Plaignant
Mme Véronique Bergeron et MM. Marc et Stéphane Bergeron
Mis en cause
M. Vincent Larouche, journaliste; M. Serge Labrosse, directeur général de la rédaction et le quotidien Le Journal de Montréal
Résumé de la plainte
Mme Véronique Bergeron et ses frères, MM. Marc et Stéphane Bergeron, portent plainte contre le journaliste Vincent Larouche et le Journal de Montréal, pour un article paru le 10 décembre 2008, traitant de l’incendie dans lequel leur mère, Mme Christiane Bergeron, a perdu la vie. Les plaignants reprochent au journaliste d’avoir commis plusieurs inexactitudes dans son récit ainsi que plusieurs omissions dans les faits. Ils déplorent aussi que le journaliste ait manqué de respect envers leur mère, en plus de faire preuve de sensationnalisme.
Griefs du plaignant
Les plaignants considèrent que, lors du traitement de la nouvelle rapportant le décès de leur mère dans l’incendie de sa demeure, le journaliste Vincent Larouche a manqué de compassion et de respect envers la défunte. Il se serait « permis de verser dans le sensationnalisme » en affirmant que des choses négatives ou marginales à son sujet et en soulevant ainsi « la médisance et la risée publique » à son endroit. L’article en question a été publié dans le quotidien Le Journal de Montréal du 10 décembre 2008, sous le titre « Un vrai bazar », précédé du surtitre, en petits caractères, « Incendie meurtrier ».
Les manquements reprochés au journaliste sont : d’avoir commis plusieurs inexactitudes dans son récit ainsi que plusieurs omissions dans les faits, ce qui rendrait l’information erronée; le mauvais choix des faits retenus créerait un déséquilibre et provoquerait le sensationnalisme dénoncé; enfin, le journaliste aurait manqué de respect à l’égard de la mère des plaignants, par son insistance négative et indue sur certains aspects de l’histoire. Son traitement serait d’ailleurs différent de celui de tous ses collègues journalistes.
En matière d’inexactitude, les plaignants formulent les reproches suivants :
a) L’insalubrité – Selon les plaignants, les pompiers ne se sont pas déplacés pour l’insalubrité des lieux, mais une première fois pour un tison, une seconde fois pour réviser des travaux à un poêle et à une cheminée et la troisième fois pour une inondation provenant d’un problème de drainage causé, selon les plaignants, par les services de voirie. Il n’y aurait eu aucune autre visite.
b) Le bois – En ce qui a trait au « bois de chauffage » mal rangé, les plaignants décrivent les endroits où était cordé, sur le terrain, le bois déjà coupé et donnent des explications détaillées pour démontrer que l’information publiée n’est pas conforme à la réalité.
c) La dizaine de chats – Selon les plaignants, leur mère n’avait aucun chat et, par conséquent, il était impossible de retrouver des carcasses de chats à travers les débris. Si le journaliste n’en a pas fait le constat par lui-même, « il ne pouvait rapporter des paroles calomnieuses », indiquent-ils.
d) Papiers et objets insolites – « Affirmer, ou laisser entendre, que le feu se serait propagé par des piles de papiers et objets insolites d’un foyer », alors que la maison brûlait et se faisait démolir par des pelles mécaniques, dépasse les limites de ce qui était permis au journaliste, qui aurait dû s’en tenir à une thèse de feu de poêle à bois. De plus, même à ce jour, les enquêteurs considèrent que la cause de l’incendie est encore indéterminable.
e) La fête – Leur mère n’avait pas célébré son anniversaire la veille de l’incendie, mais le dimanche précédent et en privé. Selon les plaignants, elle avait consacré son jour de fête à aider une amie, alors que la véritable célébration devait se faire le samedi suivant.
f) Début de l’incendie – Alors que le journaliste a rapporté que l’incendie avait débuté vers 7 h 30, un voisin a déclaré l’incendie au 911 vers 7 h 05. Et les policiers seraient arrivés à 7 h 30, juste avant les pompiers.
