Plaignant
M. Yvon Charbonneau
Mis en cause
M. Michel David, journaliste; Mme Josée Boileau, rédactrice en chef et le quotidien Le Devoir
Résumé de la plainte
M. Yvon Charbonneau porte plainte contre une chronique de M. Michel David intitulée « Le stratège suprême », publiée le 26 novembre 2009 dans Le Devoir. D’après le plaignant, cette chronique comportait un certain nombre d’inexactitudes relatives au conflit de travail qui a opposé le Syndicat des travailleurs de l’enseignement des Laurentides à la Commission scolaire de Saint-Jérôme, en 1975. Elle faisait, selon lui, également montre de sensationnalisme et aurait porté atteinte à sa réputation ainsi qu’à celle de M. Gilles Taillon, auquel il est largement fait référence dans la chronique.
Griefs du plaignant
De l’avis de M. Charbonneau, la chronique du mis-en-cause comportait un certain nombre de fautes déontologiques qui sont les suivantes : au chapitre des manquements à l’exactitude et à la rigueur de l’information, le plaignant qualifie d’inexacte l’information selon laquelle il a été le supérieur de M. Gilles Taillon. Il considère également qu’il est inexact de le qualifier, ainsi que M. Taillon, de marxiste-léniniste. Il ajoute qu’il est aussi faux de dire qu’il se faisait fort de « casser le système » et conteste, finalement, l’assertion selon laquelle le syndicat aurait été mis à l’amende pour un montant de 900 000 $.
Le plaignant atteste que la chronique a fait preuve de sensationnalisme puisque, à son avis, plus de la moitié de l’article, devant porter sur M. Taillon, portait sur un épisode de l’activité d’un syndicat, ce qu’il considère comme un amalgame gratuit et dépréciatif entre son rôle de président de centrale syndicale, à cette époque, et son parcours ultérieur.
Enfin, M. Charbonneau déplore que le chroniqueur ait fortement dénigré la démocratie syndicale locale. à son avis, M. David présentait son article comme si les membres ainsi que la direction du syndicat avaient été victimes de la stratégie d’une seule personne, soit M. Taillon.
Le plaignant conclut que le ton général de la chronique discréditait M. Taillon dans son rôle de conseiller syndical agissant pour le compte d’une centrale syndicale.
M. Charbonneau joint à sa plainte le courriel qu’il a fait parvenir au Devoir et qui demandait que soit publié un rectificatif ou une mise au point, à la suite de la chronique de M. David. La plainte comprend également une copie de la sentence arbitrale sur laquelle la chronique serait basée.
En appui à cette plainte, M. Taillon a fait parvenir au Conseil un courrier où il déplore le traitement, selon lui, biaisé des faits contenus dans la chronique de M. David.
Commentaires du mis en cause
Commentaires de M. Michel David, journaliste :
Le mis-en-cause réfute les allégations de manque de rigueur, de sensationnalisme et de manque de respect à un groupe social qui sont portées à son endroit.
En regard de l’exactitude des faits, M. David explique qu’au moment où ont eu lieu les évènements, le plaignant était président de la Centrale des enseignants du Québec, tandis que M. Taillon agissait comme conseiller auprès du Syndicat des travailleurs de l’enseignement des Laurentides, alors impliqué dans un conflit de travail. Il ajoute que la sentence arbitrale qu’il a utilisée pour établir les faits évoquait les relations entres les deux hommes. M. David conclut que, dans ce contexte, il n’était pas abusif d’écrire que M. Charbonneau était le supérieur de M. Taillon.
Concernant l’étiquette de marxiste-léniniste, le mis-en-cause explique qu’au congrès de juin 1972, la centrale syndicale, dont M. Charbonneau était déjà président, avait approuvé un manifeste portant le titre « L’école au service de la classe dominante » et dont, selon lui, l’orientation marxiste ne faisait aucun doute.
M. David explique qu’il est possible que l’expression « casser le système » ait été employée, pour la première fois, par l’ancien président de la FTQ, M. Louis Laberge, comme l’indiquait M. Charbonneau dans sa plainte. à son avis, cette expression reflétait, toutefois, très bien l’état d’esprit de la centrale syndicale au moment des faits rapportés.
