Le mis-en-cause se présente comme étant l’auteur de l’article cité par M. Trowell dans sa plainte et qui portait sur la couverture du conflit entre Israël et le Hamas dans la bande de Gaza. M. Goldenberg précise qu’il s’agit d’un reportage, et non d’un article d’opinion, découlant du rassemblement tenu par les leaders de la communauté juive de Côte Saint-Luc en support à Israël. Il explique qu’il a mis en évidence la citation du rabbin, jugeant que celle-ci avait été la plus percutante de tout le rassemblement. L’article dont il est question comprend une mise en contexte faite à la lumière de l’information, selon laquelle le Hamas a utilisé des missiles humains durant le conflit de la bande de Gaza.
Commentaires de M. Pierre-Albert de Sévigny, journaliste :
Le mis-en-cause explique qu’en tant qu’auteur de l’article intitulé « Pro-Hamas takes over city streets », il souhaite ajouter certains commentaires. Il indique qu’il prend la rigueur de son travail très au sérieux ainsi que l’objectivité et la responsabilité qui lui sont attachées. Il soutient que son article présentait les événements tels qu’il les a observés lors de la manifestation. Il précise toutefois que brûler le drapeau d’Israël, comme ce fut le cas lors de cette manifestation, est, selon la loi, une démarche illégale et haineuse.
Réplique du plaignant
M. Trowell maintient sa plainte au Conseil de presse et précise qu’il n’a rien à ajouter.
Analyse
M. Matthew Trowell porte plainte contre les éditions du 7 et du 14 janvier 2009, de l’hebdomadaire The Suburban et plus spécifiquement contre certains des articles publiés dans ces éditions. Il déplore que la ligne éditoriale adoptée dans celles-ci ait consisté à associer les individus, ayant pris part à une manifestation à Montréal dénonçant l’invasion de Gaza par Israël, à des partisans du Hamas au comportement violent.
Le Conseil tient d’abord à souligner qu’il a pleine conscience du fait que le sujet dont il est ici question, soulève des passions qui peuvent s’affronter en fonction des communautés et il tient à préciser que sa décision a pour objet de se prononcer sur l’éthique journalistique dont ont fait preuve les journalistes de The Suburban et nullement de se positionner au sein de ce débat.
Grief 1 : exagération
Le plaignant reproche, dans un premier temps, à deux articles en lien avec la manifestation qui s’est tenue à Montréal, « Hate in the streets » et « Pro-Hamas mob takes city streets », d’être sensationnalistes. Il déplore tout particulièrement le fait que M. Sévigny ait, dans le dernier article, fait preuve d’exagération et présenté la manifestation comme principalement composée de partisans du Hamas, exubérants et pleins de haine.
Au sujet du sensationnalisme et de l’exagération, le guide des Droits et responsabilités de la presse mentionne que : « Les médias et les professionnels de l’information doivent traiter l’information recueillie sans déformer la réalité. Le recours au sensationnalisme et à l’ « information-spectacle » risque de donner lieu à une exagération et une interprétation abusive des faits et des événements et, d’induire le public en erreur quant à la valeur et à la portée réelles des informations qui lui sont transmises. » DERP, p. 22
Après analyse, le Conseil conclut que M. Wajsman, dans son éditorial intitulé « Hate in the streets », ainsi que M. Sévigny, dans son article intitulé « Pro-Hamas mob takes city streets », ont tous deux dépeint la manifestation comme quasi exclusivement composée de partisans du Hamas au comportement haineux, ce qui n’est toutefois pas exact, puisque l’événement réunissait bien d’autres types de manifestants. Le Conseil relève également que le style journalistique choisi par M. Wajsman, soit l’éditorial, ne le dispensait pas de préciser aux lecteurs une information exempte d’exagération et donc conforme à la réalité. En dépeignant de manière inexacte cette même réalité, MM. Wajsman et Sévigny ont ainsi pu induire le lecteur en erreur, ce qui constitue un manquement à la déontologie. Le grief est retenu.