En matière d’omissions qui auraient rendu l’information erronée, les plaignants indiquent :
g) Montagne de débris – Au sujet de la « montagne de débris [qui] donnait l’impression d’être plus imposante qu’elle ne l’était », le journaliste n’aurait pas tenu compte de la configuration du sol, ni des dimensions de la maison et notamment que « cela faisait plus de 45 ans qu’elle était habitée par la même famille, tous les souvenirs de jeunesse et des nombreux voyages s’y sont accumulés ».
h) Voitures délabrées – Le journaliste aurait omis de mentionner la présence d’une Toyota Tercel qui était en bon état avant l’incendie, mais aurait préféré décrire deux véhicules plus anciens qui étaient en moins bon état.
i) Retard pour aviser les proches – Les enfants de la défunte n’ont été avisés que vers 9 h 20, soit plus de deux heures après l’alerte, mais ce retard inexplicable n’est pas mentionné dans l’article, alors qu’il était d’intérêt public.
j) Découverte de la dépouille – Le corps de la mère des plaignants n’a été retrouvé que vers 13 h 00 dans les décombres, alors que l’article mentionne « vers midi ». Par contre, le journaliste ne mentionne pas que la dépouille a séjourné le long de la route jusqu’à 21 h 00.
k) Surveillance – Il n’est pas mentionné que le lendemain de l’incendie, contrairement à ce que les policiers avaient annoncé, personne ne faisait le guet en attendant l’arrivée des enquêteurs.
Reproche pour sensationnalisme – Selon les plaignants, le mauvais choix des faits retenus consistant à ne rapporter que des informations négatives ou marginales a créé un déséquilibre et provoqué ainsi le sensationnalisme qu’ils dénoncent. Les propos du voisin qui manquait d’empathie et l’absence de compassion du chef des pompiers en seraient des exemples. à la suite de l’article en question, plusieurs effets négatifs ont suivi dans les relations avec les policiers, avec les autorités de la Ville, de même qu’avec le voisinage. La famille s’en est trouvée démolie et elle éprouve maintenant des difficultés à fonctionner.
Reproche pour manque de respect – Par une insistance indue et négative sur certains aspects de l’histoire, le journaliste aurait manqué de respect à l’endroit de la défunte. Son traitement sensationnaliste aurait résulté en un article qui « mène à la médisance et à la risée publique », à l’endroit de leur mère.
Commentaires du mis en cause
Commentaires de M. Vincent Larouche, journaliste :
Le journaliste amorce sa réponse en affirmant l’importance que peuvent représenter des sujets comme les morts accidentelles ou violentes, des sujets qui soulèvent de nombreuses questions d’intérêt public, comme celles de la sécurité ou du travail des services d’urgence.
S’il a réalisé un traitement différent de celui de ses collègues, indique-t-il, c’est qu’il a été le seul journaliste à s’être rendu sur les lieux du drame ce jour-là, pour interviewer les voisins et le personnel d’urgence. Les faits rapportés proviendraient des entrevues réalisées sur place ainsi que de ses propres observations.
Il explique : « L’entrevue clé a été réalisée avec le directeur des pompiers, devant les ruines fumantes de la maison incendiée. Lors d’un tel événement, le chef des pompiers est un interlocuteur crédible et pertinent. Ses propos peuvent évidemment être questionnés et remis en cause, mais il n’a pas à être jugé a priori suspect. Quand il déclare que ses pompiers sont « venus trois fois à cette résidence pour des problèmes d’insalubrité et maintenant on a la preuve que ça pouvait être dangereux » l’information est pertinente. » De plus, ses paroles étaient rapportées sous forme de citation dans l’article, pour qu’on voit bien qu’il s’agit de l’avis du chef des pompiers.
En ce qui a trait aux visites antérieures des pompiers, qui concernaient plutôt un tison et une inondation, le journaliste affirme qu’il aurait été disposé à rapporter le point de vue des plaignants, mais qu’ils n’étaient pas sur les lieux lors de son passage. En outre, s’ils l’avaient contacté par la suite, pour expliquer leur version des faits, il l’aurait exposée volontiers, mais ils ne se sont jamais manifestés.