En ce qui a trait à l’aide financière de la centrale ainsi qu’aux amendes qui ont été imposées à la suite du conflit, le mis-en-cause explique qu’il tire ces informations d’un communiqué reproduit dans la sentence arbitrale et qui explique qu’« une telle politique aura pour effet, si la lutte persiste jusqu’en juin, d’éponger 700 000 $ au fonds d’entraide, c’est-à-dire avec les amendes à payer du Bill 19, à épuiser le fonds d’entraide de la CEQ ».
En regard du sensationnalisme, M. David dément que sa chronique ait fait un amalgame gratuit et dépréciatif entre le rôle du plaignant à la centrale et son parcours ultérieur. à son avis, il s’agissait plus de faire un parallèle entre le parcours de M. Charbonneau et celui de M. Taillon.
Concernant, en dernier lieu, le manque de respect envers le Syndicat des travailleurs de l’enseignement des Laurentides, le mis-en-cause explique qu’il n’a porté aucun jugement sur le bien-fondé du conflit qu’il rapportait, même s’il a réprouvé les méthodes syndicales utilisées. Il rappelle qu’il a fait état, dans sa chronique, de la conclusion à laquelle était parvenu le tribunal tripartite du syndicat au terme du conflit.
Commentaires de Mme Josée Boileau, rédactrice en chef :
Mme Boileau précise qu’elle endosse entièrement les explications fournies par M. David.
Réplique du plaignant
M. Charbonneau insiste sur le fait que le chroniqueur rapportait des faits qui se sont déroulés il y a près de 35 ans. Il estime que cette chronique le discréditait puisqu’elle l’associait de façon directe et incorrecte à l’action syndicale de M. Taillon, alors que cet épisode était introduit dans un contexte historique inapproprié et tendancieux.
Pour le plaignant, la sentence arbitrale, sur laquelle était basée la chronique de M. David, n’a assujetti ni le syndicat ni la centrale syndicale à payer une amende. Le débrayage dont il est question n’a, par ailleurs jamais, été déclaré illégal.
M. Charbonneau réitère qu’il n’a jamais été le supérieur de M. Taillon et rappelle que ce dernier avait obtenu son mandat de président du comité de négociation de la part du conseil d’administration du Syndicat des enseignants des Laurentides et non de la centrale syndicale.
Le plaignant réitère que le chroniqueur confond les indemnités du Fonds de réserve syndical, versées aux syndicats, avec des amendes, dont le montant s’élèverait à 900 000 $.
Cherchant, selon lui, à ternir la réputation de M. Taillon ainsi que la sienne, le qualificatif de marxiste-léniniste a été employé de façon abusive, compte tenu du fait qu’ils n’ont jamais été adeptes de cette idéologie ou membres d’une organisation de ce type. Il en va, à son avis, de même pour l’intention qui lui a été attribuée de vouloir « casser le système ».
à titre de conclusion, le plaignant estime que le propos de M. David visait à le discréditer auprès de l’opinion publique.
Commentaires à la réplique
M. Michel David réitère sa conviction d’avoir respecté toutes les règles du métier dans la rédaction de sa chronique.
Analyse
La plainte formulée par M. Yvon Charbonneau porte sur une chronique de M. Michel David publiée le 26 novembre 2009, dans Le Devoir, sous le titre « Le stratège suprême ».
Grief 1 : inexactitudes, manque de mise en contexte
Le plaignant reproche à M. David un certain nombre d’inexactitudes qu’aurait comporté sa chronique. Il déplore, en premier lieu, que le chroniqueur ait qualifié erronément d’illégal le débrayage auquel il faisait référence dans son article.
Sur cette question, le Conseil a consulté personnellement MM. Charbonneau et David. Dans ce contexte, le plaignant a mentionné qu’aucune procédure judiciaire n’avait été entamée dans le cadre du conflit de travail que rapportait le mis-en-cause et que, par conséquent, ce dernier ne pouvait être qualifié d’illégal. Face à cette affirmation, M. David a reconnu ne pas avoir fait les vérifications nécessaires pour affirmer que cette grève était illégale et admet qu’il a pu, ce faisant, introduire une erreur dans son article. Le grief est donc retenu sur cet aspect.
