Plaignant
Conseil québécois des gais et lesbiennes (CQGL) et M. Steve Foster, président-directeur général
Mis en cause
M. Jean-Maurice Pinel, journaliste; M. Simon Brisson, éditeur et l’hebdomadaire Journal Haute Côte-Nord Est
Résumé de la plainte
M. Steve Foster, président-directeur général du Conseil québécois des gais et lesbiennes, porte plainte contre le journaliste Jean-Maurice Pinel, de l’hebdomadaire Journal Haute Côte-Nord Est, pour avoir publié des propos méprisants envers le coanimateur de l’émission « Tout le monde en parle », M. Danny Turcotte et à l’encontre de la communauté gaie du Québec, dans une chronique intitulée « Pas facile les dimanches », publiée le 15 juillet 2009.
Griefs du plaignant
M. Steve Foster, président-directeur général du Conseil québécois des gais et lesbiennes (CQGL), déplore que le chroniqueur Jean-Maurice Pinel ait publié, dans sa rubrique « Pas facile les dimanches », des propos discriminatoires.
Le plaignant reproche aux mis-en-cause les propos suivants : « Pour moi, c’est la journée culturelle par excellence, Découverte, Laflaque, Guy A. pis son fif. […] j’ai été pogné pour regarder une émission française sur le cinéma. Un tarlais au bec pincé et au petit accent tapette (pas à mouches) est venu nous expliquer que le cinéma ne faisait que reproduire nos habitudes de vie. »
Par ces mots, le plaignant estime que le chroniqueur a tenu des propos insultants et discriminatoires envers M. Dany Turcotte, mais aussi à l’encontre de toute la communauté gaie du Québec. M. Foster appuie son argumentaire, en citant le guide des Droits et responsabilités de la presse qui énonce que : « Les médias et les professionnels de l’information doivent éviter de cultiver ou d’entretenir les préjugés. Ils doivent impérativement éviter d’utiliser, à l’endroit des personnes ou des groupes, des représentations ou des termes qui tendent à soulever la haine et le mépris, à encourager la violence ou à heurter la dignité d’une personne ou d’une catégorie de personnes en raison d’un motif discriminatoire. » DERP, p. 41
Le plaignant rappelle que de nombreux organismes et personnes sensibilisent continuellement la population aux dommages que peuvent causer la tenue de propos homophobes, notamment envers les jeunes d’âge scolaire. M. Foster ajoute que ces deux phrases encourageraient les homophobes, vivant sur le territoire couvert par l’hebdomadaire Journal Haute Côte-Nord Est, à dénigrer des individus en raison de leur orientation sexuelle.
Par ailleurs, M. Foster affirme qu’il a été démontré par les autorités québécoises que l’utilisation de ce genre de termes était discriminatoire et portait atteinte aux individus ou aux communautés visées. Pour appuyer ses dires, le plaignant se réfère à un jugement du Tribunal des droits de la personne, prononcé en 2004, qui considère que les termes « fifi » et « fif » sont « méprisants et blessants à l’endroit des personnes homosexuelles et ajoutent à l’opprobre et au non-respect de leur dignité de façon discriminatoire ».
Enfin, le plaignant mentionne que le Conseil québécois des gais et lesbiennes a demandé à l’hebdomadaire, par courriel et par lettre, de se rétracter et de s’excuser pour les propos tenus par le chroniqueur, et ce, malgré le fait qu’il soit inscrit en bas de la chronique que « les propos de notre chroniqueur n’engagent que sa personne ». à cela, le plaignant rétorque que le code de déontologie du Conseil de presse considère que « les organes de presse sont responsables de tout ce qu’ils publient ou diffusent ».
Commentaires du mis en cause
Commentaires de M. Jean-Maurice Pinel, journaliste :
M. Pinel considère qu’il n’est pas journaliste, mais chroniqueur. Selon lui, un journaliste est un professionnel de l’information. Il considère que, dans une chronique à caractère humoristique, la marge de manŒuvre s’avère plus grande que celle qui est laissée à un journaliste qui rapporte les faits. Il ajoute que, dans sa région, ses chroniques sont publiées depuis une quinzaine d’années et sont des clins d’oeil à caractère humoristique à la vie quotidienne.
Le mis-en-cause dit respecter l’indignation et la consternation de M. Foster, mais affirme que le plaignant cite mal son texte. En effet, M. Pinel souligne qu’il a écrit, dans sa chronique, « un accent tapette » et non « un accent de tapette ». Selon lui, le mot « tapette » renverrait au terme « efféminé ». Il souligne que sa génération, c’est-à-dire celle des années 60-70, lui donnait ce sens et que, le Dictionnaire général de la langue française au Canada donnerait la définition suivante : « Adj. et n. Efféminé : il est pas mal tapette pour s’amuser ainsi à faire des broderies et de la dentelle. »
Par conséquent, le mis-en-cause estime qu’il serait faux de penser qu’il se permettait de « juger l’orientation sexuelle d’un invité à la télévision », dans la mesure où l’utilisation du mot « tapette » était choisie pour qualifier son accent d’efféminé. M. Pinel ne comprend pas en quoi ses propos seraient discriminatoires par le seul fait d’accoler le mot « tapette » à celui d’accent.