Concernant l’affirmation des plaignants voulant que la maison, partiellement démolie, donne faussement l’impression que les piles d’objets divers étaient plus importantes qu’elles ne l’étaient en réalité, il répond qu’il était conscient de cette réalité lors de sa visite. Habitué à couvrir ce genre d’événements, il aurait tout de suite remarqué que cette maison et ce terrain étaient particulièrement encombrés de divers objets et de piles de papiers. Il s’agissait, selon lui, d’une observation objective et non d’un jugement. Les propos du chef des pompiers, comme ceux d’une source policière qui assurait la sécurité des lieux, seraient aussi venus corroborer son impression.
C’est cette source policière qui lui a affirmé avoir retrouvé les traces de plus d’une dizaine de chats sur les lieux. Comme il n’avait aucun moyen de vérifier par lui-même, M. Larouche a précisé que c’était « selon ce qu’ont constaté les services d’urgence ».
En ce qui concerne l’affirmation voulant que l’incendie se soit propagé aux piles de papiers et objets insolites accumulés, il explique que la maison était très grandement endommagée, par le feu, au moment de son arrivée et qu’il était visible que le feu s’était propagé à une grande partie de son contenu qui avait été consumé par les flammes. Par ailleurs, les propos du voisin, rapportés à ce sujet, lui ont été attribués sous forme de citation.
Au sujet de l’anniversaire de la dame qui n’aurait pas été célébré la veille, le journaliste répond que, lorsque c’est l’anniversaire d’une personne, il a l’habitude d’écrire l’expression courante « qu’elle célèbre son anniversaire » même si, en réalité, la célébration n’a effectivement pas eu lieu.
Quant au reproche sur l’heure de l’incident, il voit mal en quoi le fait d’écrire « vers 7 h 30 » plutôt que « 7 h 05 » pouvait porter préjudice à la victime ou aux personnes impliquées.
Commentaires de Me Bernard Pageau, affaires juridiques :
Me Pageau rappelle que la plainte soulève des inexactitudes supposément contenues dans l’article du Journal de Montréal du 10 décembre 2008. Il répond à quatre d’entre elles :
A) Les pompiers sont venus trois fois : Selon Me Pageau, le journaliste a rapporté les propos du directeur des pompiers de la Ville de Mercier, M. Érick Dumais, qui est cité dans l’article. Ce dernier aurait déclaré que les services d’incendie de la Ville étaient venus plusieurs fois pour des problèmes d’insalubrité et qu’ils avaient maintenant la preuve que ceci pouvait être dangereux. Ainsi, le journaliste a fait son travail de façon conforme aux pratiques courantes en donnant la version des autorités publiques. Il ne peut donc être blâmé pour s’être fié aux déclarations d’une personne en autorité.
B) Les propos du voisin : Les plaignants reprochent au journaliste d’avoir rapporté les propos de M. Roland Caron, voisin de la défunte. Rapporter les propos d’un voisin constitue, selon Me Pageau, une pratique courante en matière d’incendie ou d’autres incidents. Ces propos n’avaient, selon lui, rien de dégradant ni d’humiliant pour la victime et étaient confirmés par les autorités publiques. De plus, le journaliste a pu constater lui-même les objets hétéroclites se trouvant sur le site de l’incendie.
C) Les reproches au directeur des pompiers : Aux dires de l’avocat, les plaignants semblent viser le directeur Érick Dumais dans leurs reproches quant à son manque de sympathie lors du décès de leur mère. Selon Me Pageau, ces éléments de fait n’apparaissent pas pertinents quant à l’article en cause.
D) Les plaignants semblent recourir au Conseil de presse pour remédier aux conséquences de l’article en cours : Me Pageau, explique que le rôle du Conseil n’est pas de remédier aux dommages dont se plaignent les plaignants.
Selon lui, les mis-en-cause compatissent avec les plaignants quant au décès de leur mère. Il ajoute qu’il s’agit d’un événement tragique et regrettable que le Journal de Montréal a rapporté de bonne foi, d’une manière raisonnable et conforme aux pratiques courantes et qu’il apparaît malheureux que les plaignants blâment le Journal et son journaliste pour les conséquences de l’événement, alors qu’ils ont pris les moyens raisonnables pour obtenir les informations disponibles.