M. Charbonneau atteste que le chroniqueur, en parlant d’amendes de 900 000 $ a commis une erreur, puisque ni la Centrale des enseignants du Québec (CEQ) ni le Syndicat des travailleurs de l’enseignement des Laurentides (STEL) n’ont été condamnés à payer des amendes à l’issue du conflit qui a opposé cette dernière et la Commission scolaire de Saint-Jérôme. Le mis-en-cause rétorque, quant à lui, que cette information se trouvait pourtant dans la sentence arbitrale sur laquelle il a pris appui pour écrire sa chronique.
Après lecture de la sentence arbitrale, le Conseil constate qu’il est rapporté, dans celle-ci, la projection selon laquelle si le conflit se poursuivait jusqu’au mois de juin 1975, cela aurait pour effet d’épuiser le fonds d’entraide de la CEQ, qui s’élevait à l’époque à 900 000 $ et ce, en tenant compte des amendes qui pourraient être exigées au terme de la Loi 19 de 1972.(1) Puisque la centrale n’a jamais été condamnée à payer des amendes, à la suite du conflit de travail dont il est question, le Conseil conclut que le mis-en-cause a introduit, dans son article, une information inexacte résultant d’une mauvaise interprétation du contenu de la sentence arbitrale. Cet aspect du grief est donc retenu.
M. Charbonneau déplore que le chroniqueur l’ait, ainsi que M. Taillon, qualifié de façon erronée de marxiste-léniniste puisqu’ils n’auraient respectivement jamais été membres d’une organisation affiliée à cette tendance. Le mis-en-cause plaide, quant à lui, que la CEQ avait adopté, en 1972 et sous la direction de M. Charbonneau, un manifeste portant le titre « L’école au service de la classe dominante » et dont l’orientation marxiste ne faisait aucun doute.
Le Conseil conclut que, dans le contexte rapporté par M. David, ce dernier pouvait qualifier le plaignant et M. Taillon de « marxiste-léniniste » considérant que cette locution reflétait, sans déformer la réalité, les actions syndicales posées à l’époque par ces derniers. Par conséquent, le grief est rejeté.
Le plaignant mentionne également qu’il était inexact d’écrire qu’il a été le supérieur de M. Taillon puisqu’il était le président de la CEQ tandis que ce dernier était conseiller pour le STEL. Le mis-en-cause explique, quant à lui, que la sentence arbitrale sur laquelle il a basé son article faisait mention des relations entre les deux hommes et qu’il n’était pas abusif de parler de M. Charbonneau comme du supérieur de M. Taillon.
Le mis-en-cause rappelait, dans sa chronique, que M. Taillon était conseiller auprès du STEL, à la période durant laquelle M. Charbonneau était président de la CEQ. Considérant que la CEQ était la centrale syndicale regroupant notamment la STEL, le Conseil conclut que le plaignant était bien, à l’époque, le supérieur organisationnel de M. Taillon, sans toutefois avoir été son supérieur direct et légal. Par conséquent, M. David ne commettait pas d’erreur en rapportant cette information. Le Conseil ne retient donc pas le grief sur cet aspect.
Enfin, le plaignant considère qu’il était inexact de lui prêter l’intention d’avoir voulu « casser le système » à cette époque. Il ajoute que cette expression n’émane pas de lui, bien qu’elle reflétait, selon lui, l’état d’esprit de la centrale syndicale à cette époque.
Le Conseil remarque que l’affirmation, formulée par le chroniqueur, découlait de son interprétation des agissements de la CEQ à l’époque. Or, la liberté rédactionnelle dont dispose tout chroniqueur permettait à M. David de formuler librement cette interprétation. Par conséquent, cet aspect du grief est rejeté.