Concernant les reproches formulés pour l’emploi du terme « fif », le mis-en-cause estime que l’usage courant a mis de l’avant ce terme pour remplacer le mot « homosexuel ». De plus, M. Pinel souligne que l’animateur de télévision en question emploie lui-même ce terme à son égard, en ondes.
En ce qui concerne le jugement cité par le plaignant, M. Pinel souligne que depuis 2001, la cause de la communauté gaie a évolué. De plus, il mentionne que dans ce jugement, il s’agissait d’un individu ayant toujours tu son orientation sexuelle pour ne pas nuire au déroulement de sa carrière professionnelle, alors que l’animateur de télévision, M. Turcotte, en ferait l’étalage devant des millions de téléspectateurs chaque semaine. M. Pinel se demande si le fait que M. Turcotte se définisse lui-même comme un « fifi normal » engendrerait la tenue de propos insultants, outranciers et discriminatoires envers l’ensemble de la communauté gaie du Québec.
Enfin, le mis-en-cause conclut que M. Foster lui prête des intentions qu’il n’a pas et que, dans le cadre d’une chronique à caractère humoristique, une grande latitude lui est accordée lui permettant d’adopter un style qui lui est propre « même par le biais de l’humour et de la satire ».
Commentaires de M. Simon Brisson, éditeur :
Dans ses commentaires, M. Brisson précise que le directeur de l’information était en vacances, lorsque le texte de M. Pinel a été publié. Il ajoute qu’il est de son ressort de décider ou non de la pertinence des textes du chroniqueur. Enfin, M. Brisson conclut que la note de la rédaction qui figure à la fin de l’article n’a pas vocation à soustraire l’hebdomadaire des responsabilités légales qui lui incombent.
Réplique du plaignant
Le CQGL réfute les arguments de M. Jean-Maurice Pinel. Tout d’abord, le plaignant souligne qu’à aucun moment il n’est fait mention du ton humoristique dans ladite chronique. M. Foster mentionne que l’hebdomadaire est aussi diffusé sur Internet et que, de ce fait, les écrits du chroniqueur dépassent les frontières de sa localité et ne sont pas nécessairement identiques aux us et coutumes de son environnement. De plus, M. Foster rappelle que le chroniqueur reconnaît implicitement que lu hors de son contexte, cet article peut choquer.
Le plaignant considère que l’utilisation du mot « fif », dans l’extrait déploré, s’est fait sans aucune mise en contexte. Selon lui, ce terme serait gratuitement lancé au regard du lecteur et ne pouvait que s’interpréter comme une insulte visant M. Turcotte. Le plaignant estime que l’interprétation négative du vocable, utilisé par le chroniqueur, est amplifiée dans la mesure où toutes les autres émissions sont nommées par leur titre, tandis que dans ce cas-ci, il n’est nullement question de « Tout le monde en parle », mais d’un animateur et son « fif ».
Concernant la définition du terme « tapette » apportée par M. Pinel, le plaignant souligne que, comme toutes les sociétés, les mots évoluent ainsi que leurs définitions et usages courants. Sur ce point, M. Foster rétorque que dans le dictionnaire Le Petit Larousse et celui de la langue française (version web), ces derniers s’accordent sur le fait que l’usage du mot « tapette » soit, familier, voire vulgaire et injurieux, pour définir une personne homosexuelle. Par ailleurs, M. Pinel prend la peine de préciser, dans son article, qu’il s’agit d’« un accent tapette » et « pas à mouche », venant soutenir l’usage populaire de ce mot.
Analyse
M. Steve Foster président-directeur général du Conseil québécois des gais et lesbiennes, porte plainte contre le journaliste Jean-Maurice Pinel, de l’hebdomadaire Journal Haute Côte-Nord Est, pour avoir publié des propos méprisants envers le coanimateur de l’émission « Tout le monde en parle », M. Dany Turcotte et à l’encontre de la communauté gaie du Québec, dans une chronique intitulée « Pas facile les dimanches », publiée le 15 juillet 2009.
Grief 1 : préjugés et propos méprisants
M. Steve Foster déplore que le journaliste, Jean-Maurice Pinel, ait publié des propos discriminatoires envers l’animateur de télévision M. Turcotte et l’ensemble de la communauté gaie du Québec. Ces propos se présentent de la façon suivante : « Pour moi, c’est la journée culturelle par excellence, Découverte, Laflaque, Guy A. pis son fif. [et parlant d’un participant à la télévision française] Un tarlais au bec pincé et au petit accent tapette (pas à mouches) est venu nous expliquer que le cinéma ne faisait que reproduire nos habitudes de vie. »
Le plaignant souligne que de nombreux organismes, enseignants, artistes et personnalités travaillent en vue de sensibiliser la population aux dommages que peuvent causer la tenue de propos homophobes. Dans sa réplique, M. Foster ajoute que l’utilisation du mot « fif », à l’égard de M. Turcotte, n’était autre qu’un qualificatif péjoratif visant son orientation sexuelle et que, d’avoir ajouté à un « accent tapette » l’expression « pas à mouches » venait, selon lui, alimenter la portée négative des propos de M. Pinel.