Réplique du plaignant
Réplique des plaignants à M. Vincent Larouche, journaliste :
Les plaignants amorcent leur réplique en qualifiant l’article de « dévastateur et gratuit » ayant « jeté l’opprobre sur [leur] mère » qui n’était « pas connue du public et n’avait aucun passé criminel ». Pour eux, l’article de Vincent Larouche, « est une sentence sévère et sans réserve ». Ils détaillent comment ce texte a pu avoir des impacts sur les membres de leur famille. La réplique reprend ensuite divers éléments de la réponse du journaliste.
Au sujet de la tentative pour rejoindre la famille, les plaignants précisent que, le jour même de l’incendie, le journaliste n’a pas tenté de leur parler. Lorsqu’il était sur place, ils n’étaient pas encore arrivés et, par la suite, ils n’ont pas été contactés.
M. Larouche ferait de la désinformation en affirmant qu’il a été le seul journaliste à se rendre sur les lieux, alors qu’un journaliste du Soleil de Châteauguay aurait également été présent.
Au sujet du mauvais entretien de la propriété, le journaliste laisserait entendre que le terrain était encombré de divers objets et piles de papiers, et donc que leur mère était négligente, alors que ses fils veillaient à l’entretien de la propriété.
En ce qui concerne la propagation du feu, les plaignants s’expliquent mal comment le journaliste peut conclure que l’incendie s’était propagé aux piles de papiers et objets insolites accumulés dans la maison. Si, comme il l’écrit, « un incendie parti du foyer à bois s’est étendu accidentellement au reste de la maison qui a flambé rapidement », les piles de papiers et les objets insolites ont-ils été consumés? Et comment a-t-il pu les voir? Et, sinon, comment peut-il conclure qu’elles ont été la source de la propagation des flammes? Pourtant, sept mois plus tard, les enquêteurs de la police et l’ingénieur, revenus sur les lieux, ont conclu que la source du sinistre demeurait indéterminable.
Quant à la question de la salubrité des lieux, les plaignants font observer que le journaliste n’avait jamais visité la maison avant l’incendie, il ne pouvait donc faire de liens avec sa condition et l’incendie. M. Larouche n’indique d’ailleurs pas en quoi les piles de papiers et les objets divers seraient insalubres. Pour ce qui est des chats, les plaignants demandent où on a pu voir « les traces de chats qui ne se comptent pas », les plaignants affirmant qu’il n’y avait aucun chat sur les lieux. Il en va de même pour les termes « capharna1/4uuml;m » et « bazar ». Le journaliste parle d’objets hétéroclites qu’il ne décrit jamais et n’indique pas ce qui n’aurait pas dû se retrouver dans cette maison.
Les plaignants s’interrogent ensuite sur l’utilisation des propos et des citations du chef des pompiers. Si, comme le mentionne le journaliste dans ses commentaires, « ses propos peuvent être questionnés et remis en cause », les plaignants demandent pourquoi le journaliste ne l’a pas fait au moment de l’entrevue avec lui. Selon eux, le journaliste ne se serait pas méfié en rapportant sans discernement ses propos. En outre, le journaliste modifierait la citation du chef des pompiers en lui faisant dire qu’ils étaient venus « trois » fois au lieu de « plusieurs » fois, comme il l’avait écrit à l’origine. Enfin, le chef des pompiers n’avait pas, selon les plaignants, « à se prononcer sur les causes de l’incendie puisque le feu n’était pas encore circonscrit, que la maison se faisait démolir sans méthode et que [leur] mère manquait à l’appel ».
Les plaignants reprochent au journaliste de n’avoir pas révélé, dès le départ, qu’il s’était alimenté également à une source policière, information qu’il a révélée ultérieurement dans ses commentaires. En outre, le journaliste n’aurait pas mentionné que c’est de cette source que venait l’affirmation inexacte, à l’effet qu’il y avait des traces de chats sur les lieux. Par ailleurs, en ne vérifiant pas par lui-même cette dernière information, il aurait fait preuve d’acharnement « envers la victime pour faire de la nouvelle sensationnelle ».
Les plaignants poursuivent l’analyse des commentaires de M. Larouche pour démontrer qu’il ferait de la « surenchère tendancieuse » en utilisant des termes comme « selon les résidents » au lieu de « selon un voisin » et « selon les autorités de Mercier » alors que personne n’a jamais été identifié ou cité. Il en va de même pour l’expression « les services d’urgence ». Ils contestent ses explications sur plusieurs autres sujets abordés dans les commentaires : l’anniversaire de leur mère, les sources policières, le moment du début de l’incendie, de même que la définition de ce qui est d’intérêt public.
