Plaignant
Mme Liza Frulla
Mis en cause
M. Michel Hébert, journaliste; M. Donald Charette, directeur de l’information et Le Journal de Québec
M. Serge Labrosse, directeur général de la rédaction et Le Journal de Montréal
M. Bruno Leclaire, chef de direction et le portail Internet Canoë
M. Yves Daoust, directeur général et le Canal Argent
Résumé de la plainte
Mme Liza Frulla porte plainte contre le journaliste Michel Hébert relativement à ses articles parus dans Le Journal de Montréal et Le Journal de Québec, et aux sujets diffusés sur le portail Internet Canoë ainsi que sur le Canal Argent. La plaignante reproche au journaliste de ne pas l’avoir contactée pour obtenir sa version des faits avant que ne soient rendus publics les articles portant sur la gestion des FIER. Elle lui reproche également d’avoir illustré ceux-ci de photos la mettant en évidence, d’avoir choisi des titres accusateurs et, par voie de conséquence, d’avoir porté atteinte à sa réputation.
Griefs du plaignant
Selon Mme Frulla, Le Journal de Montréal, Le Journal de Québec, le Canal Argent ainsi que le portail Canoë auraient traité une nouvelle sur les FIER-Régions de façon litigieuse en ce qui la concerne et ce, à la suite d’allégations partisanes de François Legault à l’Assemblée nationale.
La plaignante déplore que, contrairement aux autres médias qui ont publié cette nouvelle, le mis-en-cause, M. Hébert, n’ait pas cherché à entrer en contact avec elle pour obtenir sa version des faits.
Mme Frulla précise qu’elle siège au conseil d’administration de la filiale d’Investissement Québec IQ FIER inc. à la demande de son président, depuis le 13 mars 2008. Elle ajoute qu’elle a assisté à trois réunions du conseil dont la mission est de faire appliquer les règles ainsi que la politique d’investissement déterminées par le gouvernement.
De l’avis de la plaignante, le titre de l’article publié dans Le Journal de Montréal, référant à de l’argent détourné, ou ceux du portail Canoë et de Canal Argent, référant à un scandale politico-financier, donnent l’impression qu’elle est complice d’un détournement d’argent et porterait préjudice à sa crédibilité ainsi qu’à sa réputation. Elle ajoute que, dans les trois cas, sa photo est présentée de manière prédominante. Considérant que les photos et les gros titres demeurent figés dans l’esprit des lecteurs, Mme Frulla estime avoir été traitée injustement et sans rigueur journalistique. Elle soutient avoir été d’autant plus lésée dans ses droits qu’elle est une personnalité publique, travaillant à titre d’analyste politique pour certains médias.
Mme Frulla termine en précisant qu’elle n’a contacté aucun des médias contre lesquels elle porte plainte considérant qu’une fois les articles publiés, le tort était fait.
Commentaires du mis en cause
Commentaires de M. Donald Charrette, directeur de l’information, Le Journal de Québec :
M. Charrette explique que Michel Hébert a écrit son histoire à partir des révélations faites à l’Assemblée nationale le 29 avril 2009, ainsi que lors du point de presse subséquent. Il précise que le journaliste s’est entretenu avec M. Jacques Daoust, président d’Investissement Québec et que cette entrevue a été publiée le même jour que l’article afin d’offrir un complément d’information.
Le mis-en-cause ajoute que M. Hébert a tenté de contacter la plaignante à son emploi et que cette tentative est restée sans succès.
Pour M. Charrette, le journaliste a parfaitement respecté les règles du métier en effectuant cette couverture journalistique.
Commentaires de Mme Véronique Dubois, conseillère juridique principale, Quebecor Media :
La représentante des mis-en-cause explique que, puisque le Groupe TVA inc. n’est plus membre du Conseil de presse depuis décembre 2008, aucun commentaire ne sera formulé à la suite de la plainte de Mme Frulla.
Commentaires de Me Bernard Pageau, affaires juridiques, Le Journal de Montréal :
Me Bernard Pageau mentionne que les textes publiés sont issus de débats qui se sont tenus à l’Assemblée nationale, où le député François Legault a fait des révélations sur la base de documents transmis par le ministère du Développement économique de l’Innovation et de l’Exportation. Il ajoute que c’est dans ce contexte que le nom de la plaignante a été mentionné.
