Plaignant
Comité de vigilance de Malartic et M. Robert Rousson, mandataire
Mis en cause
M. Sébastien Ménard, journaliste; M. Dany Doucet, rédacteur en chef et Le Journal de Montréal
Résumé de la plainte
M. Robert Rousson, mandataire pour le Comité de vigilance de Malartic, porte plainte contre le journaliste, M. Sébastien Ménard, pour une série d’articles portant sur le projet de la compagnie minière Osisko, qui ont été publiés dans les éditions des 10, 11 et 12 octobre 2009 du Journal de Montréal. De l’avis du Comité de vigilance, ces articles étaient partisans à l’endroit de la corporation minière, faisaient montre de sensationnalisme et omettaient des faits importants.
Griefs du plaignant
Le Comité de vigilance de Malartic déplore que le reportage soit biaisé, partisan et qu’il ne reflète que la propagande de la corporation minière Osisko, en plus d’afficher un certain sensationnalisme et d’omettre des faits importants comme la destruction de 70 maisons qui étaient auparavant habitées. Les photos présentées dans l’édition du 10 octobre montraient des maisons délabrées, en voie de démolition, mais le fait que des maisons de briques avaient été détruites est passé sous silence.
De l’avis de la partie plaignante, l’information a été manipulée de manière à faire croire que les dangers du projet sont minimes et sous parfait contrôle. Ainsi, les articles présenteraient les infrastructures, construites par les fonds publics, comme étant de pauvre qualité et ignoreraient le fait que Malartic était déjà équipée de cinq institutions fonctionnelles de plusieurs milliers de dollars que la compagnie minière a décidé de détruire.
Le Comité de vigilance de Malartic ajoute que les reportages taisaient la voix des citoyens ordinaires résidents de Malartic. Ce sont ces mêmes citoyens qui ont présenté au BAPE un certain nombre de mémoires.
Les reportages passaient également sous silence les dangers réels prouvés scientifiquement et retenus dans le rapport du BAPE qui regroupe notamment :
– L’utilisation de 24 millions de litres d’eau par jour pour traiter le minerai;
– L’utilisation de 11 tonnes de cyanures quotidiennement;
– La présence d’un bassin de polissage à proximité de la ville qui contiendra 3 millions de mètres cubes de liquides cyanurés;
– Le dynamitage de 150 000 tonnes de roc quotidiennement;
– Le dépôt des résidus partiellement cyanurés et des résidus épais miniers dans un parc à résidus;
– La présence d’un cratère rendant impossible toute autre utilisation des lieux et accentuant les dangers écologiques.
Le Comité de vigilance de Malartic réclame la publication de véritables reportages qui présenteraient la contrepartie juste et équitable de tout ce qui entoure l’expropriation du quartier sud de la ville de Malartic et ce, afin de traiter de tous les autres aspects du dossier, non touchés par les publications du mois d’octobre.
Commentaires du mis en cause
Commentaires de Me Bernard Pageau, affaires juridiques :
Le représentant du mis-en-cause explique que le dossier publié dans le Journal de Montréal était d’intérêt public et que les informations ont été présentées de manière juste et raisonnable, ainsi que de façon à informer le public de l’ensemble du projet. Il précise que le journaliste, Sébastien Ménard, s’est rendu à Malartic où il a passé cinq jours et a rencontré plusieurs dizaines de citoyens, de commerçants, d’élus municipaux, d’administrateurs scolaires, de fonctionnaires et d’employés.
Me Pageau précise qu’il va de soi que le journaliste n’a pu rapporter tous les éléments d’information entourant un tel projet dans ses articles. Il soutient cependant que ce dernier n’était pas tenu de rapporter tous les éléments d’information relatifs à ce projet, mais plutôt de faire un choix juste et raisonnable au sein des informations dont il disposait. Sa conclusion est que le journaliste a traité les informations qu’il possédait dans un esprit d’équité et de justice et ce, sans déformer la réalité.
Sensationnalisme et omission des faits : Le représentant des mis-en-cause précise que le journal et son journaliste considéraient le projet de Malartic comme suffisamment important pour intéresser l’ensemble des lecteurs en première page. Il s’agit d’un choix rédactionnel qui, selon lui, a été fait de façon juste et raisonnable.
Relativement aux faits qui auraient été omis, il réitère que le journaliste ne pouvait pas tout publier.
Manipulation de l’information : Me Pageau est d’avis que le journaliste a rapporté différents risques associés au projet et il considère que l’information dont disposait le lecteur était objective et complète.
Les citoyens ordinaires n’ont pu s’exprimer : Le représentant des mis-en-cause réitère que, pendant cinq jours, le journaliste a rencontré des dizaines de personnes qui ont eu la chance de lui faire part de leurs impressions quant au projet.