Réplique des plaignants à Me Bernard Pageau, affaires juridiques :
Après avoir insisté sur leur douleur et sur les effets de l’article « dévastateur » sur leur famille, les plaignants répondent en détail aux commentaires de Me Pageau. Ils reconnaissent au passage que les inexactitudes pouvaient être « des erreurs sans grandes conséquences ».
Les plaignants relèvent que le journaliste n’a pas répondu aux griefs au sujet des « deux voitures délabrées, du bois de chauffage et des débris de toutes sortes ». De plus, le journaliste ne pouvait « être le porte-voix d’un policier qui cache nom et profession » et il ne pouvait fuir « sa responsabilité en se déchargeant sur une source en autorité ou sur une autre qu’il dissimule ». Prétendre, comme le fait Me Pageau, que « le journaliste a fait le travail de façon conforme aux pratiques courantes en donnant la version des autorités publiques » n’est pas exact, puisqu’il n’y avait qu’une seule « personne en autorité » : le chef des pompiers.
Les plaignants font également observer que, si le journaliste fait preuve de prudence (circonspection) au sujet de l’information sur la présence de chats, rapportée par le policier, il n’agit pas ainsi, pour les propos sur l’insalubrité rapportée par le chef des pompiers, ni pour l’information rapportée par le voisin, M. Caron. « Pourquoi deux poids, deux mesures? », demandent-ils.
Au sujet des visites des pompiers à la résidence, les plaignants déplorent que le journaliste ait écrit « plusieurs fois », alors qu’ils ne seraient venus « que trois fois », dont une fois pour un prétendu tison et une autre fois pour une inondation. Le journaliste aurait dû « être prudent avant de citer le pompier Dumais », indiquent-ils.
Les plaignants contestent aussi les arguments voulant que les propos du voisin n’avaient rien de dégradant ou d’humiliant pour la victime; qu’ils étaient confirmés par les autorités publiques; que le journaliste avait pu constater lui-même sur place les faits rapportés et qu’ils avaient fait l’objet de vérifications suffisantes auprès des personnes concernées.
Les plaignants répondent que le mot « écureuil » était malséant dans les circonstances, qu’il n’y a aucune précision sur ce que seraient les « objets hétéroclites » observés, que ces propos n’ont jamais été confirmés par les autorités publiques et enfin, qu’ils étaient eux-mêmes « des personnes concernées au regard de [leur] défunte mère ».
En ce qui a trait aux reproches qui semblent viser le directeur Érick Dumais, et qui ne seraient pas pertinents en regard de l’article, les plaignants répondent en soulignant le peu de prudence dont aurait fait preuve le journaliste. Ils comparent son texte avec deux autres articles parus sur le sujet, en tentant de démontrer les exagérations et les contradictions dans le texte du journaliste mis en cause.
Les plaignants répondent enfin au commentaire de Me Pageau voulant que « les plaignants semblent recourir au Conseil pour remédier aux conséquences de l’article », alors qu’il n’est pas du rôle du Conseil, selon l’avocat, « de remédier aux dommages dont se plaignent les plaignants ».
Pourtant, selon ces derniers, « le journaliste a choisi de sortir des balises déontologiques pour jeter l’opprobre sur une famille ». Au-delà de ses propres manquements, le journaliste aurait omis de rapporter ceux des pompiers et des policiers, contrevenant ainsi à l’éthique journalistique. Sur la base d’un article du guide des Droits et responsabilités de la presse du Conseil intitulé, « La vie privée et les drames humains », les plaignants réaffirment l’irrespect, le sensationnalisme et l’acharnement du journaliste à l’endroit de leur mère. Ils demandent enfin au Conseil d’accueillir la plainte et que les mis-en-cause s’excusent et retirent définitivement de leur site Internet l’article en cause.
Analyse
Mme Véronique Bergeron et ses frères, MM. Marc et Stéphane Bergeron, portent plainte contre le journaliste Vincent Larouche du Journal de Montréal, pour un article paru le 10 décembre 2008, traitant de l’incendie dans lequel leur mère, Christiane Bergeron, a perdu la vie.