Me Pageau insiste sur le fait que les débats qui se tiennent à l’Assemblée nationale peuvent être rapportés sans qu’un média n’ait l’obligation de contacter les personnes dont les débats font mention. Selon lui, cela peut dépendre des circonstances ainsi que du traitement de l’information par chacun des médias. Me Pageau précise que, dans le cas du Journal de Montréal, le journaliste a choisi de contacter le président d’Investissement Québec, M. Daoust, pour obtenir ses commentaires. La plaignante faisait, par ailleurs, l’objet d’un commentaire dans l’entrevue obtenue auprès de M. Daoust. Ce commentaire était à l’effet que cette dernière n’avait rien à voir dans les dossiers d’investissement. Me Pageau conclut que le journaliste n’avait, de ce fait, pas à contacter la plaignante.
Selon lui, M. Hébert a travaillé de façon convenable et raisonnable en rapportant des informations permettant de compléter le débat public ayant eu lieu à l’Assemblée nationale.
En ce qui a trait à la présentation de l’information, le représentant des mis-en-cause affirme que les titres traduisaient bien l’essence des débats à l’Assemblée nationale et affirme que les textes supportaient ces titres. Il ajoute que la photo de la plaignante était, quant à elle, pertinente à l’information qui était rapportée et qu’elle n’était pas déraisonnable compte tenu du caractère public de cette information et de la notoriété de Mme Frulla.
Me Pageau rappelle au Conseil de presse que, même si Mme Frulla se plaint qu’il ait été porté atteinte à sa réputation et à sa crédibilité, le Conseil ne peut se saisir de ce motif de plainte.
Réplique du plaignant
La plaignante n’a soumis aucune réplique.
Analyse
Mme Liza Frulla porte plainte contre le journaliste Michel Hébert, Le Journal de Montréal et Le Journal de Québec relativement à des articles, portant sur la gestion des FIER, parus le 30 avril 2009. La plainte vise également les contenus diffusés, à ce sujet, sur le portail Internet Canoë et sur le Canal Argent.
La plaignante reproche au journaliste de ne pas l’avoir contactée pour obtenir sa version des faits avant la publication de l’information. Elle reproche également aux mis-en-cause d’avoir illustré cette information de photos la mettant en évidence, d’avoir choisi des titres accusateurs et, par conséquent, d’avoir porté atteinte à sa crédibilité et à sa réputation.
Pour réaliser son analyse, le Conseil de presse n’a eu, à sa disposition, que trois articles de Michel Hébert, parus le 30 avril 2009 sur le sujet, l’un dans Le Journal de Montréal intitulé « L’argent des régions détourné », et deux autres dans Le Journal de Québec intitulés respectivement « IQ défend les FIER » et « Un fonds de développement régional profite à des entreprises de Montréal ». La présente décision ne porte donc que sur ces articles et ne vise que le journaliste et les deux médias mis en cause.
Grief 1 : ne pas l’avoir rejointe
La plaignante déplore, dans un premier temps, que contrairement aux autres médias, le journaliste Michel Hébert ne l’a jamais rejointe pour obtenir sa version relative aux accusations portées contre elle, à l’Assemblée nationale. La partie mise en cause opposait à ce reproche qu’elle avait tenté à deux reprises de le faire, mais sans succès.
Au sujet de l’obligation d’un journaliste d’obtenir la version des faits d’une personne avant de formuler une accusation à son endroit, le guide des Droits et responsabilités de la presse (DERP) insiste sur le fait que « les médias et les journalistes doivent transmettre une information qui reflète l’ensemble d’une situation et le faire avec honnêteté, exactitude et impartialité » (p. 26). Bien que le Conseil note que les deux tentatives pour rejoindre la plaignante soient restées sans succès, il remarque que le journaliste a systématiquement pris soin de rapporter la déclaration du président d’Investissement Québec, M. Daoust, à l’effet que Mme Frulla « n’avait rien à voir avec les investissements faits par les FIER ». Compte tenu de la crédibilité des sources, de l’importance et de l’intérêt public évident du sujet, le droit du public à l’information permettait aux mis-en-cause la publication de cette information, malgré l’absence de la version de Mme Frulla. Le grief est rejeté.
Grief 2 : sensationnalisme – photo et titre trompeurs
De l’avis de la plaignante, le titre de l’article paru dans Le Journal de Montréal, « L’argent des régions détourné. Des libéraux notoires sont impliqués », associé à une photo la représentant, qu’elle juge « prédominante », constituerait un traitement injuste de l’information et laisserait aux lecteurs l’impression qu’elle était complice d’un détournement d’argent.