Grief 2 : sensationnalisme
M. Charbonneau est d’avis que la chronique de M. David faisait preuve de sensationnalisme puisqu’elle s’annonçait comme faisant référence à M. Taillon, alors qu’elle abordait largement le conflit de travail de Saint-Jérôme. Il déplore, par ailleurs, que l’amalgame ait été fait entre ses fonctions, à l’époque, de président de centrale syndicale et son parcours professionnel ultérieur.
Sur cette question, le Conseil est d’avis que le mis-en-cause, à titre de chroniqueur, a usé de la latitude rédactionnelle dont il dispose pour traiter du passé syndicaliste de M. Taillon en rappelant, par ailleurs, aux lecteurs les enjeux du conflit de travail auquel il a pris part à l’époque. Le Conseil réitère la même remarque en ce qui a trait au lien fait par M. David entre le passé syndicaliste de M. Charbonneau et sa carrière professionnelle ultérieure. Le grief est rejeté.
Grief 3 : atteinte à la réputation d’un groupe et de personnes
M. Charbonneau regrette que le chroniqueur ait discrédité le fonctionnement de la démocratie syndicale. Le mis-en-cause rappelle, quant à lui, qu’il n’a porté aucun jugement sur le bien-fondé du conflit qu’il rapportait dans sa chronique, bien qu’il ait réprouvé les méthodes syndicales utilisées à l’époque. Sur ce point, le Conseil conclut que M. David jouissait, en tant que chroniqueur, du droit d’exprimer un point de vue critique sur cette réalité et considère qu’il n’a, ce faisant, commis aucun manquement à la déontologie.
Le plaignant ajoute que la chronique portait, par ailleurs, atteinte à sa réputation ainsi qu’à celle de M. Taillon. M. David précise, quant à lui, qu’il n’a pas porté de jugement sur le bien-fondé de l’initiative syndicale, mais sur les méthodes utilisées lors du débrayage. Sur ce point, le Conseil de presse rappelle que l’atteinte à la réputation n’est pas considérée comme du ressort de la déontologie journalistique, mais qu’elle relève plutôt de la sphère juridique. Comme le Conseil ne rend pas de décisions en la matière, le grief pour atteinte à la réputation ne sera pas traité.
Grief 4 : droit de réplique et rectificatif
Au moment du dépôt de sa plainte, le plaignant informait le Conseil qu’il avait, au préalable, pris contact avec Le Devoir pour demander la publication d’un droit de réplique ou d’un correctif. Une fois la plainte déposée devant le Conseil, Mme Josée Boileau, rédactrice en chef pour Le Devoir, s’est, quant à elle, défendue d’avoir jamais reçu la demande du plaignant.
Puisque les versions du plaignant et du média mis en cause se contredisent et que le Conseil n’a pu déterminer laquelle était la plus probante, il ne se prononcera pas sur le grief.
Pour éviter de telles situations, le Conseil suggère que les plaignants qui désirent exercer un droit de réplique ou obtenir un rectificatif demandent aux médias de leur transmettre un accusé de réception.
(1) Loi assurant la reprise des services dans le secteur public.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse retient partiellement la plainte de M. Yvon Charbonneau contre le journaliste, M. Michel David et le quotidien Le Devoir, sur la base de deux inexactitudes et rejette les griefs portant sur le sensationnalisme, l’atteinte à la réputation ainsi que le refus du droit de réplique et de rectificatif.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. » (Règlement No 3, article 8. 2)
Analyse de la décision
- C11B Information inexacte
- C12D Manque de contexte
- C14A Sensationnalisme/exagération/insistance indue
- C17E Attaques personnelles
- C19A Absence/refus de rectification
Date de l’appel
21 October 2010
Appelant
M. Yvon Charbonneau
Décision en appel
Après examen, les membres de la commission d’appel en sont venue unanimement à la conclusion qu’il convenait d’infirmer un point sur la décision rendue en première instance par son comité des plaintes et de l’éthique de l’information.
La décision de la commission d’appel repose sur la base suivante : Selon les membres de la commission d’appel, M. Michel David déformait la réalité en qualifiant M. Yvon Charbonneau de « marxiste-léniniste ». En regard des autres griefs exprimés par M. Charbonneau, la commission d’appel les rejette et maintient la décision de première instance.