Quant au mis-en-cause, il estime que sa chronique présente un caractère humoristique qui lui confère une plus grande latitude. M. Pinel souligne que l’utilisation du mot « tapette » renverrait au terme « efféminé » et réfute que son utilisation soit discriminatoire. De plus, sur ce point, le journaliste mentionne que le Dictionnaire général de la langue française au Canada donnerait la définition suivante du mot « tapette » : « Adj. et n. Efféminé : il est pas mal tapette pour s’amuser ainsi à faire des broderies et de la dentelle ».
Par ailleurs, en ce qui concerne l’emploi du mot « fif », M. Pinel considère que ce terme remplacerait, dans l’usage courant, le mot « homosexuel ». Il ajoute que l’animateur de télévision en question se qualifie comme tel en ondes.
En regard des préjugés et des propos méprisants, le guide des Droits et responsabilités de la presse énonce que : « Les médias et les professionnels de l’information doivent éviter de cultiver ou d’entretenir les préjugés. Ils doivent impérativement éviter d’utiliser, à l’endroit des personnes ou des groupes, des représentations ou des termes qui tendent à soulever la haine et le mépris, à encourager la violence ou encore à heurter la dignité d’une personne ou d’une catégorie de personnes en raison d’un motif discriminatoire. » DERP, p. 41
Le Conseil considère que, bien qu’il s’agisse de journalisme d’opinion, la latitude qui est concédée au journaliste ne lui permettait pas de rédiger des propos qui pouvaient s’avérer méprisants.
En ce qui concerne l’utilisation du mot « fif » par le chroniqueur, le Conseil tient à souligner que son intention n’est pas de dicter aux médias l’emploi d’un vocabulaire. mais estime que, dans ce cas-ci, l’utilisation qui en est faite s’avère méprisante.
De plus, le Conseil, en appui à la présente décision, cite un jugement rendu en 2004, par le Tribunal des droits de la personne qui stipule que : « Traiter quelqu’un de « fifi » constitue un propos « méprisant » à l’égard des homosexuels. L’utilisation de ce terme blesse et ajoute à l’opprobre et au non-respect de la dignité humaine d’une personne et des homosexuels en particulier. » 1
Quant aux dommages que peut causer l’homophobie, le Rapport de consultation du Groupe de travail mixte contre l’homophobie, « De l’égalité juridique à l’égalité sociale » souligne que : « Les personnes homosexuelles et bisexuelles constituent une population à risque ou plus vulnérable sur le plan psychosocial, en raison non pas de leur orientation sexuelle, mais de la stigmatisation sociale, ainsi que des attitudes et comportements homophobes à leur égard. L’homophobie envers les gais et les lesbiennes se manifeste souvent par de la violence, qu’elle soit verbale, psychologique, physique ou sexuelle. Environ 50 % des personnes homosexuelles (jeunes ou adultes) ont été victimes de violence homophobe au cours de leur vie. L’homophobie, qu’elle vienne de l’extérieur ou qu’elle soit intériorisée, provoque un stress important ayant des incidences sur le bien-être de ces personnes, de même que sur leur santé mentale et physique. »2
Dans ce contexte, le Conseil observe que le journaliste a tenu des propos méprisants et qui, de plus, véhiculent et entretiennent des préjugés et des stéréotypes. En effet, d’avoir utilisé les mots « fif » et « accent tapette », en plus d’y avoir accolé l’expression « pas à mouches », ne pouvait que nourrir voire alimenter les préjugés à l’égard des personnes homosexuelles. Par conséquent, le grief est retenu.
1. Commission des droits de la personne et de la jeunesse c. Roger Poirier automobile inc. (8 septembre 2004) 765-53-000004-033.
2. Rapport de consultation du Groupe de travail mixte contre l’homophobie, « De l’égalité juridique à l’égalité sociale ». Vers une stratégie nationale de lutte contre l’homophobie, Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, mars 2007, p. 16.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse retient la plainte de M. Steve Foster, président-directeur général du Conseil québécois des gais et lesbiennes, à l’encontre du journaliste, M. Jean-Maurice Pinel et de l’hebdomadaire Journal Haute Côte-Nord Est pour préjugés et propos méprisants.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. » (Règlement No 3, article 8. 2)
Analyse de la décision
- C18C Préjugés/stéréotypes
- C18D Discrimination
- C20A Identification/confusion des genres