Au sujet des manchettes et des titres, le guide de déontologie du Conseil de presse indique : « Les médias et les journalistes doivent respecter l’intégrité et l’authenticité de l’information dans la présentation et l’illustration qu’ils en font sur supports visuels et sonores (…). Ils doivent faire preuve de circonspection afin de ne pas juxtaposer illustrations et événements qui n’ont pas de lien direct entre eux et qui risquent ainsi de créer de la confusion sur le véritable sens de l’information transmise. » (p. 30)
Dans le cas du Journal de Montréal, le Conseil estime, en ce qui concerne le titre « L’argent des régions détourné », et son sous-titre « Des libéraux notoires sont impliqués », qu’ils étaient conformes à l’information véhiculée dans l’article. Par conséquent, le Conseil ne retient pas le grief sur cet aspect.
Par contre, au sujet de l’illustration, compte tenu de la dimension imposante de la photo de Mme Frulla et de sa juxtaposition aux titres choisis, le lecteur pouvait avoir l’impression que Mme Frulla était accusée d’avoir détourné de l’argent. Sur cet aspect, le Conseil donne raison à la plaignante et retient le grief pour sensationnalisme contre Le Journal de Montréal.
En ce qui concerne Le Journal de Québec, le Conseil a constaté qu’il avait utilisé une photographie et des titres différents pour accompagner le même article du journaliste mis en cause. Dans ce cas, le Conseil n’a relevé aucun manquement pour exagération dans la présentation de l’information. Pour ces raisons, le grief qui lui a été adressé est rejeté.
Grief 3 : atteinte à la réputation
La plaignante déplore que, des précédents griefs, découle une atteinte à sa réputation ainsi qu’à sa crédibilité. à ce sujet, le Conseil rappelle que la diffamation, le libelle et l’atteinte à la réputation ne sont pas considérés comme du ressort de la déontologie journalistique, mais relèvent plutôt de la sphère juridique. Comme le Conseil de presse ne rend pas de décisions en la matière, le grief pour atteinte à la réputation n’a pas été traité.
Manque de collaboration
Pour ce qui est de Canoë et du Canal Argent, qui étaient également mis en cause dans la présente plainte et qui relèvent du Groupe TVA inc., le Conseil de presse regrette leur non-participation. Aux yeux du Conseil, ce refus va à l’encontre de la responsabilité qu’ont les médias de répondre publiquement de leurs actions. La citoyenne requérante dans ce dossier avait choisi le recours devant le Conseil de presse du Québec comme mécanisme d’autorégulation.
Par leur refus de répondre à la présente plainte en invoquant que Groupe TVA inc. n’est plus membre du Conseil de presse du Québec depuis décembre 2008, les mis-en-cause privent la plaignante de son droit de choisir l’organisme auquel elle désire s’adresser. Le Conseil insiste sur l’importance pour tous les médias de participer aux mécanismes d’autorégulation qui contribuent à la qualité de l’information et à la protection de la liberté de presse. Cette collaboration constitue un moyen privilégié pour eux de répondre publiquement de leur responsabilité d’informer adéquatement les citoyens. Le Conseil leur reproche donc leur manque de collaboration pour avoir refusé de répondre, devant le tribunal d’honneur, de la partie de la plainte les concernant.
Décision
Au moment de rendre sa décision finale, en ce qui concerne le journaliste Michel Hébert, le Conseil constate, d’une part, que le premier grief pour ne pas avoir rejoint la plaignante n’a pas été retenu à son endroit. D’autre part, le Conseil prend en compte le fait que son article n’était pas contesté pour son contenu mais pour sa présentation et son illustration, des responsabilités relevant plutôt de la direction de l’information. Par conséquent, le Conseil ne retient aucun grief contre le journaliste Michel Hébert.
En ce qui concerne Le Journal de Québec, le Conseil n’a également relevé aucun manquement de sa part et, en conséquence, il ne formule aucun reproche à son endroit.
Enfin, au vu de ce qui précède et au seul motif de sensationnalisme d’avoir publié une photo surdimensionnée par rapport au contenu de l’article et de ses titres, le Conseil de presse retient partiellement la plainte de Mme Liza Frulla contre Le Journal de Montréal.
Enfin, pour son manque de collaboration en refusant de répondre à la présente plainte, le Conseil de presse blâme le Groupe TVA inc. à titre de représentant du portail Internet Canoë et du Canal Argent.
Analyse de la décision
- C12C Absence d’une version des faits
- C13B Manipulation de l’information
- C17D Discréditer/ridiculiser
Date de l’appel
21 May 2010
Appelant
Le Journal de Montréal
Décision en appel
Après examen, les membres de la commission d’appel ont conclu majoritairement au maintien de la décision rendue en première instance.