Les reportages passent sous silence les dangers réels : Bien que le journaliste et le journal aient dû faire des choix rédactionnels, Me Pageau est d’avis que suffisamment d’informations ont été publiées pour que le public ait une vue d’ensemble du projet.
Impartialité de l’information : Concernant le traitement de l’information relative à la nouvelle école ainsi qu’à la nouvelle garderie, le représentant des mis-en-cause estime que le journaliste a traité l’information adéquatement, en relayant les impressions positives des citoyens de Malartic.
Réplique du plaignant
Le Comité de vigilance de Malartic explique que, si le projet méritait qu’on lui porte l’attention que lui a consacrée le Journal de Montréal, il aurait néanmoins été nécessaire de refléter davantage les deux côtés de la médaille afin de ne pas en mettre erronément plein la vue aux lecteurs.
Sensationnalisme et omission des faits : Le choix rédactionnel du journaliste n’était ni juste ni raisonnable. La publication n’a, en effet, pu satisfaire l’information publique puisqu’une partie importante de la réalité vécue à Malartic a été omise. Cette réalité concerne la mobilisation d’un groupe de citoyens et de citoyennes inquiets des impacts du projet de mine à ciel ouvert au cŒur de la municipalité. Ce groupe de citoyens, formé en 2007, est intervenu à des dizaines de reprises sur la place publique. Il a également été appelé à participer à plusieurs panels publics et entrevues avec la presse régionale, mais également nationale et internationale. Il était, par conséquent, inconcevable que le journaliste ne fasse pas mention du Comité de vigilance de Malartic. Pour soutenir ses propos, la partie plaignante joint une quinzaine d’articles parus dans la presse locale, nationale et internationale et qui faisaient référence au Comité de vigilance.
Manipulation de l’information : Le Comité de vigilance de Malartic rapporte un certain nombre d’informations tronquées qui seraient trompeuses :
– Concernant l’article du 10 octobre 2009 qui faisait mention du loyer de 161 $ accordé à une jeune femme, la partie plaignante explique que si le journaliste avait poussé plus loin sa réflexion, il aurait compris quelle avait été l’attitude de la compagnie minière face au logement des locataires et quelles pourraient en être les conséquences prévisibles. Par ailleurs, la locataire, dont il est question, fait partie d’un groupe de locataires qui dénoncent les conséquences économiques désastreuses de leur relocalisation, information dont pouvait disposer le journaliste.
– Dans la même édition, le Comité de vigilance de Malartic indique que l’on pouvait voir des photos de deux maisons en ruine identifiées comme faisant partie de l’ancien quartier. Or, il se trouvait également de belles maisons dans ce secteur, ce qu’on omet de mentionner aux lecteurs. Il est également mentionné que 67 résidences ne pouvant résister au déménagement ont été détruites, bien que la partie plaignante affirme que ces destructions ont également touché de très belles maisons.
– Toujours dans l’édition du 10 octobre 2009, il était possible de lire que le maire pense possible que la population de Malartic gonfle à 7 000 habitants. La partie plaignante rétorque quant à elle, que la réalité est tout autre puisque près de 50 familles auraient quitté la ville dans le courant des deux dernières années.
– L’illustration de la Tour Eiffel se situant sous le titre de l’article « La Fosse et le parc linéaire » serait, quant à elle, trompeuse quant à l’échelle utilisée comme en démontre une illustration de la fosse déposée par un architecte lors du BAPE. Le Comité de vigilance précise que cette dernière illustration n’a jamais été contestée.
Les citoyens ordinaires n’ont pu s’exprimer : Le Comité de vigilance de Malartic était connu des citoyens de Malartic, des différents niveaux de l’administration publique ainsi que des médias locaux, nationaux et internationaux. La partie plaignante reste donc surprise de ne pas avoir été contactée par le journaliste.
Les reportages passent sous silence les dangers réels : Pour la partie plaignante, le journaliste a fait le choix facile de contacter le directeur de la future usine pour connaître ses réponses aux craintes des citoyens, plutôt que d’aller chercher de l’information dans le rapport du BAPE.
L’impartialité de l’information : Il aurait été nécessaire que soit rappelés les motifs justifiant la rapidité de construction d’une école ainsi que d’une garderie puisque c’est la valeur de l’or qui en est le facteur déterminant. Il existait également des personnes qui ne partageaient pas le point de vue enthousiaste rapporté dans les articles et qui auraient pu être interrogées.
Le Comité de vigilance de Malartic conclut qu’une partie importante de l’information livrée aux lecteurs était erronée, incomplète ou tronquée, et que les choix éditoriaux ont biaisé l’information, la rendant trompeuse pour le lecteur.
Commentaires à la réplique
Le journaliste, M. Sébastien Ménard, commente la réplique de la partie plaignante.