Les plaignants reprochent au journaliste d’avoir commis plusieurs inexactitudes dans son récit ainsi que plusieurs omissions dans les faits. Ils déplorent aussi que le journaliste ait fait preuve de sensationnalisme, en plus d’avoir manqué de respect envers leur mère.
Grief 1 : inexactitudes
Selon les plaignants, le journaliste aurait commis plusieurs inexactitudes dans son récit au sujet de l’insalubrité, de la dizaine de chats, des papiers et des objets insolites, de la fête de la mère des plaignants et du début de l’incendie.
Après examen de chacun des éléments dénoncés, le Conseil en arrive à la conclusion suivante : en ce qui a trait aux informations concernant l’insalubrité et la dizaine de chats, le Conseil a pris en compte que ces informations provenaient du chef des pompiers et d’un officier de police qui, dans les circonstances, représentaient des sources fiables pour le journaliste.
En ce qui concerne les papiers et les objets insolites, le Conseil observe que les plaignants reconnaissent que la maison incendiée était habitée depuis plus de 45 ans et qu’elle abritait beaucoup d’objets et de souvenirs amassés. Ainsi, même si le journaliste ne décrit pas en détail ce que seraient les « objets insolites » dont il parle, il était tout de même sur place pour faire le constat et il n’avait pas, selon le Conseil, l’obligation de les préciser. Son affirmation ne transgresse en aucune façon les normes déontologiques.
De plus, le journaliste n’affirme jamais que les papiers ou les objets insolites « sont la cause de l’incendie », comme le prétendent les plaignants. Il écrit seulement que le feu « s’est étendu aux innombrables piles de papiers et objets insolites qu’elle entassait chez elle », ce qui est apparu au Conseil tout à fait vraisemblable quand une grande maison, comme celle décrite par les plaignants, se consume rapidement. Ici non plus, aucune inexactitude n’est démontrée.
En ce qui a trait à la fête de la mère, l’article indique : « La défunte venait de célébrer son anniversaire lundi soir et avait regagné tranquillement sa maison vers 23h, selon les premiers éléments d’enquête. » Même si, à strictement parler, la défunte ne venait pas de « célébrer » son anniversaire ce soir-là, le Conseil a accepté l’explication du journaliste voulant que, lorsque c’est l’anniversaire d’une personne, il ait l’habitude d’écrire l’expression courante « qu’elle célèbre son anniversaire ». Dans ce cas, le Conseil a estimé qu’il s’agissait davantage d’une inexactitude mineure. Compte tenu de ce qui précède, le grief pour inexactitude n’a pas été retenu.
Grief 2 : omissions de faits
Dans son récit, le journaliste aurait commis plusieurs omissions de faits importantes. Les informations omises concernent : la montagne de débris, les voitures délabrées, le bois de chauffage, le retard pour aviser les proches, la découverte de la dépouille de la mère et la surveillance des lieux.
Le Conseil a procédé, ici également, à l’examen de chacun des éléments. Même si la publication de ces informations aurait été précieuse aux yeux des plaignants, en vertu de sa liberté rédactionnelle, le journaliste avait le droit de choisir les détails qu’il jugeait les plus pertinents pour son reportage. Il pouvait, à sa discrétion, ne pas mentionner cette information sans que cela ne constitue, selon le Conseil, un manquement à la déontologie.
Comme il n’a pas été démontré par les plaignants que les éléments non mentionnés dans l’article représentaient une matière essentielle à la compréhension du sujet et comme la liberté rédactionnelle reconnue au journaliste lui permettait de faire la sélection des informations qu’il jugeait les plus pertinentes pour son reportage, le grief pour omissions n’a pas été retenu.
Grief 3 : sensationnalisme
Selon les plaignants, le mauvais choix des faits retenus, consistant à ne rapporter que des informations négatives ou marginales, a créé un déséquilibre et provoqué ainsi le sensationnalisme.