Grief 2 : manque de mise en contexte
Dans l’article intitulé « Full house for Israel », le plaignant regrette que M. Goldenberg ait cité les propos d’un rabbin lors d’un rassemblement à Côte Saint-Luc, qui citait lui-même un membre dirigeant de Gaza, sans toutefois l’identifier. Bien que la compréhension de l’article aurait pu être facilitée par cette précision, rien n’obligeait toutefois le journaliste à préciser l’identité de cet individu. Le grief est rejeté.
Grief 3 : incitation à la haine
Pour M. Trowell, les articles « Hate in the streets », « How to guard the line » et « Full house for Israel » incitent à la haine envers les Palestiniens, leurs sympathisants, et les musulmans en général. Il met plus particulièrement en cause un certain nombre de citations que l’on retrouve dans ces articles. M. Wajsman se défend, quant à lui, en expliquant que ces articles rapportent des comportements haineux, sans toutefois véhiculer de message haineux.
Lors de son analyse, le Conseil a pu relever que les deux premiers articles, dont il est question, sont des éditoriaux, soumis à un certain nombre de principes que sont les suivants : « La liberté d’opinion de l’éditorialiste et du commentateur n’est pas absolue; la latitude dont ceux-ci jouissent doit s’exercer dans le respect des valeurs démocratiques et de la dignité humaine. » (DERP, p. 18). Plus généralement et sur la question du respect des personnes et des groupes sociaux, le Conseil rappelle que « Les médias et les professionnels de l’information doivent […] impérativement éviter d’utiliser, à l’endroit des personnes ou des groupes, des représentations ou des termes qui tendent à soulever la haine et le mépris, à encourager la violence ou encore à heurter la dignité d’une personne ou d’une catégorie de personnes en raison d’un motif discriminatoire. » DERP, p. 41
Le Conseil a constaté que les deux éditoriaux ainsi que l’article d’information n’incitaient nullement à une aversion profonde et violente pour quelqu’un ou quelque chose, ce qui signifie qu’il ne véhiculaient pas de message à caractère haineux. Le grief est rejeté.
Grief 4 : préjugés
Enfin, le plaignant insiste sur le fait que la caricature de M. Bonaparte, parue dans l’édition du 7 janvier 2009, était réductive. Elle avait, selon lui, pour objectif de dépeindre la cruauté de l’ennemi d’Israël, ainsi que d’augmenter les préjugés.
Le guide des Droits et responsabilités de la presse dispose d’une section consacrée tout particulièrement aux caricatures et dans laquelle on peut lire d’une part que « La caricature est un genre journalistique qui confère à ses auteurs une grande latitude. […] Sa fonction consiste à illustrer ou à présenter, en faisant appel à l’exagération du trait, un personnage, un fait, un événement, un phénomène social ou autre, de façon satirique ou humoristique. On doit dès lors reconnaître que la caricature constitue un véhicule d’opinions au même titre que l’éditorial. » (DERP, p. 18). D’autre part, « Le caricaturiste doit s’acquitter de sa tâche avec la même conscience, le même souci de qualité et de respect des personnes, des groupes et du public. Lorsque la caricature est porteuse d’une connotation haineuse, le seuil de tolérance de la société est déjà franchi. » DERP, p. 29
En procédant à l’analyse de la caricature de M. Bonaparte, le Conseil a pu constater que, bien qu’il s’agisse toujours du délicat sujet du conflit opposant Israël et la Palestine, le caricaturiste n’a pas particulièrement dépeint la cruauté des Palestiniens, ni entretenu des préjugés par son travail. Le grief est donc rejeté.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse retient la plainte de M. Matthew Trowell contre l’hebdomadaire The Suburban et blâme MM. Beryl Wajsman et Pierre-Albert Sévigny pour l’exagération, découlant du traitement journalistique, qu’ils ont accordé à la manifestation de dénonciation de l’invasion de Gaza qui s’est tenue à Montréal, le 10 janvier 2009. Les griefs pour défaut d’identification de l’auteur d’un propos, incitation à la haine et préjugés sont, quant à eux, rejetés.
Analyse de la décision
- C12D Manque de contexte
- C14A Sensationnalisme/exagération/insistance indue
- C18B Généralisation/insistance indue
- C18C Préjugés/stéréotypes