Sensationnalisme et omission des faits : Il précise que la réalité qu’il a décrite dans sa série d’articles n’est pas la même que celle qui prévalait avant que le projet de la minière soit approuvé. Il ajoute qu’il a décrit la réalité de citoyens qui n’avaient plus le choix et non celle de citoyens qui se battaient dans l’espoir que cela change. M. Ménard précise qu’il n’a pas parlé avec le Comité de vigilance de Malartic, mais qu’il a frappé à plusieurs dizaines de portes et rencontré un certain nombre de citoyens, dont il a recueilli les opinions.
Manipulation de l’information : – Concernant la locataire dont le loyer accordé par la minière est de 161 $, le mis-en-cause précise que, si cette jeune femme faisait partie d’un groupe de locataires qui conteste les conséquences de leur relocalisation par la minière, cette dernière ne lui en a pas fait mention lors de leur rencontre.
– En ce qui a trait aux magnifiques maisons qui auraient été démolies, sans raison, par la minière, M. Ménard explique qu’il s’agit, pour lui, d’un débat d’experts dans lequel il ne prendra pas position. Il explique avoir relaté, dans ses articles, ce qu’il a pu constater, soit que 67 maisons qui ne résisteraient pas à un déménagement allaient être démolies.
– Concernant la baisse de population, M. Ménard explique que rien ne le poussait à douter que la population de Malartic allait augmenter, comme l’estimait le maire. Il ajoute que c’est la même chose qui s’est produite lorsque le directeur de l’école ainsi que la commission scolaire lui ont précisé qu’il y aurait probablement une hausse des étudiants dans les années à venir.
Les citoyens ordinaires n’ont pu s’exprimer : M. Ménard explique avoir parlé avec des dizaines de citoyens qui ne lui auraient que rarement fait part de leurs réserves quant au projet de la minière. Selon lui, la position des citoyens a évolué depuis que le projet est officiellement accepté. Il ajoute, qu’au moment où il a réalisé sa série d’articles, aucune manifestation n’avait eu lieu depuis des mois et les membres du Comité de vigilance de Malartic s’étaient montrés plus discrets.
Les reportages passent sous silence les dangers réels : Le mis-en-cause explique qu’il a mis en avant les craintes des citoyens qu’il a opposées à la réaction du futur directeur de l’usine en plus d’avoir écrit à propos des problèmes d’eau potable envisagés par la Ville et fait mention des maigres redevances que la minière allait lui verser.
L’impartialité de l’information : Sur ce point, le journaliste rappelle que la moitié des articles qui ont été fournis par la partie plaignante au Conseil, en soutien à leur plainte, datent d’avant l’acceptation du projet.
RéPLIQUE AUX COMMENTAIRES à LA RéPLIQUE DU PLAIGNANT
M. Rousson se dit surpris de constater que le mis-en-cause a reconnu qu’il connaissait l’existence du Comité de vigilance et qu’il ait délibérément choisi d’écarter celui-ci de sa collecte d’informations.
Selon lui, une rencontre avec les membres du Comité lui aurait permis d’aller vérifier le bien-fondé des informations suivantes :
1. les conséquences de la politique appliquée aux locataires relocalisés;
2. la preuve que de nombreuses maisons démolies auraient résisté à un déménagement;
3. les liens entre la commission scolaire et Osisko;
4. la raison pour laquelle ni le maire, ni la directrice générale, ni le directeur d’école n’ont évoqué la baisse de population de la ville.
Il ajoute que le journaliste aurait également eu intérêt à rencontrer d’autres groupes, tel que le syndicat des enseignants, dans le cadre de sa collecte d’informations.
Analyse
M. Robert Rousson, mandataire pour le Comité de vigilance de Malartic, porte plainte contre M. Sébastien Ménard, pour une série d’articles portant sur le projet de la compagnie minière Osisko, qui a été publiée dans les éditions du 10, 11 et 12 octobre 2009 du Journal de Montréal et du Journal de Québec. De l’avis du Comité de vigilance ces articles étaient partisans à l’endroit de la corporation minière, faisaient montre de sensationnalisme et omettaient des faits importants.
Grief 1 : information incomplète et partiale
De l’avis du Comité de vigilance de Malartic, les inquiétudes, inconforts et insatisfactions des citoyens de Malartic face au projet de la minière et aux différentes actions posées par celle-ci – relocalisation de citoyens, destruction et reconstruction d’institutions – ont été totalement ignorées par le journaliste. Il ajoute qu’à titre de comité citoyen qui a reçu une couverture internationale, le journaliste ne pouvait se dispenser d’entrer en contact avec eux, pour que sa série d’articles ne soit incomplète et partiale.