Au sujet du sensationnalisme, le guide des Droits et responsabilités de la presse du Conseil précise: « Les médias et les professionnels de l’information doivent traiter l’information recueillie sans déformer la réalité. Le recours au sensationnalisme et à l’ « information-spectacle » risque de donner lieu à une exagération et une interprétation abusive des faits et des événements et, d’induire le public en erreur quant à la valeur et à la portée réelle des informations qui lui sont transmises. » DERP, p. 22
Au sujet de l’absence des éléments mentionnés par les plaignants, bien que certains, comme la durée de l’attente pour le déplacement du corps de la victime, soient des éléments pertinents et non retenus par le journaliste, aucun de ces éléments n’a été jugé essentiel à la compréhension de la nouvelle, a estimé le Conseil. Au-delà de l’affirmer, les plaignants n’ont pas démontré le déséquilibre, dans le choix des informations, qui créerait le sensationnalisme dénoncé. Comme aucun manquement, à la déontologie, n’a été relevé au chapitre du sensationnalisme, le grief a été rejeté.
Grief 4 : manque de respect à l’égard de la mère
Selon les plaignants, le journaliste aurait manqué de respect à l’égard de leur mère dans son article. Les plaignants donnent comme exemples de ces manquements les propos du voisin et ceux du chef des pompiers.
Au sujet de la vie privée et des drames humains, le guide DERP du Conseil de presse indique : « Toute personne, qu’elle soit de notoriété publique ou non, a le droit fondamental à la vie privée, à l’intimité, à la dignité et au respect de la réputation. Le public, pour sa part, a le droit d’être informé sur ce qui est d’intérêt public et la presse le devoir de l’en informer. » DERP, p. 42
Après avoir procédé à l’examen de l’article, sous l’angle du grief exprimé par les plaignants, le Conseil n’a constaté aucun manque de respect à l’égard de leur mère défunte dans la citation du chef des pompiers. Même si elle pouvait être plus précise quant au nombre de visites effectuées, elle constituait la lecture des événements que livrait le chef des pompiers au journaliste sur les lieux de l’incendie. Ainsi, aucun manquement n’a été retenu sur cet aspect.
Quant au voisin, les plaignants déplorent qu’il n’ait pas fait preuve de sympathie envers la défunte dans ses commentaires. Cependant, le Conseil note que les plaignants ne démontrent pas pour autant que ces propos étaient irrespectueux envers la défunte. En conséquence, aucun manquement à la déontologie n’a été retenu sur cet aspect.
Pour ce qui est du reste de l’article, l’analyse n’a révélé aucun manquement aux règles déontologiques. Ainsi, le reproche des plaignants de n’avoir rapporté que des informations négatives n’a pas été retenu.
Toutefois, comme son mandat consiste à promouvoir le respect des plus hautes normes en matière d’éthique journalistique, le Conseil rappelle qu’au-delà de l’application des règles minimales de la déontologie, médias et journalistes doivent toujours tendre aux plus hauts standards professionnels dans le traitement de l’information. Or, dans une section intitulée, « La vie privée et les drames humains », le guide DERP du Conseil de presse indique : « Les drames humains et les faits divers qui relèvent de la vie privée sont des sujets particulièrement délicats à traiter à cause de leur caractère pénible tant pour les victimes que pour leurs proches et, souvent, pour le public. » DERP, p. 42
Dans cet esprit, le Conseil estime que dans la confection de son reportage, le journaliste disposait d’une latitude qui lui aurait permis, sans dénaturer les faits, de faire preuve d’un peu plus de délicatesse et de respect, sinon de compassion, à l’égard des personnes touchées par le drame.
Au-delà de cette dernière observation, comme aucun élément n’a été retenu au chapitre du manque de respect, le grief est rejeté.
Décision
Au vu de tout ce qui précède, le Conseil de presse rejette la plainte de Mme Véronique Bergeron, de MM. Marc et Stéphane Bergeron à l’encontre du journaliste Vincent Larouche et du Journal de Montréal.
Analyse de la décision
- C11B Information inexacte
- C12A Manque d’équilibre
- C12B Information incomplète
- C14A Sensationnalisme/exagération/insistance indue
- C16E Mention non pertinente
- C16G Manque d’égards envers les victimes/proches
Date de l’appel
21 May 2010
Appelant
Mme Véronique Bergeron
Décision en appel
Après examen, les membres de la commission d’appel ont conclu majoritairement au maintien de la décision rendue en première instance.