Le représentant du mis-en-cause rétorque que le journaliste a rencontré un grand nombre de personnes, lors des cinq jours qu’il a passés à Malartic, pour réaliser sa série d’articles, mais qu’à aucun moment ces citoyens n’auraient fait référence au Comité de vigilance.
Le guide de déontologie du Conseil de presse stipule notamment que : « Les organes de presse et les journalistes ont le devoir de livrer au public une information complète, rigoureuse et conforme aux faits et aux événements. […] L’information livrée par les médias fait nécessairement l’objet de choix. Ces choix doivent être faits dans un esprit d’équité et de justice. […] Ils doivent être évalués de façon qualitative, en fonction de l’importance de l’information et de son degré d’intérêt public. » DERP, pp. 21-22
Le Conseil jugera ainsi des motifs de plainte qui suivent sur la base de la définition d’une information complète, soit qu’il s’agit d’une information qui n’omet aucun élément essentiel à la compréhension d’un sujet et dont la présence se justifie en raison de l’intérêt public.
Le Conseil conclut que Sébastien Ménard n’avait pas l’obligation de s’entretenir avec une personne oeuvrant au Comité de vigilance de Malartic, en préparation à ses articles. Toutefois, il soutient que, compte tenu du courant d’opposition largement médiatisé que le Comité représente, il était nécessaire, pour offrir aux lecteurs un portrait complet et impartial de la situation, de relater son existence ainsi que les combats et les inquiétudes qui ont été les siens dans le cadre du projet d’implantation de la minière. Le grief est donc retenu sur cet aspect.
La partie plaignante déplore aussi que le journaliste n’ait pas complété le commentaire du maire à l’effet que la ville de Malartic pourrait atteindre 7 000 habitants grâce au projet, en expliquant que 50 familles ont quitté la Ville dans les deux dernières années.
Le Conseil conclut que le journaliste n’avait pas l’obligation d’aller chercher cette information en complément aux propos du maire. Il en va, pour le Conseil, de la liberté rédactionnelle dont disposait le journaliste. Par conséquent, le grief est rejeté sur cet aspect.
Grief 2 : informations inexactes
Dans un premier temps, la partie plaignante déplore que le journaliste ait erronément laissé entendre aux lecteurs que les maisons qui ont été détruites étaient celles qui n’auraient pu supporter d’être déplacées, alors que des maisons en bon état auraient également été détruites. Elle remarque que sur les photos qui illustraient l’article, on pouvait voir exclusivement des maisons délabrées. M. Ménard explique qu’il s’agit, pour lui, d’un débat d’experts et qu’il a, dans ses articles, relaté ce qu’il a pu constater, soit que 67 maisons qui ne résisteraient pas à un déménagement allaient être démolies.
Sur ce point et après des recherches approfondies, le Conseil de presse ne peut conclure à l’inexactitude des articles de M. Ménard et rejette par conséquent cet aspect du grief.
Par ailleurs, selon la partie plaignante, le schéma de la fosse représentant la Tour Eiffel, présenté en page 68 de l’édition du 10 octobre 2009 du Journal de Montréal, donnerait aux lecteurs de l’information inexacte relativement à l’échelle choisie, ce que démontrerait le document déposé, par un architecte, dans le cadre de la collecte d’informations par le BAPE.
Après analyse, le Conseil constate que le schéma de la fosse, annexé au rapport du BAPE, est similaire à celui qui a été présenté dans le quotidien à l’exception toutefois d’une différence au niveau du dénivelé. Le Conseil conclut cependant que cette discordance graphique n’avait aucune incidence sur les proportions de la fosse telles que représentées sur le graphique du Journal de Québec. Cet aspect du grief est, par conséquent, rejeté.
Grief 3 : sensationnalisme
Pour la partie plaignante, le Journal de Montréal a fait preuve de sensationnalisme en mettant, les 10 et 12 octobre 2009, en une du quotidien, des sujets en lien avec l’implantation d’un projet de mine à ciel ouvert à Malartic.
De l’avis du représentant des mis-en-cause, ce projet revêtait une importance justifiant qu’il puisse faire, à deux reprises, la une du journal et il s’agissait d’une prérogative éditoriale. Abondant dans ce sens, le Conseil rejette le grief.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse retient la plainte de M. Robert Rousson, mandataire du Comité de vigilance de Malartic, contre le journaliste Sébastien Ménard et le Journal de Montréal pour information incomplète et partiale. Les griefs relatifs à l’inexactitude ainsi qu’au sensationnalisme sont, quant à eux, rejetés.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. » (Règlement No 3, article 8. 2)
Analyse de la décision
- C11B Information inexacte
- C12B Information incomplète
- C12C Absence d’une version des faits
- C14A Sensationnalisme/exagération/insistance indue